Pourquoi Pierre parle-t-il du « baptême qui vous sauve » (1 Pierre 3:21) ?

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Le passage de 1 Pierre 3.18-22 est l’un des grands enjeux du débat entre défenseurs et adversaires de la régénération baptismale. Dans sa lettre, Pierre cherche à encourager des destinataires accablés par diverses épreuves (1 Pi 1.6-9), notamment par une forme de persécution (1 Pi 4.12‑19). Dans 1 Pierre 3.18, l’apôtre apporte un élément essentiel pour exhorter ses lecteurs : Christ lui aussi a souffert, et il a souffert pour les péchés, y compris pour les péchés de personnes [1] ayant été « incrédules au temps de Noé », c’est-à-dire « pendant la construction de l’arche ». Pierre rappelle qu’en ce temps-là, seules huit personnes furent sauvées, et ce « à travers l’eau » (1 Pi 3.20). Pierre connecte ensuite cette allusion au rite du baptême par le moyen d’une formule qui n’est pas sans difficulté :

C’était une figure du baptême qui maintenant vous sauve – baptême qui n’est pas la purification des souillures du corps, mais qui est la requête à Dieu d’une bonne conscience – par la résurrection de Jésus-Christ (1 Pi 3.21, notre traduction).

À la lecture de ce passage, plusieurs questions méritent d’être soulevées : que faut-il entendre par l’expression « sauvés à travers l’eau » au verset 20 ? Pourquoi l’apôtre lie-t-il le déluge au baptême ? En quoi le baptême chrétien sauve-t-il, au verset 21 ? Essayons d’y voir plus clair.

 

« Sauvés à travers l’eau » (1 Pi 3.20)

Les débats sont soutenus au niveau de cette expression du verset 20, les tenants de la régénération baptismale en tirent la condition nécessaire pour interpréter de manière sacramentelle le baptême du verset 21. Plusieurs interprétations différentes ont été suggérées, les plus plausibles étant : « furent mis en sécurité à travers l’eau » ou encore « échappèrent à travers l’eau ». [2]

Dans les deux cas, l’eau constitue une menace et non le moyen d’y échapper ; elle apporte un jugement et non une perspective de salut. Cette compréhension est cohérente avec le récit de Noé et de sa famille échappant au déluge (Ge 7.10-16) : l’arche est bel et bien le moyen de salut, tandis que l’eau est le moyen de jugement. Pierre avait nécessairement cet arrière-plan en tête en établissant une correspondance entre le déluge et le baptême chrétien.

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2) « Le baptême… qui vous sauve » (1 Pi 3.21)

Pourquoi, dans ce cas, l’apôtre établit-il un tel parallèle ? Et en quoi ce baptême sauve-t-il ? Notons tout d’abord que le verset 21 est connecté au verset 20 par le moyen d’une « figure », littéralement un « antitype » (antitypos). Le lien de correspondance entre ces deux versets est de nature typologique : le récit du déluge dans sa totalité ou en partie anticipe une réalité que Pierre affirme désormais accomplie dans le baptême.

Mais vers quel élément du verset 20 ce « baptême qui sauve » renvoie-t-il ? Dès sa première traduction du Nouveau Testament (1880), Louis Segond estime que cet antécédent est l’eau du déluge. [3] La révision de 1910 ainsi que celle menée par la Société biblique de Genève en 1979 (NEG) ne reviendront pas sur ce choix. Cette dernière est la version la plus diffusée dans la francophonie à ce jour, ce qui laisse présager de l’influence populaire de cette interprétation. La révision de La Colombe (Alliance biblique française, 1978), et, plus tard, celle de la Segond 21 (Société biblique de Genève, 2007) « gomment » cette interprétation et matérialisent le lien entre ces deux versets par une locution verbale présentative (« c’était une figure », S21). Au lecteur, alors, de déterminer ce vers quoi le pronom démonstratif renvoie.

