5 raisons pour lesquelles je ne crois pas à la présence réelle de Christ dans l’eucharistie

 

Je souhaiterais dédicacer cet article à l’ensemble de mes amis catholiques et coptes orthodoxes, toujours enclins à poser des questions propres à susciter et à stimuler ma réflexion !  Je pense en particulier à celles que je considère comme mes trois “petites soeurs“, et qui se reconnaîtront sans nul doute. 😀
A l’origine, cet article ne devait contenir que 400 ou 500 mots, mais certaines interrogations très précises de leur part m’ont conduit à considérablement l’étoffer. J’ai conscience qu’il en sera moins digeste, mais il aura ainsi le mérite de refléter ainsi bien plus précisément les raisons qui me poussent à rejeter la doctrine de la présence réelle en général, et de la transsubstantiation en particulier. Bonne lecture.
– GB

Note du 26 novembre 2013
Suite aux réactions critiques suscitées par la publication cet article, j’ai pris la décision de faire une réponse globale aux arguments avancés. Voir “Réponses aux réactions suite à mon article sur l’eucharistie

Note du 29 mai 2014 :
J’ai également répondu à l’objection courante que les positions évangéliques sur la Cène (approche mystique ou symbolique) ne seraient apparues qu’au XVIème siècle. Voir l’article “La doctrine réformée de la Cène est-elle apparue au XVIème siècle ?

Note du 16 avril 2015 :
Miguel Morin (M.M.), un Catholique canadien passionné par l’apologétique a rédigé une réponse au point 4 de cet article. J’ai moi-même évalué ses arguments dans une contre-réponse ici.

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On regroupe généralement derrière l’expression “présence réelle“ l’ensemble des positions doctrinales qui affirment que, lors du sacrement du Repas du Seigneur, le corps et le sang de Christ sont réellement présents dans le pain et dans le vin.

Les développements de cet article vont davantage se focaliser sur la position catholique dite de la “transsubstantiation“. Cependant, l’ensemble des points invoqués ci-dessous me conduisent à rejeter toute approche défendant la présence réelle du corps et du sang de Christ dans les éléments de la Cène.

 

De quoi parle t-on ?

Dans l’église catholique romaine, la transsubstantiation désigne l’opération selon laquelle, lors de l’eucharistie (1), le pain se transformerait en corps du Christ, et le vin en sang du Christ.
Il s’agit, pour être plus précis, de la transformation d’une substance en une autre, ainsi que le déclare le catéchisme de l’église catholique : “Par la consécration du pain et du vin s’opère le changement de toute la substance du pain en la substance du Corps du Christ notre Seigneur et de toute la substance du vin en la substance de son sang“ (2)

D’autres églises traditionnelles adhèrent à une position similaire, tout en refusant cependant de la nommer transsubstantiation.

C’est le cas, par exemple, des églises dites “des trois conciles“ (3), qui regroupent la grande majorité des églises orthodoxes orientales, dont l’église copte orthodoxe d’Egypte.
Plutôt que d’utiliser le terme transsubstantiation, elles préfèrent généralement parler de “Mystère“, tout en conservant le coeur de cette doctrine : il y a bien, pour elles, un changement  de l’essence du pain et du vin, ces derniers se transformant alors en vrai sang et vrai corps de Christ.

L’église Luthérienne, quant à elle, suit dans sa grande majorité la position exprimée par Martin Luther dans son ouvrage “La Captivité babylonienne de l’Église“ (1520) : lors de la Cène, le pain et le vin conservent leurs substances propres avec lesquelles coexistent les substances du corps et du sang du Christ (consubstantiation)

Je ne peux personnellement adhérer à aucune de ces positions. En voici les 5 raisons principales.

 

1- La Cène est un mémorial, et non une “offrande sacramentelle“

Le soir où Christ a lui-même institué ce Saint Repas, il a été particulièrement explicite quant à son but : “faites ceci en mémoire de moi“ (Luc 22:19 et parallèles).

La Cène est donc une institution de Jésus dans la nuit où il fut livré, pour qu’elle soit observée dans ses églises jusqu’à la fin du monde, afin d’être un souvenir perpétuel du sacrifice qu’Il a fait de lui-même (1 Corinthiens 11:23-26)

Le catéchisme de l’église catholique suit cette idée lorsqu’il parle de “mémorial de la Pâque de Christ“. Mais il y ajoute  la notion “d’actualisation et d’offrande sacramentelle“. (4)
A quoi le catéchisme fait-il référence, en s’exprimant ainsi ? On le comprend en lisant l’article 1367 :

Le sacrifice du Christ et le sacrifice de l’Eucharistie sont un unique sacrifice : C’est une seule et même victime, c’est le même qui offre maintenant par le ministère des prêtres, qui s’est offert lui-même alors sur la Croix. Seule la manière d’offrir diffère.
Et puisque dans ce divin sacrifice qui s’accomplit à la messe, ce même Christ, qui s’est offert lui-même une fois de manière sanglante sur l’autel de la Croix, est contenu et immolé de manière non sanglante, ce sacrifice est vraiment propitiatoire.

En d’autres termes, pour le catéchisme catholique romain, la Cène constitue en soit un sacrifice qui est offert de manière efficace à chaque messe. Dans chacun de ces “sacrifices sacramentels“, le vrai et unique sacrifice de Christ est contenu, de sorte que la Cène a alors une vertu propitiatoire : le sacrement dispose en lui-même du pouvoir de pardonner les péchés.
Nous voyons, dès lors, que le sacrement du Repas du Seigneur a pour les catholiques une portée bien plus grande qu’un simple mémorial : la Cène a un impact direct sur le salut de ceux qui la prennent.

Je suis d’accord avec la confession de foi Réformée-Baptiste de 1689 lorsqu’elle déclare :

Dans cette ordonnance, Christ n’est pas offert à son Père, et il n’y est fait aucun réel sacrifice pour la rémission des péchés des vivants ou des morts ; mais c’est une commémoration de l’unique offrande que Jésus-Christ a faite de lui-même sur la croix une fois pour toutes. (5)

Nulle part Christ ou les apôtres ne font mention du caractère propitiatoire de la Cène, et il n’est dès lors pas étonnant que le Catéchisme de l’Eglise Catholique ait massivement recours à la tradition du concile de Trente plutôt qu’aux Ecritures pour justifier ses positions en la matière.

