Du rapport entre Sainte Cène et Trinité : fondement exégétiques

Renaud Genevois s’intéresse au rapport entre la sainte Cène et la Trinité. La semaine dernière, il introduisait le sujet en présentant la Cène comme un repas d’alliance et un festin eschatologique. Cette semaine, il s’intéresse aux fondements scripturaires du rapport à l’étude.

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2- Du rapport entre Cène et Trinité : fondements bibliques

 

La doctrine de la Trinité

Avant de voir concrètement quel est le lien entre la cène et la Trinité, nous devons expliquer très brièvement ce qu’est la Trinité. Cette doctrine affirme qu’il n’y a qu’un seul Dieu, mais que ce Dieu est en même temps trois personnes. Ces personnes sont le Père (qui est le même Dieu que celui de l’Ancien Testament), Jésus-Christ en tant que Fils de Dieu, et le Saint-Esprit. Les trois sont des personnes, et des personnes divines dans leur essence.

Cette doctrine a été attaquée et pervertie de nombreuses fois au cours de l’Histoire de l’Eglise, mais elle est pourtant capitale pour nous. En effet, bien que le mot Trinité ne se trouve pas lui-même dans la Bible, son concept est présent partout (c’est ce que nous allons voir). De plus, cette doctrine doit être défendue comme peut-être la plus importante du christianisme, car sans Dieu trinitaire et personnel, il n’y a pas de possibilité de relation avec Dieu, pas d’amour, pas de certitude dans ses promesses. Sans Trinité, Dieu devient égoïste, lointain, arbitraire, dictatorial ou se moquant de sa Création. Et bien qu’il y ait fallu quatre Conciles pour régler la question dans l’Antiquité[1], c’est toujours aujourd’hui la doctrine qui dérange le plus. Nombreuses sont les sectes chrétiennes qui ont la Bible, ou bien le Christ, comme les Témoins de Jéhovah, les Mormons, les Unitariens, et même les Juifs et les Musulmans qui sont les deux autres monothéismes, mais aucun n’a la Trinité.

La Bible nous enseigne donc que le Père est là, complet en lui-même, le seul être nécessaire et parfait dans tous ses attributs. En conformité avec la plénitude de lui-même depuis toujours et pour toujours car il est immuable (Jc 1.17). Mais ce Père éternel engendre depuis toujours le Fils, qui se soumet et obéit volontairement au Père, non par contrainte, mais par amour. Et d’eux, spire / procède le Saint-Esprit (filioque) qui vient comme un témoin de l’amour unique du Père pour le Fils et du Fils pour le Père, et achève ainsi parfaitement l’union trinitaire. Il y a donc éternellement au sein de la Trinité immanence mutuelle, réciprocité, et communion[2]. De plus, les mots comme « engendré » ou « Père » ne doivent pas être pris dans le sens humain. Ce n’est qu’un type de langage, une accommodation comme dirait Calvin, pour que notre esprit fini puisse essayer de comprendre les réalités spirituelles divines et infinies nous conseille Wayne Grudem. On ne peut pas enfermer la métaphysique dans le physique pour utiliser un autre langage.

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En théologie, nous parlons de la Trinité de deux manières. Premièrement, il y a la Trinité ontologique qui désigne l’être de Dieu (opera ad intra). Cette façon de comprendre le Dieu trine va se concentrer sur les relations qu’entretiennent les différentes personnes au sein de la Trinité. En effet, le Père ne peut être le Père qu’en relation avec le Fils, et inversement. Deuxièmement, il y a la Trinité économique (opera ad extra) qui va se concentrer sur l’action de la Trinité dans le monde en tentant de montrer qu’au moment de la Création par exemple (Gn 1.1, 1.2 ; He 1.3), chaque personne de la Trinité était présente et avait un rôle bien particulier. Il en va ainsi de même pour la Rédemption. Il est également important de noter tout de suite que bien que nous parlions souvent du Père, du Fils, et du Saint-Esprit, cela ne signifie pas que le Père soit plus important ou plus Dieu que l’Esprit. Ils sont tous trois égaux ontologiquement, bien qu’ils aient des spécificités économiques différentes. Ce n’est donc pas un ordre absolu mais relatif. Le sens peut donc parfois être inversé (2Co 13.13). De même, quand une seule personne du Dieu tri-unitaire est mentionnée dans la Bible, cela ne veut pas dire que les deux autres sont absentes disait Augustin. On ne déchire pas Dieu !

