Naissance du christianisme vs. naissance des autres religions : une critique

Il y a quelques jours est réapparu sur mon Facebook l’article “Naissance du christianisme vs. naissance des autres religions” publié sur Le Bon Combat en décembre 2013.

A l’époque je ne consultais pas régulièrement LBC, car sinon j’aurais écrit ces quelques lignes plus tôt. Si je le fais maintenant, après tout ce temps, c’est parce que visiblement c’est un schéma qui a marqué beaucoup de chrétiens, et qui en a inspiré plusieurs dans leur témoignage.

Or, je crois que cela peut conduire à plusieurs problèmes.

L’article d’origine est court. C’est en fait un dessin contrastant la naissance du “christianisme” et des autres religions. Je ne ferai pas de commentaire ici sur le terme christianisme, notamment parce que, contrairement à certains, cela ne me dérange pas beaucoup de l’utiliser. Ce qui m’intéresse, c’est l’opposition établie entre le christianisme et les religions du monde.

 

Je résume la pensée du schéma : Le christianisme est né d’un témoignage public de la mort et de la résurrection de Christ, annoncée publiquement par ceux qui en furent les témoins. Par contraste, les autres religions sont le fruit de rêves, de rencontres ou d’idée personnelles au sujet de Dieu. Une personne, et une personne seulement, va ensuite transmettre ce qu’elle a reçu ou conclu.

 

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À première vue, cela semble être une représentation fidèle. Il y a évidemment une grande différence entre la naissance du christianisme et celle des autres religions. J’en ajouterai personnellement une significative : la première proclamation de la résurrection est faite par des femmes, et ce ne sont pas des disciples qui comptent parmi “les Douze”. Pour la grande majorité, les religions du monde sont centrées autour d’une propagation exclusivement masculine de la religion.

 

Cependant, un tel résumé pose de très sérieux problèmes, que je résume ici avant de m’y attarder un peu plus :

  • Il simplifie les autres religions, ne s’attardant pas sur leurs différences. En cela, il ne fait pas justice à ces religions, ni à ceux qui y ont placé leur foi.
  • Il oublie que le christianisme, lors de sa “naissance”, a lui aussi été l’occasion de rêves et de rencontres personnelles de Dieu.
  • Il sépare trop radicalement l’Ancien et le Nouveau Testament en faisant “naître” notre foi avec le Nouveau Testament.

 

 

1- Une trop grande simplification

Si ce schéma est censé aider notre apologétique, un gros problème se pose : il caricature trop les religions. Par exemple, ce schéma paraît sous-entendre que soit le Gautama Bouddha a écrit ses propres expériences au sujet du “transcendant”, soit qu’il a eu des rêves au sujet du “transcendant”, et qu’ensuite il a propagé son enseignement.

La question apologétique serait donc : pourquoi faire confiance à un seul homme, le bouddha ? Au moins, dans le christianisme, il y a une diversité de témoignages oculaires, tous concordants ! En plus, dans le christianisme, ce n’est pas le message d’un homme qui est au coeur de la religion, c’est Dieu lui-même, venu apporter sa Parole (sous-entendu, à travers l’incarnation de Christ).

Mais ceci est une vision trop simpliste du fondateur historique du bouddhisme. Je me permet de dire que si nous faisons ainsi avec nos amis bouddhistes, notre apologétique n’ira pas loin. Le bouddha historique, Siddhārtha Gautama, n’a pas eu de rêve, ni vu un ange lui communique son enseignement.

De même ce n’est pas seulement “son” expérience personnelle dont il s’agit, puisque le Gautama est une incarnation du Bouddha. Son enseignement, c’est celui du Bouddha, non pas simplement celui d’un homme, d’un “simple mortel”. Le Gautama ne reçoit donc pas son enseignement d’un homme, ou de lui-même, mais de celui qu’il est ou devient : l’Éveillé.

Il y a d’autres religions qui ne naissent ni d’un rêve ou d’une vision, ni d’une idée personnelle. Par exemple, les religions animistes. Ces dernières, essentiellement des traditions orales, ne sont pas à proprement parler le fruit du rêve d’un individu, pas plus qu’elles ne sont les idées d’un seul sage ou marabout. Ces religions sont en quelque sorte une mémoire religieuse collective faite de pratiques souvent non systématisées.

Voilà l’un des problèmes pédagogiques de ce schéma : il aborde les religions en les considérant d’une manière très occidentale. Le problème est que beaucoup de religions ne le sont pas !

Si nous voulons témoigner de notre foi d’une façon pertinente, nous devons commencer par évaluer honnêtement ce que nos contemporains croient, et donc nous devons nous intéresser à leurs croyances. Le problème d’une trop grande simplification c’est que nous allons les aborder avec des idées préconçues, voire tout à fait fausses. Et donc le danger est de ne pas être pris au sérieux.

 

 

2- Quand naît le christianisme ?

