Faut-il prier pour la conversion ou la destruction des terroristes ?
Cet article a été publié le 18 février 2015 sur le blog de Russell Moore, à la suite de la décapitation de 21 chrétiens Coptes par l’État Islamique. Nous avons jugé d’actualité de traduire et de publier cet article aujourd’hui.
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Un ami pasteur m’a rapporté la semaine dernière que certains membres de son église ont réagi avec colère lorsqu’il a suggéré que nous devrions prier pour le salut des terroristes de l’État Islamique. Les gens de son église lui ont dit qu’il devrait plutôt demander que justice soit faite à l’encontre ces terroristes, à cause des terribles meurtres de chrétiens, et non implorer la pitié pour eux.
J’ai repensé à mon ami ces derniers jours, quand ces fous meurtriers ont décapité 21 de nos frères et sœurs en Christ (1) parce qu’ils ont refusé de renier le nom de Jésus. Je n’étais pas simplement fâché ; j’étais furieux.
Cependant, une telle rancœur peut elle coexister avec les déclarations de Christ dans le Sermon sur la Montagne (cf. Mat. 5-7) ? Quand nous prions au sujet d’un mal aussi grand, comment devrions-nous nous exprimer ?
A la suite de ces décapitations, la complexité de l’appel chrétien dans le monde entier était bien visible, également sur les réseaux sociaux. L’un de mes amis a posté que la persécution de nos frères et sœurs nécessitait l’intervention de “l’unique super puissance mondiale restante”. Un autre a affirmé, en citant le chanteur Toby Keith, qu’il était temps “de brûler leur monde comme lors d’un 14 juillet”. (2) À cela, je réponds “Amen”.
Un autre ami, l’un de mes anciens étudiants, a publié la chose suivante : “Oh, s’il pouvait paraître une sorte de Saul de l’État Islamique, gardant les manteaux, et dont le salut retournerait le monde arabe pour la cause de l’Évangile!” À cela je dis également “Amen”.
Ces prières ne sont pas contradictoires.
Jésus nous dit d’aimer nos ennemis et de prier pour ceux qui nous persécutent (Mat 5:44). L’Esprit de Jésus qui parle au travers les prophètes et les apôtres nous dit également que ceux qui ferment les yeux sur le meurtre d’autrui ont tort.
Ce sentiment de contradiction que nous pouvons ressentir entre prier pour que justice soit faite contre l’État Islamique d’une part, et pour que ces terroristes soient sauvés d’autre part, est en partie la conséquence du fait que nous ne faisons pas la distinction entre la mission de l’état usant de l’épée temporelle contre les malfaiteurs (Rom. 13:4), et la mission de l’Église usant de l’épée de l’Esprit contre le péché, la mort, et le diable (Eph. 6). Mais, à mon avis, ce n’est pas le principal problème.
Le principal problème est que nous oublions que notre rôle est à la fois d’être des personnes de justice et de justification, et ces deux choses ne sont pas contradictoires.
De prime abord, il semble profondément spirituel d’affirmer que nous ne devrions pas prier pour la défaite de nos ennemis sur le champ de bataille. Mais ce n’est valable que si et seulement si ces ennemis ne font en rien. Ce groupe terroriste viole, asservit, décapite, crucifie nos frères et sœurs en Christ, mais aussi de nombreuses autres personnes innocentes.
Ne pas prier pour une action rapide contre eux équivaut à ne pas nous soucier de ce que Jésus proclame que nous devrions rechercher, à savoir la justice -ce dont nous devrions même avoir faim et soif. Un monde dans lequel les groupes meurtriers commettent des génocides en toute impunité n’est pas un monde “miséricordieux”, mais la manifestation d’une injustice horrible.
En tant que chrétiens, nous devons, davantage encore que les autres, nous sentir concernés par une telle justice. Nous n’avons pas seulement conscience de la grâce commune enracinée dans l’image de Dieu et dans la loi gravée dans notre cœur, qui nous pousse à désirer l’arrêt des meurtres et de l’injustice. Car il est aussi question de notre implication personnelle, dans le cas présent. Ce sont les membres de notre famille qui sont rayés de la carte du Moyen Orient, l’endroit même où l’Église est née. En ce qui nous concerne, il n’est pas seulement question de “eux”, il est surtout question de “nous”.
En même temps, prier pour le salut de nos ennemis, même de ceux qui commettent les crimes les plus abominables, n’implique pas d’arrêter de prier pour que justice soit faite contre eux.
La croix, au bout du compte, ne constitue pas un pardon au sens moderne, “thérapeutique” du terme (qui considère les mauvaises actions comme la conséquence d’un ensemble de malentendus). Non, et c’est précisément ce que l’apôtre Paul pointe de sa plume dans son épître aux Romains.
L’Évangile n’affirme pas “c’est passé, tout va bien”. L’Évangile nous place face à la croix, là où le péché est est appliqué à un substitut. La juste condamnation du péché par Dieu se trouve là, à la croix. Dieu ne peut autoriser la méchanceté. Et la grâce de Dieu est présente parce qu’il est celui qui envoie son Fils comme une propitiation pour le péché.
Il est à la fois “juste en justifiant celui qui a foi en Jésus” (Rom.3:26). L’Évangile ne laisse pas le péché impuni. Chaque péché est sanctionné, soit sur le mont du calvaire pour ceux qui sont en Christ, soit par le jugement de l’enfer.
Le brigand sur la croix –un terroriste du Moyen-Orient, selon les critères de Rome – ne croyait pas que son salut l’exemptait de l’exercice de la justice. Il a reconnu que sa condamnation était méritée, et qu’il recevait “la juste rétribution de ses actes” (Luc 23:41), alors même qu’il implorait Jésus afin d’avoir part à son Royaume. (Luc 23:42).
Nous devons évidemment prier pour que l’Évangile se propage, et qu’il puisse y avoir un nouveau Saul de Tarse qui se détourne de ces meurtres à l’encontre des témoins de l’Évangile. En parallèle, nous devons prier, conjointement avec les martyrs désormais au paradis, pour que justice soit faite à l’égard de ceux qui s’adonnent à de tels crimes.
Prier à la fois pour la défaite militaire de nos ennemis et pour qu’ils se tournent vers Christ n’est pas contradictoire, car le salut n’implique pas se détourner de la justice. Nous pouvons dans le même mouvement prier pour que l’Évangile s’enracine au Moyen-Orient, et pour que leur monde brûle comme au jour du 14 Juillet.
Car nous sommes, après tout, le peuple de la croix.
– Russel Moore
Russel Moore est le président de la Commission pour l’Éthique et la Liberté Religieuse de la Convention des Baptistes du Sud
Notes et références :
(1) Russell Moore, comme de nombreux évangéliques américains, a immédiatement affirmé que les 21 Coptes Orthodoxes décapités était “des frères et sœurs en Christ”. Nous avions, à l’époque, fait preuve de plus de prudence (voir cet article), même si nous pensons bien sur que leur confession de foi est authentique.
(2) L’article original fait mention du 4 juillet, jour de la fête nationale Américaine, que nous avons changé en 14 juillet, jour de la fête nationale Française. La référence, vous l’aurez compris, est à l’usage de moyens pyrotechniques.