De plus, tout cela se complique par le fait que le Père agisse dans la Création par le biais de sa Providence immanente, que le Fils se soit incarné (unissant sans confondre au sein d’une personne unique la totalité de la nature divine et la totalité de la nature humaine qu’il conserve aujourd’hui bien qu’il soit au ciel), et que le Saint-Esprit vienne habiter dans nos cœurs par la régénération, nous unissant ainsi à la Trinité. La médiation du Christ est primordiale pour cette compréhension.

Un dernier point est l’importance de la doctrine de la périchorèse (appelée également circumincessioou co-inhérence, et que nous retrouverons plus loin). Cette doctrine christologique (à la base) tentait d’expliquer comment les deux natures du Fils de Dieu et de Jésus de Nazareth pouvaient être unies sans confusion, distinctes sans partage, au sein de la personne unique du Christ. Elle a plus tard été appliquée à la doctrine de la Trinité (notamment par Augustin et Jean Damascène) pour tenter d’expliquer comment trois personnes pouvaient exister en une substance divine. Comme le dit Michel Johner : « Distinguer sans séparer, unir sans confondre ». Il est important de comprendre que cette doctrine, bien qu’elle soit paradoxale, n’est pas contradictoire comme le faisait remarquer Cornelius Van Til. Penchons-nous donc maintenant sur les preuves bibliques[3].

Le premier point que nous devons démontrer est le fait que Dieu soit un seul Dieu. C’est ce que nous prouve aussi bien l’Ancien Testament quand nous lisons « Ecoute, Israël ! L’Eternel, notre Dieu, est le seul Eternel » (Dt 6.4)[4], que le Nouveau Testament quand il affirme « Tu crois qu’il y a un seul Dieu ? Tu fais bien; les démons aussi le croient, et ils tremblent » (Jc 2.19).

Ensuite, l’Ecriture nous dit qu’il y a trois personnes. On peut déjà voir la différence entre le Père et le Fils dans le prologue de l’évangile de Jean qui écrit : « Au commencement, la Parole existait déjà. La Parole était avec Dieu et la Parole était Dieu » (Jn 1.1). La Parole étant ici Jésus. Il rajoute un peu plus loin que « Personne n’a jamais vu Dieu; Dieu le Fils unique, qui est dans l’intimité du Père, est celui qui l’a fait connaître » (Jn 1.18). De même, le Saint Esprit est différencié du Père quand il marque que « […] le défenseur, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, vous enseignera toutes choses et vous rappellera tout ce que je vous ai dit » (Jn 14.26).

L’Esprit est également différencié du Christ quand il affirme : « Quant à moi, je prierai le Père et il vous donnera un autre défenseur afin qu’il reste éternellement avec vous : l’Esprit de la vérité, que le monde ne peut pas accepter parce qu’il ne le voit pas et ne le connaît pas. [Mais] vous, vous le connaissez, car il reste avec vous et il sera en vous » (Jn 14.16-17). Le terme de personne est ici important, même si les personnes divines ne sont des personnes qu’analogiquement aux personnes humaines. C’est ce que nous appelons l’analogie Créateur / créature. Cependant, nous pouvons lire dans la Bible que Dieu aime (1Jn 4.8), écoute (Gn 21.17), parle (Gn 1.3). Mais son amour n’est pas notre amour par exemple. Jésus est une personne, car quand il était sur terre, il a pleuré (Jn 11.35), il a eu soif (Jn 19.28), et il est mort (Mt 27.50). L’Esprit également est une personne parce qu’on peut l’attrister (Ep 4.31) et lui mentir (Ac 5.3).

