Quelle place pour la philosophie dans la foi chrétienne (part. 2)

Après avoir introduit le sujet de la philosophie chrétienne dans un premier article, nous allons nous pencher dans celui-ci un peu plus concrètement sur ce qui caractérise la philosophie d’une manière générale, et la philosophie biblique plus particulièrement.

 

 

II. La Philosophie

Selon John Frame, la philosophie comporte trois aspects . Pour lui, il est important de comprendre dès le départ que ces différentes dimensions, que ces subdivisions, ne sont pas trois manières distinctes de faire de la philosophie, mais que les trois sont plusieurs perspectives d’une même discipline. En effet, nous allons voir que chacune de ces catégories ne peuvent pas être isolées les unes des autres. Au contraire, elles se présupposent mutuellement. Il appelle donc cette façon de comprendre les choses une multiperspective (ce qui sera très important pour la suite).

Cette manière d’envisager cela nous rappelle un principe utilisé en herméneutique (la discipline qui définit les règles d’interprétation de la Bible) et qui s’appelle « l’analogie de la foi » (Rm 12.6). Ce principe indique que quand nous étudions la Bible, nous devons « interpréter la Bible par la Bible, toute la Bible, que la Bible ». Cela est valable car, comme nous l’avons mentionné dans le précédent article, nous croyons que ce livre est la Parole de Dieu inspirée par le Saint-Esprit à des hommes, et que par conséquent elle est notre seule autorité, notre règle de foi (ce qu’on appelle le canon biblique).

Comme le montre Vern Poythress, les différents passages qui parlent par exemple de la Création ne sont pas en contradiction (Gn 1,2 ; Jb 38 ; Ps 8, 104 ; Jn 1 ; Col 1 ; Rm 1), mais au contraire rendent chacun témoignage d’un point de vue différent de celui des autres . Cette richesse de perspectives sur un même sujet permet donc d’avoir une connaissance plus claire et plus profonde d’un même sujet, et de faire disparaître en même temps les apparentes contradictions. Et cela est valable par exemple aussi pour les trois évangiles synoptiques ou les listes généalogiques.

Cela a aussi l’avantage de préserver l’authenticité et l’historicité des documents. L’analogie de la foi est donc un principe qui dépasse le cadre de l’herméneutique, puisqu’il peut aussi nous être utile pour interpréter le monde qui nous entoure dans une perspective chrétienne globale. Et nous verrons plus loin qu’encore une fois la Trinité est le fondement de cette possibilité.

Pour Frame, le premier aspect nous permettant d’envisager la question de la philosophie est donc celui de la métaphysique. Cette partie de la philosophie touche au domaine de la réalité en se posant des questions comme : « Qu’est-ce que la réalité, pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien, est-ce que l’univers est un ou multiple, quelle est la constitution de base de l’univers, est-ce que l’univers change ou est statique, est-ce qu’il y a un universel ou seulement des choses particulières, quel est le lien entre cause et effet, l’univers a-t-il un but, Dieu existe-t-il, le non-être existe-t-il, etc. » ? Pour simplifier, nous pourrions dire que la métaphysique s’intéresse à ce qui est au-delà du physique. C’est dans cette catégorie que nous pourrions ranger (sans vouloir coller d’étiquettes) les nominalistes, les dualistes, les matérialistes, les déistes, les déterministes, les panthéistes, les subjectivistes, et les théistes comme les chrétiens.

Le deuxième aspect de la philosophie est celui de l’épistémologie. Cette partie de la discipline se penche plus particulièrement sur la théorie de la connaissance : « Qu’est-ce que la connaissance, comment est-on sûr de ce qu’on connaît, qu’est-ce que la vérité, comment distinguer le réel de l’apparence, que faire de la connaissance acquise, quel lien entre le sujet et l’objet, etc. » ? Ici nous pourrions ranger les rationalistes, les empiristes, les sceptiques irrationalistes, ou encore les relativistes.
Le troisième et dernier aspect est l’axiologie ou la théorie des valeurs, que l’on peut diviser en deux parties qui sont les valeurs éthiques (ou la morale) et les valeurs esthétiques.

Les questions abordées sont donc : « Quelle est la valeur la plus élevée, quel est le plus grand bien, mon choix est-il moral, qu’est-ce que le beau, qu’est-ce que l’art, comment peut-on juger, quel est le rôle de la conscience, qu’est-ce qui est bien ou mal, les valeurs sont-elles objectives ou subjectives, etc. » ? Nous retrouvons ici trois grands types d’éthiques séculaires qui sont le déontologisme, le téléologisme, et l’existentialisme.

Mais comme nous l’avons dit précédemment, ces trois parties sont en réalité trois perspectives d’une même discipline, et chacune de ces parties présuppose en fait les autres. En effet, comment chercher la connaissance si nous ne connaissons pas aussi la réalité dans laquelle nous vivons ? Et inversement, comment savoir ce qui est réel sans connaissance de rien ? De plus, la recherche de la réalité ou de la vérité implique des choix humains à faire en termes de recherche et des limites à fixer. On ne peut donc pas évacuer l’éthique de ces deux aspects. De même, comment faire des choix moraux sans connaissance du monde dans lequel nous vivons ?

