Théisme…vous avez dit théisme ?

La tâche de la théologie systématique est une tâche à la fois essentielle et difficile. Elle a principalement pour but d’exprimer avec cohérence les doctrines qui sont présentes dans la Bible.

Une telle démarche est avant tout exégétique. C’est-à-dire, que le systématicien (et nous sommes tous des théologiens et des systématiciens), se fondant sur la Parole de Dieu alors inerrante et cohérente, va articuler avec ses mots les divers enseignements bibliques (doctrine de l’homme, doctrine du salut…). Ceci, il le fera en ne perdant jamais de vue que son devoir est d’affirmer ce que Dieu affirme et de rester silencieux lorsqu’il demeure silencieux (Deut 29.29). Le théologien plie le genou devant la Bible, et non le contraire. De plus, il fera cela avec le langage de son temps.

Il a été récemment écrit un court article contre le “théisme calviniste”.  Je me permets de faire une réponse à cet article qui malheureusement représente de façon confuse la position réformée calviniste.

Mon désir est ici de souligner l’importance de posséder avant tout un théisme “biblique” (fruit d’un travail exégétique) et de ne jamais perdre de vue que nous sommes appelés à être constamment instruits et réformés par la Parole.

Il est impératif qu’en tant que chrétiens nous possédions une vision biblique de Dieu et de ses attributs. Notre compréhension, dans cet effort de systématisation, ne sera jamais exhaustive. Néanmoins, avec l’aide du Seigneur, elle sera vraie. Ceci implique donc nécessairement qu’il y aura certaines fois où nous devrons humblement avouer que nous ne comprenons pas totalement (d’autant plus que notre intelligence est limitée et “handicapée” à cause de l’effet noétique du péché), et que nous devrons préserver certaines tensions entre plusieurs doctrines, tensions pour lesquelles la Bible ne nous donne pas de solution immédiate.

Pour défendre la position calviniste, qui à mon sens est la plus juste articulation des vérités bibliques au niveau de la doctrine de Dieu et du salut, je ferais régulièrement allusion à la confession de Westminster.

 

Athènes ou Jérusalem ?

Tout d’abord, il est intéressant de noter que l’auteur commence sa présentation en parlant du théisme dit “traditionnel”.  Ce faisant, l’auteur définit ce dernier comme une “ synthèse de la métaphysique grecque et de la pensée biblique. En son sens large, le théisme traditionnel se comprend comme la pensée chrétienne sur Dieu transposée dans les catégories philosophiques grecques concernant la notion de Dieu.”

Ceci constitue plutôt une affirmation surprenante, d’autant plus qu’aucune démarche n’est faite de la part de l’auteur pour appuyer son affirmation.

Le théisme peut être défini de façon large comme toute croyance ou doctrine qui affirme l’existence d’un Dieu et son influence dans l’univers, tant dans sa création que dans son fonctionnement.

Comment devons-nous alors comprendre la notion de théisme “traditionnel” ?

L’auteur parle certainement du théisme commun aux traditions évangéliques (d’où le fait qu’il soit aussi nommé “classique” dans la suite de l’argumentaire).

L’exemple utilisé pour appuyer son accusation me parait bien mince. En effet, le fait de dire qu’une telle  “contamination ” est visible à cause  de la manière dont est comprise la notion de perfection dans le théisme classique me paraît vraiment léger. Le terme “τέλειός” en Matt 5.48 peut être effectivement traduit en français par “parfait”. Mais ceci dans le contexte biblique de l’idée de l’accomplissement (atteindre le but fixé, “τέλός”)  ou de la satisfaction à la demande d’un certain standard ou d’une certaine mesure (BDAG : 995). Leon Morris souligne avec justesse dans son commentaire que Christ demande à ses disciples d’être “parfaits” dans le sens où leurs normes et standards doivent être les plus hauts possibles. Comme le souligne Wayne Grudem (un baptiste calviniste), ce verset “nous montre simplement que la pureté morale et absolue de Dieu est la norme vers laquelle nous devons tendre.” (Théologie Systématique, p.827). Cette norme éthique s’ancre avant tout dans la perfection éthique de Dieu, dans sa glorieuse sainteté.