Comme nous le verrons plus bas, le concile de Trente s’inspire lui-même d’une tradition tardive qui a suscité nombre de débats contradictoires étalés sur plusieurs siècles

A ce stade, retenons cependant ceci : d’un point de vue biblique, la Cène est bien un mémorial, et en aucun cas une offrande sacramentelle.

 

2- La Cène représente Christ, mais n’est pas Christ

En disant : “ceci est mon corps“, “ceci est mon sang“ (Matt. 26:26-29), Jésus était il en train de dire que le pain qu’il était en train de rompre et que le vin contenu dans la coupe avaient été transformés en son propre corps et en son propre sang ? C’est en tout cas ce que le catéchisme de l’église catholique affirme.

Dans le très saint sacrement de l’Eucharistie sont contenus vraiment, réellement et substantiellement le Corps et le Sang conjointement avec l’âme et la divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, et, par conséquent, le Christ tout entier. […] Le Christ, notre Rédempteur, a dit que ce qu’il offrait sous l’espèce du pain était vraiment son Corps. (voir note 4)

L’église catholique romaine, et plus généralement l’ensemble des églises adhérant à la position de la présence réelle comprennent donc les paroles de Christ littéralement.

Le font-ils à juste titre ? Je répondrais négativement. Avant d’expliquer pourquoi, relevons simplement :

1- Les Paroles de Christ ne sont pas toutes littérales.
Si nous appliquons une interprétation strictement littérale aux paroles de Jésus sur la Cène, pourquoi ne pas le faire avec l’ensemble des Paroles de Jésus ? Ainsi, Marc 8:33 nous prouverait que Pierre et satan ne font en réalité qu’un, Matthieu 11:14 que Jean-Baptiste n’est pas lui-même mais Elie, etc.

2- La Parole de Dieu ne s’exprime pas toujours littéralement quand elle mentionne un élément physique de Christ.
Si la Parole de Dieu s’exprime toujours littéralement lorsqu’elle mentionne un élément physique de Christ (sa chair, son sang, ou son corps tout entier), dans ce cas 1 Corinthiens 12:27 devrait naturellement nous amener à croire que nous sommes nous-mêmes la vraie chair et le vrai sang de Jésus. En effet : “Vous êtes le corps de Christ“ est une expression au moins aussi forte que “ceci est mon corps“ et devrait conduire à des conclusions similaires.

Le verbe original traduit par “être“, eimi (εἰμί), possède en lui-même toute une palette de sens (6) et ne se borne pas nécessairement à indiquer l’état essentiel d’une chose.
Lorsqu’il est utilisé pour rendre la Parole de Jésus “Vous êtes le sel de la terre“, l’auteur n’a pas en vue d’exprimer que les chrétiens existent à l’état salin !
Bien au contraire, Matthieu utilise ce verbe afin de donner une portée métaphorique à ses propos, de sorte que l’on pourrait les paraphraser ainsi : “Vous avez pour ce monde le même effet que le sel a avec votre palais : vous êtes la saveur de Christ pour ce monde“.
Pareil usage se retrouve un peu partout dans le Nouveau Testament (par ex. : Matt. 7:15, 13:38, 15:14 ; Luc 8:12-15, 2 ; Romains 12:5 etc.)

Les 3 passages décrivant l’institution de la Cène par Jésus (Luc 22:19-20 ; Matthieu 26:26-29 ; Marc 14:22-25) n’utilisent pas le verbe eimi pour accorder au pain et au vin la même essence ou substance que la chair et le sang de Christ. Car si nous devions attribuer un tel sens à eimi, cela poserait plusieurs problèmes, dont par exemple les suivants :

1 – Qu’est-ce qui “est“ l’alliance ? Le vin/sang de Christ (Matt. 26:28, Marc 14:24) ou la coupe qui le contient (Luc 22:20) ?

2- Quand le sang de Christ a-t-il réellement été répandu ? Immédiatement au moment de la Cène, puisque c’est eimi qui est utilisé lorsque Christ déclare : “ceci est mon sang, le sang de l’alliance, qui est (eimi) répandu pour beaucoup“ (Matt. 26:28) ? Ou bien est-ce plutôt au moment de sa mort et de sa crucifixion, comme nous le laisse entendre l’ensemble des Ecritures, en particulier Hébreux 9:15-26 ?

Dire que, dans ces trois passages, eimi a cette signification soulève des problèmes d’interprétation insolubles. A l’inverse, si on donne à eimi un sens de représentation, toutes les difficultés se lèvent, et le passage devient clair pour le commun des lecteurs.

Il est donc tout à fait légitime de paraphraser les Paroles de Jésus de la sorte : “ceci représente mon corps“, “ceci représente mon sang“.

La Cène représente donc Christ, et ne constitue en aucun cas sa présence réelle. 

 

3- La Cène représente le sacrifice définitif de Christ, et n’est pas une réactualisation de celui-ci

Le catéchisme de l’église catholique reconnait, conformément à Hébreux 7:27, que le sacrifice de Christ a été offert une fois pour toutes. (ar. 1364)

Cependant, toujours selon ce catéchisme, le sacrement de l’eucharistie constitue l’actualisation de cet unique sacrifice (ar. 1362) : lors de chaque célébration du sacrement, Christ -qui est contenu dans les éléments par la transformation consécutive à la consécration du prêtre- est immolé d’une manière non sanglante (ar. 1367).
Comme nous l’avons déjà souligné plus haut, la réactualisation voulue par le dogme catholique va bien plus loin qu’une simple représentation de l’oeuvre de Christ : même si les termes sont soigneusement choisis et empreints d’une grande subtilité, il n’en reste pas moins que c’est bien un sacrifice qui est offert à chaque messe.

