La Guérison Physique : Pour une Pastorale respectueuse de l’espérance chrétienne (Part 2)
Cet article fait suite à la partie I qui est disponible ici.
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3) La maladie et la victoire dans l’œuvre expiatoire du Christ
Comme le souligne justement Wilkinson :
Le péché et la maladie appartiennent à deux catégories différentes, et ce qui est vrai pour une peut ne pas être vrai pour l’autre. La maladie n’est pas le péché, mais une conséquence du péché. La maladie ne provoque pas une pénalité pour laquelle une expiation est nécessaire comme pour le péché. La maladie n’interfère pas dans la relation de l’homme avec son Dieu, comme le péché le fait.
( John Wilkinson, Physical healing and the atonement)
Nous pouvons aussi différencier les deux par les catégories de symptôme (maladie) et cause originelle (péché) (Bruce R. Reichenbach, By his stripes we are healed). C’est pour cette raison qu’il nous faut questionner ce présupposé de vouloir plaquer les réalités de propitiation et d’expiation , qui ont attrait au péché et qui sont accomplies dans la mort du Christ, sur la problématique de la maladie.
Bien qu’ayant été reconnus pécheurs en Adam (Rom 5.12-21), nous actualisons volontairement le péché originel lorsque nous péchons: c’est un acte volontaire. La souffrance et la maladie, et ultimement la mort, nous y avons été soumis en Adam à cause de la chute.
Il existe bien un lien logique entre les deux, mais il existe aussi une profonde dissymétrie entre le péché et la maladie, car le premier est d’ordre moral et c’est volontairement que nous l’actualisons. Le deuxième est régi par le fait d’être une conséquence du péché d’Adam, une conséquence encore pour nous aujourd’hui, car ce monde est encore dans le péché.
Cette dissymétrie est présente dans l’Ancien Testament. En effet le système cultuel relie de manière indirecte la maladie et le péché (à cause de l’expiation qui doit suivre la guérison), mais il est important de noter que :
Le sacrifice expie le péché pour le compte de la personne qui est maintenant guérie, ce sacrifice n’apporta pas la guérison de la maladie. Le système sacrificiel laisse la réalité difficile de la maladie et de la mort sans solution directe.
(Reichenbach, By his stripes we are healed)
Il nous faut donc bien comprendre que le système sacrificiel n’a jamais été prévu dans l’Ancien Testament pour offrir une solution directe à la problématique de la maladie. Mais il fut avant tout là comme une ombre de la réalité expiatoire qui sera accomplie une fois pour toutes en Christ (Heb 10:1-10).
Ensuite, en ce qui concerne le Nouveau Testament, il nous faut d’abord bien reconnaître que l’œuvre expiatoire du Christ a effectivement une répercussion sur la maladie, dans la dynamique de ses conséquences et de sa consommation eschatologique dans le domaine de notre corps.
En effet, la résurrection du Christ est aussi pour nous la promesse d’un nouveau corps libéré du péché et de la mort lors de son retour (1 Cor 15). Nous nous devons de préserver la catégorie de conséquence autant dans notre définition de la maladie que dans la compréhension des bénéfices de l’œuvre de la mort et de la résurrection du Christ. Mais, il convient de se demander, si la bible établit que la victoire de Christ sur le péché et la mort à la croix doit se manifester nécessairement dans des guérisons corporelles que nous pourrions vivre avant son retour, avant que nous ne soyons revêtus d’un nouveau corps.
Autrement dit, il nous faut étudier s’il existe une relation biblique directe entre la mort et la résurrection du Christ avec la guérison physique que nous pourrions vivre avant le retour de Christ.
Pour faire cela, nous analyserons (de façon non exhaustive) le texte d’Esaïe 53 :4-5 :
Certes, ce sont nos souffrances qu’il a portées, c’est de nos douleurs qu’il s’est chargé ; Et nous, nous l’avons considéré comme atteint d’une plaie ; Comme frappé par Dieu et humilié. Mais il était transpercé à cause de nos crimes, écrasé à cause de nos fautes ; Le châtiment qui nous donne la paix est (tombé) sur lui, Et c’est par ses meurtrissures que nous sommes guéris.
C’est en effet le principal texte le plus utilisé pour justifier la nécessité de s’approprier la guérison physique pour aujourd’hui grâce à la mort et la résurrection du Christ. Mais avons-nous bien compris le texte ? Avons-nous bien compris l’appropriation apostolique de ce texte ?