Mais Frame va plus loin en montrant que finalement les questions de base de la philosophie comme Dieu, le monde, la connaissance, la vérité, ou bien la justice, sont religieuses dans leur caractère. Finalement, personne n’est athée (Rm 1.18-32). La distinction se fait en réalité entre ceux qui louent le Dieu de la Bible et ceux qui louent ce que cette dernière appelle des idoles.

De plus, cette séparation qui existe aujourd’hui entre le religieux, le philosophique, et le scientifique est en fait un faux argument. Ainsi, les grands défenseurs de la laïcité, tout en reconnaissant le champ de travail de chacune de ces disciplines, devraient tout faire pour qu’elles puissent rester en dialogue et s’enrichir mutuellement. Mais ironiquement, en excluant de manière presque systématique le religieux de l’équation, les champions de la laïcité violent eux-mêmes leurs convictions profondes en transformant cette dernière en ségrégation.

Mais penchons-nous maintenant sur ce qu’on pourrait appeler une philosophie biblique, tout en gardant les trois catégories de base. Nous pouvons parler premièrement de ce que nous appelons l’analogie Créateur-créature. Selon la Bible, Dieu, en tant qu’être parfait, infini, éternel, absolu, et créateur de toute chose à partir de rien est totalement distinct de la Création, qui elle est finie et soumise au temps et à l’espace. Il y a donc ici deux niveaux de réalité : celui de Dieu et le nôtre. Nous ne pouvons donc pas étudier Dieu comme on étudie une pomme.

De même, les lois naturelles, tout aussi réelles qu’elles sont, ne sont que des représentations des lois divines. Mais Dieu n’est pas totalement absent de sa Création. En effet, il a créé l’homme « à son image », une image trinitaire. Et cette image de la trinité se retrouve également, bien que d’une manière différente, au sein de toute la Création puisque Dieu a créé toute chose en conformité avec son caractère qui est trine. De plus, Dieu est totalement Souverain sur toute chose, que ce soit sur la connaissance, sur la manière dont nous pouvons connaître, sur ce que nous pouvons connaître, sur la Création, et sur nos valeurs par l’intermédiaire des commandements bibliques. Dieu est donc au-dessus de tout de toute éternité, il dirige tout, et est auto-suffisant.

Nous appelons cela la transcendance. Mais Dieu agit également au sein de sa Création par le biais de sa Providence. Il est-là en tout temps, soutenant et contrôlant toute chose tout en restant distinct de ce qu’il a créé. Il est donc immanent. Ces deux points sont très importants car ils font toute la différence avec les autres philosophies, religions, ou mythes. En effet, la transcendance de Dieu est liée à un de ses attributs qui se nomme l’Aséité. Le fait qu’il soit immanent en fait également un Dieu personnel et relationnel, c’est-à-dire un Dieu moral. De fait, si nous regardons les mythologies, leurs dieux sont des dieux moraux mais aucunement absolus.

Inversement, des Dieux absolus comme celui de l’Islam ne peuvent pas être qualifiés de moraux puisqu’ils n’ont pas de véritables relations personnelles avec leurs adorateurs : on ne sait jamais comment Allah va réagir même si on a obéit correctement. De même, John Frame montre bien que toutes les philosophies ont un déséquilibre entre transcendance et immanence. Comment connaître en effet un être transcendant qui ne se révèle pas ou comment ne pas se glorifier soi-même de sa raison autonome si nous faisons partie d’un tout divin ?

Le dernier point important à prendre en compte dans une philosophie chrétienne est le caractère trinitaire de Dieu. Pour le chrétien, la multiperspective ne pose pas de problème, pas plus que la question de l’un et du multiple ou de l’universel et du particulier. En effet, notre Dieu est un dans son essence divine, mais il est multiple dans ses personnes puisqu’il y a le Père, le Fils, et le Saint-Esprit (2Co 13.13). Les trois sont uns, parfaitement unies dans la divinité, mais sans jamais se confondre ni se séparer. C’est ce que nous appelons l’immanence mutuelle. Et de cette immanence découle une relation interpersonnelle dans la réciprocité qui trouve son achèvement dans la communion de l’amour. Parce que le Père est dans le Fils et inversement, et de même pour le Saint-Esprit, chacun devient la réalité de l’autre (métaphysique). Mais comme ils ont une relation réciproque, ils peuvent également avoir une véritable connaissance les uns des autres (épistémologie). Et finalement, cet amour communautaire fait que chacune des personnes respecte une éthique l’une envers l’autre (axiologie), comme la soumission volontaire du Fils par exemple. Nous appelons cela la périchorèse.

La philosophie chrétienne trouve donc son origine dans la périchorèse trinitaire, et nous pouvons la connaître parce que Dieu a voulu la Révéler dans sa Parole comme dans sa Création, et nous en rendre participant en nous donnant le don du Saint-Esprit et la médiation éternelle du Christ. La philosophie chrétienne peut voir dans la réalité qui l’entoure l’application des décrets de Dieu dans l’action de sa Providence. Et elle peut accomplir d’une manière juste la volonté de Dieu en obéissant à ses impératifs et ses principes bibliques, pour une vie juste et une foi juste.

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.