D’un point de vue grammatical, le choix de Louis Segond est complètement justifié : le pronom relatif ho peut très bien renvoyer vers l’eau (houdatos), car il s’agit de son antécédent le plus proche dont il partage le genre et le nombre. Cependant, l’exégète doit aussi tenir compte des autres possibilités offertes par le texte ainsi que du contexte immédiat du passage. Puisque l’eau du déluge « condamne » et que le baptême « sauve », établir une connexion directe entre les deux ne paraît pas respecter la logique de l’auteur. Il est tout à fait possible, par ailleurs, que le pronom relatif désigne en réalité l’événement tout entier. Selon cette interprétation, qui nous semble préférable, c’est le salut de Noé et de sa famille qui préfigure typologiquement celui du baptême. [4]

Si quelqu’un souhaite attribuer une vertu purifiante ou salvifique au baptême du verset 21, il doit nécessairement en faire de même avec l’eau du déluge du verset 20, ce qui paraît difficilement défendable. D’ailleurs, Pierre prend bien soin de rappeler que cette immersion dans l’eau « n’est pas la purification des souillures du corps ». Il semble anticiper une possible incompréhension de la part de ses lecteurs et prévenir ainsi de toute conception cathartique du baptême. Paradoxalement, alors qu’il est régulièrement invoqué par les défenseurs de la régénération baptismale, ce passage est l’un de ceux qui la rejettent le plus explicitement.

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Le baptême consiste en « l’engagement d’une bonne conscience devant Dieu » (NEG). Les spécialistes divergent sur la manière dont le terme rendu ici par « engagement » (eperotema) doit être traduit, et pour cause : il s’agit d’un hapax legomenon (un mot qui ne revient qu’une seule fois) du Nouveau Testament. Peu d’exemples d’usages existent dans la littérature extrabiblique. Grudem choisit de rendre ce mot par « requête » (appeal) dans la traduction anglaise English Standard Version(ESV). Il défend solidement son approche dans son commentaire sur 1 Pierre, montrant notamment que l’un des verbes dérivés de eperotema est utilisé dans Matthieu 16.1 avec le sens de « requérir ». [5] Si cette traduction est exacte, ce qui nous paraît être le cas, il faut alors comprendre cette phrase comme « l’appel à Dieu pour une bonne conscience », c’est-à-dire une requête s’élevant vers Dieu dans le but d’obtenir le pardon des péchés. N’est-ce pas là ce qu’est la profession de foi, celle-là même que nous pensons être la conséquence de l’union mystique d’un individu à Dieu « par la résurrection de Jésus-Christ » ?

Dans ce passage, la référence au baptême d’eau fonctionne comme une synecdoque, une figure de style qui accorde à un mot un sens tantôt plus large, tantôt plus restreint, au travers d’une relation d’inclusion. Ici, Pierre utilise le signe (le baptême) pour désigner ce qui est signifié (la régénération). En conséquence, nous pensons que Grudem est juste lorsqu’il paraphrase le verset 21 de la sorte : « Le baptême vous sauve maintenant. Non pas la cérémonie extérieure du baptême, mais la réalité spirituelle intérieure que le baptême représente [6] ». La requête faite à Dieu pour l’obtention d’une conscience pure souligne le rôle joué par la foi personnelle dans le salut d’un individu. C’est elle que le baptême vient sceller, sans que l’eau y apporte la moindre efficacité causale.

Ce que nous avons établi plus haut se vérifie donc également ici : le baptême constitue un élément clé de la profession de foi, l’un des premiers actes d’obéissance de la vie chrétienne.Pour Pierre comme pour les autres auteurs du Nouveau Testament, il paraît inconcevable qu’un individu animé d’une foi authentique refuse ou retarde son baptême d’eau.

 

 

 

Notes et références

[1] L’une des difficultés exégétiques de ce passage réside dans l’expression « esprits en prison » (pneumasin en phylakē). Nous sommes d’accord avec Grudem qui la comprend comme « des esprits [d’autrefois] qui sont maintenant en prison ». Il s’agit d’une référence aux personnes incrédules à la prédication de Noé. Voir Wayne A. Grudem,1 Peter: An Introduction and Commentary, Tyndale New Testament Commentaries, Downers Grove, InterVarsity Press, 1988, p. 166.

[2] Voir le développement de J. Ramsey Michaels, 1 Peter, Word Biblical Commentary, Dallas, Word Incorporated, 1998, p. 213. La traduction « furent sauvée par l’eau » (TOB) ne nous paraît pas justifiée.

[3] Sa traduction est la suivante : « Cette eau, dont l’image correspondante est le baptême […] vous sauve aussi maintenant par la résurrection de Jésus-Christ » (LSG, 1880).

[4] On notera au passage que le thème du salut est directement mentionné par une forme verbale dans les deux versets (diasōzō, sōzō) tandis que celui de l’eau n’est qu’implicite au verset 21.

[5] Grudem, 1 Peter: An Introduction and Commentaryop. cit., p. 171.

[6] Ibid., p. 172.

 

 

 

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