Du rapport entre Sainte Cène et Trinité : fondements théologiques

Après avoir introduit notre propos (ici), nous survolions la semaine dernière les arguments exégétiques marquant le lien entre la Cène et la Trinité (ici).

 

III- Sainte Cène et Trinité : fondements théologiques

 

1- Le Père

Mais où pouvons-nous donc voir Dieu le Père dans les textes bibliques que nous avons étudiés ? En réalité, quand nous regardons l’évangile de Matthieu par exemple, le Père encadre tout le récit de la cène, un peu comme une inclusion. De sorte qu’il ne faudrait pas exclusivement interpréter ce passage d’un point de vue christologique, mais qu’il faudrait plutôt interpréter les paroles et les actes de Jésus en prenant Dieu comme clé d’interprétation herméneutique. En effet, il est au début, quand Jésus prit le pain et prononça la prière de bénédiction. En faisant cela, l’apôtre Paul nous précise bien que c’est Dieu le Père que Jésus était en train de prier (1Co 11.24). Le Père donne ici sa bénédiction.

De plus, le dernier verset nous précise que Jésus « boira de ce vin nouveau dans le Royaume de son Père ». Ce dernier est donc bien présent lors de l’institution de la Cène. Même si le Christ en est le centre, le Père en est l’origine puisqu’il a envoyé son Fils pour cela, et Jésus demande son approbation dans la prière. Mais le Père en est aussi le but puisque la cène vise comme réalisation la venue du Royaume de Dieu sur terre. Ce jour glorieux où tout œil le verra, et où tous les disciples du Christ depuis Adam jusqu’au dernier seront réunis autour de lui, libres de tout péché, afin de le contempler dans sa gloire pour l’éternité. Le sacrifice que le Christ symbolise dans les éléments est donc par le Père et pour le Père (bien qu’il soit aussi en notre faveur). La cène faisait partie de ses décrets divins de toute éternité, un palier de plus dans la réalisation de son plan du Salut.

Mais la doctrine réformée de Dieu nous permet d’aller plus loin dans la recherche du Père. Nous avons déjà évoqué le fait que Dieu nous donne la cène comme une Parole visible, complémentaire de la Parole invisible prêchée lors du culte. Elle est donc un moyen de confirmer notre certitude dans ses promesses. De plus, elle est un véritable réconfort pour le croyant, car dans la cène le Père nous donne un miroir dans lequel nous pouvons contempler le Fils crucifié, ressuscité, et glorifié [1]. Elle est un rappel de l’œuvre globale de Dieu et de son initiative envers nous dans l’instauration de son Alliance. Elle fait le lien avec ce thème primordial du métarécit biblique qu’est le Royaume de Dieu. Elle nous rappelle l’amour de ce Père pour nous qui n’a pas hésité à donner son Fils unique, celui qui faisait toute sa joie (Mt 3.17), afin de se réconcilier avec nous alors que nous étions encore pécheurs (Rm 5.8).

Dans la cène, Dieu nous parle de son pardon, mais aussi de sa justice en offrant son Fils. Elle est une illustration vivante du Psaume qui disait : « Goûtez, et voyez combien le Seigneur est bon » (Ps 34.9[2]. Dieu manifeste ici, dans ce vecteur de grâce qu’il a ordonné, la puissance et la réalité de son Esprit, au travers du Fils. Il donne par ce sacrement de quoi nourrir ses enfants à notre mère l’Eglise. Il nous éduque, nous fortifie, et nous conduit sur le chemin de l’espérance, de l’assurance, et de la persévérance en attendant le jour où nous serons assis à sa table, en sa présence.

 

 

2- Le Fils

Mais le Père ne fait pas cela d’une manière directe. Il a en effet choisi de le faire par le biais de la médiation de son Fils, et comme nous le verrons juste après, nous l’applique par la Providence de son Esprit. En effet, Jésus est le centre de ce sacrement. Il en est le sujet et l’objet.

