Exil, résurrection, et eschatologie chez le prophète Esaïe

Après avoir introduit notre sujet lors du premier article, nous allons maintenant nous pencher sur l’étude des textes des prophètes eux-mêmes pour tenter de faire ressortir le lien qu’il pourrait y avoir dans le discours prophétique entre le Retour d’Exil et l’eschatologie, notamment au travers du thème plus resserré de la résurrection.

 

 

Retour d’exil et résurrection chez le prophète Esaïe (Es 53)

Les chapitres 40 à 66 du livre d’Esaïe sont régulièrement qualifiés de « livre de la consolation ». En effet, après beaucoup de paroles dures dans les chapitres qui précèdent, et après avoir introduit Babylone au chapitre 39, le prophète entame le sujet de la libération et de la restauration du peuple au travers d’un Nouvel Exode (Es 40.1-11). Nous nous retrouvons donc bien ici dans le contexte du Retour d’Exil. De plus la dimension eschatologique de cette partie se manifeste encore plus dans le fait que ces paroles s’accompliront avec le message de Jean-Baptiste et la venue de Jésus (Mc 1.1-13).

Mais ces passages voient également l’émergence d’un nouveau personnage énigmatique que l’on a pris l’habitude de nommer le « Serviteur souffrant ». Cette figure prend plusieurs formes puisque ce Serviteur sert tantôt à décrire Israël d’un point de vue collectif (Es 41.8), tantôt à nous parler de l’action d’une personne individuelle. Cette dernière est notamment relatée au travers de quatre chants que nous appelons les chants du Serviteur (Es 42.1-7, 49.1-7, 50.4-9, 52.13-53.12). En lisant ces textes, nous voyons que ce Serviteur est souffrant car il sera rejeté par son peuple alors qu’il a été choisi par Dieu pour être la lumière des nations. Mais parce qu’il est rempli d’amour pour les hommes mauvais et parce qu’il souhaite obéir et faire la volonté de Dieu, cet inconnu va se donner en sacrifice substitutif pour le rachat des péchés et le Salut du monde. Celui qui est peut-être le plus remarquable (mais aussi le plus long) de ces chants est le dernier. Et c’est celui sur lequel nous allons nous attarder.

Ce chant commence à la fin du chapitre 52 (Es 52.13). Dans ces versets, le Serviteur n’est pas encore décrit comme quelqu’un de souffrant. Au contraire, c’est son élévation au-dessus des autres et sa réussite qui sont mis en avant. Ce qui est paradoxale, puisque le mot hébreu ‘ebed désigne carrément un esclave. Et cela va même plus loin, car l’auteur va utiliser trois mots différents mais synonymes pour parler de l’élévation de cet esclave. Le sens et la répétition ne laissent pas sous-entendre autre chose que sa glorification future, eschatologique. Et le caractère paradoxale de cet individu ressort encore plus dans la comparaison qui est faite juste après cette introduction : « de même qu’il a été un sujet d’effroi pour beaucoup, de même il sera (au futur) un sujet de joie pour beaucoup de nations » (Es 52.14-15a).

La mention des nations ici est intéressante, car ce n’est pas seulement Israël qui se réjouira, mais aussi les païens. L’esclave qui venait d’être dépeint comme quelqu’un d’horrible qui dégoûtait tout le monde va être une source de joie pour les nations. Il prend d’entrée de jeu une dimension universelle. De plus, le mot nazah traduit ici par « joie » se traduit plus généralement par « aspersion ». Autrement dit, cet esclave sera à l’origine de la purification des nations, d’où leur joie. C’est ici la mission du Serviteur-Souffrant qui est annoncée. Et ce qui est encore plus extraordinaire, c’est que des rois fermeront la bouche devant cet esclave. Quelque chose d’impensable à cette époque. De plus, quelque chose d’important est en germe ici. Nous pouvons nous souvenir qu’au moment de son appel, Esaïe avait reçu pour mission de parler au peuple, mais que ce dernier « regardera sans voir, entendra mais ne comprendra pas » (Es 6.9-10). Ici les choses sont inversées. Ce qui était cachée par la faute du peuple va maintenant être dévoilé malgré lui, et même les grands de ce monde fermeront la bouche et s’abaisseront devant l’exaltation du Serviteur.

