Du rapport entre Sainte Cène et Trinité : applications pour le culte

 

Après avoir introduit notre propos (ici), nous avons survolé les arguments exégétiques marquant le lien entre la Cène et la Trinité (ici) puis les liens théologiques qui les unissent (ici). Dans le précédent article, nous avons survolé les différents apports de l’histoire de l’Église. Dans cet avant-dernier post, nous analysons quelles conclusions concrètes nos observations peuvent signifier pour l’exercice du culte, en particulier en termes de liturgie et de louange.

 

 

V- Cène et trinité dans le culte dominical

 

A- Dans la liturgie

Ce survol historique nous conduit donc tout naturellement à nous pencher maintenant sur la liturgie dominicale afin de poursuivre notre recherche de la Trinité dans la sainte cène. Nous allons donc nous pencher sur les trois grandes confessions que sont le catholicisme, l’orthodoxie, et le protestantisme d’un point de vue général.

Premièrement, en ce qui concerne la liturgie catholique, nous avons déjà évoqué le fait que lors de la messe, quand le prêtre ordonné invoque le Saint-Esprit sur les éléments par une prière appelée épiclèse de consécration, ces derniers devenaient réellement le corps physique du Christ. L’eucharistie devient ainsi un sacrifice non sanglant – qui ne renouvelle pas celui du Christ qui a été fait une fois pour toute – mais plutôt qui le prolonge. Le prêtre impose les mains sur les éléments et lève l’hostie et la coupe au ciel, au-dessus de l’autel, en récitant des prières qui sont très codifiées. Chaque parole, chaque mouvement, fait partie d’un rituel où il n’est pas permis d’improviser et qui appelle la plus grande solennité. Le sacrement de l’eucharistie faisant dans la théologie catholique l’unité de l’Eglise, il est donc primordial à la vie de l’institution et du croyant. On communie donc le plus possible.

C’est presque le sacrement qui fait l’Eglise. En ce qui concerne les éléments, seul le prêtre et ceux qui l’assistent boivent dans la coupe (d’ailleurs cela a entraîné des problèmes d’alcoolisme chez certains prêtres qui s’occupaient de plusieurs paroisses). Les communiants viennent ensuite recevoir l’hostie de la main du prêtre et de ses assistants, soit dans la main soit directement dans la bouche. Et ce dernier prononce une parole en offrant en disant : « Le corps du Christ ». Le moment d’eucharistie se passe dans le plus grand des silences, bien qu’il puisse être entrecoupé par des prières du prêtre et des réponds de l’assemblée. Le prêtre prononce une nouvelle épiclèse à la fin de ce moment appelée épiclèse de communion. Cette fois, le Saint-Esprit est invoqué sur l’assemblée. A la fin, la coupe est bue dans son entier et les morceaux d’hostie consacrés sont gardés dans un endroit appelé le tabernacle pour être utilisés la prochaine fois. Une lumière symbolise la présence du Christ, et les fidèles peuvent venir se recueillir en silence devant le reste de ces sacrements. Nous voyons donc un danger d’idolâtrer les éléments. Le rôle du Saint-Esprit est donc primordial dans la transformation des éléments.

Deuxièmement, dans la tradition orthodoxe, on introduit le temps du sacrement comme pour les catholiques avec une prière eucharistique du nom d’anaphore qui est composée de plusieurs parties, dont une épiclèse qui donne lieu à la consécration. Après un chant de communion, le prêtre donne au communiant le pain trempé directement dans le vin dans la bouche de ce dernier. On appelle cela l’intinction. Comme pour les catholiques, l’épiclèse se fait aussi bien sur les oblats que sur les communiants à la fin du sacrement. Mais la théologie orthodoxe qui tente de monter les hommes vers Dieu à une conception encore plus forte de l’épiclèse que l’Eglise Catholique. En effet, dans l’orthodoxie, l’épiclèse et la communion font du croyant une éternelle offrande à la gloire de Dieu, par l’intermédiaire du Saint-Esprit qui élève le croyant vers la divinité. Il y a donc un lien fort entre l’offrande du Christ et l’unité de l’Eglise par le don du Saint-Esprit. Cependant, contrairement à la tradition romaine, l’épiclèse est non nécessaire pour la validité du sacrement puisque c’est le prêtre qui consacre in persona Christi (selon Jean Chrysostome). Une fois encore, bien que l’Esprit semblait moins présent dans les fondements bibliques et théologiques, nous pouvons relever qu’il tient une place primordiale dans la liturgie cultuelle.