Cependant, ces trois personnes sont toutes les trois Dieu. L’apôtre Paul dit en effet que « Néanmoins, pour nous il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous vivons » (1Co 8.6a). Le Fils est également appelé directement Dieu par Paul qui dit : « […] et les patriarches; c’est d’eux que le Christ est issu dans son humanité, lui qui est au-dessus de tout, Dieu béni éternellement. Amen ! » (Rm 9.5). Quant à l’apôtre Pierre rajoute : « De la part de Simon Pierre, serviteur et apôtre de Jésus-Christ, à ceux qui ont reçu, par la justice de notre Dieu et Sauveur Jésus-Christ, une foi du même prix que la nôtre » (2P 1.1). De même l’Esprit est Dieu quand il est dit par David : « L’Esprit de l’Eternel parle par moi et c’est sa parole qui est sur ma langue. Le Dieu d’Israël a parlé, le rocher d’Israël m’a dit : Celui qui règne parmi les hommes avec justice, celui qui règne dans la crainte de Dieu » (2S 23.2-3). Ou encore : « Pierre lui dit : Ananias, pourquoi Satan a-t-il rempli ton cœur, au point que tu aies menti au Saint-Esprit et gardé une partie du prix du champ ? S’il n’avait pas été vendu, ne te restait-il pas ? Et, après l’avoir vendu, n’avais-tu pas le droit de disposer du prix ? Comment as-tu pu former dans ton cœur un projet pareil ? Ce n’est pas à des hommes que tu as menti, mais à Dieu » (Ac 5.3-4).

Il y a donc bien selon la Bible trois personnes distinctes : « Dès qu’il fut baptisé, Jésus sortit de l’eau. Alors le ciel s’ouvrit [pour lui] et il vit l’Esprit de Dieu descendre comme une colombe et venir sur lui. Au même instant, une voix fit entendre du ciel ces paroles : Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute mon approbation » (Mt 3.16-17), et qui sont toutes les trois une seule personne l’une dans l’autre. Le Père dans le Fils et inversement : « Ne crois-tu pas que je suis dans le Père et que le Père est en moi ? » (Jn 14.10). De même pour l’Esprit : « En effet, qui parmi les hommes connaît les pensées de l’homme, si ce n’est l’esprit de l’homme qui est en lui ? De même, personne ne peut connaître les pensées de Dieu, si ce n’est l’Esprit de Dieu » (2Co 2.11). Et pour finir, les trois sont en nous (Jn 17.21 ; Rm 8.9). Au sein de la Trinité nous trouvons donc l’unité dans la multiplicité.

 

 

 

Études des textes bibliques

Les évangiles synoptiques

Maintenant que la véracité de la Trinité a été prouvée, nous allons nous pencher sur les textes bibliques qui parlent directement de l’institution de la Cène en commençant par les évangiles synoptiques de Matthieu (Mt 26.26-29), de Marc (Mc 14.22-25), et de Luc (Lc 22.14-23), qui nous présentent tous les trois chacun une perspective personnelle sur ce moment. Trois perspectives qui ne se contredisent pas, mais qui s’harmonisent pour donner une compréhension plus profonde et claire de ce moment. C’est cela avoir une vision trinitaire du monde.

La première chose que nous pouvons relever est la proximité des textes de Matthieu et de Marc, bien que le premier soit légèrement plus développé. Mais pour ce qui est du vocabulaire et du déroulement de ce passage, il y a énormément de similarités. Luc démontre plus de différences. Nous nous concentrerons donc premièrement sur le texte des deux premiers évangiles. Nous pouvons donc voir que l’institution de la cène commence au moment du repas, « pendant qu’ils mangeaient ». Pour replacer rapidement le contexte, nous pouvons nous rappeler que suite à son entrée à Jérusalem, Jésus avait demandé à deux de ses disciples d’aller leur préparer le repas pour fêter la Pâque dans la chambre haute d’une maison dont le Christ semblait connaître le propriétaire.

