La doctrine de l’union avec Christ dans l’Ancien Testament

L’union avec Christ est un enseignement central du Nouveau Testament, qui constitue la clé de voute biblique de la compréhension du salut de l’homme au sein de l’histoire de la Rédemption, de sorte que le salut ne pourra jamais être compris hors de Christ lui-même. Il convient donc de se poser la question de l’originalité de cet enseignement vis-à-vis de l’Ancien Testament. Cet enseignement n’était sûrement pas une doctrine énoncée de novo par Paul vis-à-vis de la tradition évangélique johannique qui lui était contemporaine [1]. Calvin faisait justement remarquer la nécessité d’une vraie communion avec son Créateur pour que l’homme puisse demeurer et croitre dans la vie. Cette union vitale entre le créateur et sa créature, où la créature est dépendante de son Créateur, établit clairement un fondement anthropologique des paroles du Christ lorsqu’il disait qu’il était la vie[2].

En proclamant qu’il était lui-même la vie, ou encore celui qui donnerait une eau vive[3], le Christ établissait clairement son rôle eschatologique unique pour le nouvel aeon de l’humanité et dont le principe reposait sur la dépendance vitale de la créature vis-à-vis de son Créateur. Ceci se retrouve dans la manière dont Dieu se décrivait au travers de la bouche de Jérémie face à l’idolâtrie de Son peuple : « Car mon peuple a doublement mal agi : Ils m’ont abandonné, moi, la source d’eau vive, pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, qui ne retiennent pas l’eau »[4].

Pour aborder cet enracinement vétérotestamentaire, nous allons nous attarder succinctement sur trois thématiques particulières :

  • La position de Chef fédéral d’Adam.
  • Le peuple de Dieu en tant qu’épouse.
  • Le temple : lieu d’habitation de Dieu.

 

 

1- La position de Chef fédéral d’Adam

En Romains 5:12–21, Paul dévoile avec finesse et profondeur un parallélisme typologique[5]entre Adam et Jésus-Christ, soulignant que tous deux sont à la tête d’une communauté, et celle-ci est au bénéfice de ce qu’a accompli celui auquel elle est rattachée. La tradition réformée a souligné à juste titre la qualité de tête fédérale de chacun de ces deux personnages pour leur descendance réciproque : la première provenant d’une génération naturelle (l’humanité), la seconde par une régénération spirituelle en accord avec le choix souverain de Dieu (le peuple de Dieu). Ainsi, lorsqu’Adam pécha, sa faute et sa culpabilité furent imputés à l’ensemble de sa descendance[6] ; et lorsque Jésus vécut une vie parfaite dont l’apogée fut le don de sa vie à la croix pour les péchés de son peuple, son obéissance et sa justice furent imputés à sa descendance, son peuple, afin qu’il soit justifié et qu’il règne dans la vie par Lui-seul[7].

Paul présuppose donc que le lien organique qui lie Adam à sa descendance possède un parallèle eschatologique dans celui qui lie le Christ avec son peuple. Un lien qui s’enracine dans un choix de Dieu[8] (c’est Lui qui choisit, prédestine en Jésus-Christ ceux qui seront effectivement son peuple, ainsi ceux pour qui le Christ mourra à la croix) et se manifeste par la foi grâce au Saint-Esprit dans la vie du croyant. Adam et sa qualité de chef de l’humanité est un fondement créationnel anthropologique sur lequel Paul s’appuie pour expliquer la qualité de Chef de Jésus-Christ, le second Adam, et ainsi mettre en lumière le lien néo-adamique, de type fédératif, qui lie le Christ à Son peuple.

En plus de cela, il convient aussi de souligner que la donnée anthropologique de l’imago dei qui qualifie et spécifie la nature et la posture de l’homme au sein de l’ordre créationnel, est aussi une donnée anthropologique vétérotestamentaire qui qualifie et fonde le lien qui lie Christ à son église. En effet, être créé « à l’image de Dieu » est le distinctif de la créature humaine qui le différencie d’avec le reste de la création et qui établit une correspondance avec Dieu, son Créateur. Cette correspondance, ce lien, possède entre autres des implications téléologique[9], épistémologique[10], économique[11].