 

Au début du chapitre 53, le prophète reprend son explication mais il va maintenant davantage développer pour que nous puissions mieux comprendre ce qui est en jeu ici. Le Serviteur souffrant est comparé à une jeune plante, faible, aussi faible que peut l’être un enfant pendu au sein de sa mère. Il est comme un « rejeton » sorti d’une terre aride. Rien n’est là pour le nourrir et le renforcer, mais il pousse malgré tout. Et cela devait être parlant pour un juif qui lisait ce texte, car le mot aride est aussi utilisé dans les Psaumes ou chez d’autres prophètes pour parler du Désert où errait le peuple sous la conduite de Moïse (Ps 78.17). Un symbole de malédiction. Le terme de « rejeton » qui est utilisé ici est important car nous le retrouvons plusieurs fois chez le prophète, toujours dans des passages qui annoncent la venue du descendant du roi David, autrement dit des passages messianiques (Es 11.1, 10, 60.21). Encore une fois, son aspect quelconque est mis en avant. Il est même spécifié qu’il n’avait pas d’éclat. Le même mot est utilisé en Esaïe pour parler de la magnificence de Dieu (Es 2.10, 35.2). Cet esclave n’a rien de glorieux, encore moins de divin. Un moins que rien.

Puis vient la notion de souffrance associée à ce Serviteur. C’est un homme de douleur (Es 53.3). Une douleur qui est associée à celle de Job et aux Lamentations de Jérémie (Jb 3.19 ; Lm 1.18). Un homme qui connaît bien la souffrance et la maladie, comme celle qui est attachée aux malédictions de l’Alliance (Dt 28.59, 61). Les gens de son temps « détournaient le visage en le voyant ». Cette expression était utilisée pour parler des lépreux en ce temps-là. Il est difficile d’imaginer pire.

Mais le « pourtant » du verset 4 vient tout changer. Malgré sa faiblesse, sa laideur, sa pauvreté, son rejet, sa honte, ce Serviteur-Souffrant n’a pas fait que porter ses souffrances dues à son état, mais il a également porté les nôtres ! Les mots « douleur » et « souffrance » sont de nouveau utilisés mais pour parler de ce qui nous concerne. Nous sommes mis en parallèle avec ce Serviteur. S’il souffre autant ce n’est pas de sa faute, mais de la nôtre. Et nous avons détourné nos regards de lui, nous l’avons méprisé. Tout le monde pensait qu’il était sous la condamnation de la Loi à cause de ses péchés, mais c’est à cause des nôtres que cela lui arrivait. Et tout le monde a été aveugle. Les mots pour parler de la punition qu’il a subie à notre place sont forts. Il a été « brisé », ce qui veut aussi dire écrasé, réduit en poussière (un mot utilisé de nombreuses fois dans Job ; cf. Jb 4.19, 19.2, 34.25). Il a été « blessé » pour nos péchés. Il est intéressant de relever que le mot chalal peut également se traduire par « transpercé ». Le « châtiment », qui est l’opposé de la sagesse biblique en Job et Proverbes est tombé sur lui (Jb 36.10 ; Pr 8.33). C’est le sort réservé à ceux qui ne craignent pas l’Eternel, la condamnation suprême au Jour du Jugement. La colère étant passée, c’est maintenant le temps de la réconciliation, de la paix, du « shalom ». Mais ce sont ses blessures, ses plaies, qui nous apportent la guérison. Relevons que ce mot « guérison » est aussi utilisé en lien avec les bénédictions de l’Alliance (Dt 28.27, 35) et la guérison de la lèpre (Lv 14.3) – des thèmes déjà abordés.