Et troisièmement, nous allons voir que la tradition protestante est loin d’être en reste malgré l’absence de liturgie apparente aujourd’hui. Bien plus, le caractère trinitaire de la sainte cène ressort très fortement dans cette tradition. On peut déjà noter que dans la liturgie de la Réforme, une épiclèse qui se faisait sous forme de prière d’intercession était présente[1]. Cette dernière était séparée de ce qu’on appelait la grande prière d’action de grâce afin d’éviter toute ambiguïté sur le fait que cette invocation pourrait avoir un pouvoir de consécration sur les aliments. Un retour à la communion sous les deux espèces s’opère également. Une discipline ecclésiastique est mise en place par Calvin afin que les pécheurs notoires soient tenus à l’écart de la table du Seigneur. C’est le modèle qui est adopté par les églises réformées historiques par la suite.

Dans l’anglicanisme, le grand artisan de la liturgie eucharistique sera Thomas Cranmer avec son Book of Common Prayer. Comme dans le modèle catholique, la cène est précédée d’un chant appelé le Sanctusqui est directement suivi de la prière de « l’humble accès » qui était une prière d’approche ou d’inclination, puis de paroles d’institution avant la distribution. Ces moments pouvaient s’accompagner de paroles d’invitation et d’exhortation (tout comme chez Martin Bucer et Calvin). Il est intéressant de voir dans ce modèle liturgique que c’est toujours le Père qui est prié en premier pour le sacrifice de son Fils, suivi d’une demande d’application par le Saint-Esprit. Puis après un rappel de l’œuvre du Christ dans les évangiles (anamnèse) nous trouvons cette prière trinitaire [2] :

« C’est pourquoi, Seigneur notre Père céleste, nous aussi tes humbles serviteurs, fidèles au commandement de ton Fils bien-aimé, Jésus-Christ notre Sauveur, nous présentons devant ta divine majesté ces saints dons, le mémorial qu’il nous a ordonné de célébrer. Faisant mémoire de sa passion bienheureuse, de sa mort précieuse, de sa puissante résurrection et de sa glorieuse ascension, nous te rendons grâce pour les innombrables bienfaits qu’elles nous ont obtenus.

Nous t’en supplions humblement, Père miséricordieux : exauce-nous et dans ta bonté daigne bénir et sanctifier, par ta Parole et ton Saint-Esprit, ces offrandes de pain et de vin, fruits de ta création. Qu’en les recevant suivant la sainte institution de ton Fils, en mémoire de sa passion et de sa mort, nous ayons part à son corps et à son sang précieux. Et nous implorons ta bonté paternelle, d’accepter notre sacrifice de louange et d’action de grâce; te priant humblement de nous accorder que par les mérites et la mort de ton  Fils, et par la foi en son sang, nous puissions, avec ton Eglise tout entière, obtenir la rémission de nos péchés et tous les autres bienfaits de sa passion.

Et maintenant, Seigneur, nous t’offrons nos corps, nos âmes, nos personnes en sacrifice vivant, saint et agréable. Nous t’en supplions, qu’avec ceux qui participeront à cette communion nous recevions le Corps et le Sang très précieux de ton Fils, pour être comblés de ta grâce et de ta bénédiction et ne former qu’un seul corps avec lui, afin qu’il demeure en nous et nous en lui. Et bien qu’à cause de la multitude de nos péchés nous ne soyons pas dignes de t’offrir de sacrifice, nous te supplions d’accepter celui que nous te présentons comme c’est notre devoir, sans nous juger sur le mérite, mais en accordant ton pardon, par Jésus-Christ notre Seigneur. Par lui, avec lui et en lui, à toi Dieu le Père tout puissant, dans l’unité du Saint-Esprit, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.

Amen. »

 

Cette magnifique prière fait ressortir d’une manière flagrante le caractère trinitaire de la sainte cène où les trois personnes sont énoncées les unes par rapport aux autres. Puis le partage des éléments se conclue par une autre prière trinitaire plus courte :

« Dieu éternel et tout-puissant nous te rendons grâce de tout notre coeur, car dans ces saints mystères tu nous as nourris de ton aliment spirituel, le Corps et le Sang précieux de ton Fils Jésus-Christ notre Sauveur, nous assurant ainsi de ta faveur et de ta bonté; nous sommes vraiment les membres du corps mystique de ton Fils, la bienheureuse assemblée des fidèles, et aussi, par l’espérance, les héritiers de ton royaume éternel. Et nous t’en supplions humblement, Père céleste, soutiens-nous par ta grâce pour que nous persévérions dans cette sainte compagnie et accomplissions toutes les bonnes oeuvres que tu attends de nous. Par Jésus-Christ notre Seigneur, à lui, à toi, à l’Esprit-Saint, tout honneur et toute gloire pour les siècles des siècles.

Amen. »

 

Il est donc clair dans ces prières que la cène ne tourne pas autour d’un exclusivisme christologique. De plus, nous pouvons remarquer dans la liturgie de Cranmer que la prise de la cène était précédée d’une démarche de repentance accompagnée elle aussi d’une prière trinitaire qui commençait par un appel au Père et dont nous pouvons résumer la suite comme suit : « Esprit-Saint […] remplis nos cœurs… afin qu’en ce lieu nous formions le corps du Christ ».