Le lien qui unit le Christ à son peuple possède ces mêmes caractéristiques dans leur phase eschatologique : l’union avec Christ porte à sa manifestation eschatologique les caractéristiques créationelles du lien imago dei qui existaient entre Dieu et Adam. Lorsqu’Adam a péché, ces caractéristiques n’ont pas été détruites, car l’homme reste créé à l’image de Dieu[12]. Mais c’est dorénavant une image confuse, distordue. L’homme possède toujours les capacités anthropologiques suffisantes pour reconnaitre Dieu dans sa Création[13], mais il préfère adorer la créature plutôt que le Créateur.

Ainsi, la qualité « fédérative » d’Adam que nous retrouvons en Christ et le fait que l’union à Christ est ce qui porte à son accomplissement les caractéristiques créationelles de l’imago dei, soulignent que l’union à Christ ne peut être vue comme une « nouvelle chose » mais comme « l’aboutissement » des ombres primordiales.

 

 

2- Le peuple de Dieu en tant qu’épouse

En Ephésiens 5:22–33, Paul compare la communion qu’il existe entre l’homme et la femme au sein du couple à celle qu’il existe entre Christ et l’Eglise. Il réutilise cette analogie en Romains 7:1–4. Cette analogie est extrêmement forte, car elle souligne un aspect allianciel profond qui unit Christ à l’Eglise, Christ au croyant. Cette analogie s’ancre profondément dans une analogie prophétique vétérotestamentaire dans laquelle Dieu comparait Son peuple, Israël, à son épouse. Il l’a sauvée en la délivrant de la tyrannie de l’Egypte[14]. Mais alors que Dieu l’accompagnait et la soutenait dans son exode[15] et qu’Il s’était uni Lui-même à elle par une alliance au pied du mont Sinaï[16], elle va s’éloigner de Lui en tombant dans l’adultère spirituel et l’idolâtrie[17]. Cette idolâtrie fut malheureusement une constante dans l’histoire du peuple d’Israël. Les prophètes Osée et Jérémie nous donnent une description très dramatique de ceci :

« A cause des jours où elle encensait les Baals, où elle se parait de ses anneaux et de ses colliers. Elle suivait ses amants, et moi, elle m’a oublié » (Osée 2:15)

« Lève tes yeux vers les crêtes, et regarde ! Où ne t’es-tu pas livrée toi-même ? Tu étais assise pour eux sur les chemins, comme l’Arabe dans le désert, et tu as souillé le pays par tes prostitutions et par ton inconduite. » (Jer 3:2)[18]

 

Mais Dieu ne s’arrête pas à ce constat d’échec qui aurait signifié l’inévitable condamnation de tout le peuple. Il la reprendra à ses côtés si cette dernière s’éloigne de ses prostitutions (Ez 43:7–9, Osée 14:1–4). Et en plus que de lui offrir une seconde chance, il associe une promesse de rétablissement qu’un reste expérimentera. Cette promesse de rétablissement annonce clairement une communion rétablie entre Dieu et son épouse, lorsqu’il ramènera son peuple à Sion[19], qu’il la lavera de ses iniquités et qu’elle sera définitivement à Lui :

« Je guérirai leur inconstance, J’aurai pour eux un amour généreux, Car ma colère s’est détournée d’eux. Je serai comme la rosée pour Israël, Il fleurira comme le lis, Il s’enracinera comme le Liban. » (Osée 14:5–6)

 

Cette relation rétablie tire sa source dans un événement eschatologique au sein duquel Dieu transformera l’inconstance de Son peuple en une piété fervente et joyeuse. Cela sera possible car il aura inscrit Ses lois dans leur cœur de chair, il aura mis Son Esprit dans leur cœur (Jer 31:31–34, Eze 36:25–38). Cette dynamique conjugale vétérotestamentaire est très certainement le fondement de l’analogie conjugale utilisée dans le Nouveau Testament pour parler de l’union du Christ avec l’Eglise[20], ce reste qui est la descendance d’Abraham, car elle a reçu l’Esprit de la promesse et marche ainsi dans la foi d’Abraham[21].

