Existe-t-il un fragment de l’évangile de Marc datant du premier siècle ? Probablement pas
Articles de Michael J. Kruger publié sur son blog, Canon Fodder, le 24 mai 2018. Traduction : Elodie Bourin.
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Au cours des dernières années, beaucoup de discussions ont eu lieu dans la blogosphère (et au-delà) sur la possibilité qu’un fragment de l’évangile de Marc ait été découvert, fragment qui pourrait être daté du premier siècle de notre ère.
Plus particulièrement, le fragment a été mentionné par Dan Wallace dans son débat de 2012 avec Bart Ehrman (bien qu’aucun détail n’ait été communiqué en raison de la signature d’un accord de non-divulgation par Wallace). Mais Scott Carroll, Craig Evans et Josh McDowell l’ont également mentionné. Un article est même paru à ce sujet dans le magazine Forbes.
Inutile de dire que de nombreux experts étaient sceptiques quant à la possibilité d’un fragment de Marc datant du premier siècle, et ce pour un certain nombre de raisons. D’une part, nous n’avons aucun autre manuscrit du Nouveau Testament qui date du premier siècle. Le plus ancien reste le tristement célèbre P52, un fragment de l’évangile de Jean datant environ de 125 ap. J.C.. Cependant, je pense qu’on pourrait faire valoir que P104 (P.Oxy. 4404), un fragment du second siècle de l’évangile de Matthieu, soit aussi ancien.
Deuxièmement, nous avons très peu de copies anciennes de Marc. Outre l’exemplaire controversé du premier siècle, la première copie de cet évangile provient de P45, un codex des quatre évangiles datant du troisième siècle.
Et troisièmement, il y a eu récemment des critiques de la part des chercheurs au sujet de la fiabilité de nos méthodes de datation actuelles. Brent Nongbri, par exemple, a contesté la datation de nombreux manuscrits du Nouveau Testament (y compris P52), soutenant qu’ils devraient être datés plus tardivement. Notons cependant que d’autres chercheurs, comme Larry Hurtado, ont contredit Nongbri.
Malgré cela, il ne fait guère de doute que nos méthodes de datation des manuscrits sont imprécises. La paléographie (l’analyse de l’écriture manuscrite) est la façon la plus courante de dater les manuscrits, et elle présente certaines limites inévitables.
Or, voilà : il se trouve que le scepticisme des experts à l’égard d’un évangile de Marc datant du premier siècle s’est avéré juste. A ce jour, la plupart des lecteurs auront entendu dire que ce manuscrit mystérieux a finalement été publié dans la dernière édition de l’Oxyrhynchus Papyri, sous la direction de Dirk Obbink et Daniela Colomo, P.Oxy. 5345 est un fragment précoce de Marc 1.7–9 accessible dans le logiciel biblique Logos (si disponible dans votre librairie), de même que 16–18, et il est daté non du premier siècle mais de la fin du deuxième ou du début du troisième siècle.
Alors, comment un fragment supposé du premier siècle est-il soudainement devenu un fragment du deuxième/troisième siècle ? La réponse n’est pas si claire. Mais vous pouvez lire des articles récents de Elijah Hixson et Dan Wallace qui tentent de combler les lacunes. Parmi les autres intervenants, on peut citer Larry Hurtado, Michael Bird, Brice Jones et Brent Nongbri.
Pour nombre de ceux qui étaient enthousiastes à l’idée d’avoir (enfin) un manuscrit du Nouveau Testament datant du premier siècle, cette nouvelle est sans doute décevante. Mais je pense qu’il y a de bonnes et de mauvaises raisons d’être déçu.
D’un point de vue historique et scientifique, il y a de bonnes raisons d’être déçu. Tout érudit de la Bible, quel que soit son point de vue théologique, aimerait avoir accès à un manuscrit du premier siècle. Qui ne le souhaiterait pas ? Cela nous rapprocherait un peu plus des autographes.
D’un point de vue théologique, il n’y a aucune raison d’être déçu. Je crains que beaucoup de croyants aient accordé trop d’importance à cette supposée copie du premier siècle de Marc. Comme si, finalement, ce manuscrit seul prouverait la fiabilité du texte du Nouveau Testament, et ferait taire tous les sceptiques.
Mais je ne pense pas que cela aurait été possible. Compte tenu de son caractère fragmentaire, il est peu probable qu’il ait modifié de manière significative le débat sur la fiabilité du texte.
De plus, je pense que l’état actuel des preuves textuelles, sans parler d’un manuscrit du premier siècle, nous donne déjà de bonnes raisons de faire confiance à notre texte. En d’autres termes, nous n’avons pas besoin d’une copie de Marc datant du premier siècle pour croire que le texte ait été transmis de manière fiable.
En guise de conclusion, il me semble que toute cette histoire nous rappelle la nature de la recherche, en particulier l’étude des manuscrits anciens. Toute recherche abordant le domaine du monde antique doit être abordée avec prudence et patience, encore plus particulièrement quand il s’agit de l’étude des textes anciens. Une première impression sur les manuscrits anciens n’est qu’une première impression, une impression initiale. Et parfois, les études plus poussées et les réflexions peuvent mener à des résultats différents. Ce fragment de Marc en est un bon exemple.
Cela dit, maintenant que ce fragment est officiellement publié, d’autres chercheurs peuvent donner leur avis sur sa date. Certains plaideront peut-être en faveur d’une date plus ancienne. Il ne fait aucun doute que d’autres plaideront en faveur d’une date encore plus tardive. Mais c’est une bonne chose. C’est précisément ainsi que fonctionne le monde de la recherche.
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