En ce qui concerne le pasteur puritain Richard Baxter nous pouvons relever qu’il avait recours à une épiclèse dans sa liturgie et que sa prière d’action de grâce comportait trois parties, chacune adressées à un membre de la Trinité.

Un peu plus tard, Mickael Walker dont nous avons déjà parlé, affirmait l’actualisation des bienfaits du Christ en notre faveur par l’intermédiaire de l’épiclèse et de l’action providentielle du Saint-Esprit qui lui était jointe. Walker accompagnait également le moment de sainte cène d’un « signe de paix » échangé ente frères et sœurs.

Il est plus difficile aujourd’hui de retrouver cette formulation trinitaire, et tout particulièrement l’épiclèse, dans les églises évangéliques professantes afin de se focaliser essentiellement sur l’œuvre du Christ. Le Père n’est souvent pas mentionné. Probablement une réaction au sacramentalisme catholique et à une perte de la tradition liturgique protestante. Même une épiclèse sur l’assemblée (et non sur les éléments) reste assez inhabituel. Nous pouvons relever que les juifs pratiquaient pourtant déjà cela. Cependant, l’invocation du Saint-Esprit comme nous la trouvons chez Cranmer ou dans les Directives de Westminster reste primordiale dans une théologie évangélique pour transformer l’assemblée (on peut voir un de ces types d’épiclèse chez Claude Batty, de la Fédération Protestante de France).

Aujourd’hui, nous pouvons trouver de nombreux modèles d’épiclèse dans la liturgie luthérienne ou réformée. En voici un exemple actuel :

« Père, au moment de nous approcher de cette table, nous faisons mémoire des paroles et des gestes de Jésus-Christ, de sa mort, de sa résurrection, et nous attendons son retour. Nous recevons de toi ce pain de vie destiné à la nourriture du monde. Nous recevons de toi la coupe d’alliance que tu offres pour la joie du monde. Tu nous rassembles et nous invites. Par ton Esprit, renouvelle notre foi afin que ce pain et ce vin soient les signes de la présence de ton Fils parmi nous. Fais toutes choses nouvelles dans nos cœurs et dans le monde. »

 

Et encore :

« C’est notre joie de te célébrer, ô Dieu notre Père, pour ce monde que tu as créé si beau et que tu gardes à travers ses douleurs jusqu’au jour où, selon ta promesse, viendra ton Royaume. C’est notre joie de te célébrer pour ton FilsJésus-Christ, notre Seigneur, né de notre chair, baptisé, tenté, transfiguré, condamné, crucifié, ressuscité d’entre les morts, élevé dans la gloire. C’est notre joie de te célébrer pour ton souffle de vie, l’Esprit d’adoption qui nous apprend à te dire Père, qui exorcise nos peurs et illumine notre foi. »

 

 

B- La louange

Mais la Trinité n’est pas seulement mentionnée dans les prières qui accompagnent le rituel du sacrement. En effet, le repas du seigneur peut être coupé par une parole du pasteur ou du prêtre, par une lecture biblique, mais également par des chants de louange. Nous pouvons voir déjà qu’au 18èmesiècle, le méthodiste Charles Wesley (Hymns for the Lord’s Supper), connu pour ses nombreux cantiques de communion, avait mis en musique la doctrine eucharistique de David Brevint (The christian sacrament and sacrifice). De même, nous avons déjà parlé du Sanctusutilisé par les catholiques et Cranmer.

Stuart Ludbrock conseil d’utiliser  des cantiques comme ceux s’inspirant du Psaume 34.9 qui dit : « Goûtez, et voyez combien le Seigneur est bon »[3]. Selon lui, cela permet de relier la louange à la cène et d’éviter de morceler le culte. De même, il parle d’une doxologie trinitaire pour terminer qui utiliserait des passages comme (Jd 25) ou (Ap 19), comme par exemple dans le recueil Alléluia. Voici un exemple : « Ô Seigneur, Père, Fils et Saint-Esprit, tu crées, tu bénis et tu renouvelles : à toi, louange et honneur, aujourd’hui et pour toujours ».

 

Nous pouvons donc voir toute la richesse trinitaire qui accompagne le moment de sainte cène lors du culte dominical, que ce soit au travers de la liturgie comme de la louange. Et maintenant que notre recherche nous a montré cette dimension trinitaire du repas du Seigneur que nous cherchions, il est temps de voir quelles en sont les implications pratiques pour notre Eglise d’aujourd’hui.

 

 

 

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Notes et références

[1] LUDBROCK Stuart, Ibid. pour tout le développement qui va suivre

[2] CRANMER Thomas, Le livre de la prière commune, Church Publishing Incorporated, New-York, PDF, p 241-247

[3] LUDBROCK Stuart, Ibid.

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.