Tertullien et le baptême d’enfants
Alors que nous sommes en plein débat sur la question pédobaptisme vs. crédobaptisme, il m’a paru intéressant de reproduire ici un extrait de l’oeuvre de Tertullien, “Du Baptême“ (De Baptismo).
Il s’agit en effet du plus ancien traité sur le baptême dont nous disposions à ce jour. Il a été écrit entre 198 et 203 ap. J.C., en réponse aux attaques lancées contre l’Église par Quintilla, de la secte des Caïnites.
Le paragraphe ci-dessous (n°18) traite de la précaution et du délai à observer avant de baptiser un individu donné (1). Mais au détour de son argumentation, Tertullien en vient à parler du baptême d’enfants (passages en gras), ce qui constitue tout l’intérêt de cette citation.
Cette citation est à la fois revendiquée par les pédobaptistes et par les crédobaptistes. Je laisserai donc les lecteurs se forger eux-mêmes leur opinion
* Note du 4 nov. 2013 *
Suite à certaines remarques reçues par messages privés, je tiens à lever toute forme de doute quant à ma propre position sur le baptême : je ne suis pas Tertullien lorsqu’il affirme, par exemple, qu’il faut différer le baptême des célibataires, ou quand il mentionne cette notion d’obligation importante que l’on contracterai par le baptême. Par conséquent, je ne fonde pas ma propre position sur cet écrit.
Si j’ai publié cet article, c’est uniquement en raison de l’intérêt qu’il suscite dans le cadre du débat pédobaptisme vs. crédobaptisme que nous avons actuellement.
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Du reste ceux qui sont obligés par office d’administrer le baptême n’ignorent pas qu’il ne faut point le conférer sans de grandes précautions.
Ces paroles, “donnez à quiconque vous demande“ ont leur restriction, comme le devoir de faire l’aumône. Ou plutôt il faut se souvenir de ces autres paroles : “Ne donnez point aux chiens ce qui est saint, et ne jetez point vos perles devant les pourceaux.“
Et ailleurs: “N’imposez pas facilement les mains, de peur que vous ne vous chargiez de la faute d’autrui.“
Philippe, dites-vous, conféra d’abord le baptême à l’eunuque : mais faisons réflexion qu’il intervint en cela un ordre exprès et manifeste du Seigneur ; car l’esprit saint avait commandé à Philippe de prendre un certain chemin ; et l’eunuque lui-même, pour ne pas perdre le temps, était occupé de la lecture sainte des prophètes, sans penser alors à demander le baptême.
Il pensait seulement à aller faire sa prière dans le temple de Jérusalem, et en chemin faisant il lisait les saintes Écritures.
C’est dans des dispositions si religieuses que le diacre Philippe devait trouver celui vers lequel Dieu l’avait envoyé. Il reçoit ordre de se joindre au char du ministre de la reine de Candace ; il trouve en lui un commencement de foi, au moyen de la lecture des livres divins.
L’eunuque se rend aux instructions du nouvel apôtre ; le Seigneur se découvre à lui ; sa foi se ranime et ne peut souffrir de retard : l’eau se trouve à propos.
Dès que le baptême est fait, l’envoyé de Dieu pour baptiser est aussitôt enlevé miraculeusement.
Paul fut aussi baptisé sans délai, j’en conviens ; mais Jude son hôte avait appris d’abord que Paul était destiné pour être un vaisseau d’élection. La bonté spéciale de Dieu se fait distinguer par certains privilèges.
Au reste, eu égard à l’état, à la disposition et à l’âge, il est plus expédient de différer le baptême que de le donner d’abord surtout aux petits enfants ; car pourquoi, s’il n’y a pas de nécessité pressante, exposer les parrains à un très-grand péril ? Ceux-ci peuvent mourir, par conséquent ils ne peuvent acquitter leurs promesses ; s’ils vivent, le mauvais naturel des enfants peut tromper leurs espérances.
Il est vrai que notre Seigneur a dit au sujet des enfants : “Ne les empêchez pas de venir à moi.“
Qu’ils viennent donc lorsqu’ils seront plus avancés en âge ; qu’ils viennent lorsqu’ils seront en état d’être instruits, afin qu’ils connaissent leurs engagements.
Qu’ils commencent par savoir Jésus-Christ, avant que de devenir chrétiens. Pourquoi tant presser de recourir à la rémission des péchés un âge encore innocent ?
Les hommes du siècle en usent avec plus de précaution ; ils n’osent confier l’administration des biens terrestres à des enfants auxquels cependant on se hâte de distribuer les biens du ciel.
Que les enfants apprennent donc à demander le salut, afin qu’il paraisse qu’on n’accorde qu’à ceux qui demandent.
Il n’y a pas moins de raison de différer les adultes qui ne sont point encore mariés, parce que dans cette situation ils sont trop exposés à des tentations violentes : les garçons et les filles, à cause de la maturité de leur âge, et les veuves, à cause de leur dissipation au dehors. Qu’ils attendent donc les uns et les autres jusqu’à ce qu’ils soient mariés, ou qu’ils soient bien affermis dans la continence.
Si l’on comprend bien les obligations importantes que l’on contracte par le baptême, on craindra plus de le recevoir que de le différer. La foi parfaite n’a rien à craindre pour le salut.
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Tertullien (150 ? – 220 ?)
Théologien, polémiste, et écrivain prolifique du deuxième siècle ap. J.C., son influence sera grande dans tout l’occident chrétien. Il est le premier auteur chrétien utilisant la langue latine, le premier à se servir du terme “Trinité“, et le premier à jeter les bases d’une théologie précise de celle-ci.
Il rejoindra le mouvement montaniste à la fin de sa vie, ce qui a pu jeter -dans l’esprit de certains- une forme de discrédit sur l’ensemble de son oeuvre.
La plupart des oeuvres de Tertullien en Français sont disponibles ici.
Notes et références :
(1) Il va de soi que je m'inscris en faux contre cette approche de Tertullien, le livre des Actes démontrant clairement que le baptême est un élément clé de la profession de foi, et qu'il la suit toujours de très près. Tertullien va en outre très loin lorsqu'il conseille aux personnes seules d'être mariées ou affermies dans leur continence avant de demander le baptême. Il exige ici bien plus que de la maturité (ce qui déjà n'est pas un pré-requis pour le baptême) : il exige une fermeté qui est étrangère aux conditions fixées par le Nouveau-Testament, qui conduit les croyants à craindre de recevoir le baptême plutôt que de s'en réjouir. Voir cet article, “Quand devrions-nous baptiser les nouveaux convertis ?“ et ce tableau récapitulatif des occurrences narratives de baptêmes dans le Nouveau-Testament. (retour)