Dans un certain sens, la doctrine catholique de la Cène est cohérente avec elle-même : puisque le sacrement possède intrinsèquement le pouvoir de pardonner les péchés (voir paragraphe 1), il est logique qu’un tel sacrifice soit renouvelé et présenté à chaque messe, afin que les occasions d’obtenir le pardon soient multipliées pour les communiants.

Le principal (et non le seul) obstacle qui se dresse devant ce raisonnement eucharistique se trouve en Hébreux 9:24-28. Dans ce passage est exprimé, entre autres choses glorieuses, ce que l’auteur de l’épître aux Hébreux entend lorsqu’il parle d’un “sacrifice offert une fois pour toute“. A ce sujet, notons :

1- Le fait que Christ a souffert une seule fois. “Ce n’est pas pour s’offrir lui même plusieurs fois qu’il y est entré (dans le sanctuaire céleste) […] autrement il aurait fallut qu’il ait souffert plusieurs fois depuis la création du monde.“ (Héb. 9:25-26)

2- Le fait que ce sacrifice a eu lieu une fois pour toutes pour représenter l’ensemble des croyants devant Dieu. “[Christ] est entré dans le ciel même, afin de comparaitre pour nous devant la face de Dieu.“ (v.24). Christ a représenté dans son sacrifice l’ensemble des croyants de tous les temps une fois pour toutes. Son office dans les tabernacles éternels étend l’expiation à l’ensemble de son Eglise, c’est-à-dire à tous les rachetés du monde entier et de tous les temps (1 Jean 2:2).
Il l’a fait pour tous les croyants, et il l’a fait une fois pour toutes.

3- Le fait que ce sacrifice est parfaitement efficace une fois pour toutes. “Maintenant, à la fin des siècles, il a paru une seule fois pour effacer le péché par son sacrifice“ (v.26) et “Christ s’est offert une seule fois pour porter les péchés de beaucoup d’hommes“ (v.28). Le sacrifice de Christ est parfaitement efficace pour effacer le péché de beaucoup (l’ensemble des croyants de tous les temps) une fois pour toutes. Ceci est confirmé ultérieurement dans l’épitre lorsque l’auteur écrit : “Par une seule offrande, [Christ] a amené à la perfection pour toujours ceux qui sont sanctifiés.“ (Hébreux 10:14)

Par conséquent, Hébreux 9:24-28 enseignant explicitement que le sacrifice de Christ a eu lieu une fois pour toutes et qu’il est depuis perpétuellement efficace pour l’ensemble des croyants véritables, pourquoi s’obstiner à vouloir présenter, messe après messe, une offrande non sanglante qui ne pourra rien obtenir de plus ?

D’autre part, la nature même du sacrement de l’eucharistie catholique démontre son inutilité, car :

1- La répétition des sacrifices démontre leur imperfection. C’est le point que l’auteur de l’épître aux Hébreux tend à démontrer en 9:25 : il oppose le sacrifice unique et parfait de Christ à ceux, imparfaits et inutiles pour le salut, du souverain sacrificateur de l’Ancienne Alliance. Et l’une des preuves qu’il invoque est le fait qu’ils soient régulièrement renouvelés.
Le même argument est reproduit un peu plus loin, en 10:1-2, lorsqu’il déclare que les mêmes sacrifices qu’on offre perpétuellement ne peuvent pas amener à la perfection ceux qui s’y confient. Car si c’était le cas, “n’aurait-on pas cessé de les offrir, puisque ceux qui rendent ce culte, étant une fois purifié, n’auraient plus eu aucune conscience de leurs péchés.“ (10:2). En d’autres termes : s’ils étaient efficaces, on les aurait arrêté depuis longtemps, mais le fait même qu’ils continuent d’être offerts prouvent qu’ils ne sont pas efficaces.
Et si la répétition des sacrifices de l’Ancienne Alliance en un seul lieu et une fois par an démontre leur inutilité pour le salut, à combien plus forte raison la répétition d’un même sacrifice chaque jour, et ce dans des dizaines de milliers de lieux, foule au pied l’efficacité du Grand Sacrifice qu’elle prétend présenter à nouveau – celui de Christ (comp. Hébreux 10:29).

2- Le concept d’offrande non sanglante de Christ est un non sens. (a) C’est en effet une contradiction en soit : dans les Ecritures, qui parle de sacrifice -au sens littéral- parle d’effusion de sang,  ce qui nous conduit directement à un deuxième argument. (b) Une offrande non sanglante est tout simplement inutile pour le pardon des péchés , car “sans effusion de sang il n’y a pas de pardon“ (Hébreux 9:22). (c) C’est exactement le contraire de l’argument de l’auteur de l’épître aux Hébreux au v.26, dans lequel il prouve que Christ ne peut pas s’offrir lui-même plusieurs fois. En effet, cela impliquerait qu’il ait à souffrir plusieurs fois, c’est à dire que son sang soit versé à chaque reprise pour le pardon des péchés. Par conséquent, un sacrifice non sanglant, sans souffrance, n’est pas le sacrifice de Christ. Ce n’est pas Christ qui s’offre messe après messe lors de chaque eucharistie, contrairement à ce qu’affirme le catéchisme de l’église catholique. Car Christ qui s’offre, c’est Christ qui souffre. Si Christ ne souffre pas, c’est qu’il ne s’est pas offert. (d) Le concept d’offrande non sanglante efficace pour le pardon des péchés est tout simplement étranger aux Ecritures, étranger à l’oeuvre de Christ.

Dès lors, qu’est donc la Cène, au regard de sa relation avec l’oeuvre de Christ ? Elle est un mémorial de son oeuvre sacrificielle à la croix, qu’elle représente en les espèces du pain et du vin.

Son sacrifice n’est ni réactualisé, ni offert dans le sacrement de l’eucharistie.

 

4- La présence réelle n’a aucun fondement biblique

Le principal argument biblique invoqué par les théologiens défendant la présence réelle se trouve dans Jean 6:53-56 :

Jésus leur dit: En vérité, en vérité, je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme, et si vous ne buvez son sang, vous n’avez point la vie en vous-mêmes. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour. Car ma chair est vraiment une nourriture, et mon sang est vraiment un breuvage. Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang demeure en moi, et je demeure en lui.