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Nous sommes donc ici lors du repas qui précède la Pâque (bien qu’il y ait quelques soucis de datation, il semble difficile de ne pas y voir un repas de Pâque). C’est donc ce moment que choisit Jésus pour instituer la cène. Cette dernière va devenir le nouveau symbole de la Pâque. En effet, Christ, notre agneau de la Pâque (1Co 5.7) va donner sa vie en sacrifice pour libérer son nouveau peuple de l’esclavage du péché. La cène devient symbole du Nouvel Exode annoncé par les prophètes (Es 40). Ce qui « remplace » la Pâque juive n’est donc pas la Pâques chrétienne (malgré les liens évidents), mais la cène.

Nous sommes donc lors de ce repas, quand Jésus prit le pain, bénit Dieu pour cela, le rompit, et le donna à ses disciples en leur demandant d’en prendre chacun un morceau et de le manger. Ce pain rompu, brisé, représente d’une manière symbolique son corps qui va être déchiré par le fouet et par la croix. C’est un geste prophétique accompagné d’une parole prophétique que fait ici Jésus. C’est une parabole historique destinée à nous enseigner quelque chose à propos du Christ. Puis Jésus prit une coupe, bénit Dieu pour cela, et la donna à ses disciples en leur demandant de tous boire à cette coupe car elle est son sang. Bien entendu, ce n’est pas la coupe qui est son sang, mais son contenu représente analogiquement le sang du Christ. Le contenant est confondu avec le contenu. Il paraît d’ailleurs évident qu’il n’aurait pas pu leur donner ce produit de la vigne sans le mettre dans une coupe, à l’inverse du pain qui se tient en lui-même.

Mais Jésus va développer ce thème du sang. Ce dernier représente le sang de l’Alliance. Un renvoie probablement évidement pour ses disciples à l’institution de l’Ancienne Alliance avec Moïse au Mont Sinaï et à l’aspersion du sang du sacrifice sur le peuple (Ex 24). Jésus est ici en train de ratifier une nouvelle Alliance, rendant l’Ancienne obsolète (He 8.13). Ce sang et ce corps brisé nous parlent en avance de la mort du Christ, d’une manière négative. Mais d’une manière positive, Christ annonce que ce sang sera aussi le moyen de purification pour les péchés de beaucoup. Ce que peut laisser sous-entendre le mot aphesisqui est utilisé. Il est ici le but que voulait annoncer Christ, le sommet de sa mission. Comme dans l’Ancienne Alliance, le sang de Jésus représente la vie. Une vie donnée, la sienne, pour une vie reçue, la nôtre, nouvelle au travers de la foi et par l’Esprit.

Mais Jésus complète cette image par un enseignement introduit comme à son habitude par un « je vous le dis ». C’est donc pour nous le moment d’être vraiment attentif. Jésus indique qu’à partir de ce moment, il ne boira plus jamais de ce fruit de la vigne. Le texte grec comporte même une double négation pour montrer l’absolue certitude de ce fait. L’accomplissement est en marche, et plus rien ne pourra l’arrêter. Mais Jésus complète en disant qu’il n’en boira plus « jusqu’à » ce qu’il le boive nouveau avec eux dans le Royaume de son Père. Ce mot est important, car il nous montre que la cène ne se résume pas à l’annonce de la mort du Christ, mais aussi à sa Résurrection. Elle prend ici une dimension eschatologique et introduit cette tension du « déjà » et du « pas encore ». Ce temps est important, car c’est le temps où nous sommes aujourd’hui. De plus, ce vin « nouveau » utilise le mot grec kainos, qui sous-entend plutôt une idée de renouvellement. C’est donc dans la Nouvelle Création que Jésus boira ce vin, et il ne le fera pas seul, car il donne une magnifique promesse à ses disciples en leur disant que ce jour-là ils seront à ses côtés. Il y a donc une dimension pastorale à la sainte cène également.

