Les disciples, le mandat missionnaire, et l’Eglise

En janvier 2014, Nicolas écrivait un article défendant l’idée que chaque chrétien est appelé à faire des disciples. Mais Yannick Imbert a, de son côté, une opinion différente qu’il démontre Bible à l’appui dans cet article. Qu’en pensez-vous ? 

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Ce semestre j’ai donné mon cours d’introduction à la mission, et cela m’a conduit à revenir sur certains passages bibliques et notions missiologiques importantes. Au nombre de celles-ci l’expression “faire des disciples”.

Je voudrais faire quelques remarques.

 

1- Le mandat missionnaire, confié aux Onze représentant son Église

Il est vrai que le texte de Matthieu n’est pas totalement clair. Qui était présent lors du fameux “mandat missionnaire” ? Beaucoup de commentateurs pensent qu’une foule plus ou moins grande était présente. Cependant, la question n’est pas à mon sens de savoir qui était présent mais à qui Jésus s’est adressé.

Notons que le contexte de ce court discours de Jésus est, lui, tout à fait clair : “Les onze disciples allèrent en Galilée, sur la montagne que Jésus avait désignée. Quand ils le virent, ils se prosternèrent, mais quelques-uns eurent des doutes ; Jésus s’approcha et leur dit […]” (versets 16-18a) Jésus a clairement comme objectif, dans les paroles qui suivent, de s’adresser aux Onze.

C’est alors que Jésus leur dit :  “Toute autorité m’a été donnée dans le ciel et sur la terre. Allez, faites des gens de toutes les nations des disciples, baptisez-les pour le nom du Père, du Fils et de l’Esprit saint, et enseignez-leur à garder tout ce que je vous ai commandé. Quant à moi, je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde.” (versets 18b -20)

Le contexte générale et la manière dont Jésus s’adresse indiquent que Jésus a l’intention de confier ses prochaines paroles aux Onze rassemblés, eux qui représentent une Église naissante.

 

 

2- L’association de “faire des disciples” avec “baptiser” et “enseigner”

Cette association milite pour une restriction du mandat missionnaire à l’Église. Le mandat confié par Jésus ne donne aucune indication de pouvoir être morcelé : il est à prendre en tant qu’unité. Tout ou rien.

Il en va de même de sa responsabilité. Si nous avons tous la responsabilité de “faire des disciples”, nous avons tous les responsabilité de baptiser et d’enseigner.

 

 

3- L’absence frappante du “disciple” en dehors des Évangiles

(… et des Actes des Apôtres).

Le “disciple” est un terme qui a une place centrale dans les évangiles ainsi que dans le livre des Actes des apôtres. Je ne le nie pas.

C’est peut-être pour cela que nous avons développé toute une théologie du discipulat fondée sur ces mêmes évangiles ainsi que sur l’exemple de Paul et de Timothée. Que nous devions encourager une théologie du discipulat est à mon sens naturel. L’Église est une Église de disciples. Encore une fois je souligne cela par crainte de ne pas être compris. L’Église est une Église de disciples.

 

Ma question est la suivante : le reste du Nouveau Testament nous indique-t-il que tous les chrétiens “faisaient des disciples” ? Plusieurs éléments semblent indiquer que ce n’est pas le cas :

a) Tout d’abord l’exemple de Paul et de Timothée renforce ma conviction (tous les ans grandissante) que “faire des disciples” est une responsabilité ecclésiale portée (et incarnée) essentiellement par les ministères. Avons-nous donc raison de modeler tous nos modèles de discipulat sur la dynamique présente entre un jeune pasteur et Paul, l’apôtre missionnaire ?

b) Si le terme “disciple” (et les mots / verbes reliés) sont fortement présents dans les Évangiles et le livre des Actes, il disparaît presque totalement dans le reste du Nouveau Testament. Posons une autre question importante : pour Paul (et Pierre) qu’est-il attendu du chrétien ? Nous devrions attendre dans la réponse donnée quelque chose comme “faire des disciples”.Or ce n’est pas le cas.

D’abord, le mot « disciple » (μαθετες) n’apparaît pas une seule fois dans le reste du Nouveau Testament (en tout cas pas selon le lexique grec que j’utilise). Quant au verbe “faire des disciples” (μαθετεuo), il n’apparaît que dans l’Évangile de Matthieu et dans le livre des Actes. Ce constat devrait nous faire réfléchir.

Ensuite, dans les lettres de Paul, ce dernier exhorte les croyants à s’aimer les uns les autres, à se pardonner, à se réconcilier, à être fidèles, à avoir une vie différent, à être humble et porter les fruits de l’Esprit, à être “toujours prêts” à présenter leur espérance, à être saints comme Dieu est saint, etc. Mais jamais Paul n’appelle les croyants des Églises auxquelles il écrit à “faire des disciples”. Étrange quand même.

c) Cependant, “être disciple” et suivre Jésus caractérise tous les chrétiens. Et être un disciple c’est aussi être prêt à démontrer notre foi de manière visible et verbale.

 

Que dire alors ? Que faire des disciples ne serait pas aussi important que cela ? Une fois encore pour terminer, non bien sûr. Je crois que le “disciple” est un terme presque synonyme de “chrétien” en ce qu’il désigne celui qui s’attache au Seigneur.

Cela dit, ce que je questionne c’est la notion que nous devrions tous faire des disciples. Pour résumer ma réflexion actuelle sur le sujet :

– cela ne me semble pas aussi évident que cela dans le Nouveau Testament prit dans son ensemble ;

– le texte de Matthieu 28 me semble indiquer que le mandat missionnaire est une responsabilité ecclésiale, et que le “faire des disciples” l’est donc aussi.

– les quelques exemples de personnes qui ont “fait des disciples” concernent soit les disciples que Jésus a rassemblé (en bien plus grand nombre que les seuls Onze), soit ceux qui sont venus de ministères (pasteurs, missionnaires) avec comme exemple Paul.

 

Ces remarques ont un objectif : nous encourager à toujours revenir à l’Ecriture. Y compris dans l’élaboration de notre théologie du discipulat.

Continuons donc à affiner notre compréhension du “disciple” dans le Nouveau Testament

 

 

 

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Yannick Imbert est professeur d'apologétique à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Il est l'auteur de plusieurs livres dont une introduction à l'apologétique (aux éditions Kerygma/Excelsis). Il blogue sur “De la grâce dans l'encrier”. Yannick anime également le blog d'apologétique culturelle Visio Mundus.