Appliquant ce passage au sacrement catholique de l’eucharistie, certains pensent y trouver le grand plaidoyer biblique pour son bien-fondé.

Afin de répondre de manière adéquate à cet argument, il convient de faire trois considérations préalables :

1- Ce passage s’inscrit dans un contexte global : celui de l’Evangile de Jean, bien-sûr, mais plus précisément celui consécutif à la multiplication des pains pour les 5’000 hommes (Jean 6:1-15). La foule à laquelle Jésus s’adresse dans la péricope (7) qui nous intéresse (Jean 6:22-71) est composée partiellement ou totalement des ces 5’000, témoins du miracle de la multiplication des pains et des poissons. Ces derniers étaient passés de l’autre côté de la mer de Galilée pour rejoindre Jésus et le suivre (cf. Jean 6:22, 26), non pas tant en raison des miracles qu’il faisait que pour la nourriture qu’il leur avait permis de manger et qui les avait rassasiés (Jean 6:12, 26).
L’évangile de Marc insiste sur le fait que les disciples eux-mêmes n’avaient pas compris le sens du miracle des pains (Marc 6:52). Il n’est pas étonnant, dès lors, que les foules n’en aient pas non plus saisi la portée, et c’est la raison pour laquelle Jésus va s’attacher à leur en expliquer la signification.

2- Le lien avec l’instauration de la Cène par Christ n’y est pas directement avéré. La connexion textuelle la plus immédiate est, comme nous l’avons dit, le miracle de la multiplication des pains. D’autres passages sont cités lors de l’échange entre Jésus et la foule : ceux qui font référence à la manne donnée à Israël (Exode 16 ; Deutéronome 8 ; Néhémie 9:15, 20 ; Psaume 78:24 ; Psaume 105:40 ; etc.), et probablement également une référence aux pains de proposition (Lévitique 21). Quelqu’un cherchant à donner une signification eucharistique à ce passage s’attendrait logiquement à y trouver quelque mention de la Pâques des enfants d’Israël (Exode 12) : peine perdue, il est impossible d’y trouver la moindre référence.
Soyons clairs : aucun élément textuel ne peut laisser penser que Jésus lie le contenu de ses Paroles avec l’instauration de la Sainte Cène qui aura lieu bien plus tard (et qui n’est d’ailleurs pas explicitement détaillée dans l’Evangile de Jean comme elle l’est dans les synoptiques, cf. Jean 13).
C’est donc uniquement en forçant le sens du texte, et en invoquant un raisonnement intertextuel (8) particulièrement orienté que les tenants de la présence réelle parviennent à lier ces paroles de Christ avec le Repas du Seigneur.

3- Le passage ne fait aucune mention d’une opération de transformation de pain en corps, ni de vin en sang, ni d’une consécration de ces éléments par Christ. S’il l’on peut comprendre que, en isolant les versets de leur contexte et en les prenant littéralement, certains peuvent y voir une référence au sacrement de l’eucharistie, il est impossible d’y trouver une mention -même implicite- du “mystère“ d’une telle  transformation (ou de la transsubstantiation), et encore moins de quelque consécration particulière que Christ aurait opérée sur les éléments en question.

La question principale est de savoir ce que Jésus entend lorsqu’il parle de “manger sa chair“ et de “boire son sang“ dans ce passage.
Lorsqu’on isole les v. 53 à 56 de la sorte et qu’on les lit superficiellement, il peut sembler possible de faire le lien entre cet enseignement et la Cène.
Mais ce n’est en réalité pas le cas, comme j’entends le démontrer au travers des quelques notes exégétiques (non exhaustives) qui vont suivre (9) :

1- L’expression “Je suis le pain de vie“ est la première de 7 proclamations similaires : ce sont les 7 fameux “Je suis“ de Jean.
Les 6 autres sont : “Je suis la lumière du monde“ (8:12), “Je suis la porte“ (10:7,9), “Je suis le bon berger“ (10:11, 14), “Je suis la résurrection et la vie“ (11:25), “Je suis le chemin, la vérité, et la vie“ (14:6), “Je suis le cep“ (Jean 15:1, 5).
Certaines de ces 6 autres proclamations interviennent clairement dans un contexte parabolique (parabole du Bon Berger, du Cep et des Sarments…), de sorte que le caractère métaphorique de ces expressions n’est pas à démontrer. Il ne sera pas long au lecteur de constater qu’il en est de même pour chacune d’entre elles, même quand elles interviennent dans un contexte différent (par exemple, un enseignement en privé de Jésus à ses disciples, cf. Jean 14).
Vu sous cet angle, s’il nous fallait prendre littéralement la première clause (je suis le pain de vie), pourquoi dans ce cas ne pas en faire de même pour les 6 autres ? Or, personne n’aurait l’idée de penser que Jésus est littéralement une porte, un cep, ou qu’il a été berger durant son ministère terrestre.
Et si les 6 occurrences suivantes sont métaphoriques, pourquoi la première seule ferait-elle exception ?

2- La nature essentiellement symbolique de l’expression “pain de vie“ et des différentes expressions connexes dans ce discours est mise en évidence par l’alternance d’éléments métaphoriques et non métaphoriques. Par exemple : Jésus est le pain de vie, mais c’est la personne qui vient à lui qui n’aura plus jamais faim, et non celle qui le mange. De même, c’est la personne qui croit en lui qui n’aura plus jamais soif, pas celle qui le boit (cf. v. 35). Ainsi, lorsque le langage devient plus pleinement métaphorique à partir du verset 49, le sens de la métaphore a déjà été solidement établit auparavant.