Puis Esaïe va faire une comparaison entre le peuple et le Serviteur. Le peuple était comme une brebis égarée, mais c’est le Serviteur qui a été puni. C’est lui qui est devenu semblable à un agneau qu’on amène à l’abattoir. Il n’a rien dit, ne s’est pas plein malgré ses souffrances injustes (Es 53.6-7). Il a été arrêté et jugé coupable alors qu’il était innocent, et tous ses contemporains n’en ont rien eu à faire. Ce Serviteur-Souffrant a été mis à mort, « exclu de la terre des vivants » (Es 53.8). Cette mention de sa mort est importante pour notre sujet. Le Serviteur était bel et bien mort, et cette idée est confirmée par le verset suivant qui explique que sa tombe faisait partie des riches et des méchants (Es 53.9). Et non seulement il est mort à cause de son peuple, mais en plus il a été détesté et humilié même au-delà de sa mort, jusque dans son sépulcre.

Et c’est ici que commence la partie réellement eschatologique. Parce qu’il s’est offert en sacrifice pour nos péchés, et si nous acceptons ce sacrifice (la traduction de ce passage semble difficile mais les deux traductions ne s’excluent pas mutuellement), alors il verra une descendance nombreuse (Es 53.10). Il vivra longtemps. Notons qu’ailleurs dans la Bible (sauf un cas ; cf. Ec 8.13), ce mot est toujours mis en rapport avec un contexte de royauté (Dt 17.20 ; Pr 28.2, 16). En se sacrifiant, il accomplit parfaitement la volonté de Dieu et devient le médiateur entre Dieu et le peuple. Après tant de souffrances, il verra et connaîtra toute chose. Et tous ceux qui le connaîtront seront déclarés justes à cause de sa propre justice, à cause de la punition qu’il a endurée, parce qu’il a porté nos péchés. Voilà l’œuvre de ce Serviteur-Souffrant.

Mais une question s’impose à nous. Comment se peut-il que cet homme puisse voir une descendance nombreuse, comment peut-il être rassasié de jours, alors qu’il est mort comme un agneau offert en sacrifice et mis au tombeau ? Comment peut-il offrir sa justice au peuple de Dieu et aux nations s’il est dans le séjour des morts ? Il ne peut y avoir qu’une seule réponse. Ce Serviteur-Souffrant ne va pas rester dans la tombe. Dieu va le ressusciter. C’est ici la résurrection qui est en vue. Et il n’y a pas de raisons de penser que cette résurrection ne sera pas corporelle. Rien dans le texte ne fait penser à un retour sur terre en tant qu’esprit. Bien au contraire, le caractère parfaitement humain de ce Serviteur est bien mis en avant tout au long du chapitre. C’est bien parce qu’il est un homme qui a souffert alors qu’il était juste, qu’il a pu prendre sur lui la culpabilité de ses frères et sœurs pécheurs. Même si cela n’est pas mentionné de manière explicite, il y a tout lieu de penser que si sa résurrection n’était pas corporelle, alors il n’aurait plus été capable d’être un sacrifice substitutif, et il n’aurait pas pu avoir cette descendance nombreuse annoncée au travers de tous ceux qui apprendront à le connaître personnellement. De plus, le temps des verbes dans ce passage final est au Yiqtôl qui correspond à l’imparfait hébreu, mais qui est aussi très souvent utilisé pour exprimer une idée future. Cela implique qu’il y a un temps entre sa mise au tombeau et le moment où le Serviteur verra de nouveau.

Il est également à noter que cette résurrection fera de ce Serviteur / esclave un roi qui régnera visiblement de manière éternelle. Cela expliquerait le fait que les rois se prosterneront devant lui et fermeront la bouche comme nous l’avons vu au tout début. Nous parlions d’élévation, d’exaltation. Ce sera le résultat de cette résurrection dans la gloire. Cette résurrection corporelle semble donc être un point culminant du Retour d’Exil. Un Retour, non pas seulement du pays de Babylone, mais dans le contexte de cette péricope, de l’esclavage du péché. Un Retour qui ne devra pas seulement être que physique, mais également spirituel. C’est à un Retour à l’Alliance de Dieu que le prophète appelle le peuple.

Nous voyons donc que la résurrection corporelle en lien avec le Retour d’Exil était présente dans le discours d’Esaïe. Cela confère à ce Retour une dimension eschatologique. Mais rien n’indique ici que ceux qui connaîtront ce Serviteur-Souffrant seront eux aussi ressuscités à la fin des temps. Ce passage semble plutôt individualiste. Nous verrons par la suite si nous pouvons aller plus loin avec les autres prophètes.

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.