Cette analogie nous permet de saisir que la relation qui unit le croyant au Christ est une alliance au sein de laquelle nous sommes aimés et nous avons été rachetés et délivrés de notre adultère spirituel. Et Paul pousse encore plus loin l’analogie conjugale, car il va citer Gen 2:24 en Eph 5:31[22] pour la décrire. Paul dépasse la thématique d’être le corps dont Christ est la tête et dont il s’occupe (Eph 5:23 & 30), il va en effet souligner une unité organique qui lie les deux, dépassant ainsi une simple notion économique. L’usage de cette citation de la genèse (qui se trouve dans le contexte de la création) est certainement dû au fait que Paul a voulu unir deux réalités importantes de l’union avec Christ : la dimension néo-créationelle (la nouvelle humanité) de l’église qui tire sa source dans la vie même du Christ ressuscité, et la dimension d’union intime qui lie deux entités en un seul corps[23] (évitant ainsi toute notion de fusion ou mixité[24]).

 

 

3- Le Temple : Lieu d’habitation de Dieu [25]

Une des thématiques des plus passionnantes et des plus encourageantes en Théologie Biblique est le désir et la volonté persévérante de Dieu de vouloir habiter au milieu de son peuple. En effet, dès la Genèse, on ne peut qu’être ému lorsque nous considérons le fait que Dieu marchait dans le Jardin[26] et avait une communion personnelle avec Adam et Eve. Puis, alors que le péché et la mort sont entrés dans le monde, Dieu fait à Abraham la promesse d’une descendance nombreuse[27]. Il lui assure ainsi l’accomplissement eschatologique du mandat créationnel donné à Adam et cristallise la promesse de Salut pour l’humanité donnée en Eden au sein d’une parole de jugement où le diable fut condamné[28]. Dieu lui promet qu’il sera le Dieu de cette descendance : « Je serai Leur Dieu »[29]. Dieu manifeste ainsi un amour persistant pour son peuple qui ne peut que nous pousser à l’adoration.

Et lorsque Dieu sauva son peuple de l’Egypte, il voulut effectivement habiter au milieu d’eux, et pour cela il confia à Moïse la tâche de construire un tabernacle, une tente. Le don de tout le système cultuel que Dieu transmis à Moïse était entre autre un témoignage de la Sainteté de Dieu et de la condamnation à mort qui était attaché au péché de son peuple. Cependant ni le tabernacle, ni le temple, ni son système cultuel auquel il était rattaché n’étaient une fin en soi[30] ; tout cela était une ombre d’une réalité à venir, à savoir Jésus-Christ lui-même. Jean déclare que Jésus, le Logos éternel tabernacla, posa sa tente (ἐσκήνωσεν ἐν ἡμῖν (Jn 1:14)) parmi nous, il y a 2000 ans, sur les terres de Palestine, et ses contemporains ont pu voir Sa gloire, pleine de grâce et de vérité. Jésus est celui qui est le vrai temple, il est Emmanuel, Dieu parmi nous ; celui qui allait offrir le temple[31] de son corps en rançon pour beaucoup[32]. Dieu accomplit la promesse faite à Abraham en Jésus-Christ.