3- Les défenseurs de la présence réelle lient les Paroles de Jésus en Jean 6:51 “le pain que je donnerai, c’est ma chair, que je donnerai pour la vie du monde“, avec celles instituant le Repas du Seigneur “Prenez, ceci est mon corps“ (cf. Marc 14:22 et parallèles). Cependant, l’argumentation se heurte à un problème linguistique de taille : le fait que Jean utilise le terme “chair“ (sarx, σάρξ) plutôt que “corps“ (sōma, σῶμα), qui se trouve partout ailleurs dans le Nouveau Testament, quand il est question du repas du Seigneur.
Le lecteur averti de l’Evangile de Jean n’aura pas manqué de remarquer, par contre, le parallèle implicite avec Jean 1:14 : “Et la Parole a été faite chair (sarx), et elle a habité parmi nous, pleine de grâce et de vérité; et nous avons contemplé sa gloire, une gloire comme la gloire du Fils unique venu du Père.“
C’est bien en tant que Parole incarnée que Jésus vient donner sa chair pour la vie du monde.

4- Les versets 54 et 40 sont clairement deux proches parallèles : entre “Celui qui mange ma chair et qui boit mon sang a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour“ (v.54) et “quiconque voit le Fils et croit en lui a la vie éternelle; et je le ressusciterai au dernier jour“ (v.40), la différence se situe uniquement dans le fait que l’un parle de manger la chair et boire le sang de Christ, tandis que l’autre parle de voir le Fils et croire. La conclusion apparaît évidente : le v.54 est une manière métaphorique de faire référence au v.40. La structure entière du discours appuie un tel lien.
Et ce n’est donc pas sans raison qu’Augustin d’Hippone, commentant ce passage, a écrit : “Croire en lui, c’est manger le pain vivant. Crois, et tu as mangé“ (10)

5- Le style employé dans les versets 53 et 54 est tel que, si nous devons les interpréter dans une perspective défendant la présence réelle, dans ce cas : (a) nous devrons conclure que la seule chose nécessaire à la vie éternelle est la participation à la table du Seigneur, et (b) cette interprétation nous amènerait à contredire l’ensemble du discours qui a précédé, en particulier le v.40.
Une approche respectueuse de ce texte dans l’ensemble de son contexte sera de le comprendre comme une répétition des vérités déjà exprimées, en particulier aux versets 29 et 40, mais sous une forme métaphorique.

6- Si nous partons du principe que les auditeurs des propos de Jésus sont des Juifs et des Juifs prosélytes, ce qui semble être une évidence, un certain nombre de points vont venir étayer cette perspective métaphorique des paroles de Jésus : (a) le caractère “cannibalistique“ de la métaphore était particulièrement agressif pour eux. En effet, faisant écho à Genèse 9:4, la loi de Moïse interdisait de boire du sang comme le fait de manger de la viande avec le sang encore en elle. Boire le sang du Fils de l’homme était donc, dans leur perspective, une notion particulièrement ignoble. (b) La référence symbolique essentielle vers laquelle, dans la Bible, le sang renvoie n’est pas la vie mais la mort violente. Typiquement, le sang répandu fait référence à une vie violemment interrompue par un sacrifice (11). Il parait difficile que, dans les décennies qui ont suivi la mort de Christ sur la croix, les lecteurs aient pu comprendre autre chose qu’une référence explicite à son grand sacrifice. (c) Si l’idée même de boire le sang du Fils de l’homme était une abomination pour ses auditeurs, que penser de sa mort sur la croix elle-même ? Les disciples qui avaient entendu le discours de Jésus étaient tout aussi scandalisés que la foule : “cette parole est dure, qui peut l’écouter ?“ (v. 60). Ce à quoi Jésus répond : “Cela vous scandalise t-il ? Et si vous voyez le Fils de l’homme monter là où il était auparavant ?“ Si même les disciples n’avaient pas pu supporter l’image particulièrement agressive que Christ avait utilisé, comment allaient-ils réagir lorsque la métaphore allait laisser la place à ce qu’elle était sensée signifier : la mort violente de Christ sur la croix ? Cette idée était insultante, flirtant avec le blasphème, un “scandale pour les juifs“ et une “folie pour les païens“ (1 Corithiens 1:23)

7- Prendre littéralement les paroles de Christ dans ce passage sans pénétrer leur signification symbolique est absolument inutile. C’est manquer le sens que leur donne Jésus, car “la chair ne sert à rien“ (v.63). Ce n’est pas que la chair soit sans importance, car après tout, la Parole s’est faite chair (Jean 1:14). Mais quand toute l’attention des auditeurs ou des lecteurs se focalise sur la chair, ils passent alors complètement à côté du sens du discours de Christ.

8- Ce n’est pas la chair qui donne la vie, “c’est l’Esprit qui vivifie“ (v. 63). C’est un thème récurrent dans l’Evangile de Jean : l’Esprit est à l’origine de la Nouvelle Naissance (Jean 3), et déjà dans l’Ancien-Testament c’est l’Esprit qui est l’auteur de la vie (Genèse 1:2, Ezechiel 37:1ss, etc.). Or Jésus lui-même est porteur de cet Esprit de vie (cf. Jean 1:32), il est celui à qui Dieu a donné le Saint-Esprit sans mesure (Jean 3:34). C’est pourquoi Jésus peut désormais dire : “Les paroles que je vous ai dites sont Esprit (elles sont le produit de cet Esprit donnant la vie) et vie (si les Paroles de Christ sont correctement entendues et absorbées, elles génèrent la vie, cf. Jean 5:24)“ (v. 63).
Les éléments de cette dernière partie du v. 63 font naturellement penser à Jérémie 15:16, “J’ai recueilli tes paroles, et je les ai dévorées ; Tes paroles ont fait la joie et l’allégresse de mon cœur.“ Ce que dit Jérémie des Paroles de Dieu est la même affirmation que ce que Jésus fait maintenant au sujet de ses propres Paroles. Personne ne peut prétendre se nourrir de Christ s’il ne se nourrit pas des Paroles de Christ. Ne pas croire aux Paroles de Christ, c’est ne croire ni en Christ, ni en son oeuvre (Jean 5:46-47). “L’homme ne vit pas de pain seulement, mais [..] de tout ce qui sort de la bouche de l’Eternel“ (Deutéronome 8:3) : c’est également le cas de Jésus lui-même, précisément parce qu’il est cette Parole de Dieu incarnée (cf. Jean 1:1-18 et cf. 5:19-30)

L’ensemble des considérations ci-dessus met en évidence l’usage métaphorique que Jean fait de la chair et du sang du Christ, dans ce passage. Le caractère essentiel de ce qu’il tend à communiquer, depuis le miracle de la multiplication des pains jusqu’au dénouement final de son discours sur le pain de vie, est sa mort à la croix et sa résurrection.