Ainsi, dire que la compréhension du terme biblique “τέλειός” aurait été compromise dans le théisme traditionnel par l’intégration des catégories philosophiques grecques est vraiment illégitime. Je crains que l’auteur n’ait fait deux erreurs : (1) faire un transfert illégitime de sens en prenant comme fondement épistémologique la langue cible et une philosophie étrangère à la bible et (2) ne pas chercher à comprendre le terme dans son contexte littéraire direct (Matthieu 5) et la manière dont il a été effectivement compris par les exégètes calvinistes.

 

Perfection de Dieu

Les notions d’immutabilité et d’intemporalité sont des manières d’exprimer l’aséité (ou l’indépendance) et la transcendance de Dieu vis-à-vis de l’univers qu’il a créé. Ce n’est pas de la philosophie grecque, c’est une simple vérité biblique (Actes 17.24-25).

Il aurait été préférable que l’auteur fasse usage de plus d’esprit critique quant à ses présupposés sur ce qu’il croit être le théisme calviniste.

Voici par exemple comment la confession de Westminster l’exprime doctrinalement :

Il n’est qu’un seul (Dt 6.4; 1 Co 8.4,6), vivant et vrai Dieu (1 Th 1.9; Jr 10.10), infini en son être et en sa perfection (Jb 11.7-9; 26.14), très pur esprit (Jn 4.24), invisible (1 Tm 1.17), incorporel, indivisible (Dt 4.15,16; Jn 4.24; Lc 24.39), impassible (Ac 14.11,15), immuable (Jc 1.17; Ml 3.6), immense (1 R 8.27; Jr 23.23,24), éternel (Ps 90.2; 1 Tm 1.17), incompréhensible (Ps 145.3), tout-puissant (Gn 17.1; Ap 4.8), très sage (Rm 16.27), très saint (Es 6.3; Ap 4.8), très libre (Ps 115.3), absolu (Ex 3.14). Il fait concourir toutes choses au conseil de sa propre volonté immuable et juste (Ep 1.11), pour sa propre gloire (Pr 16.4; Rm 11.36). Il est amour (1 Jn 4.8,16), grâce, miséricorde et patience. Il abonde en bonté et en vérité. Il pardonne l’iniquité, la transgression et le péché (Ex 34.6,7). Il récompense ceux qui le cherchent assidûment (Hé 11.6). Il est aussi très juste et terrible en ses jugements (Né 9.32,33). Il hait le péché (Ps 5.5,6), et n’innocente d’aucune manière le coupable (Né 1.2,3; Ex 34.7).

Ensuite concernant l’immutabilité des décrets de Dieu, il est vraiment dommage que l’auteur introduise une opposition entre l’amour de Dieu et son immutabilité. L’un n’empêche pas l’autre et la Bible fait cohabiter les deux doctrines ensemble sans aucune contradiction. Une fois encore, Wayne Grudem exprime droitement la pensée biblique sur ce sujet (Ps 102.26-28, Jc 1.17) :

“Dieu est immuable dans son être, ses perfections, ses desseins et ses promesses, cependant Dieu agit et éprouve des émotions, et il agit et s’émeut différemment en réponse à différentes situations.” (TS :159)

Le fait d’être immuable ne signifie pas  d’être “statique”. Ce sont deux choses différentes. Dieu est un être à la fois personnel et transcendant, et sa transcendance ne contredit pas les caractéristiques personnelles qui le caractérisent et qui s’expriment au sein de notre histoire. L’auteur créé une opposition entre deux choses qui ne se contredisent pas dans les saintes écritures.

Voici ce que dit la confession de Westminster sur les décrets divins :

1. De toute éternité et selon le très sage et saint conseil de sa propre volonté, Dieu a librement et immuablement ordonné tout ce qui arrive (Ep 1.11; Rm 11.33; Hé 6.17; Rm 9.15,18); de telle manière, cependant, que Dieu n’est pas l’auteur du péché (Jc 1.13,17; 1 Jn 1.5), qu’il ne fait pas violence à la volonté des créatures, et que leur liberté ou la contingence des causes secondes sont bien plutôt établies qu’exclues (Ac 2.23; Mt 17.12; Ac 4.27,28; Jn 19.11; Pr 16.33).

2. Bien qu’il sache tout ce qui peut ou doit arriver (Ac 15.18; 1 S 23.11,12; Mt 11.21,23), Dieu cependant n’a pas décrété telle chose parce qu’il la prévoyait comme future ou parce qu’elle devait arriver étant données les conditions préalables (Rm 9.11,13,16,18).

