L’église ethnique : un modèle à éviter
Le nombre de chrétiens évangéliques en France a été multiplié par dix en soixante ans, une croissance considérable au regard du contexte séculier dans lequel elle se produit. On assiste ici et là à de belles histoires : développement exponentiel, implantations en cascade, conversions, etc. Toutes ces données encourageantes n’excluent cependant pas certaines situations plus délicates.
Les églises dites « ethniques », ces assemblées principalement composées de migrants de première ou deuxième génération célébrant un culte dans leur langue maternelle, participent grandement à ces chiffres encourageants. Néanmoins, elles sont à la merci de dangers très spécifiques.
Voici pourquoi.
Le modèle biblique : une assemblée locale pluriethnique, multiculturelle
Les premiers chapitres de la Genèse présentent Dieu comme le créateur de l’ensemble de l’humanité par le moyen d’un couple primordial, Adam et Eve. Cette réalité créationnelle commune exclut de facto toute forme de racisme ou de xénophobie : nous portons tous l’image du terrestre (1 Cor 15.49), nous sommes tous créés à l’image de Dieu (Jc 3.9), par conséquent le « rétablissement de toutes choses » promis dans la nouvelle alliance implique la poursuite de l’unité originelle du genre humain.
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Certes, pour un temps, à Babel, Dieu sépare l’humanité (Gen 11.7-9) et l’alliance mosaïque n’est conclue qu’avec le peuple d’Israël. Mais la bénédiction d’Abraham qui lui est antécédente est pour « toutes les familles de la terre » (Gen 12.3 ; 28.14), et le plan de Dieu pour la nouvelle création est que « toutes les nations » (ethnos) soient faites disciples (Mt 28.18-20). Il n’est pas étonnant, dès lors, que le modèle idéal d’église locale soit pluriethnique et multiculturel.
Jésus rassemble toutes ses brebis en un seul troupeau dont il est le seul berger (Jn 10.16), l’évangile doit être annoncé à tous jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1.8), le mur de séparation a été abattu : juifs et païens adorent un seul Dieu, et forment un seul peuple (Ep 2.14). Tous sont un, comme Dieu est un, tous rassemblés derrière une seule bannière, celle de l’amour (Jean 17.20-14). Ce motif pluriethnique est repris dans l’Apocalypse : le « royaume de sacrificateurs » consacré à Dieu est composé d’hommes « de toute tribu, de toute langue, de tout peuple, et de toute nation » (Ap. 5.10). Ainsi, la rétablissement eschatologique prend tout son sens dans notre présent : si l’église triomphante est pluriethnique, alors nos assemblées locales devraient « déjà » tendre vers cette réalité qui n’est « pas encore ».
Le « modèle monoethnique » s’accorde difficilement avec les données bibliques. S’il existe dans les faits, il ne peut être que transitoire, éphémère. En certains cas, il peut constituer un moindre mal (citons l’exemple des conversions de migrants auxquelles nous assistons en Europe de l’Ouest). Cependant, les Ecritures nous incitent à ne pas transformer ces exceptions en modèles reproductibles. L’église locale devrait être ouverte à tous, et l’évangile devrait toujours constituer un facteur d’intégration.
Non seulement, le modèle monoethnique n’a aucun fondement théologique , mais nous estimons qu’il soulève également d’importants problèmes ecclésiologiques. Nous en citerons trois qui nous paraissent des plus courants.
Quand la culture prend le pas sur l’évangile
C’est le problème le plus répandu et souvent le plus flagrant. Lorsque certains éléments culturels servent de point de référence au rassemblement communautaire, le danger est qu’ils prennent le pas sur les éléments fondamentaux de l’évangile ou sur certaines considérations éthiques centrales.
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Citons en guise d’exemples la polygamie, les pratiques ancestrales comme l’excision ou le culte des ancêtres, ou encore certains éléments de superstition populaire (démonologie exacerbée, astrologie, etc.). Bien plus répandues qu’on ne le pense, ces problématiques ne se limitent pas à des cultures de type animistes : on les retrouve au sein de sociétés monothéistes, et elles tendent à passer d’une génération à l’autre.
Quand l’ethnicité prend le pas sur la membriété
La notion de membre au sein de l’église locale mériterait à elle seule un article, voire une série d’articles. Qu’est-ce qu’un « membre » ? Qu’attend t-on de lui ? Quels critères doivent présider à son inclusion « officielle » dans la communauté ? Là où le Nouveau Testament offre avant tout des critères d’ordre spirituel (la régénération, la participation aux ordonnances du baptême et de la cène, le service et l’engagement au sein du corps, etc.), l’église ethnique aura naturellement tendance à mettre en avant l’appartenance à un peuple.
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Au-delà de l’incohérence théologique déjà notée, les conséquences pratiques sont parfois désastreuses. Nous avons personnellement accompagné une église refusant volontairement d’annoncer certains éléments du « kerygme ». Cette communauté était en effet composée de personnes d’arrière-plan si différents que leurs convictions en matière de salut, de sanctification, et de vie pratique étaient l’objet de conflits incessants. Pour préserver « l’unité nationale », certains sujets, et non des moindres, avaient été tout bonnement bannis de la chaire.
Quand l’inclusivisme est aux abonnés absents
Un autre écueil potentiel du modèle monoethnique : l’accent missionnaire, quand il existe, tend à se focaliser prioritairement sur la communauté d’appartenance. En soi, c’est une bonne chose : une personne à qui l’évangile est annoncé dans sa langue maternelle sera souvent plus réceptive, surtout s’il l’entend dans un pays étranger.
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Le danger du repli sur soi est cependant bien réel, et l’absence d’inclusivisme qui en découle est parfois flagrant.
Dans un certain sens, le modèle ethnique est inévitable. Il est parfaitement compréhensible que des migrants en terre étrangère souhaitent adorer Dieu dans leur « langue du coeur ». Néanmoins, à cause du modèle biblique pleinement multiculturel, et à cause du danger d’une forme de repli identitaire, nous estimons que ce modèle doit être manié avec d’importantes précautions.
Et vous, qu’en pensez-vous ?