Tout d’abord, il nous faut souligner que le texte demeure ambigu sur les termes utilisés en hébreux pour souffrance et douleurs : ceux-ci peuvent correspondre légitimement à des réalités physiques et aussi à des réalités spirituelles.
En effet, Esaïe aurait pu utiliser ce terme au sein de son texte, qui possède une structure poétique, pour parler des souffrances spirituelles et du péché comme en Esaïe 6 :10, et 57 :15 à 19 (Joseph Blenkinsopp, Isaiah 40-55, The Anchor Bible, p.325 & John Goldingay, Isaiah 40-55, A literary-theological Commentary, t & t Clark, p.499).
Mais, nous ne pensons pas qu’il soit utile de vouloir imposer une définition stricte au texte d’Esaïe. En effet :
Le lien entre péché, maladie, souffrance et mort [dans l’AT] forme un motif d’arrière-plan pour Esaïe dans les cantiques du serviteur des chapitres 52-53. Pour lui, il n’y a aucune difficulté de passer de l’un à l’autre dans des parallélismes prophétiques poétiques.
(Reichenbach, By his stripes we are healed)
Ainsi, le texte d’Esaïe nous annonce que le serviteur apportera la guérison pour chacune des problématiques (physiques et spirituelles) ; la paix (shalom) qu’il apporte est holistique, restaurant le corps et l’âme ( Beale & Carson, The New Testament Use of the Old Testament).
En effet :
Ce passage en Esaïe anticipe la venue de celui qui ôtera la faiblesse humaine, le péché et qui rendra certains la guérison et le bien être de son peuple. Il le fera en endurant la souffrance produite par les blessures qui lui seront infligées par d’autres, une souffrance qui devrait être certainement celle de son peuple à cause de son péché.
(Wilkinson, Physical healing and the atonement)
Le nœud du problème réside dans l’appropriation de ce texte par les auteurs apostoliques. Et en particulier avec l’appropriation matthéenne en Mat 8 :17. Car les deux autres fois où le texte est utilisé dans le Nouveau Testament (Actes 8 et 1 Pierre 2 :24), c’est toujours dans le contexte du salut et du pardon de nos péchés.
Nous pensons que cette appropriation doit être comprise dans le cadre d’écriture dans lequel il s’inscrit, à savoir le récit évangélique de Matthieu qui veut nous exposer entre autre que : Jésus est le Messie promis, le Fils de David, le Fils de Dieu, le Fils de l’homme, Emmanuel, celui que l’Ancien Testament annonçait ; (…) et que le royaume eschatologique promis est déjà né, qu’il a été inauguré par la vie, la mort, la résurrection et la glorification de Jésus…(Carson & Moo, Introduction au Nouveau Testament)
Ainsi, lorsque Matthieu relie la guérison opérée par le Christ avec Esaïe 53 :4, cela fait référence à un contenu temporaire connecté au ministère terrestre de notre Seigneur qui fut accompli et qui n’a pas à être répété (Henry.W. Frost, Miraculous healing).
L’appropriation matthéenne est avant tout le fait que l’auteur voie dans les miracles de Jésus les signes qui l’identifient comme le serviteur souffrant qui vient pour « guérir » son peuple. Les guérisons physiques sont des signes qui pointent vers son identité : ils sont christologiques. Il est clair que l’œuvre substitutive du serviteur souffrant a effectivement une répercussion eschatologique physique et spirituelle sur son peuple (1 Cor 15), mais le texte de Matt 8 :17 ne s’intéresse pas directement à cela. Il souligne simplement que l’abondance des miracles du Christ (Matt 8-10) l’identifie clairement comme le serviteur souffrant.
L’auteur s’approprie Esaïe 53 dans le contexte de la guérison physique opérée par Christ pour servir sa visée christologique :
Dans ce passage [Matt 8 :17], nous remarquons qu’il n’y a aucune suggestion que Jésus ait porté sur lui les maladies dans le sens où il a pris physiquement sur lui la maladie désignée. De plus, il n’y a aucun lien direct avec sa mort expiatoire qui n’était pas encore arrivée. Ses miracles étaient tous « connectés à sa puissance de guérir . (…) [les guérisons] démontraient sa puissance, et parce qu’ils indiquaient aussi qui il était , ils étaient aussi appelés signes (semeia). (…) Les auteurs des évangiles ne relient pas les guérisons de Jésus avec son œuvre expiatoire dans sa mort, mais avec la puissance qui était démontrée dans sa vie.