Une telle description est avant tout biblique. Si une critique doit être faite sur cette déclaration, elle devra être nécessairement faite par le biais de l’usage de l’exégèse et non d’une projection de présupposés philosophiques (voir aussi cet article ).

 

Humanité et surhumanité ?

Ensuite l’auteur fait une caricature totalement fausse de l’anthropologie calvinienne. En effet, le calvinisme ne comprend pas Adam comme un “humain dans un état maximal de son être”. Ceci est une erreur. Revenons à la Confession de Westminster pour l’utiliser une fois de plus comme témoin appelé à la barre dans le procès du calvinisme fait par le mouvement évolutionniste :

Après avoir fait toutes les autres créatures, Dieu créa l’être humain à son image (Gn 1.26; Col 3.10; Ep 4.24). Il créa un homme et une femme (Gn 1.27), ayant une âme raisonnable et immortelle (Gn 2.7 avec Ec 12.7 et Lc 23.43 et Mt 10.28), revêtus de connaissance, de justice et de vraie sainteté. La Loi de Dieu était inscrite dans leur coeur (Rm 2.14,15) et ils avaient le pouvoir de l’accomplir (Ec 7.29). Cependant, laissés à la liberté de leur propre volonté qui était capable de changement, ils avaient la possibilité de transgresser la Loi (Gn 3.6; Ec 7.29). En plus de cette Loi inscrite dans leur coeur, ils reçurent le commandement de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal (Gn 2.17; 3.8-11,23). Aussi longtemps qu’ils le gardèrent, ils furent heureux dans leur communion avec Dieu et ils dominèrent sur les autres créatures (Gn 1.26,28).

Il n’est pas question de “surhumanité”, mais plutôt d’une “humanité originelle”.

Notons tout d’abord que la notion d’immortalité ne doit pas être comprise comme un état de complétude définitif qui serait inné chez l’homme (alors compris dans une certaine autonomie). Mais nous devons la comprendre comme opposée à la notion de mortalité telle que nous la connaissons aujourd’hui (Rom 5 :12). G. Vos en parle avec clarté en soulignant que le “principe de mort” tel qu’il est à l’œuvre aujourd’hui en nous était inconnu d’Adam dans son expérience (Biblical Theology, p.38-40). Effectivement, les notions d’immortalité et d’indestructibilité ne sont pas équivalentes, et cette différence doit être intégrée lorsque nous lisons les textes de la Genèse. Adam n’était ni indestructible ni immortel dans le sens où, en sa propre nature d’homme, il aurait possédé de façon autonome la capacité d’être “immortel”. Mais il était “immortel” dans le sens où le “principe de mort” tel que nous l’expérimentons aujourd’hui lui était alors inconnu. C’est ce que déclarent à la fois Genèse 2 et 3, Romains 5 et 1 Corinthiens 15.

Cette “humanité originelle” était donc nécessairement différente que celle que nous expérimentons aujourd’hui. Il était un être dépendant et limité comme nous, mais le péché (en tant que principe (Rom 6.12)) ne régnait ni sur son corps, ni sur son intellect.

Ceci n’est pas de la philosophie grecque, mais une simple conclusion exégétique. Autant la Genèse que la compréhension Paulinienne ultérieure (Rom 5 :12-21) le confirment clairement.

Pour reprendre les termes utilisés par l’auteur, la Bible ne décrit donc pas Adam et Eve comme des êtres humains ayant atteint le maximum de leur potentiel. Paul, une fois de plus, en parle clairement en 1 Corinthiens 15 en comparant le premier et le second Adam. Adam ne devait pas rester dans l’état dans lequel il était, mais Dieu avait prévu pour lui un état eschatologique (final et complet). Comme le dit souvent R. Gaffin, la Genèse nous offre une protologie qui annonce nécessairement une eschatologie. L’anthropologie calvinienne l’avait très bien assimilé, et la simple considération de la doctrine de l’alliance, et en particulier de l’alliance des œuvres, en est une démonstration biblique écrasante.