Nous avons vu dans les textes bibliques que c’est lui qui institue ce moment et qui le rend normatif pour ses disciples durant ce temps eschatologique. Mais Christ est plein d’humilité dans cette scène. Il ne tourne pas les regards vers lui-même et les souffrances qui l’attendent, mais il tourne les regards en premier lieu vers son Père, en prenant le pain et la coupe, en les levant au ciel, et en demandant la bénédiction de celui-ci. De même, sa dernière pensée concerne une fois encore Dieu. Tout ce qu’il fait ici est dans le but de glorifier son Père par ses souffrances et son obéissance.

Mais si Jésus lève les yeux au ciel, il prend aussi la peine de les baisser pour les poser sur ses disciples qui écoutent ses paroles. C’est lui qui les instruit par son enseignement plein d’autorité et qui les éduque par sa gestuelle symbolique et prophétique. C’est lui qui invite à sa table. C’est par amour pour eux qu’il va verser ce sang qui va sceller la Nouvelle Alliance, pour le pardon de leurs péchés, leur purification. Et tout cela afin qu’ils forment un seul corps dans l’Eglise. Il est le maître rempli d’amour qui sert au lieu d’être servi. Il montre l’exemple malgré l’incompréhension des apôtres.

Mais la christologie nous permet d’aller plus loin dans notre recherche. Nous voyons donc que l’objectif de la cène est de conduire notre foi au sacrifice du Christ sur la croix pour notre Salut. De plus, elle nous montre et nous rappelle notre union spirituelle et invisible au Christ dont les éléments sont le signe et le gage terrestres et visibles. La cène est une fenêtre au travers de laquelle nous pouvons contempler le Christ prêt à offrir son corps pour nous laver de nos péchés. Les liens avec la propitiation et l’expiation sont donc très forts, une intertextualité vivante. Elle est un témoignage véridique de l’œuvre que Christ a effectuée en notre faveur, et elle nous atteste qu’aussi vrais que sont ce pain que nous mangeons et ce vin que nous buvons, aussi vrai est ce qu’a fait Christ pour nous. La cène est donc une figure de l’accomplissement du Christ [3].

Dans la cène, c’est Jésus qui s’offre et se communique à nous : dans une communication quotidienne du sacrement et une communication perpétuelle dans la foi. Mais quand nous acceptons ce repas qui est offert, cette communication devient réciproque. La sainte cène est donc une offrande, et non un sacrifice non sanglant : c’est l’offrande du Christ pour ceux qu’il aime, et l’offrande de nous-mêmes par amour pour lui. Nous ne participons donc pas juste à une parole, une émotion, un symbole, mais nous participons à la personne du Christ dans son entier. Mais comme nous l’avons déjà noté, la cène ne nous parle pas seulement de la mort du Jésus, mais également de sa résurrection glorieuse : Christ est aujourd’hui au ciel corporellement.

La communication est alors spirituelle, ce qui n’empêche pas son efficacité à distribuer sa grâce particulière pendant ce moment. La cène est donc une bénédiction pour l’Eglise [4]. Jean Calvin, en reprenant Augustin, ajoutait quant à la présence du Christ durant ce moment qu’elle se faisait de trois manières : par sa majesté, par sa Providence, et par sa grâce inexprimable [5]. Mickael Walker parle également d’une dimension kérygmatique élargie du repas du Seigneur, car il nous rappelle la croix, mais aussi la personne et le ministère du Fils, de son humiliation à l’incarnation à son exaltation durant son ascension [6].

 

 

3- Le Saint Esprit

Qu’en est-il alors de la troisième personne de la Trinité ? Il est vrai que dans les passages bibliques que nous avons relevés, le Saint-Esprit n’est pas mentionné de manière directe. Pourtant, nous pouvons quand même l’apercevoir en toile de fond, et ce de plusieurs manières. Premièrement, nous avons vu que Jésus, avant de rompre le pain et de le distribuer aux disciples, et avant de partager la coupe, a rendu grâce à Dieu par une prière de bénédiction. Hors, c’est par l’Esprit que se fait toute prière. Jésus avait en effet reçu l’Esprit (Mt 3.16) et en était rempli (Lc 4.1, 18 ; Ac 10.38).

