Quelle place pour la philosophie dans la foi chrétienne ? (partie 1)

Je commence ici une série de 4 articles sur la philosophie chrétienne après la lecture cet été de deux livres de John Frame et Vern Poythress (que vous retrouverez en notes) qui m’ont beaucoup fait réfléchir. Comme ces livres ne sont pas traduits en français, je voulais partager leurs réflexions (enrichies de celles qui ont été soulevées en moi) avec ceux qui ne peuvent pas lire l’anglais, car elles me semblent vraiment importantes et me permettent de tenter de pouvoir formuler un système je l’espère cohérent et une vision globale de la vie chrétienne en partant d’une perspective particulière.

Dans ce premier article nous introduirons donc le sujet, avant de voir plus concrètement ce qu’est la philosophie biblique dans le deuxième et l’impact du péché pour cette discipline dans le troisième. Le quatrième et dernier article servira de conclusion.

 

Introduction

Qu’est-ce que la philosophie d’une manière générale, sans parler de la philosophie classique de Platon ou d’Aristote, de la philosophie analytique de Russel, du communisme de Marx, ou encore de la psychanalyse de Freud ? Déjà, étymologiquement, la philosophie signifie « l’amour de la sagesse ». Ensuite, selon le grand théologien Réformé John Frame, professeur de théologie systématique et de philosophie au Reformed Theological Seminary d’Orlando en Floride, la philosophie est « la discipline qui tente d’articuler et de défendre une vision du monde »[1].

Selon lui, une vision du monde est une manière intégrale de voir et de comprendre le monde qui nous entoure. Mais il montre aussi que l’on peut utiliser le concept de métarécit. En effet, un métarécit est une façon de comprendre le monde d’une manière globale mais dans le cadre du développement d’une histoire. D’un point de vue biblique, le métarécit pourrait se résumer à l’aide du schéma Création-Chute-Rédemption. Autrement dit, vision du monde et métarécit sont liés du fait de leur caractère englobant. La différence se situe dans le fait que le métarécit est un développement historique (diachronique) alors que la vision du monde est un système, une collection de pensées, de faits, et de processus (synchronique). D’une certaine manière, ces deux façons d’envisager les choses nous rapportent respectivement à la théologie biblique et à la théologie systématique.

Mais Frame va plus loin en démontrant que finalement pour un chrétien, philosophie et théologie sont plus ou moins la même chose. Il définit en effet la théologie comme « l’application de la Parole de Dieu, par des personnes, dans tous les aspects de la vie humaine », ce qui nous ramène au principe de vision du monde mise en pratique en conformité avec ce que dit la Bible. De plus, nous avons déjà vu comment les disciplines de la théologie biblique et de la systématique (ainsi que de la théologie historique qui ne peut pas être séparée de la systématique) étaient liées à la définition de la philosophie. De plus, nous avons vu que cette dernière est « l’amour de la sagesse ». Hors bibliquement, celui qui est la Sagesse absolue dans ses attributs éternels n’est autre que la personne de Dieu (Jb 9.4 ; Ps 104.24 ; Jr 51.15 ; Rm 11.33 ; 1Co 2.7 ; Ap 7.12).

Aimer la sagesse, c’est donc aimer Dieu. Chercher la sagesse, c’est chercher Dieu. C’est par cette sagesse mystérieuse qu’il a créé l’univers entier. La Bible nous affirme également que le Saint-Esprit est sagesse (Es 11.2 ; 2Tm 1.7). Et d’une manière encore plus proche de nous, c’est le Fils, Jésus-Christ, qui en devenant un homme par son incarnation nous dévoile d’une façon plus nette ce qu’est la sagesse biblique (Lc 2.40, 52 ; 1Co 1.30 ; Col 2.3 ; Ap 5.12). C’est à la croix qu’il révèle au monde cette sagesse, alors que ce dernier la comprend comme une folie (1Co 1.23-24). L’apôtre Paul démontre que les hommes se croient sages, mais qu’en réalité leur sagesse n’est que folie devant Dieu (1Co 1.19-20). La véritable sagesse selon la Bible, c’est donc craindre avec respect et humilité le seul et unique Dieu (Jb 28.28 ; Pr 1.7).