En effet, dès la Genèse, Dieu s’est toujours dépeint comme la seule source de Salut et de vie pour l’homme. Le statut de l’homme prélapsaire (avant la chute) témoignait que la vie se trouvait en Dieu (création et arbre de vie). Le commandement (ordre de ne pas manger de l’arbre de la connaissance du bien et du mal) “cultivait la pietas et l’assurance de son adoption ” [1]. La chute révèle, par la condamnation expérimentée par l’homme, que la vie résidait en Dieu seul, dans la communion à Lui seul. Après la chute, la Loi révèle “l’impietas et la légitimité de la condamnation de l’homme” [2]. Il se dégageait nettement de tout cela un horizon eschatologique qui soulignait donc que le salut et la joie de l’homme étaient exclusivement présents au sein d’une réelle et profonde communion avec son Créateur. L’incarnation du Fils représenta alors, au sein de l’histoire de l’humanité, le point temporel où Dieu accomplit le fondement de cette nécessaire communion pour le Salut de Son peuple, et cela en l’union de Son Fils éternel à la nature humaine. C’est pour cela que Paul le nomme à juste titre “le second Adam”. Cette union hypostatique sans confusion est l’événement sotériologique historique au sein duquel la nature humaine a été unie à celle de Dieu en la personne unique du Christ. Cette union fut l’expression d’un plan éternel de Dieu et non d’un plan de secours qui aurait été conçu à postériori [3], pour accomplir le salut de son peuple en Christ [4]. Cette union n’est pas universaliste, au sens où elle accomplit le salut de l’humanité entière; mais elle est universelle, dans le sens où elle s’adresse à des êtres humains sans aucune distinction de race, de langue…. . Jésus-Christ, le second Adam, est celui en qui Dieu a accompli la réconciliation de l’humanité adamique pécheresse (issu du premier Adam) avec Lui-même [5].

Ensuite, le fait que la maladie et la mort soient absents de cette période primordiale ne nous oblige en aucun cas de comprendre cette période de l’histoire comme une période où la création vivait au maximum de ses possibilités. L’argument de l’auteur qui relirait les notions d’ “état maximum” et “d’absence de déficiences” est un argument non sequitur (un argument qui ne découle pas de façon logique des prémisses) : une “absence de déficience” n’implique pas nécessairement un “état maximum”.

La tradition réformée calviniste comprend donc l’homme comme une unité. C’est bien une âme vivante pour reprendre l’expression de la Genèse. La “chute” est un événement historique, il décrit la désobéissance d’Adam et Eve vis-à-vis du juste et bon commandement donné par Dieu en Eden. Elle décrit un acte éthique avec des conséquences pénales et anthropologiques. La tradition réformée ne prétend pas répondre à toute les questions pour lesquelles la Bible ne donne pas de réponse, mais désire simplement confesser avec respect ce que la Parole de Dieu affirme. Une fois encore, voici ce que la confession de Westminster déclare :

1. Nos premiers parents, séduits par l’astuce de Satan et ayant succombé à la tentation, ont péché en mangeant le fruit défendu (Gn 3.13; 2 Co 11.3). Il a plu à Dieu, selon son conseil sage et saint, de le permettre: il l’avait inclus dans son dessein pour manifester sa propre gloire (Rm 11.32).

2. Par ce péché, ils ont perdu leur justice originelle et leur communion avec Dieu (Gn 3.6-8; Ec 7.29; Rm 3.23), ils sont devenus morts dans le péché (Gn 2.17; Ep 2.1) et entièrement souillés dans toutes les parties et facultés de leur corps et de leur âme (Tt 1.15; Gn 6.5; Jr 17.9; Rm 3.10-18).

3. Comme ils étaient la souche du genre humain, la culpabilité de ce péché lui a été imputée (Gn 1.27,28 et 2.16,17 et Ac 17.26 avec Rm 5.12, 15-19 et 1 Co 15.21,22,49), et la même mort dans le péché et leur nature corrompue ont été transmises à toute la postérité descendant d’eux par génération normale (Ps 51.5; Gn 5.3; Jb 14.4; 15.14).

4. De cette corruption originelle par laquelle nous sommes complètement déréglés, incapables et ennemis de tout bien (Rm 5.6; 8.7; 7.18; Col 1.21) et totalement portés à tout mal (Gn 6.5; 8.21; Rm 3.10-12), procèdent toutes les transgressions présentes (Jc 1.14,15; Ep 2.2,3; Mt 15.19).

Bien que l’auteur assure le contraire, il n’y a aucune raison exégétique pour laquelle nous devrions rejeter l’affirmation biblique sur l’entrée du péché et de la mort dans le monde.