Deuxièmement, quand Jésus affirme qu’il ne boira plus de ce fruit de la vigne « jusqu’à » ce qu’il le boive nouveau dans le Royaume de son Père, le Saint-Esprit est compris dans ce temps du « jusqu’à ». En effet, ce temps eschatologique entre le départ du Christ et sa Parousie est le temps de l’Esprit suite à la Pentecôte (Jn 14.26, 15.26) : notre temps. C’est donc par l’Esprit que le Christ ordonne à ses disciples de se souvenir de lui.

Troisièmement, l’apôtre Paul parle de s’examiner soi-même au moment de la cène afin de discerner le corps de Christ. Mais c’est l’Esprit qui nous illumine pour que nous soyons en mesure de discerner par l’amour l’Eglise, et c’est lui qui nous convainc de péché.

Et quatrièmement, si nous considérons que la cène est un moyen de grâce, l’est-elle devenue qu’après la Pentecôte, où l’était-elle déjà au moment où les apôtres l’ont partagée avec le Seigneur, qui bien qu’il ait été encore présent physiquement, pouvait se communiquer spirituellement en tant que deuxième personne divine de la Trinité au travers de leur foi (tout aussi faible qu’elle ait pu être à ce moment-là) ? Jean Calvin va même jusqu’à dire que l’Esprit nous enseigne la cène en inspirant l’Ecriture ! [7]

Nous voyons donc que même si les indices sont ténus, ils ne sont pas totalement absents. Cependant, la pneumatologie nous aidera à aller plus loin. En effet, l’action de l’Esprit est grande durant la cène si nous la considérons comme un moyen de grâce. La cène devenant un instrument par lequel l’Esprit-Saint veut toucher nos cœurs, éclairer notre intelligence, et donner la paix à notre conscience [8]. A travers la cène qui est une Parole visible, l’Esprit nous enseigne, et nous contemplons par les éléments ce qui est opéré dans notre cœur par ce dernier [9]. C’est lui qui nous applique et nous confère tous les biens que Jésus nous a acquis, et c’est aussi lui qui fait que nous pouvons recevoir par la foi le Christ comme une véritable nourriture pour nos âmes. La cène devenant ainsi une manducation sacramentelle.

Nous évoquions précédemment cette union au Christ et le fait que Jésus était présent spirituellement dans les éléments. Mais c’est encore l’Esprit qui fait que le Fils peut se communiquer à nous tout en restant physiquement dans la gloire du ciel, et qui fait que nous puissions former cette unité du corps dans l’Eglise (analogie de cette périchorèse dont nous avons déjà parlée). Le Saint-Esprit est aussi cet agent qui inscrit cette loi nouvelle gravée directement dans nos cœurs, nous rendant participant de la Nouvelle Alliance instaurée par le sang du Christ. C’est lui qui nous communique cette grâce spéciale qui nous donne assurance et persévérance dans la foi, nous accompagne et nous guide dans notre témoignage et notre marche chrétienne. Car l’Esprit est aussi l’agent de notre sanctification : cette purification qu’annonçait le Christ aux apôtres.

 

Nous pouvons donc bien constater que la Trinité est présente au moment de la cène. La Bible nous l’enseigne et la théologie nous le confirme dans l’analogie de la foi. Et bien que le Saint-Esprit puisse être mis de côté dans ce passage par rapport aux deux autres personnes divines, nous allons voir dans les parties historiques et liturgiques qu’il est en réalité au cœur du repas du Seigneur, tout autant que le Père et le Fils.

 

 

 

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Notes et références

 

[1] MARCEL Pierre, Ibid.

[2] LUDBROCK Stuart, Ibid.

[3] MARCEL Pierre, Ibid.

[4] COBB Donald, Ibid.

[5] CALVIN Jean, Ibid.

[6] LUDBROCK Stuart, Ibid.

[7] CALVIN Jean, Ibid.

[8] MARCEL Pierre, Ibid.

[9] COBB Donald, Ibid.

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.