Pour finir, nous pouvons relever que Jésus parle du Royaume de son Père, ce qui est équivalent chez Marc au Royaume de Dieu. Cette mention de l’attente du Royaume de Dieu renforce cette dimension eschatologique de la Nouvelle Création qui se trouve derrière la cène. De plus, Jésus parle ici de son Père. Nous voyons donc cette filiation particulière qui fait du Christ le Fils de Dieu dans le sens fort du terme. Ici, les apôtres ne lui sont pas associés dans cette relation particulière.

On peut peut-être remarquer le caractère dramatique dans lequel se déroule l’institution de la cène dans le fait que dans l’évangile de Matthieu, ce passage est directement précédé de la trahison de Judas, et qu’il est suivi par le reniement de Pierre. Alors que tous l’abandonnent, Christ est prêt à se donner lui-même par amour pour ses disciples. D’ailleurs, les quelques versets qui précèdent chez Marc annoncent que le Fils de l’Homme va être donné selon les Ecritures. La cène faisant ainsi pleinement partie des décrets de Dieu.

Le texte de Luc est assez différent. Déjà, la trahison de Judas se trouve après la cène, liée à cette dernière par le mot « cependant ». Bien que Matthieu et Marc laissent sous-entendre que Judas est absent de ce moment, et alors que Jean le fait sortir carrément avant, Luc laisse à penser que Judas était bien présent. Nous ne pouvons donc pas trancher avec certitude, bien que la réputation de Luc comme historien précis puisse éventuellement favoriser la deuxième interprétation. Quoi qu’il en soit, nous pouvons voir chez Luc que l’institution de la cène n’arrive pas à n’importe quel moment puisque « l’heure était venue ». Un thème cher à l’apôtre Jean.

Jésus se couche donc à table avec ses apôtres, puis nous lisons tout un enseignement où l’on retrouve l’expression « je vous le dis », et qui ne figure pas dans les deux autres évangiles. Cette fois-ci, l’enseignement eschatologique se trouve avant la cène et d’une manière plus complète. Cet ordre semble même plus logique, puisque suite à cet enseignement un peu énigmatique, Jésus l’illustre par l’institution de la cène. C’est la manière dont il a pratiqué tout son ministère public. Le pain est cette fois cité et est mis en rapport direct avec la Pâque juive, identifiant le corps du Christ à l’agneau sacrifié (ce qui fait dire à certains que c’est pour cette raison que l’agneau n’est pas cité comme plat lors du repas).

Quand il affirme qu’il « a vivement désiré manger cette Pâque avec eux avant de souffrir », les mots « vivement désiré » sont réellement très forts, surtout dans la bouche de Jésus, puisqu’ils peuvent vouloir dire également convoiter. La cène n’est pas qu’une simple étape dans le ministère de Jésus, elle est la charnière qui le fait basculer dans la dernière partie, celle de la souffrance et de la manifestation de son amour. Ici l’annonce prophétique de sa mort est claire. De plus, c’est avec ses disciples que Jésus voulait manger, ce qui implique la notion communautaire du repas du Seigneur. Les apôtres sont ici associés au Christ. Ce repas, Jésus ne le mangera plus jusqu’à ce qu’il soit « accomplit », consommé, dans le Royaume de Dieu. Le banquet de l’Agneau est ici promis (Ap 19).

