« Que les femmes se taisent dans les assemblées » —Vraiment?!
Cette série d’articles rend compte de mon intervention lors de la journée « Points Chauds » du 2 mai 2019 au Centre de Formation du Bienenberg. Pour obtenir davantage d’informations quant au journées-débats « Points chauds », visitez ce lien.
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Je poursuis la série sur le complémentarisme entamée le 2 mars 2019 à l’occasion du débat « Points Chauds » avec Marie-Noëlle Yoder. Si vous manqué les articles précédents, je vous encourage à ce stade à les reprendre du début :
- Qu’est-ce que l’image de Dieu a à voir avec le complémentarisme ?
- Genèse 2 : la création de la femme et la responsabilité de direction de l’homme
- Comment la chute a-t-elle modifié les relations entre les femmes et les hommes ?
- Le complémentarisme et l’intertextualité
- L’homme est-il le « chef » de la femme ?
1 Corinthiens 14 et le silence des prophétesses dans l’assemblée
Après avoir abordé les trois premiers chapitres de la Genèse, les Evangiles, Ephésiens 5, et 1 Corinthiens 11, j’aimerais cette semaine commenter brièvement le passage très controversé de 1 Co 14.33b-36. Brièvement, car il va m’être très difficile de retracer l’ensemble des axes de la discussion académique sur ce passage, surtout dans l’histoire récente. Il s’agit là encore de l’un des textes les plus disputés du Nouveau Testament, et le volume de littérature qui s’y rapporte est tout bonnement indigeste !
Voici donc le texte en question, dans la version NEG79 :
Comme dans toutes les Eglises des saints, que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis d’y parler; mais qu’elles soient soumises, comme le dit aussi la loi. Si elles veulent s’instruire sur quelque chose, qu’elles interrogent leur mari à la maison; car il est malséant à une femme de parler dans l’Eglise. Est-ce de chez vous que la parole de Dieu est sortie? ou est-ce à vous seuls qu’elle est parvenue?
La tâche de l’exégète est compliquée, au moins pour quatre raisons :
(1) Tout d’abord, la démarcation précise du passage est disputée.
(2) Ensuite, une problème de critique textuelle amène de nombreux spécialistes à écarter tout ou partie des vv. 34-36 au motif qu’il s’agirait de gloses tardives. L’un des commentateurs évangéliques les plus chevronnés, Gordon Fee, soutient lui-même que les versets 34-35 constituent une interpolation non paulinienne. Cependant, les conclusions de Fee se basent avant tout sur une conjecture : ces versets ne sont totalement absents d’aucun manuscrit, et Fee est obligé de spéculer en faveur d’une interpolation qui serait survenue très tôt dans l’histoire de la transmission de lettre. Sans m’étendre davantage sur ce point, avec la majorité des commentateurs évangéliques je considère ce texte comme authentique.
(3) En 1 Corinthiens 11, Paul semble pleinement autoriser la prophétie des femmes, tandis qu’en 1 Corinthiens 14 il requiert un silence apparemment absolu de la part de la gente féminine.
(4) Beaucoup se demandent quelle est cette « loi » qui dit « aussi » que les femmes se taisent dans les assemblées.
Il va sans dire qu’un très grand nombre d’interprétations existe. Les plus importantes sont retracées par Don Carson dans son article écrit pour le livre Recovering Biblical Manhood and Womanhood (le seul qui, à mon avis, vaille réellement la peine d’être lu dans cet ouvrage collectif un peu trop expéditif à mon goût).
Pour ma part, j’estime que :
(1) Nous avons affaire à deux contextes différents en 1 Co 11.2-6 et en 1 Co 11.17—14.40. Dans le premier passage Paul énonce un principe général tandis dans le deuxième il fait référence au rassemblement public de l’Eglise entière. Parmi les indices qui me conduisent à penser ainsi, je mentionnerais l’usage répété du verbe synerchomai (« se rassembler ensemble »), introduit dès 1 Co 11.17, qui marque une transition vers un contexte de rassemblement d’Eglise, sans doute à l’occasion de la Cène. L’autre aspect déterminant est le caractère spécifiquement public de ces réunions, comme l’éventualité de la participation d’un non croyant l’indique (cf. 1 Co 14.23)
(2) Dans le premier contexte (1 Co 11.2-16), Paul n’interdit ni la prière ni la prophétie aux femmes ; mais dans le deuxième (1 Co 11.17-14.40), il souhaite marquer clairement l’ordre créationnel en confiant les positions afférentes au leadership, ici la prophétie et l’enseignement public, aux hommes. En toile de fond, l’on retrouve le problème des désordres de l’Eglise de Corinthe : Paul veut semble-t-il limiter les manifestations de type prophétie à deux ou trois personnes maximum. Dans ce contexte, mettre en avant l’ordre créationnel fait partie intégrante de la manifestation générale de l’ordre à Corinthe.
(3) La « loi », dans ce passage, est sans doute une référence à l’Ancien Testament dans son ensemble. En 1 Co 14.20, Paul désigne le livre d’Esaie par cette même expression —« la loi »— et c’est probablement également ce qu’il fait au v.34. A mon sens, il s’agit là encore d’une allusion à l’ordre créationnel dont il a déjà usé au chapitre 11 et dont il use systématique lorsqu’il aborde ce sujet, comme nous l’avons vu.
La raison principale pour laquelle je n’insiste pas davantage sur ce passage est que l’intertextualité avec les textes créationnels n’y est pas particulièrement marquée. Je vous rappelle la thèse que je défends : l’ensemble des passages de l’Écriture ultérieurs à Genèse 1-3 touchant directement aux questions de masculinité et de féminité font systématiquement référence aux récits bibliques des origines.
En 1 Co 14.33b-36, cette référence est bien présente, selon moi, au moyen d’un écho de faible intensité (l’allusion à « la loi » du v.34). Mais en l’absence d’un marqueur textuel clair et net renvoyant vers Genèse 1-3, je préfère ne pas appuyer outre mesure ma position complémentariste sur ce passage, pourtant si souvent mis en avant.
Toutefois, un point important mérite d’être souligné : l’interdiction tant décriée de Paul ne s’étend pas à tous les rassemblements, mais elle se limite aux rencontres publiques de l’assemblée entière. Comme en 1 Co 11, il semble que Paul s’inquiète du « témoignage créationnel » de l’Eglise —ici envers les non-croyants qui pourraient participer ces rencontres publiques ; en 1 Co 11 envers « les anges » qui l’observent.
A suivre.
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