Chrétiens : vous vous trompez de combat !

Article de Darrell Lackey pour Patheos publié le 22 juin 2017. Traduction adaptée. 

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Personne n’a oublié le sociologue Tony Campolo qui, s’adressant à des chrétiens, commence généralement ses discours ainsi :

Aujourd’hui, je souhaite vous dire trois choses. La première, c’est que, cette nuit, alors que vous étiez dans votre lit, 30 000 enfants sont morts de faim, de maladie, de malnutrition. La deuxième, c’est que la plupart d’entre vous n’en a absolument rien à foutre. La dernière chose et non la moindre, c’est que vous êtes plus indignés du fait que j’aie dit « rien à foutre » que du fait que 30 000 enfants soient décédés la nuit dernière.

Certaines personnes auxquelles j’ai cité ce passage ont, sans s’en rendre compte, appuyé son point de vue : « D’accord, je vois. Néanmoins, il aurait pu le dire d’une manière plus correcte… » Mais c’est justement là la clé de son propos. Car, selon moi, l’essentiel de son discours n’est pas le décès des enfants — c’est bien évidemment le sujet le plus important. Mais le but de son argumentaire est plutôt de démontrer la manière dont nous, chrétiens, nous offusquons des mauvaises choses. En d’autres termes, notre capacité à nous indigner a tendance à aller dans la mauvaise direction.

Nous offusquer d’un langage vulgaire bien avant de nous offusquer du fait que des enfants meurent autour de nous : voilà qui en dit long. Et voici ce qui prouve qu’il dit vrai : nous nous focalisons sur l’emploi d’un mot inélégant plutôt que sur le sujet autrement plus important de la mortalité infantile et sur notre part de responsabilité dans leur malnutrition. Si quelques-uns dans l’auditoire avaient eu une exclamation indignée ou un silence embarrassé, ces réactions auraient été malvenues, car elles n’auraient pas été portées sur l’essentiel.

Le monde légaliste, simpliste et superficiel du fondamentalo-piétisme (et par bien des aspects, celui de l’évangélisme) alimente et multiplie certains sujets sensibles vers lesquels il nous pousse à partir en croisade.

Autrement dit :

Lorsque vous vous indignez d’entendre que le mariage entre personnes du même sexe est ou va devenir légal, ou qu’une personne transgenre utilise les mêmes toilettes que vous, mais que vous vous offusquez moins de la haine, de la violence et de la discrimination dont ces personnes sont victimes, n’ayant parfois aucune autre issue que celle du suicide, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous êtes offensés d’entendre « Joyeuses fêtes de fin d’année » plutôt que « Joyeux Noël », mais que vous ne déplorez pas le gâchis de ressources de cette société frivole prise dans le piège de la consommation alors que certains luttent pour subvenir à leurs besoins, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous vous offusquez de savoir que des migrants bénéficient d’aides confortables alors que des citoyens triment sans parvenir à payer leurs factures, mais que vous vous abstenez soigneusement de penser aux nations ravagées par la guerre et aux familles décimées, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous êtes outrés de voir des personnes boire de l’alcool ou fumer des cigarettes, mais que vous haussez les épaules avec dédain devant des personnes en état d’obésité alors que vous connaissez bien les effets d’une telle maladie ; ou bien devant un gâchis considérable de nourriture alors que certains se couchent le soir avec l’estomac vide, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous criez au scandale parce qu’Hollywood produit des films faisant l’apologie éhontée de la grossièreté ou de la nudité, mais que vous fermez les yeux sur l’étalage excessif, sadique et pornographique de violence, de meurtre, de gore et d’effusion de sang tel que l’on peut le voir dans les films de guerre, les films d’action, ou même des films tels que La Passion du Christ, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous vous révoltez parce que l’Etat restreint vos libertés religieuses mais que vous ne vous souciez pas, voire, que vous encouragez la restriction des libertés religieuses des autres, vous vous trompez de combat.

Lorsque vous condamnez une personne parce qu’elle a commis un adultère ou tout autre écart de conduite du même genre, mais que l’abandonnez aux mains d’autres personnes qui lui jettent des pierres, qui s’unissent contre elle pour l’insulter, qui cancanent, qui l’évitent ou qui cherchent à la séparer de son conjoint, vous vous trompez de combat.

 

Et si votre réponse à toutes ces choses commence par « Je comprends, mais — », c’est que vous marquez un point, sans mettre dans le mille. Il est évident que vous pouvez vous indigner de telles choses (à tort ou à raison). Mais elles doivent perdre en importance dès que prenez assez de recul pour les placer face à des dysfonctionnements moraux plus profonds et plus significatifs ; des dysfonctionnements qui devraient vraiment nous indigner. Imaginez que quelqu’un ait dit à Jésus, alors qu’il renversait les tables des changeurs et les chassait avec un fouet, que le prix auquel on vendait les pigeons était scandaleux. Tout ceci n’est pas un faux dilemme, mais un problème d’échelle.

Cela me rappelle une scène du film La vie est belle, dans laquelle Guido (Roberto Benigni) se réjouit du fait que son ancien ami, le docteur nazi, l’ait reconnu et le fasse bénéficier d’un traitement de faveur dans le camp. Le docteur, lui, se souvient combien son ami était intelligent et avec quelle facilité il parvenait à résoudre des énigmes ; tout cela nous mène à penser qu’il se rend compte du traitement cruel qu’il inflige aux Juifs. Qui sait s’il ne sera pas celui qui finira par sauver Guido et sa famille ? Eh bien non, ce que nous découvrons en même temps que notre héros, c’est que le docteur a tout simplement besoin de lui pour résoudre une énigme. Il se fiche éperdument de Guido ou de sa souffrance. Cela ne le dérange pas le moins du monde. Ce qui le dérange, c’est de ne pas être en mesure de trouver la solution à une chose aussi insignifiante qu’une énigme. Il va même jusqu’à dire qu’il en a perdu le sommeil.

Vous trouvez cet exemple extrême ? Vous avez peut-être raison. Je pense tout de même que, trop souvent, nous agissons comme ce docteur. Et nous deviendrons comme lui si nous continuons de nous tromper de combat, si nous nous focalisons sur l’accidentel et laissons de côté le problème moral le plus important.

Chrétiens, choisissez le bon combat.

 

 

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Guillaume Bourin est co-fondateur du blog Le Bon Combat et directeur des formations #Transmettre. Docteur en théologie (Ph.D., University of Aberdeen, 2021), il est l'auteur du livre Je répandrai sur vous une eau pure : perspectives bibliques sur la régénération baptismale (2018, Éditions Impact Academia) et a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Guillaume est marié à Elodie et est l'heureux papa de Jules et de Maël