Du rapport Sainte Cène et Trinité : survol historique

Après avoir introduit notre propos (ici), nous avons survolé les arguments exégétiques marquant le lien entre la Cène et la Trinité (ici) puis les liens théologiques qui les unissent (ici). Cette semaine, regardons ensemble les différents apports de l’histoire de l’Église.

 

 

IV – Survol historique 

À la suite de ces fondements théologiques d’une doctrine trinitaire de la cène, il peut être intéressant de regarder comment celle-ci a été perçue par ceux qui nous ont précédés dans l’Histoire de l’Eglise. Mais si personne n’a jamais remis en cause le caractère christologique du sacrement ni mis en doute la présence du Père lors de ce dernier, il est intéressant et important de faire remarquer qu’il n’en a pas été de même pour le Saint-Esprit [1]. En effet, la place et le rôle de l’Esprit ont suscité beaucoup de questions, et sont mêmes à l’origine d’une compréhension et d’une manière de pratiquer la cène différente suivant les dénominations. Ainsi, le Saint-Esprit vient-il changer réellement les éléments suite à son invocation comme dans la doctrine catholique, ou bien est-il juste présent comme il l’est toujours mais sans rôle particulier comme dans le protestantisme de Zwingli ?

Bien que La Didachè ne nous donne pas beaucoup de renseignements par rapport à notre sujet en lien avec le temps des Pères Apostoliques, nous pouvons voir dès le 2ème siècle, que le Père de l’Eglise Irénée de Lyon, un des premiers apologètes et théologiens, associait déjà l’invocation et l’œuvre du Saint-Esprit au changement des éléments. Pourtant, un de ses contemporains, Clément d’Alexandrie, parlait lui plutôt d’un bénéfice de sanctification à participer à la sainte cène. L’œuvre de l’Esprit n’intervenait donc pas dans les éléments, mais dans le cœur du croyant. La cène servait de moyen d’enseignement afin que le croyant puisse grandir dans sa foi et en pureté. De grands théologiens de l’Antiquité comme Hippolyte de Rome, Augustin ou Cyprien de Carthage semblaient également aller dans le sens d’Irénée, et parlaient même d’adoration du sacrement.

Durant le Moyen-Âge, nous retrouvons un moine du nom de Paschasius Radbertus (9èmesiècle) qui développera une compréhension réaliste de la cène tout comme l’avait fait Irénée. Mais ses idées seront combattues par un autre moine symboliste du nom de Ratramne de Corbie (qui adhérait plutôt à une forme de consubstantiation, comme Guillaume d’Occam ou Jean Dun Scott plus tard). Cependant, il est intéressant de noter que jamais l’Eglise n’a ressentie le besoin de statuer de manière officielle sur cette question. Les deux interprétations ont donc coexistées pendant plus de mille ans !

Il faudra attendre le 11ème siècle pour que le ton se durcisse. En effet, un scolastique du nom de Béranger de Tours va remettre en cause la présence réelle du Christ dans les éléments. Il va être accusé et contraint par le pape de signer un document où il reconnaît cette présence réelle. L’Eglise catholique poursuivra ce durcissement au siècle suivant lors du concile de Latran où la transsubstantiation deviendra doctrine officielle. C’est donc au 13ème siècle que Thomas d’Aquin finira de donner la tournure actuelle de cette doctrine en se servant du langage philosophique d’Aristote (essence et accident) pour donner un appui rationnel à cette transformation substantielle. L’Eglise Orthodoxe suivra cette définition au concile de Trente au 16èmesiècle, en parlant plutôt de « Mystère ».

Mais au moment de la Réforme, alors que Luther ne semble pas être allé assez loin (ou trop loin !) dans ses idées (consubstantiation et ubiquité), c’est Jean Calvin qui va mettre l’accent sur la puissance du Saint-Esprit dans les sacrements. Pour lui, l’Esprit nous prépare par son illumination à recevoir la confirmation de notre foi. Dans la cène, le Père ne nous présente pas juste des signes matériels nous rappelant l’œuvre du Fils, mais il manifeste l’efficacité de son Esprit pour accomplir ce qu’il a promis. Lors de la cène, le Christ est véritablement présent dans les éléments, pas juste parce qu’il est Dieu omniprésent, mais son corps spirituel vient véritablement dans les éléments grâce au Saint-Esprit. Il ne quitte donc pas son trône céleste à la droite de son Père où il se tient corporellement dans son corps glorifié. C’est l’Esprit qui fait le lien entre Christ et les éléments, et entre nous et Christ. Il rend donc possible cette communion malgré la séparation spatiale. Ainsi, dans la cène, Christ descend à nous et nous élève à lui par son Esprit. Les éléments ne se transformant pas, mais devenant moyen de grâce. Pour certains protestants comme Zwingli, les anabaptistes, et plus tard la plupart des baptistes (puritains ou piétistes), le Saint-Esprit garde simplement son rôle d’agent de sanctification et de purification pour ceux qui participent au repas du Seigneur. C’est aussi la conviction pentecôtiste et charismatique dans sa majorité.

Nous voyons donc qu’à travers l’histoire, la dimension trinitaire de la cène a varié en fonction du rôle qui était attribué au Saint-Esprit. Mais dans un cas comme dans l’autre, cette affirmation de la Trinité lors du culte se faisait par l’invocation de l’Esprit-Saint au moment de la cène, donc au travers de la liturgie dominicale. D’ailleurs, pour terminer sur une note plus contemporaine, nous pouvons relever la vision liturgique du mouvement oecuménique de ce sacrement qui le définit comme suit : Remerciement au Père, anamnèse du Christ (rappel de l’œuvre de Jésus), invocation de l’Esprit, communion de l’Eglise, repas du Royaume. Il résume donc tout ce que nous avons vu jusqu’à présent et nous introduit dans notre prochain sujet qui sera celui de la liturgie dominicale.

 

 

 

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Notes et références

[1] ALLISON Gregg, Historical theology, Zondervan, Grand Rapids, Michigan, 2011, p 635-658 pour tout ce qui suit

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.