Le chrétien et le droit d’auteur : vers une théologie de l’imitation

Dans le précédent article, nous avons mis en évidence que la notion de paternité n’implique pas celle de possession. La paternité intellectuelle implique que nous reconnaissons et sommes reconnus comme l’origine de l’idée, mais non leur propriétaire. Comment donc définir une approche chrétienne de la paternité intellectuelle ? Cet article propose un premier faisceau de réponses  !

Une grande partie de ce post est inspiré des travaux de Vern Poythress et de John Frame sur le droit d’auteur. Ces articles sont disponibles sur leur site internet.

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Copier et imiter

La Bible nous dit que lorsque Dieu nous créa, il nous fit à son image (Gn 1.27). Les spécialistes ont longuement discuté de ce que cela signifie. Les théologiens réformés ont souvent mis l’accent sur la nature « relationnelle » de cette image. Dieu est entré en relation avec nous, ce qui fait de nous des êtres de relation. Mais la notion d’image de Dieu est riche et ne peut être épuisé par une seule expression.

Cette aspect relationnel contient de nombreux autres éléments comme, par exemple, la nature rationnelle de l’être humain ainsi que sa dimension créative. En tout cela, nous sommes à l’image du Dieu créateur. A son image et pourtant si différents. Une autre manière d’exprimer cela est de souligner que si Dieu nous fit à son image, cette image est une forme analogique de Dieu. Nous ne sommes pas Dieu, il est entièrement différent de nous.

C’est en quelque sorte ce dont il s’agit dans la relation parents–enfants. Les enfants ne sont pas leurs parents. Et pourtant ils « viennent » de leurs parents. Ils sont à leur image. Nous voyons cela pour la première fois en Gen 5:3 quand Adam engendra un fils « à sa ressemblance, selon son image ». Cet engendrement est, en soi, une imitation de l’activité créatrice de Dieu. L’être humain, ici Adam et Eve, « copient » Dieu.

 

Nous aussi, nous « copions » Dieu dans la plupart des choses que nous faisons. Lorsque nous peignions en tableau, nous copions la création de Dieu. Lorsque nous transformons une friche en jardin, nous copions Dieu. Même lorsque nous produisons de « nouvelles » choses, nous copions Dieu.

Toutes nos idées, toutes nos nouveautés, sont en fin de compte des associations et des compositions nouvelles fondées sur le monde que Dieu a créé. Nous ne pouvons pas faire autrement : nous copions Dieu.

 

 

Dieu, créateur et père

Nous sommes des êtres faits pour copier et imiter. Ajoutons une autre chose importante : Dieu n’exerce pas son droit à la « propriété intellectuelle » sur ce que nous produisons. Il rappelle cependant que tout lui appartient. Nous produisons toutes sortes de choses dans ce monde dont Dieu nous a confiés une sage gestion.

Ce « mandat » de gestion souligne lui aussi que nous ne sommes pas possesseurs ni de ce monde, ni de ce qu’il contient. Ni même, par conséquence, des biens que nous produisons ou des idées que nous imaginons. Tout est à Dieu. La terre et tout ce qu’elle contient.

Nous y compris. Nous appartenons à Dieu avec tout ce que nous sommes, disons, et pensons. Pour ceux qui reconnaissent ce « règne » de Dieu sur sa création, notre statut d’imitateurs-régents doit être reconnu pour tel. Dieu est créateur et père ; nous sommes imitateurs et régents. La responsabilité que Dieu a confié et pour tous les êtres humains, pas seulement pour les chrétiens.

Ce que nous avons dit sur la nature humaine (à l’image de Dieu et imitateurs) s’applique à toute personne – croyante ou non. La responsabilité de gérer dignement, et avec justice, notre capacité d’imitation fait partie intégrante de notre appel à vivre dans le monde sous le regard du Dieu, créateur et Père.

 

 

Imitation et droit

Cela pose la question de savoir ce que doivent être nos lois humaines. S’appuyant sur Deut 16:18-20, Poythress argumente que la loi humaine doit essentiellement être exercice de la justice[1]. En disant cela, il n’hésite pas à affirmer que les lois actuelles – auxquelles nous devons nous soumettre – devraient être changées car elles ne remplissent pas leur objectif.

En effet, l’argument derrière la loi actuelle est la protection des auteurs et la protection des éditeurs – donc une justice exercée envers eux, envers leurs droits. Dans ce sens toute copie (de textes, images, objets, etc.) serait une forme de vol.

Bien sûr, il faudrait démontrer que les lois actuelles sont les plus bénéfiques à tous les partis en présence, au premier rang desquels, les « auteurs » – ceux qui sont les pères de l’oeuvre en question. Pour Poythress, et je le suis sur ce point-là, les lois actuelle ne sont pas au bénéfice de l’ensemble des acteurs : auteurs, éditeurs, « consommateurs ». Le problème principal est le rejet de toute légitimité au droit de copie.

L’argument de Poythress se résume ainsi :

Supposez que Pierre fabrique une hache. Si Jean, son voisin, vient en secret et la lui prend, il y a bien vol. Pierre est privé d’un bien qu’il possédait légitimement. Supposez maintenant que Pierre vende sa hache à Jean, ou même que Jean voit simplement la hache de Pierre qui représente une amélioration esthétique et fonctionnelle par rapport à celle qu’il possède. Si Jean tente de fabriquer une autre hache du même genre, il y a bien copie. Mais Pierre est-il privé de son bien ? Non, Pierre possède toujours sa hache. Mais Jean lui aussi possède la même, et rien ne devrait lui interdire de tenter d’en fabriquer une meilleure [2]. Ainsi Poythress peut conclure : « Copier multiplie les biens au lieu de les limiter. La capacité à copier est une merveilleuse bénédiction de Dieu, bénéfique à l’humanité.» [3]

 

Je mentionnerai un autre élément qui fait partie de l’argument développé par Poythress – un point qui demanderait plus d’attention. Ce point est simple. Les lois sur le droit d’auteur semblent favoriser certains domaines plutôt que d’autres, et ce de manière partiale.

Pourquoi un auteur (d’un roman par exemple) bénéficierait-il des lois actuelles, alors qu’un charpentier n’en bénéficierait pas ? Tous les deux « créent » quelque chose qui peut être copié. L’un est protégé, l’autre ne l’est pas. Pour Poythress, c’est une démonstration de favoritisme ; un favoritisme motivé par des raisons plutôt discutables. Je trouve cette remarque intéressante et, bien que je ne sois pas encore convaincu, cela pose la question, sérieuse, de savoir si les lois actuelles sur le « droit d’auteur », sont vraiment justes.

 

Loin d’être une enfreinte à la moralité, le « droit à la copie » (bien encadré, cela va de soi) met en valeur :

 (1) Le fait que nous ne sommes que des êtres créés par Dieu pour imiter ;

(2) Que tout lui appartient ; et que

(3) La copie (ou l’imitation) peut être au bénéfice de tous, en particulier des plus défavorisés. En cela, le « droit à la copie » est aussi une manifestation de notre amour du prochain

 

 

Notes et références :

[1]    Vern S. Poythress, « Copyrights and Copying », septembre 2005, consulté le 13 juin 2016.

[2]    Ibid.

[3]    Ibid.

 

 

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Yannick Imbert est professeur d'apologétique à la Faculté Jean Calvin (Aix-en-Provence). Il est l'auteur de plusieurs livres dont une introduction à l'apologétique (aux éditions Kerygma/Excelsis). Il blogue sur “De la grâce dans l'encrier”. Yannick anime également le blog d'apologétique culturelle Visio Mundus.