L’eschatologie des épîtres générales : analyse systématique (partie 2)

Après avoir expliqué pourquoi nous avions choisi d’étudier l’eschatologie des épîtres générales dans un premier article, puis après avoir effectué une étude systématique de la lettre de Jacques dans un second, nous allons regarder ce que dit l’apôtre Pierre en lien avec notre sujet.

L’eschatologie de Pierre

Pour commencer, nous pouvons déjà relever que la majorité des thèmes traités par Jacques se retrouvent dans les épîtres pétriniennes. Les sujets qui intéressent l’apôtre sont notamment l’épreuve, le Retour de Jésus, la dimension éthique de l’eschatologie chrétienne, la notion d’héritage et de promesse (liées au Royaume de Dieu), le Jugement final et l’instauration de la Nouvelle Création, l’élection, et un thème très fort de la première épître est celui de l’espérance (qui rejoint celui de la persévérance chez Jacques). Nous retrouvons également cette tension de l’eschatologie inaugurée et « de ces jours qui sont les derniers ». Mais deux thèmes nouveaux apparaissent ici en lien avec l’eschatologie : la sotériologie (Salut) et la doxologie (louange). De plus, nous pouvons relever en ce qui concerne le genre littéraire, que si Jacques avait un style plus proverbial, Pierre utilise un style nettement apocalyptique pour parler de la Nouvelle Création dans sa deuxième épître [1]. Développons donc ces thèmes.

Le premier à apparaître est celui de l’espérance (1P 1.3). Cette dernière n’est pas passive, mais Pierre rappelle à ses lecteurs qu’ils ont été appelés à une espérance vivante et dynamique au travers de leur nouvelle naissance. C’est sur le fondement de la résurrection de Christ que cette espérance se base. Pour Pierre, tout comme Christ est ressuscité, nous aussi nous ressusciterons à la fin. Voilà notre espérance qui nous sert de bouclier dans ces temps qui sont les derniers. Cette notion d’espérance est primordiale dans la première lettre de Pierre, puisqu’il la mentionne pas moins de dix fois en cinq chapitres ! L’apôtre nous explique également que cette espérance est liée à la miséricorde de Dieu le Père envers nous qui nous a ressuscités au travers de son Fils. C’est lui le pilier de notre eschatologie (1P 1.21).

Même s’il n’est pas mentionné directement, le Saint-Esprit est donc présent ici, puisque c’est lui qui nous rend vivant par la foi aujourd’hui. Notre espérance revêt donc une dimension trinitaire (comme le montre le verset précédent, cf. 1P 1.2). Elle est le résultat non seulement de l’œuvre du Christ, mais également de notre union à lui. Mais cette espérance vivante est également liée à notre héritage qui nous est actuellement réservé au ciel (1P 1.4). Cela fait ressortir la tension eschatologique du « déjà et pas encore » dans la théologie de Pierre. Cet héritage est celui de la vie éternelle dans le Royaume de Dieu. C’est ce que rappelle l’apôtre aux maris à l’encontre de leurs femmes qui sont leurs cohéritières (1P 3.7). La notion d’espérance étant ici liée à une dimension éthique de l’eschatologie. Cette notion d’héritage est également pour Pierre une bénédiction. De fait, si nous voulons avoir part à cette bénédiction alors nous devons bénir nos ennemis.

En effet, les chrétiens auxquels l’apôtre écrit semblaient éprouvés par l’ennemi. Mais il les encourage à défendre l’espérance qui est en eux avec douceur et respect, en gardant une bonne attitude (1P 3.15-16). Nous retrouvons ici une dimension apologétique (en paroles et en actes) de l’eschatologie. Pierre complète son enseignement sur l’espérance de l’héritage en l’enrichissant avec la notion de promesse dans sa deuxième épître. En effet, cette puissance qui nous a donné ce qui était nécessaire à la vie et à la piété, autrement dit le Saint-Esprit comme nous l’avons déjà vu, nous assure (ou nous donne l’espérance) que nous aurons également les promesses de Dieu (2P 1.4). Ces dernières concernent non seulement l’héritage du Royaume, mais également la Parousie (la venue) du Christ (2P 3.3-5). Et nous verrons plus loin en nous penchant sur le Retour de Jésus que le Seigneur ne tarde pas dans sa promesse comme certains le disent (2P 3.9).