Jésus ne mangera plus avec ses disciples jusqu’au Jour où tout ce qui le concerne sera pleinement achevé. Il y a donc instauration et consommation de la cène. Le partage de la coupe se fait ici dans la foulée. Jésus explique qu’il ne boira plus du fruit de la vigne jusqu’à ce que le Royaume de Dieu soit « venu ». Il y a donc un mouvement dynamique du Royaume ici. De plus, il y a maintenant un parallèle entre la venue du Royaume et sa consommation, ce qui nous rapporte à l’espérance chrétienne qui est contenue dans la cène. Jésus ne précise pas ici qu’il boira ce vin « nouveau » dans le Royaume de son Père. La nouveauté est liée à la venue du Royaume et à son achèvement au sein de la Nouvelle Création, le renouvellement pas seulement du vin mais de toute chose. Il est donc important de relever que c’est le Royaume qui vient, ce n’est pas nous qui y allons. De plus, le Retour du Christ est lié à la venue du Royaume. Il faut également relever que dans la première partie de cet enseignement, c’est la Pâque qui est le sujet, alors que dans la deuxième, c’est le Royaume de Dieu. L’œuvre du Christ, de son incarnation à sa Parousie, en passant par sa Passion, sa mort, sa résurrection, et son ascension forment un tout. L’Evangile du Royaume prêché par le Christ est égal à l’Evangile du Christ. Jésus est indissociable du Royaume.

Une dernière chose qui pourrait éventuellement nous montrer l’aspect trinitaire de la cène est le fait que c’est le Royaume qui vient sur terre. Le paradis n’est donc pas à chercher ailleurs qu’ici. Cela nous montre l’importance pour nous d’accomplir le mandat culturel / créationnel (Gn 1.28). Ce que nous faisons durant notre vie ayant des impacts au ciel. Mais comme Gregory Beale l’explique, le mandat missionnaire (Mt 28.19) n’est pas autre chose que le mandat culturel appliqué à l’ère de la Rédemption dans le schéma de la révélation progressive du métarécit biblique Création-Chute-Rédemption. Et comme le baptême et sa formule trinitaire se trouvent dans ce mandat, la venue du Royaume dans ce passage lie ensemble les deux sacrements, laissant penser que si l’un est trinitaire, alors l’autre devrait l’être également.

Chez Luc, l’illustration semble suivre directement l’enseignement, alors que nous avions vu chez Matthieu et Marc que le pain semblait pris pendant le repas. On peut donc supposer un léger temps entre l’enseignement et son application. Puis Jésus prit le pain et le distribua à ses disciples en disant que c’était son corps, mais cette fois les mots « qui est donné pour vous » sont rajoutés. Il est intéressant de relever qu’ils sont au passif en grec. Cela suggère la soumission volontaire du Fils à la volonté du Père. On appelle cela aussi l’obéissance passive de Jésus en christologie. Pourtant, Jean nous enseigne que le Christ donne lui-même sa vie avant de la reprendre, personne ne la lui prend (Jn 10.17-18). Il y a donc une légère tension entre l’offrande du Fils et sa souveraineté divine. C’est ici la seule fois où Jésus précise « faites ceci en souvenir de moi ». Voilà l’impératif qui ordonne le sacrement.

Puis il est écrit qu’il prit la coupe après le souper. Il y a donc un temps entre la prise du pain et celui de la coupe, alors que tout semblait successif chez Matthieu et Marc. La coupe semble la même que celle prise avant le repas, puisqu’avant le repas il est dit que Jésus prit « une » coupe, alors que là il est écrit que Jésus prit « la » coupe. Elle est maintenant définie (nous pourrions même traduire il prit la mêmecoupe), ce qui laisse également à penser que cette dernière a donc été partagée deux fois : une fois pour l’enseignement et une fois pour l’illustration. Ce qui est intéressant de relever ici, c’est que contrairement aux deux autres évangiles où l’on pouvait lire que l’Alliance était faite en son sang, nous pouvons lire ici que c’est la coupe qui représente la Nouvelle Alliance.

Mais comme nous l’avions remarqué plus haut, le contenant et le contenu semblent clairement identifiés l’un à l’autre, il n’y a donc pas besoin de chercher plus loin, le sang étant également mentionné ici. C’est également la seule mention véritablement explicite d’une NouvelleAlliance, faisant un lien avec la prophétie de Jérémie (Jr 31.31-34) qui est un passage de restauration dans le contexte du retour d’Exil, ce qui nous ramène à ce thème du Nouvel Exode. Nous pouvons donc relever la continuité et la discontinuité des Alliances divines : continuité dans l’Alliance de Rédemption, mais discontinuité avec l’Ancienne  Alliance (bien qu’il y ait également continuité avec cette dernière au travers de la Loi morale par exemple). Encore une fois, le sang répandu, versé, est au passif. Quelqu’un versera le sang du Christ comme lors des sacrifices.