Ainsi, ni la Bible, ni la position calviniste ne comprennent la position d’Adam comme “statique”.

Enfin, la doctrine du péché originel n’est pas un virus “hellénique” qui s’est caché dans la tradition chrétienne. Bien que cette option soit attrayante et bien en harmonie avec la vague de psychologie positive actuelle qui comprend l’homme comme “un être bon en devenir”, la réalité de la dépravation radicale postlapsaire (après la chute) du cœur de l’homme est biblique. Elle n’est pas une conséquence d’une lecture néo-platonicienne de la Genèse. C’est encore une nouvelle forme d’eiségése de la part de l’auteur de l’article.

Tout d’abord, comme le souligne Robert Cartarini, Plotin (le père du néoplatonisme) avait certes érigé un système philosophique religieux, mais ce dernier n’avait aucun rapport avec le Dieu biblique trinitaire, transcendant et personnel qui créa l’univers :

Il est incontestable que le plotinisme est une philosophie religieuse ; mais la religion de Plotin est sans Dieu, sans piété. Le sage accomplit son salut seul à seul, sans l’intermédiaire d’une divinité qui l’appelle. S’il en est ainsi, c’est qu’il y a identité profonde entre l’âme individuelle et Dieu (l’Un) ; c’est ce que Plotin condensait en une formule célèbre, sur son lit de mort : “Je m’efforce de ramener le divin qui est en moi au divin qui est dans l’univers.” (Initiation à la Philosophie, p.198)

 

Ainsi, le néoplatonisme de Plotin “retient surtout de la lecture de Platon l’idée de l’absolue transcendance du bien. A l’instar de Platon, Plotin conçoit la philosophie comme une progressions de l’âme vers ce principe premier ”.

Seulement :

“Il existe entre le néoplatonisme et le christianisme une différence importante : pour le premier, la contemplation directe et intime avec Dieu est possible, alors qu’elle ne l’est pas pour le second, pour lequel Dieu doit se révéler à l’homme.” (La Philosophie de A à Z)

Il est donc évident que la vision neoplatonique de l’homme et de son salut soit bien à l’opposé de la sotériologie et anthropologie calviniste. Calvin et ses successeurs n’ont jamais décrit le salut comme un processus d’élévation fondé sur un amour  purement contemplatif, un processus qui procéderait par degrés successifs pour atteindre une finalité ineffable.

Dans la doctrine réformée, Dieu est un être trine personnel et transcendant. La relation qu’il a instauré en Eden avec l’humanité (alliance de création, alliance des œuvres), son altérité infranchissable d’avec sa création, sa bénévolence et sa condescendance nécessaire envers l’humanité qui est manifestée dans sa révélation personnelle envers celle-ci (naturelle et inscripturée), et enfin son plan de rédemption accompli en Jésus-Christ au sein de la nouvelle alliance (fondement de l’eschatologie) sont (entre autres) autant de fondements du “théisme calviniste” qui excluent toute alliance avec Platon ou le neoplatonisme. Le salut n’est pas une progression, c’est une résurrection dans l’union au Christ par la foi.

 

Cadre culturel VS syncretisme philosophique

Certes, il est possible de dire que certains théologiens, plus que d’autres, aient été influencés par des philosophies grecques, mais c’est une autre chose de dire que les doctrines du péché originel et du salut (dans la perspective calviniste) sont des systèmes vérolés par le néoplatonisme. Une telle affirmation n’est pas acceptable ni du point de vue philosophique ni du point de vue de l’histoire de la théologie. Les réformateurs se séparèrent nettement du néoplatonisme.

Comment alors interagir avec ce type d’influence que la philosophie grecque eut particulièrement sur la théologie patristique et médiévale ?

Comme le souligne Roy Kearsley [6], il est indispensable de se distancer d’une théorie du “complot” concernant le rapport entre la philosophie grecque et la théologie. Il est indéniable que les théologiens de l’histoire de l’église étaient des hommes de leur temps et ils possédaient la culture de leur temps comme arrière-plan. C’est ainsi tout à fait recevable que ces théologiens utilisèrent du vocabulaire et des catégories empruntés à certains courants philosophiques alors en vogue. Mais cette appropriation ne fut pas pour les théologiens de la réforme une forme de syncrétisme, car il y avait un véritable effort de réappropriation et de fidélité aux écritures (sola scriptura). Et même dans le cas de certains des  théologiens patristiques, les théologiens fidèles à l’orthodoxie biblique, ils usèrent de ce vocabulaire soit dans une dynamique de réappropriation par le biais d’une adaptation soit dans une dynamique de  polémique [7].

