Les sources à propos de Jésus sont elles fiables ?
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Avant de nous intéresser à Jésus, nous devons évaluer notre principale source d’information le concernant. Comment pouvons-nous savoir ce qu’il a dit et fait ? Les sources bibliques ne sont-elles pas, à un degré ou un autre, truffées de légendes ? Sont-elles dignes de confiance ?
Bien que l’historicité de Jésus fasse quasiment l’unanimité parmi les historiens, la fiabilité historique des quatre documents du Nouveau Testament qui nous fournissent le plus d’informations sur Jésus, les Évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean, fait encore débat. Cependant, les ouvrages spécialisés de ces dernières années ont des arguments de poids en faveur de la fiabilité des récits de la vie de Jésus contenus dans la Bible. Il est communément admis que l’Évangile selon Marc a été écrit environ trente ans après la mort de Jésus (autour de 65), alors que Matthieu et Luc ont sans doute été rédigés environ dix ans plus tard, et que l’Évangile selon Jean a été écrit encore dix ans plus tard. Mais « tous les spécialistes sont aussi d’avis que la tradition des Évangiles a dû être racontée à l’origine par les disciples de Jésus, ceux qui l’ont rencontré, qui ont été témoins des faits et qui se souvenaient de son enseignement. » La vraie question est de savoir comment ces récits ont été préservés durant ces décennies, et comment ils sont parvenus aux auteurs des Évangiles qui les ont rédigés.
Pendant près d’un siècle, l’exégèse biblique fut dominée par ce qu’on appelle la « critique des formes ». Ce mouvement croyait que les Évangiles appartenaient à la littérature populaire et venaient de la tradition orale. On pensait que cette tradition était mise en forme par des communautés qui se sentaient libres de modifier, d’embellir et d’arranger les histoires pour qu’elles correspondent à leurs besoins et répondent à leurs questions. Ces communautés, croyait-on, se souciaient peu de savoir si les récits étaient historiquement vrais. C’est ainsi que les critiques de la forme expliquaient le parcours des informations sur la vie de Jésus jusqu’aux auteurs des Évangiles. Dans ce cas, bien évidemment, on ne peut pas s’appuyer sur les Évangiles pour savoir qui était le vrai Jésus ou ce qu’il a fait. Plusieurs historiens ont donc essayé de « passer derrière » les couches légendaires de la Bible pour trouver le vrai Jésus historique. Le moins que l’on puisse dire est que le résultat de cette « quête du Jésus historique » s’est révélé extrêmement décevant, les spécialistes ayant eu tendance à fabriquer un Jésus qui corresponde à beaucoup de leurs propres croyances. […] Mais au cours des vingt dernières années, les principes mêmes de la critique des formes ont été attaqués et ils ne doivent plus être tenus pour acquis.
Nous pouvons conserver le point de départ de la tradition orale. S’il est vrai, par exemple, que beaucoup d’adaptateurs anonymes ont librement modifié certains contes de fées européens, les anthropologues qui ont étudié les traditions orales dans plusieurs cultures ont découvert que cette pratique n’était pas systématique. Quand une communauté mémorisait un récit historique commun retraçant ses origines, il devait être transmis tel quel. Plus important encore, puisque les Évangiles n’ont pas été rédigés après des siècles de transmission (comme les contes de fées européens) mais du vivant des témoins oculaires des faits, il serait plus juste de classer ces récits dans la catégorie des « histoires orales » ou « témoignages historiques » que dans celle des traditions orales. Pour la critique des formes, les Églises prenaient la liberté, même du vivant des témoins, de s’approprier les récits de la vie de Jésus et de les modifier. Ils prétendaient également que les auteurs des Évangiles n’avaient consulté aucun témoin direct avant de rédiger leurs textes, même si plusieurs d’entre eux étaient vivants et des membres importants et honorés de plusieurs Églises.
Dans Jesus and the Eyewitnesses, Richard Bauckham estime que ces suppositions sont hautement improbables, car dans l’Antiquité, tout historien sérieux avait l’habitude d’interroger les témoins et d’attester leurs témoignages en citant leurs noms. C’est exactement ce que l’auteur de l’Évangile selon Luc revendique au début de son livre. Il dit rapporter les faits « d’après ce que nous ont transmis ceux qui ont été des témoins oculaires » (Luc 1.2). Bauckham, et il n’est pas le seul, relève la fréquence à laquelle les noms des témoins (Simon de Cyrène, ses fils Rufus et Alexandre, Cléopas, Malchus et les autres) sont intégrés dans les Évangiles selon la coutume historiographique de l’époque. Ainsi, la critique des formes se trompe, car les Évangiles ont été écrits bien trop tôt pour être une tradition mêlée de légende. Ce sont plutôt des témoignages historiques.
La critique des formes a commis une deuxième erreur puisque les Évangiles ne montrent aucun signe de modification en vue de répondre aux besoins et aux sensibilités des cultures et des communautés de l’époque. Dans l’impressionnant The Jesus Legend, Paul Eddy et Gregory Boyd se réfèrent à un certain nombre de caractéristiques propres aux récits des Évangiles : « les affirmations de Jésus sur son identité […] [en tant que] Yahweh-Dieu digne d’être adoré, la notion de messie crucifié, le concept de résurrection individuelle, la tiédeur des disciples, les foules répugnantes que Jésus attirait. » Les auteurs qualifient tout cela d’« extrêmement embarrassant » pour les chrétiens. Chacune de ces caractéristiques allaient malheureusement à contre-courant des conceptions grecques et hébraïques, et exposaient les chrétiens, au mieux, au ridicule ou, au pire, aux insultes. Ils auraient donc eu tout intérêt à minimiser ou éliminer ces questions, alors qu’elles sont prépondérantes dans les Évangiles. Il apparaît donc hautement improbable que ces histoires relèvent de la légende, et qu’elles aient été arrangées pour les besoins de la communauté chrétienne.
À la suite de Bauckham, Eddy et Boyd ajoutent : « Le fait que cette histoire ait vu le jour et soit acceptée alors que la mère de Jésus, ses frères et ses premiers disciples (sans parler de ses adversaires) étaient toujours en vie rend l’explication par la légende encore plus improbable. » Ils concluent qu’« il est difficile de comprendre comment cette histoire a pu naître dans un tel contexte et en si peu de temps à moins qu’elle ne soit fortement enracinée dans l’histoire. »
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