 

 

La première épître aux Corinthiens 

En dehors des évangiles synoptiques, le seul endroit où nous pouvons trouver un enseignement assez long et explicite sur la sainte cène se trouve dans cette lettre de l’apôtre Paul. Il y fait référence deux fois. La première mention se trouve en (1Co 10.14-22). Dans ce passage plutôt court et où la cène lui sert pour une controverse doctrinale, Paul explique que la coupe et le pain (la coupe étant mentionnée avant le pain) sont une communion au Christ lui-même et à sa Nouvelle Alliance.

Ainsi, la cène est symbole de notre communion dans l’unité de l’Eglise qui est le corps du Christ. La cène nous associe à la vie de liberté offerte en Christ. En tant que chrétiens, les Corinthiens ne peuvent donc pas boire en même temps à la coupe du Seigneur et à la coupe des démons, partager la table du Seigneur et partager la table des démons. Ils sont donc appelés à faire attention à leurs associations car ils ne peuvent communier avec deux maîtres en même temps. La cène est donc ici utilisée en opposition à l’idolâtrie.

Le deuxième passage, plus long et plus direct, est (1Co 11.17-34). Ici, l’apôtre fait de sévères reproches aux Corinthiens sur leur manière de vivre l’unité de l’Eglise et de pratiquer la sainte cène. Il va donc leur rappeler le but de la cène et leur donner une manière seine d’y participer. En effet, à ce moment, la cène semblait prise après un repas communautaire, probablement le soir. Elle était le point culminant de cette rencontre fraternelle. Malheureusement, certains chrétiens ne venaient que pour l’agape qui précédait en ne laissant rien à manger à leurs frères plus pauvres qui arrivaient en retard à cause de leur travail. Ces Corinthiens se réunissaient pour l’ombre du repas du Seigneur qu’était l’agape et dont le but ultime était la cène. Ils manifestaient donc un mépris de l’Eglise en tant que corps du Christ et communauté unie.

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Paul va donc leur expliquer qu’il a reçu des paroles du Seigneur lui-même en ce qui concerne la cène. Son enseignement vient donc en complément des évangiles. De plus, nous pouvons noter une grande proximité avec Luc, ce qui pourrait laisser penser comme Luc était un compagnon de Paul, que l’évangéliste tenait son enseignement en grande partie de l’apôtre et expliquerait les différences assez grandes avec les deux autres évangiles. Paul rajoute donc ici que boire la coupe est aussi un signe du souvenir du Christ – alors que Luc l’associait plutôt à la prise du pain. Paul dit également que la coupe est la Nouvelle Alliance dans le sang du Christ, tout comme Luc. La notion de venue est aussi très forte, et est associée cette fois-ci directement au Christ, ce qui lie bien le Retour du Christ à la venue du Royaume de Dieu. Nous retrouvons donc cet enseignement eschatologique. Alors que nous avions vu que Jésus était plutôt passif dans les évangiles, il est ici présenté d’une manière active, ce qui annule cette tension entre obéissance passive et souveraineté du Christ.

Mais l’originalité de Paul se situe dans la suite de son enseignement. En effet, pour lui, prendre le sacrement de manière indigne, c’est se rendre coupable devant l’Eglise (corps) et l’Alliance (sang). Il appelle donc à un examen de conscience avant la cène afin de ne pas boire son propre jugement (Judas avait-il donc bu son jugement ?). En réalité, ce que l’apôtre demande, ce n’est pas une introspection psychologique ou bouddhiste, mais à discerner le corps, c’est-à-dire à tenir compte de ses frères et sœurs dans l’Eglise. La cène étant avant tout un acte communautaire.