En ce qui nous concerne, nous nous devons, en tant que disciples du Christ, de demeurer attachés à ses paroles et toujours veiller à ce que notre théologie soit le résultat d’une saine et droite compréhension des écritures. Nous pouvons nous aider des docteurs que Dieu donna à l’église dans son histoire, mais nous devons toujours veiller à scruter les écritures pour Lui demeurer fidèle. Pour ma part, je crois que la théologie patristique ou du temps de la réforme était effectivement une théologie exprimée par des hommes de leur temps qui utilisaient un langage (et certaines fois des catégories) de leur temps. Mais je ne crois ni à la théorie du “complot hellénique” ni que la théologie réformée ait fait preuve de syncrétisme avec la philosophie grecque qui marqua si fortement la théologie médiévale et ses multiples dérives.

 

La question incontournable de la liberté humaine

Mais finalement, est-ce que le nœud du problème ne serait finalement pas  la question du libre-arbitre ? Est-ce que l’ensemble de cette thèse (développée par cet article) ne se fonde pas sur le simple fait que la doctrine biblique du péché et de la dépravation radicale de l’homme est une folie pour l’homme et ne peut être reçue lorsque l’on accepte sans aucune critique certains présupposés philosophiques du monde ?

C’est bien ce qu’il apparaîtrait lorsque l’auteur affirme concernant la souveraineté de Dieu : “Il est vrai que plusieurs passages de la Bible semblent aller dans ce sens. Dieu connaît chaque jour qui nous est alloué. Il prévoit les événements longtemps d’avance, comme les prophéties messianiques. Mais il semble que nous glissons indéniablement dans une forme de déterminisme théologique.”

Soyons clairs, la Bible affirme d’une seule voix que Dieu est à la fois “amour” et “souverain“, et que sa souveraineté ne détruit pas la responsabilité de l’homme. Cela nous déstabilise, car nous ne sommes pas Dieu, et nous ne comprenons pas comment Dieu peut-être la cause première de toute chose tout en respectant la notion de cause seconde.

Néanmoins, au-delà de cette difficulté, pourquoi l’auteur semble rejeter la notion de causalité en nous prévenant d’un soit disant danger de “determinisme théologique” ?

Le monde, tel que Dieu l’a créé, exprime clairement la loi de causalité et la Bible l’affirme aussi sans complexe. Je ne crois pas qu’il existe de contradiction en introduisant les notions de cause “première” et “seconde” et que celles-ci représentent simplement la volonté de respecter les affirmations bibliques comme celle faite en Genèse 50 :20. Mais, il faut l’avouer, ces termes reflètent aussi notre incompréhension quant à la dynamique précise qu’il existe entre les deux. Dieu seul comprend comment il fonctionne en lui-même (1 Cor 2.10-11).

La Bible souligne donc sans complexe le fait que la loi de causalité soit une expression droite de la cohérence de la réalité, une réalité dans laquelle cause “première” et “seconde” décrivent la présence active de Dieu au sein de sa création. Et comme le souligne brillamment l’histoire de Joseph, de l’exode ou de la mort de Christ, ceci s’opère alors que l’intégrité de chacune des parties mises en cause est préservée.

La question de l’articulation de la souveraineté de Dieu et de la responsabilité de l’homme fait partie des questions les plus difficiles de la théologie. Et je crois que nous ne trouverons jamais une formulation humaine satisfaisante du simple fait que nous ne pouvons saisir de façon pleine et entière ce que signifie “être souverain” pour Dieu. Nous devons alors faire preuve d’humilité et accepter la vision compatibiliste que nous offrent les auteurs biblique dès la Genèse (voir en particulier l’excellent livre de Don Carson “Divine Sovereignty and Human Responsibility: Biblical Perspective in Tension”).

 

Omniscience et Omnipotence

Cette difficulté, quant à la souveraineté de Dieu, apparaît nettement dans le développement de cet article contre le théisme calviniste, lorsque l’auteur dit :

L’omniscience et omnipotence sont liées, mais on ne sait plus très bien laquelle est déterminée par l’autre.