Deuxième problème : le schéma paraît sous-entendre que les rêves et visions n’ont pas de place dans le christianisme. Soit. Nous parlons de christianisme, et apparemment nous devons faire abstraction de l’Ancien Testament, donc nous allons oublier que Dieu parle directement à Adam, Noé, Abraham, Isaac et Jacob. Oublions qu’il apparaît sous forme d’ange à plusieurs des grands héros de l’Ancien Testament, ou qu’il parle en rêves et visions à ses prophètes.

Concentrons-nous exclusivement sur le Nouveau Testament. Et bien même là, nous voyons des rêves et des visites angéliques ! L’annonce de la naissance du Messie est le fruit d’une proclamation angélique.

Marie n’a pas lu dans son Ancien Testament que c’est elle qui porterait le petit Jésus, pas plus qu’elle n’y a lu qu’il ne fallait pas s’en inquiéter. La situation dégénère au point que Dieu envoie son messager. Ce même messager intervient d’ailleurs auprès de Joseph. Plus tard, Pierre a l’une des visions les plus importantes de l’histoire du salut en Actes 10-11.

Bref, n’oublions pas que rêves, visions et rencontres angéliques peuplent les Écritures.

Ceci dit, je dois modérer ma critique : oui, à travers toutes ces visions, ce qui est au centre c’est bien la vie et le ministère de Jésus-Christ. Néanmoins, ce schéma sous-entend trop clairement que le “christianisme” naît avec le Nouveau Testament.

Certainement, Christ est le coeur, le centre de la foi chrétienne. Les premiers croyants d’Antioche sont appelés « chrétiens » et pour de bonnes raisons ! Pourtant, le christianisme, en tant que foi en le Dieu trinitaire, ne naît pas avec Christ. La naissance de Christ montre son accomplissement, pas sa naissance. Le christianisme n’est pas défini par la foi en Christ, mais par la foi en Dieu qui est Père, Fils, et Saint-Esprit. Notre foi est trinitaire.

Le problème ici c’est qu’en partageant ce dessin sur Facebook ou autre réseau social, nous pouvons induire en erreur ceux qui, nous l’espérons, s’approcherons de Dieu.

 

 

3- Séparation de l’Ancien et du Nouveau Testament

La plus grave erreur potentielle est de séparer les deux testaments. N’oublions pas que limiter le christianisme au seul Nouveau Testament est inacceptable. Le fameux Marcion avait fait un tel choix, et cela avait été rejeté par l’Église dans son ensemble.

Je ne veux pas dire que l’auteur de ce dessin est un hérétique, mais c’est une erreur qui est lourde de conséquences. Je peux aussi concevoir que le dessein parle du “centre” de notre foi : les chrétiens qui lisent ce petit dessin ne l’interprèteront pas, j’espère, comme une opposition entre les deux testaments.

Pourtant, je me demande ce qu’un non-chrétien dirait si, après avoir vu ce dessin (ou si vous le partagez en ligne), il se mettait en tête de lire la Bible, du début à la fin. Ne serait-il pas frappé par le nombre de fois où, dans l’Ancien Testament, Dieu révèle sa volonté et sa Parole par des rêves et des visions ? Ou par le nombre de fois où Dieu, par son ange, visite ses serviteurs ?

 

 

Conclusion

Alors, peut-être qu’en terme de pédagogie, ce dessin demeure utile. Tant qu’on part du principe que le “christianisme” ne fait pas de différence entre les deux testaments et que Dieu a utilisé des rêves et des visions régulièrement dans l’Ancien Testament et ponctuellement dans le Nouveau Testament, alors ce dessein peut avoir une portée pédagogique.

Ceci étant dit, même dans ce cas, faisons attention à être honnêtes avec les autres religions. Par contre, pour ce qui est de son utilisation apologétique (ou en évangélisation), je suis un peu sceptique, pour les raisons mentionnées.

Certains me demanderont alors : “Quel autre dessin pourrions-nous utiliser pour visualiser ces différences ? Après tout ce n’est pas si mal. Certes, ce n’est pas parfait, mais au moins il a le mérite d’être là. Et puis si tu penses pouvoir faire mieux… pourquoi n’en fais-tu pas un, de dessin ?”.

Attention, communiquer notre foi est parfois difficile : nous devons expliquer des notions complexes, comme celle de la trinité, et reconnaître des similarités entre notre foi et les autres religions. La tentation est grande de simplifier, d’éliminer ces difficultés et de privilégier la facilité. Notre responsabilité apologétique nous complique la tâche, mais ne la rend pas impossible.

Ne nous focalisons pas sur des résumés trop rapides, concentrons-nous plutôt sur les personnes qui croient : elles sont musulmanes, yézidies, bouddhistes, athées, etc. Nous devons nous approcher de chacun pour comprendre ce qu’ils croient et leur présenter la différence radicale de cette foi incroyable qui nous envoie vers eux.

 

 

 

YI

 

 

 

 

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Yannick Imbert est professeur d'apologétique à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Il est l'auteur de plusieurs livres dont une introduction à l'apologétique (aux éditions Kerygma/Excelsis). Il blogue sur “De la grâce dans l'encrier”. Yannick anime également le blog d'apologétique culturelle Visio Mundus.