Cet enseignement de la réconciliation avec son frère et de se juger soi-même pour ne pas être jugé rappelle étrangement le Sermon sur la Montagne enseigné par Jésus à ses disciples (Mt 5-7). La sainte cène ne doit donc pas être prise de manière indigne. Cela ne veut pas dire que tout non-chrétien qui prendrait la cène se retrouverait lépreux le lendemain, mais il ne fait pas de doutes qu’à Corinthe cela avait entraîné des maladies et des morts. C’était un jugement particulier et non normatif de Dieu qui, comme un Père aimant, voulait ramener ses enfants perdus sur la bonne voie. Le repas du Seigneur est donc autant un moment de bénédiction que de jugement. Non pas que le pain et le vin aient des pouvoirs magiques en eux-mêmes, mais par rapport à la réponse que nous donnons en ce qui concerne l’Evangile qu’ils représentent. Et l’apôtre ne manque pas de donner un conseil pratique en disant aux Corinthiens que dorénavant ils feraient mieux de manger à la maison avant de venir.

 

 

Autres textes

Ailleurs dans la Bible, nous ne retrouvons pas d’enseignements explicites sur la cène. Il est cependant fait plusieurs fois mention de rompre le pain, même si tous ces passages ne semblent pas être liés directement à la cène (Ac 2.42, 46, 20.7, 11, 27.35). Le passage avec les disciples d’Emmaüs ne semble pas concerner la cène (Lc 24.13-32). En effet, ces disciples n’étaient pas là au moment de l’institution de cette dernière, ils n’auraient donc pas compris ce rituel. En revanche, le texte rappel également la multiplication des pains (Lc 9.10-17). Peut-être étaient-ils donc présents plutôt lors de ce miracle ? En ce qui concerne la coupe, le reste du temps elle est utilisée comme un symbole de jugement, notamment dans l’Apocalypse de Jean.

Bien qu’il ait été utilisé souvent dans ce sens, le chapitre 6 de l’évangile de Jean ne parle pas de la cène, ce qui n’aurait eu aucun sens pour les disciples puisque cela se passe bien avant. Ce qui n’empêche pas d’y retrouver des connotations rétrospectivement. Calvin disait plutôt que la doctrine de Jean 6 se retrouvait scellée et confirmée dans la cène[5]. Selon lui, (Jn 6) parle de « la communication perpétuelle de la chair du Christ que nous avons hors l’usage de la cène… Il est certain qu’il traite de la manière perpétuelle et ordinaire de manger la chair du Christ… qui se fait par la foi seulement ».

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L’évangile de Jean est le seul à ne pas mentionner la cène. Il a préféré la remplacer par l’enseignement du lavement des pieds et par le commandement lui aussi « nouveau » de s’aimer les uns les autres tout comme le Christ nous a aimé (Jn 13.34-35). Un enseignement spirituel caché derrière la cène et qui concerne l’amour sacrificiel du Christ envers ses disciples et l’amour fraternel censé en découler par la foi et l’Esprit d’amour.

Maintenant que le sujet a bien été défini et que les textes bibliques ont été étudiés, nous allons voir que nous pouvons dorénavant montrer la présence de la Trinité dans la sainte cène à partir de la Bible et de tout ce qui a été dit, et que cela va nous aider à construire une théologie trinitaire de la cène. Ces fondements seront appuyés par la suite par une étude de la liturgie, et nous serviront plus tard à montrer l’implication actuelle de cette présence de la Trinité dans le sacrement.

 

 

Notes et références

[1] Cf. Voir essentiellement le Symbole de Nicée-Constantinople

[2] DURAND Emmanuel, La périchorèse des personnes divines, Les éditions du Cerf, Paris, 2005

[3] POYTHRESS Vern, Knowing and the Trinity : how perspectives in human knowledge imitate the Trinity, P&R Publishing, Phillipsburg, 2018, p 43-51 pour ce qui va suivre

[4] Bible Segond 21

[5] MARCEL Pierre, Ibid.

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.