Lorsque nous lisons Eph 1 :11, nous voyons clairement que tout ce que Dieu fait, il le fait parce qu’il l’a décidé. Sa volonté précède son action de façon logique. Elle n’implique pas nécessairement une précédence temporelle (cas de la relation trinitaire dans l’éternité passé). Mais cette précédence temporelle est belle et bien réelle pour l’histoire de l’humanité et plus particulièrement pour l’histoire de la rédemption.

Ainsi, la présence active de Dieu dans l’univers, que ce soit dans la réalité de la providence ou de l’Histoire de la rédemption, est une présence qui se manifeste par une activité alors expression de sa volonté. L’omniscience de Dieu s’ancre avant tout dans le fait qu’il “accomplit toutes choses selon le conseil de sa volonté”.

Vouloir limiter la souveraineté de Dieu à sa prescience est un argument proche du déisme, car elle exclut le règne de Dieu dans la contingence des événements, et elle ne correspond en aucun cas au témoignage biblique comme en Eph 1.11.

Dire que Dieu “tient compte de la liberté et de la contingence dans sa prescience et détermine les choses en conséquence” et un non-sens. Car, au final, si Dieu détermine l’événement en amont de l’histoire, il est alors “souverain” dans le sens calviniste. Il n’y a pas plusieurs options : si Dieu se soumet à une quelconque forme de contingence dans laquelle il n’exerce plus sa souveraineté, nous ne pouvons plus parler de souveraineté mais d’une sorte de “coopération”. De plus, si Dieu “connaît” un événement futur avant qu’il n’arrive, ceci ne veut pas simplement dire qu’il possède une “information sur le futur” (ce serait le cas d’un homme), mais c’est parce que sa prescience est le fruit de sa décision.

Comme le souligne W. Grudem :

Le problème avec [la position arminienne] est que, même si Dieu n’a pas préordonné les choses et n’en est pas la cause, le fait qu’elles soient connues d’avance signifie qu’elles vont se produire de façon certaine. Et cela signifie que nos décisions sont prédéterminées par quelque chose (que ce soit le destin ou l’inéluctable mécanisme de cause à effet dans l’univers), et elles ne sont pas libres dans le sens où les arminiens voudraient qu’elles le soient. Si nos choix futurs sont connus, alors ils sont fixés. Et s’ils sont fixés, alors ils ne sont pas “libres” au sens arminien du terme (non déterminés et non suscités).” (TS, p.375)

La position compatibiliste est, je le crois, la seule position qui respecte l’ensemble des données bibliques et particulièrement qui respecte l’implication personnelle, alliancielle et souverainne de Dieu au sein de sa création.

 

L’amour de Dieu

Enfin, pourquoi vouloir introduire des contradictions dans notre définition de ce qu’est l’amour de Dieu ?

Pourquoi la “liberté de l’homme” et “l’amour de Dieu“ exigeraient que Dieu ne soit pas pleinement souverain sur sa création ?

Pour ma part, je considère à nouveau que c’est un argument non sequitur qui repose sur des attentes particulières de ce que devrait être la “liberté de l’homme” et “l’amour de Dieu”. C’est-à-dire que nous ne pourrons pas accepter la notion de souveraineté de Dieu, telle qu’elle est définie dans la Bible, si nous confondons “liberté” et “autonomie”, et si nous ne prenons pas en compte la “simplicité” de Dieu dans la manifestation de ses attributs. C’est à dire que, concernant la simplicité des attributs de Dieu,  nous devons toujours comprendre un attribut de Dieu de façon cohérente et coordonnée avec tous les autres.

Ainsi, l’amour de Dieu est un amour qui s’est manifesté dans le don du Fils à la croix de Golgotha. Mais cet amour était un amour « saint » et « juste ». Dieu n’a pas mis de côté sa sainteté et sa justice dans cet acte d’amour, mais au contraire, Dieu  a manifesté avec Gloire  sa sainteté et sa justice dans cet acte d’amour. C’est pour cela que Christ a reçu toute la colère du Père (jugement)  à notre place sur la croix.  De plus cet amour est cohérent avec  le fait qu’il opère toutes choses dans l’univers d’après le conseil de sa volonté. Son “amour” s’exprime toujours dans sa volonté, mais Dieu ne place jamais la créature au-dessus de lui-même dans cet amour.