Et c’est finalement ici le seul lien que l’on pourra trouver entre ce passage et le Repas du Seigneur : l’un comme l’autre pointent vers l’oeuvre du Messie souffrant, chacun depuis une perspective temporelle différente. Le discours sur le pain de vie annonce d’avance la croix, tandis que la Cène, devant être observée après la croix, a vocation à la rappeler jusqu’à ce que Christ revienne (1 Corinthiens 11:26).

Non, les Ecritures ne déclarent pas que Christ est réellement et corporellement présent dans le pain et le vin de la Cène, que ce soit dans Jean 6 ou ailleurs. La doctrine de la présence réelle n’a aucun fondement biblique. 

 

5- La présence réelle ne trouve aucun appui dans l’histoire de l’église

Et c’est, à vrai dire, un argument de poids : avant 831 et les travaux de Paschase Radbert (12), nous n’avons aucune trace de quelque document historique que ce soit qui mentionne une position ressemblant à celle de la présence réelle.
Dans son “Livre du corps et du sang du Seigneur“ (Liber de corpore et sanguine Domini), repris et présenté au roi Charles le Chauve en 844, Radbert développe une position dite “réaliste“ : il n’y a dans le pain et le vin consacrés que le corps et le sang de Jésus.

Cette approche sera âprement discutée pendant plusieurs siècles, de sorte que Beranger de Tours (13), plus de 200 ans après, rejetait  la position de Paschase Radbert et niait la “présence réelle“ lors de l’eucharistie. Beranger sera dénoncé comme hérétique au concile de Tour en 1050, et après d’intenses manoeuvres ayant davantage un caractère politique que dogmatique, il sera forcé, au Synode de Latran (1059), de prononcer une profession de foi en faveur de la position “réaliste“ de Radbert. Il s’agit de la première décision catholique officielle en faveur de la présence réelle de Christ dans l’eucharistie.

Les débats continueront cependant, et la transsubstantiation ne sera établie comme dogme qu’au quatrième concile de Latran, en 1215.

Certains apologètes catholiques et orthodoxes cherchent à démontrer que la doctrine de la présence réelle remonte aux origines du christianisme. Ainsi, l’écrivain catholique G.K Chesterton pense que “l’idée est visiblement présente dès les premiers temps de l’Église“.  (14)

Cette assertion souffre cependant d’une absence totale d’indices historiques, et surtout de plusieurs contre-arguments patristiques : Justin Martyr (100-165), Tertullien (150-220), Hippolyte de Rome (170-235), Irénée de Lyon (177-202), etc… tous ont écrit sur le sacrement du Repas du Seigneur, et aucun d’entre eux ne mentionne quelque transformation des éléments que ce soit. (15)

Même constat quand on regarde à certains pères majeurs du IVè-Vè siècle : Ambroise de Milan (340-397) et Augustin (354-430) vont certes évoluer dans leur conception de la Cène, mais ne parleront jamais de transformation des éléments.

Jean Chrysostome est souvent regardé par les églises orthodoxes d’orient comme le “Docteur de l’Eucharistie“, et certains vont jusqu’à lui attribuer une position réaliste. Cependant, ces conclusions sont teintées d’un présupposé qui les oriente bien mal.
Car si cet éminent Père croit bien à la présence de Christ dans la Cène, c’est à une présence mystique, spirituelle, à laquelle il fait référence, et non une présence corporelle. Nos amis orthodoxes seront sans doute particulièrement intéressés de savoir que Jean Calvin, le grand réformateur français, appuie sa propre position de la Cène sur certaines homélies de Chrysostome (voir Institution de la Religion Chrétienne, IV, 17.6).

L’évolution historique de la pensée chrétienne sur l’eucharistie est bien avérée, mais elle n’apporte aucun appui à la doctrine de la présence réelle avant 831. Elle témoigne, cependant, de la lente transformation de la perception du sacrement, qui a aboutit à la prise de position de Paschase Radbert en 831.

L’histoire de l’église pèse donc de tout son poids contre toute doctrine de la présence réelle, la transsubstantiation en particulier. Quiconque adhère à cette position doit avoir l’honnêteté d’accepter qu’il s’agit d’un développement doctrinal tardif.

 

Conclusion : est-ce si important ?

Et  il faut reconnaître que la question mérite d’être posée, en particulier si vous avez lu l’article jusqu’ici.

La réponse est oui : cette question est absolument centrale, voire cruciale. Et à vrai dire, ce n’est pas sans une certaine gravité que je rédige cette conclusion.

Vous avez certainement remarqué que, jusqu’ici, j’ai pris un soin particulier à éviter tout usage du mot symbole, que certains croyants d’arrière-plan réformé ont pris l’habitude d’employer à la suite d’Ulrich Zwingli (16). Non pas que je rejette absolument ce terme pour qualifier la nature du Repas du Seigneur. Cependant je suis relativement méfiant quant aux conséquences qu’il peut engendrer dans notre compréhension de la Cène d’une part, mais également dans la perception de la position “mémorialiste“ que pourraient avoir ceux qui défendent une approche du type “présence réelle“.

Oui, la Cène a bien uniquement un caractère de représentation symbolique, mais si vous péchez contre le symbole, c’est contre ce qu’il représente que vous risquez de vous élever. C’est la raison pour laquelle la Parole de Dieu contient plusieurs avertissements s’adressant à ceux qui sont en danger de prendre la Communion d’une bien mauvaise manière (1 Corinthiens 10:14-22, 11:27-32).