(Wilkinson, Physical healing and the atonement)
C’est un grand pas herméneutique injustifié de déduire de ce passage que la guérison physique est accessible à tous maintenant grâce à l’œuvre de Christ à la Croix.
Car, premièrement, cela ne respecte pas l’intention de l’auteur en Matt 8 :17 qui nous livre l’histoire du ministère du Christ et non un manuel de théologie Systématique sur la guérison, puis le Nouveau Testament ne possède aucun texte qui dise clairement que la guérison physique soit un droit accessible à tous maintenant grâce à la mort et la résurrection de Jésus-Christ. Comme conclut justement C.S. Keener :
Ainsi, Matthieu cite Esaïe 53 :4 pour démontrer que la mission de Jésus dans le domaine de la guérison accomplit le caractère de la mission du serviteur, qui au prix ultime de sa propre vie révélerait le souci de Dieu pour l’humanité brisée. Matthieu lui-même reconnait que les guérisons physiques authentiques peuvent illustrer les principes de la guérison spirituelle (9 :5-7, 12 ; 13 :5).
(Craig S. Keener, A Commentary on the gospel of Matthew)
Ainsi la réflexion de Matthieu appuie la valeur christologique des signes opérés par le Christ pendant son ministère sur terre, mais elle ne peut être utilisée pour légitimer la nécessité de la guérison physique pour maintenant à cause de la croix.
De plus, un tel raisonnement crée plus de problèmes qu’il n’en résout. En effet, si la guérison physique que nous pouvons obtenir maintenant par la prière tire principalement sa source dans l’œuvre de la croix, alors :
- Nous créons un problème téléologique au sein de l’œuvre expiatoire du Christ. En effet, Jésus-Christ est mort pour les péchés de son peuple, pour ses brebis. Ainsi, l’œuvre de la mort et de la résurrection du Christ contient en son essence une finalité définie : le Salut de Son peuple. Nous définirons « Son peuple » par l’ensemble des hommes et des femmes qui ont placé leur foi en Dieu, une foi dont le centre objectif est Christ lui-même. Ainsi, si la guérison physique actuelle fait partie intégrante de l’œuvre expiatoire du Christ, alors celle-ci ne peut être ni détachée du salut par la foi, ni être accordée à une personne qui n’appartient pas à Christ. Nous voyons clairement qu’aucune des deux conséquences n’est appuyée bibliquement, car une grande partie des saints des écritures ont vécu simultanément dans la foi et la maladie, et nous avons des exemples de guérisons physiques dans le Nouveau Testament accordées à des personnes qui apparemment n’ont jamais mis leur foi en Christ. (Je parle ici des « personnes », mais je ne traite pas ici des conséquences eschatologiques à l’échelle du cosmos (nouveaux cieux et nouvelle terre)).
– - Nous créons aussi un problème sotériologique. Car les chrétiens du Nouveau Testament ne sont pas libérés de la mort physique. L’ensemble du Nouveau Testament témoigne du fait que, bien qu’étant ressuscité avec Christ dans une vie de foi, le corps des chrétiens est toujours soumis à la corruption et ultimement à la mort. Maintenir une telle position imposerait d’ajouter une dichotomie non scripturaire dans l’œuvre de Christ à la croix entre ce qu’il a fait pour nous dans la dimension physique et ce qu’il a fait pour nous dans la dimension spirituelle. Ceci est totalement absent des écritures, car le salut que Christ a acquis pour son église à la croix est holistique, c’est le shalom qui touche notre âme et notre corps. C’est pour cela que nous retrouvons ce langage ambivalent (péché et maladie) en Esaïe 53. Il existe simplement un paradoxe temporel (le « déjà et le pas encore »). De plus, si la guérison physique était une conséquence de la croix pour maintenant, alors parallèle à la nouvelle naissance, la victoire contre la mort devrait l’être aussi. Mais la Bible ne parle jamais de bénéfices physiques coulant de la croix dont nous devons nous emparer par la foi suite à notre nouvelle naissance. La Bible parle clairement d’une croissance dans la sanctification et dans la connaissance du Christ par le Saint-Esprit. Mais la nécessité d’y voir la libération définitive de la maladie ou de la mort pour maintenant est absente de la Bible. Nous verrons plutôt dans la suite qu’il existe une tension eschatologique temporelle de ce shalom eschatologique, mais en aucun cas une dichotomie au sein des bénéfices de la croix pour le peuple de Dieu.