Il n’y a donc aucune contradiction dans le fait d’accepter le témoignage biblique sur la souveraineté totale de Dieu sur sa création et d’accepter le fait qu’il soit “amour”.

 

Conclusions

Le “théisme calviniste” n’est ni fataliste, ni nécessitariste. Il incorpore clairement la notion de causalité. Mais cette dernière ne doit jamais être comprise sans l’arrière-plan allianciel qui définit la relation personnelle entre Dieu et sa création. Ce cadre et cette relation alliancielle, chère au “théisme calviniste”, qui respectent à la fois l’intégrité de Dieu (transcendance et immanence) et l’intégrité de l’homme (être personnel responsable et non autonome) ne nous permettent pas de confondre le  “théisme calviniste” avec une quelconque philosophie grecque.

Il est certain que l’histoire de l’église a connu certaines mouvances hyper-calvinistes au sein desquelles une emphase bien trop importante et déséquilibrée sur la souveraineté de Dieu mettait à mal la responsabilité de l’homme.

Néanmoins, si nous voulons demeurer scripturaires, nous ne pouvons diminuer la souveraineté de Dieu au profit d’une vision de la liberté l’homme qui répondrait aux souhaits d’une autonomie utopique qui conforterait nos contemporains au sein de leur idolâtrie.

Le terme “libre arbitre” est un terme piégé. En effet, si nous parlons du “libre arbitre” comme une forme de “neutralité” ou “d’autonomie”  face à un choix, ceci est une impossibilité. En effet, tout homme prend toujours une décision qui exprime un choix, un désir, une aspiration de son cœur, et cela sans être détaché de sa dépendance de créature envers son Créateur. Si nous comprenons la liberté de l’homme comme une sorte d’autonomie vis-à-vis de la souveraineté divine, nous nous éloignons du témoignage biblique. De plus, la théologie réformée souligne que la problématique de la dépravation de l’homme ne doit pas être comprise sous l’angle d’une quelconque coercition, mais sur le fait que le cœur de l’homme, depuis la chute, tourne ses pensées vers le mal (Gen 6.5). L’homme naturel préfère les ténèbres à la lumière (Jean 3.19), il préfère le mensonge à la vérité (Rom 1.25), il préfère adorer la créature plutôt que le Créateur.

Je suis conscient que je n’ai pas abordé toute les questions qui auraient pu l’être. Néanmoins, je pense que l’une des principales erreurs de l’article étudié ici a été de ne pas attribuer au théisme calviniste sa juste définition et de vouloir à tout prix défendre une position évolutionniste qui ne peut plus tolérer, à cause de ses propres présupposés philosophiques, la manière dont la Bible définit la relation Créateur-créature.

 

 

DS

 

 

 

Notes et références :

 

[1] J. Todd Billings, Calvin, Participation, and the Gift, Oxford, University Press (2008), p.149.

[2] Ibid.

[3] 2 Tim 1 :9.

[4] R. Letham, Union with Christ, R&R Publishings (2011), p. 14.

[5] 2 Cor 5 :19.

[6] Roy Kearsley, Faith and Philosophy in the Early Church, Themelios, 15, 81-86.  

[7] “As a generalization, the ‘subversion’ theory of Harnack survives today mainly in very modified forms, though in specific matters the verdict, bold in its day, still attracts many. Did the Christians in fact abandon a pristine simple messianic faith by stages until something unrecognizable as the original emerged? Or was it rather that they simply took over terminology and commandeered it for new concepts? Certainly in Christian hands the Greek terms, not all derived from a philosophical vocabulary, acquired new applications and novel uses. The distinguished patristic scholar, Heinrich Dörrie, felt that Christian thought only ever took over peripheral material from Platonism such as language and literary form. E. P. Meijering, however, a specialist in early Christian interaction with Platonism, believed that the relationship was not so superficial. Platonism lived in the heads and the hearts of the early thinkers. C. J. de Vogel offers a third and sound way. According to him, early Christians felt an affinity with much in Platonism and received its teachings sympathetically but not uncritically. But on the matter of the progress of dogma, he is confident that ‘Christian doctrine developed according to its own intrinsic laws’, since the core of Christian faith was alien to Platonism and it was Christian faith, based not on en lightened human reflection but upon revelation in Christ.” (Ibid)

 

 

 

 

 

 

 

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