Et j’aimerais, pour conclure cet article, relever deux grands risques qui se couchent à la porte de ceux qui participent au Repas du Seigneur sans réellement en comprendre personnellement la portée.

1- Une mauvaise conception sur la nature de la Cène risque de nous empêcher de connaître personnellement Celui qu’elle représente.
Il est certains aspects doctrinaux de la foi chrétienne qu’il est plus important de chérir que d’autres, car ils font partie de ces fondements sur lesquels notre foi toute entière va venir s’appuyer. Et les chrétiens authentiques doivent être prêts à mener un véritable combat pour garantir la préservation de ces aspects fondamentaux de la foi (cf. Jude 3). Être dans l’erreur sur l’un ou l’autre de ces points, c’est courir un grand risque : celui de passer à côté du salut qui est offert en Jésus-Christ.
Je vous rappelle, dit Paul, l’Evangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, dans lequel vous avez persévéré, et par lequel vous êtes sauvés si vous le retenez dans les termes où je vous l’ai annoncé ; autrement vous auriez cru en vain“ (1 Corinthiens 15:1 et 2). Cette Parole est dramatique : il est possible de croire et de se méprendre sur l’objet même de sa foi à un point tel que la croyance devient vaine et inutile pour le salut.
C’était le cas des Corinthiens, qui en étaient arrivés à nier quelque résurrection corporelle que ce soit, ce qui les conduisait par voie de conséquence à nier la résurrection de Christ, et à demeurer dans leurs péchés (1 Corinthiens 15:16-17). Le solennel avertissement de Paul ne tarde pas à tomber : “quelques uns (d’entre vous) ne connaissent pas Dieu, je le dis à votre honte“ (1 Corinthiens 15:34). L’erreur de certains Corinthiens sur la doctrine de la résurrection démontrait de manière fracassante leur absence de relation avec leur Créateur.
Une mauvaise conception de la Cène peut conduire à un tel aveuglement. En effet, si la foi de ceux qui participent au sacrement de l’eucharistie se fonde sur ce que la doctrine de la présence réelle affirme, dans ce cas cette foi se focalise sur un sacrifice de Christ qui ne serait pas pleinement efficace pour eux, puisqu’il est nécessaire de le présenter de nouveau de manière non sanglante à chaque messe.
Or, une telle foi n’est pas la foi dans le Christ que la Bible présente, et le grand risque est que, dès lors, ce ne soit pas une foi qui sauve…

2- Une mauvaise conception sur la nature de la Cène nous place dans une situation de grand danger.
Dans le chapitre 11 de sa lettre aux Corinthiens, Paul met en garde ses lecteurs contre les effets que peuvent avoir une mauvaise conception de la Cène : “C’est pourquoi celui qui mangera le pain ou boira la coupe du Seigneur indignement, sera coupable envers le corps et le sang du Seigneur“ (1 Corinthiens 11:27). Le mot que la traduction Louis Segond rend par “indignement“ est anaxios (ἀναξίως) et signifie littéralement “d’une manière impropre“, mais qui véhicule parfois le sens d’inadéquation, d’incompétence (17). Autrement dit, si quelqu’un prend la Cène sans être réellement appelé à le faire, il se rend coupable envers les réalités figurées/symbolisées :  le corps et le sang du Seigneur.
Au v. 29, Paul précise ce à quoi il fait référence : “celui qui mange et boit sans discerner le corps du Seigneur, mange et boit un jugement contre lui-même.“ C’est à dire, comme le souligne Jean Chrysostome, qu’ils ne connaissaient rien de “la grandeur des biens qui nous sont proposés, et l’excellence du don (de Christ).(18)
Les conséquences pour les Corinthiens étaient particulièrement graves : “C’est pour cela qu’il y a parmi vous beaucoup d’infirmes et de malades, et qu’un grand nombre sont morts.“ (1 Corinthiens 11:30). Nous voyons que l’attitude générale des Corinthiens au regard de la Cène les impactait douloureusement.
Leur mauvaise conception de la Cène avait pour eux des conséquences particulièrement fâcheuses.

 

Le Repas du Seigneur n’est pas un élément secondaire de la foi chrétienne.
Si vous vous trompez à son sujet, il y a de forte chance que vous vous trompiez également sur la vraie nature du Christianisme. Et les conséquences – temporelles et éternelles – sont sans nul doute parmi les plus graves qu’un être humain puisse expérimenter.

Puis-je donc, ami lecteur, t’encourager à considérer l’ensemble des points évoqués ci-dessus dans un esprit de soumission aux Ecritures, et, dans la prière, de demander au Seigneur de t’éclairer afin de savoir s’ils sont ou non conformes à Sa Révélation ?

 

GB

 

 

Notes et références :