Nous pensons qu’il est juste de comprendre que la guérison physique puisse être présente dans l’expiation du Christ et dans le texte d’Esaïe 53, mais elle y est dans sa forme complète et eschatologique, et elle ne peut être morcelée sous la forme de guérisons incomplètes que nous pourrions vivre durant notre vie, dans l’attente du retour de Christ. C’est bien son peuple qui sera totalement et sûrement guéri de toute ses souffrances à son retour. Les guérisons physiques qui interviennent avant son retour ne peuvent pas être égalées de façon totale et complète à ce qu’annonce ce passage, car elles sont dépourvues de cette essence eschatologique impérissable qui définira nos corps lors du retour de Christ, lors de la grande résurrection.
Ainsi, le cadre eschatologique et le cadre téléologique (pour son peuple) sont deux facteurs importants à considérer dans notre interprétation d’Esaïe 53 afin d’éviter toute sous-évaluation de ce texte et de le vider de la profonde et riche promesse eschatologique qu’il contient de façon définitive pour son peuple et que nous expérimenterons à son retour.
Les guérisons miraculeuses (et même providentielles) qui sont présentes de façons sporadiques (et qui le furent de façon dense et intense lors du ministère de Christ) dans l’histoire de l’humanité sont des dons que nous recevons de la main de Dieu, mais qui sont des anticipations du bien-être eschatologique que Dieu a en réserve pour nous en Christ lors de son retour. Ces guérisons que nous pouvons recevoir le long de notre chemin, et que nous recevons en son nom, sont des grâces qui glorifient son nom et sa qualité de Roi et de Seigneur sur la création.
Ce sont des déclarations « incarnées » de la Seigneurie et de la messianité du Christ, de l’authenticité de son œuvre, de l’évangile. Elles reflètent son autorité et son règne qui a déjà commencé (Matt 28), mais que nous ne voyons pas encore de façon totale, car nous ne voyons pas encore que tout lui soit soumis (Heb 2:8).
Ainsi:
La guérison physique est disponible à tous dans l’expiation du Christ mais pas dans cette vie présente, uniquement dans la vie à venir. Néanmoins, la guérison physique est donnée à quelques-uns dans cette vie, sur la base de la puissance de guérison de Dieu en Christ, et il est le devoir des chrétiens qui tombent malades de chercher la guérison par le biais des moyens qui lui sont disponibles, que ce soit par des moyens médicaux ou non médicaux, physiques ou spirituels.
(Frost, Miraculous healing)
Ceci est donc une vision diamétralement opposée à celle de ceux qui exigent la guérison physique pour aujourd’hui, comme le souligne cette malheureuse phrase de Bill Johnson :
Croire que la guérison n’est soit pas pour aujourd’hui, ou que cela ne fait pas partie de notre salut, est un mensonge. Croire en un mensonge donne de la puissance au menteur. Venir en accord avec le diable donne de la puissance au diable.
(B. Johnson & Randy Clark, The essential guide to healing)
Sa conclusion est clairement erronée, elle ne possède aucun appui biblique et elle révèle la profonde lacune de maturité et de fondement biblique dans sa théologie. En plus de prendre une mauvaise direction en ce qui concerne la guérison, il diabolise ses adversaires en n’avançant aucun argument biblique. Ses présupposés concernant la guérison le poussent à avoir une herméneutique totalement biaisée.
Nous pouvons donc conclure que chaque guérison que Dieu pourra nous donner dans cette vie présente sera un écho gracieux et imparfait (non ultime) de la réalité eschatologique qu’il a acquise pour nous dans sa mort et sa résurrection. Cet écho n’est pas une conséquence directe de l’œuvre expiatoire du Christ mais elle en est un témoin, une anticipation. De plus, lorsque cette guérison fait suite à une prière, elle sera un écho eschatologique de l’œuvre du Christ et aussi un signe qui confesse la Messianité et la Seigneurie du Christ. Il apparait ainsi qu’une tension eschatologique caractérise notre corps et c’est ce vers quoi nous nous tournons à présent afin d’établir clairement pourquoi toute doctrine liée à la guérison ne peut faire l’économie d’une vraie conscience de ce que signifie une espérance chrétienne.
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Voici les liens vers les articles de cette série :
• Partie I : Péché, maladie et souveraineté de Dieu
• Partie II : La maladie et victoire dans l’oeuvre expiatoire du Christ
• Partie III : La maladie et la tension du déjà / pas encore
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