Par son incarnation et son œuvre de restauration effectuée par sa mort et sa résurrection, Christ est devenu médiateur de toute chose. Si l’on veut donc philosopher, découvrir la sagesse, nous n’avons d’autre choix que de passer par le Christ. Un chrétien peut donc légitimement faire de la philosophie – ce n’est pas une activité païenne – parce que la philosophie chrétienne est théologie chrétienne, ou dit autrement elle est une philosophie avec une vision biblique du monde. De plus, par son œuvre de restauration, la philosophie est aussi soumise au règne du Christ. Abraham Kuyper disait en effet « que pas un centimètre carré de la Création n’appartient pas au Christ ». Il n’est pas juste Seigneur de la louange, du Salut, ou de la communion fraternelle, mais aussi de la connaissance. Mais si la crainte de l’Eternel est le commencement de la sagesse, alors ceux qui ne craignent pas Dieu n’ont même pas le commencement de la sagesse selon Frame. La philosophie non-chrétienne est donc vouée à l’échec avant même de commencer.

De plus, ce qui vient d’être dit contient un présupposé capital. Si nous pouvons savoir tout cela par l’intermédiaire de la Bible avec certitude, cela sous-entend que pour nous chrétiens, elle est la Parole de Dieu inspirée et infaillible. Et donc, pour comprendre ce qu’elle contient, nous avons besoin du secours du même Esprit qui l’a inspirée. C’est ce que nous appelons l’illumination, qui se produit au moment de notre conversion. Encore une fois, cela signifie pour nous que la véritable philosophie est inaccessible pour un non-chrétien. En effet, nous pouvons remarquer que les trois personnes du Père, du Fils, et du Saint-Esprit sont liées dans cette notion de sagesse, ce qui lui confère un aspect trinitaire. Cela est capital, car nous verrons par la suite que c’est bien ce dernier caractère qui fait toute la différence entre la philosophie chrétienne et la philosophie non-chrétienne.

Nous venons donc de voir qu’un chrétien peut légitimement faire de la philosophie sans se jeter dans les bras du Diable, bien au contraire ! Mais la véritable question est donc de savoir pourquoi un chrétien devrait s’intéresser à la philosophie ? Pour John Frame, 1) tout le monde désire savoir, 2) et cela permet de pouvoir se confronter aux idées des autres et de pouvoir affuter sa réflexion et son argumentation personnelle. 3).

De plus, la philosophie a eu un impact important sur la théologie chrétienne (dont les théologiens libéraux sont les meilleurs représentants aujourd’hui) tout au long de l’Histoire de l’Eglise. En témoigne le vocabulaire philosophique utilisé pour décrire la doctrine de la Trinité.4) Et finalement pour comprendre notre culture actuelle et pouvoir entrer en discussion avec elle. Et cela nous conduit tout droit à la discipline de l’apologétique. Cette dernière est une annonce et une défense de la foi chrétienne, « une démonstration en paroles et en actes, dans tous les domaines de notre vie, d’une vision biblique du monde » selon Yannick Imbert[2]. La philosophie n’est donc pas simplement un exercice académique réservé à une élite intellectuelle, mais elle débouche en pratique sur notre vocation de disciple et de témoin, sur notre appel à être « lumière du monde » (Mt 5.14-16). En effet, notre foi est appelée à être mise en pratique, c’est ce que Frame appelle la religion (Jc 1.26-27), ou ce qu’on peut encore appeler le christianisme.

Mais pour bien mettre en pratique, il faut déjà comprendre ce que nous devons pratiquer. Et inversement, notre pratique enrichira notre compréhension du monde. L’un ne peut aller sans l’autre, car comme nous le faisions remarquer plus haut, si la philosophie chrétienne découle de la Trinité et si nous avons été créé « à l’image » du Dieu trinitaire (Gn 1.26-28), alors tout comme nous parlons de Trinité ontologique (ce qui est lié à son être) et de Trinité économique (ce qui est lié à son faire), alors nous aussi en tant que chrétien nous devons être et faire.

Voilà le christianisme intégral.

 

 

 

 

Notes et références

[1] FRAME John, A history of Western philosophy and theology, P&R Publishing, Phillipsburg, 2015. Pour cet article, je me suis appuyé presque en totalité sur les pages 1-36

[2] IMBERT Yannick,  Croire, expliquer, vivre : introduction à l’apologétique, Exelcis, Charols, 2014.  p 36

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.