(1) Le terme “transsubstantiation“ ne désigne en réalité que l'opération de transformation qui a lieu au moment de la célébration du repas du Seigneur, pour les catholiques. Ces derniers, et avec eux la plupart des églises traditionnelles, nomment ce sacrement “eucharistie“, du grec εὐχαριστία (= eucharisthia), ‘action de grâce‘.
 La grande majorité des théologiens issus de ces églises traditionnelles décrivent l’eucharistie comme une véritable actualisation, non sanglante, de l'unique sacrifice du Christ en vue du Salut, tout cela au travers du ministère du prêtre. Dans cet article, j'utiliserai de préférence le mot Cène au mot Eucharistie. (retour)
(2) Catéchisme de l'église catholique, II.2.1.3.5 - paragraphe 1376. Cette citation est elle-même tirée du Concile de Trente, qui marque l'apogée de la Contre-Réforme catholique. La notion de substance est très importante dans la définition de cette position. C'est en effet Thomas D'Aquin qui, le premier, l'a systématisée au moyen de raisonnements tirés de l'aristotélisme. Selon lui, la matière est composée de qualités premières (la substance elle-même) et de qualités secondes (par exemple : les sensations). La transsubstantiation, consistant en la modification des qualités premières seules (puisque le goût du pain et du vin - qualités secondes - ne sont eux pas modifiées), trouve selon cette théorie une explication rationnelle. En expliquant ainsi cette doctrine, Thomas d'Aquin est en opposition avec l'approche consubstantielle de Guillaume d'Occam ou Duns Scott (= le pain et le vin conservent leurs substances propres avec lesquelles coexistent les substances du corps et du sang du Christ). Cette dernière approche sera reprise par Martin Luther et a toujours cours dans l'église Luthérienne. (retour)
(3) L'article de Wikipedia relatif aux “trois conciles“ est relativement bien fait. ll est consultable ici. (retour)
(4) cf. Catéchisme, II.2.1.3.5 - paragraphes 1356 à 1381. (retour)
(5) Cf. Hébreux 9.25, 26, 28. Confession de Foi Baptiste de 1689. (retour)
(6) Le Professeur D.A. Carson en recense au moins 5 : identité, cause, attribut, ressemblance (allégorie), accomplissement.  Voir “Exegetical fallacies“, Baker (1984), p. 58-62. Bonne nouvelle, cet ouvrage majeur a été traduit en français et est disponible dans toutes les bonnes librairies chrétiennes. (retour)
(7) Le mot péricope est issu du grec péricopè (περικοπη), “découpage“. Il désigne une partie d’une source documentaire, formant une unité textuelle logique. (retour)
(8) L'intertextualité est la discipline relative à l'étude de l'intertexte, c'est à dire de l'ensemble des textes mis en relation dans un texte donné. L'intertextualité biblique étudie la relations des textes des Ecritures entre eux (ex. : textes de l'Ancien-Testament cités dans  le Nouveau, références aux paroles de Jésus dans les épitres, etc...). (retour)
(9) Je ne vais pas me lancer ici dans un exposé détaillé de Jean 6:22-58 et ss. Pour creuser davantage dans cette direction, voir Carson, D. A. (1991). The Gospel according to John. The Pillar New Testament Commentary. Inter-Varsity Press, Eerdmans, p. 276. Plusieurs des arguments évoqués dans le point 4 de cet article sont directement issus de ce brillant commentaire du Professeur Carson, qui est probablement l'un des meilleurs spécialistes du Nouveau-Testament actuellement en vie.
 Voir également P. Borgen, Bread from Heaven (SNT 10; Leiden: E. J. Brill, 1965). (retour)
(10) Augustin, Jean, Traité XXVI.1. (retour)
(11) Cf. A. M. Stibbs, “The Meaning of the Word ‘Blood’ in Scripture“ (Tyndale Press, 1947). Cité dans Carson, The Gospel according to John. (retour)
(12) Paschase Radbert (790 - 865), fut abbé de Corbie de 844 à 851. Il fut le premier à soutenir qu'au cours de la consécration eucharistique, le pain et le vin se transforment réellement en corps et en sang du Christ (on appelait sa position “thèse réaliste“). (retour)
(13) Béranger de Tours (988-1088), théologien français du Moyen Âge. (retour)
(14) Cf. G.K. Chesterton, “Twelve Types“, cité dans cet article de Wikipedia. (retour)
(15) Certains ont cependant pu chercher à attribuer à Ignace d'Antioche quelque penchant à la doctrine de la présence réelle, en raison d'une citation tirée de son épître aux Ephésiens (ch.20, v. 2). Ceci étant, 1/ la critique moderne ne parvient à s'accorder pour déterminer si ses paroles font référence ou non à Jean 6:53-56 ; 2/ même si c'était le cas, il n'y a absolument rien qui puisse laisser entendre qu'il comprenait ce passage comme les tenants de la présence réelle le font aujourd'hui ; 3/ Ignace ne parle pas de transformation du pain et du vin, ni de présence réelle de Christ dans le pain et le vin ; 4/ plusieurs spécialistes de haut niveau estiment même que ces paroles d'Ignace ne font en aucun cas référence à un sacrement , voir par ex. Leon Morris, “The Gospel According to John“ (Eerdmans 1971), p.375. Pour ne pas prendre le risque d'entamer une discussion sur l'exégèse des textes Ignaciens, ce qui ne correspondrait pas à la visée de cet article, J'ai pris la décision de ne pas ajouter Ignace à ma liste (non exhaustive) des Pères prouvant que la doctrine de la présence réelle était étrangère à l'église du 2ème siècle. Cependant, je tiens à affirmer que j'aurais pu le faire en toute bonne conscience. 
D'autres, en particulier nos amis Coptes Orthodoxes, citent Cyrille de Jerusalem (315-386), en particulier une citation issue de ses “Catéchèses Mystiques“ (5,7). Là encore, les débats font rage entre spécialistes. En effet : 1/ Cyrille de Jerusalem semble avoir parfois défendu une approche strictement symbolique de la Cène, comme les orthodoxes eux-mêmes le reconnaissent, et 2/ La citation en tant que telle est sujette à caution : bien que Cyrille parle de transformation, celle-ci est tout à fait compatible avec une approche du type “présence mystique“. A cela s'ajoute que Cyrille ne parle en aucun cas de sacrifice non sanglant. Là encore, ce père ne semble pas constituer un avocat historique pour les tenants de la doctrine réaliste. (retour)
(16) Ulrich Zwingli (1484-1531), théologien et réformateur suisse, ayant très probablement précédé Luther dans la redécouverte de la justification par la foi seule. En profond désaccord avec l'approche Luthérienne de la Cène (consubstantiation), il a publié très rapidement (1525) une synthèse de son approche symbolique, semblable à celle de Béranger de Tours, dans son “Commentaire sur la vraie et la fausse religion“. (retour)
(17) cf. la forme adjectivale de ἀναξίως en 1 Corinthiens 6:2, anaxioï (ἀνάξιοί). Voir également les développements d'Anthony Thiselton sur ce point, in The First Epistle to the Corinthians: A commentary on the Greek text. New International Greek Testament Commentary, Eerdmans, p. 888. (retour)
(18) Voir Chrysostome, Homélie 28 sur 1 Corinthiens 11:28-34. (retour)

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