Et c’est parce qu’il est le vrai temple, que tous ceux qui sont unis à Lui[33] sont le temple de Dieu[34], là où le Saint-Esprit réside. La métaphore du temple[35] est aussi très proche de celle du corps. Cette métaphore possède donc un enracinement vétérotestamentaire claire en ce qu’elle décrit la réalité sotériologique, pneumatologique et eschatologique de l’union avec Christ en tant qu’accomplissement du projet de Dieu de demeurer au milieu de son peuple, ainsi que de mettre son Esprit dans les cœurs des hommes et des femmes qui le constituent. L’union avec Christ (en tant que lien, communion personnelle, participation et incorporation) est ce qui constitue la réalité qu’annonçait l’ombre du tabernacle et du temple.

 

 

 

 

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Notes et références :

[1] Voir les articles de la série parus sur mon ancien site, Evangelion116

[2] Jean 14 :6.

[3] Jean 4 :10–11, Jean 7 :38.

[4] Jer 17 :13.

[5] « Ἀδὰμ ὅς ἐστιν τύπος τοῦ μέλλοντος » (Rom5 :14b).

[6] Rom 5 :12, 15–19.

[7] Ibid.

[8] Eph 1 :4–5.

[9] Mandat créationnel donné à l’homme de veiller sur la création, se multiplier et croitre pour qu’ainsi la gloire de Dieu puisse s’étendre sur toute la surface de la planète terre (Voir G.K. Beale, The Temple and the Church’s Mission, Apollos & IVP Press (2004), p. 81–93 ; G.K. Beale, A New Testament Biblical Theology, Baker (2011), p.29–46,88).

[10] Capacité donnée à l’homme de connaitre Dieu et de communiquer avec Lui au sein d’une relation personnelle (Ronald H. Nash, The Word of God and the Mind of Man, Zondervan (1982), p.68–69, 80–84, 99–101) .

[11] Autorité de l’homme sur la création en tant que vice-régent (G.K. Beale, A New Testament Biblical Theology, Baker (2011), p.29–46,88).

[12] Gen 9 :6 ; Jc 3 :9.

[13] Rom 1 :18ss.

[14] Exode 13–15.

[15] « Ainsi parle l’Eternel: Je me souviens de ton amour lorsque tu étais jeune, De ton affection lorsque tu étais fiancée, Quand tu me suivais au désert, Dans une terre inculte » (Jer 2 :2).

[16] Exode 19–20.

[17] Exode 32.

[18] Voir aussi Ez 6 :9, Jer 13 :25–27.

[19] Esaïe 2 et Michée 2.

[20] Analogie d’ailleurs reprise par Jean le baptiste : « Jean répondit : Un homme ne peut recevoir que ce qui lui a été donné du ciel. Vous-mêmes m’êtes témoins que j’ai dit : Moi, je ne suis pas le Christ, mais j’ai été envoyé devant lui. Celui qui a l’épouse, c’est l’époux ; mais l’ami de l’époux qui se tient là et qui l’entend, éprouve une grande joie à cause de la voix de l’époux ; aussi cette joie qui est la mienne est complète. » (Jn 3 :27–29).

[21] Gal 3 :13–14, 16 –31, 4 :22–31.

[22] Cf. 1 Cor 6 :16.

[23] G.K. Beale & D.A. Carson, The New Testament Use of the Old Testament, Appolos (2009), p.828.

[24] Constantin R. Campbell, Paul and Union with Christ, Zondervan (2012), p.298–310.

[25] Cf. G.K. Beale, The Temple and the Church’s Mission, Apollos & IVP Press (2004).

[26] Gen 3 :8.

[27] Gen 12 :1–3, 15 :4–6 , 17 :1–8.

[28] Gen 3 :15.

[29] Gen 17 :1–8.

[30] Heb 7 & 10.

[31] Jn 2 :18–22.

[32] Mc 10 :45.

[33] Eph 2 :21–22.

[34] 1 Cor 3 :16–17,6 :19. Ceci autant individuellement que de façon communautaire : les deux aspects se doivent d’être toujours préservés ensemble.

[35] Constantin R. Campbell, Paul and Union with Christ, Zondervan (2012), p.289–297

 

 

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