Le deuxième thème important est celui de l’épreuve et de la souffrance. Pierre ne nie pas la réalité des souffrances actuelles de ses lecteurs. Il veut donc les encourager en leur rappelant que ces souffrances sont comme un « cadeau » de Dieu (1P 1.7). En effet, elles leurs sont données afin que leur foi soit purifiée. Il fait donc ressortir le caractère sanctifiant de l’épreuve afin qu’ils puissent grandir en sainteté et devenir progressivement de plus en plus conformes à l’image du Christ qui lui aussi a souffert. Et le résultat de leur souffrance ne devrait pas être l’abattement et le découragement, mais la louange, leur gloire, et l’honneur au Jour de la venue de Jésus. Nous retrouvons donc ici la tension présente et future, mais aussi ce nouveau thème qui est celui de la doxologie en lien avec l’eschatologie. Et les versets suivants (1P 1.8-9) nous montrent également le lien qu’il y a entre eschatologie et sotériologie, car cette foi éprouvée est le signe du Salut de leur âme. Rédemption et eschatologie sont donc indissociables.

L’un étant la continuité et la finalité de l’autre. Et dans le verset suivant (1P 1.10), Pierre explique à ses destinataires que ce discours apostolique se situe en continuité avec les exhortations des prophètes de l’Ancien Testament. Ce qui introduit une notion eschatologique au discours des prophètes, et rend la base eschatologique de Pierre double[2]. Cependant, les lecteurs de Pierre ne sont pas encouragés à surmonter ces souffrances par leurs propres forces, mais à l’image du Christ qui s’en remettait au juste Juge au milieu de l’épreuve, eux aussi sont appelés à se confier en Dieu et à garder malgré tout une bonne attitude (1P 2.23). Ce thème de la souffrance est donc ici mis en lien avec celui de l’éthique et celui du Jugement que nous verrons plus loin. Nous voyons là clairement que la vision eschatologie de Pierre est intégrale et non fragmentée. Il va même aller plus loin dans l’imitation du Christ au travers de la souffrance. Il affirme en effet qu’elles nous préparent à son dévoilement (apokalupsis) et que ce jour-là c’est la joie qui nous sera accordée (1P 4.13). Elles sont donc anticipation de sa venue, mais également de son Jugement (1P 4.17). Ce dernier n’est pas seulement futur, mais il a déjà débuté, et c’est par la maison de Dieu (les chrétiens) qu’il commence. De plus, il leur rappelle que nos souffrances actuelles sont à l’opposé de la gloire à venir (1P 5.10). Quel encouragement pastoral de la part de l’apôtre !

Venons-en maintenant au thème de l’élection qui est beaucoup plus développé chez Pierre que chez Jacques. Et ce qui est vraiment remarquable avec l’eschatologie de l’élection, c’est finalement de réaliser que les choses dernières étaient déjà présentes dans les choses premières, renforçant la prescience de Dieu (1P 1.3) et sa souveraineté. Faisant de l’eschatologie un décret de Dieu. Le premier à avoir été prédestiné (proginôskô) avant la Création du monde est le Christ lui-même. Son élection est liée à notre Rédemption (1P 1.19-20), nous ramenant à la dimension sotériologique de l’eschatologie. Christ a donc été révélé. Avec l’incarnation, l’eschatologie entre dans l’Histoire. Nous revenons aussi l’expression « les derniers temps » qui ressemble à celle que nous retrouvions chez Jacques. Nous sommes pour l’apôtre déjà dans les derniers temps, depuis la mort du Christ (1P 1.21[3].

Mais si Christ est le sauveur de celui qui met sa foi en lui comme une pierre précieuse, il est également une pierre d’achoppement et une pierre rejetée pour ceux qui se destinent (tithêmi) par leur propre incrédulité et leur désobéissance à la colère de Dieu au Jour du Jugement (1P 2.8). Les chrétiens au contraire sont le peuple élu (eklektos), en discontinuité et en continuité avec Israël. Ils sont des prêtres royaux, une nation sainte chargée d’annoncer comme les prophètes la Parole de Dieu (1P 2.9). C’est le sacerdoce universel des croyants. Et ce sacerdoce a pour finalité la louange de Dieu. Ce qui nous ramène à notre lien entre louange et eschatologie, et l’enrichi par le biais du sacerdoce universel. Mais ce dernier n’est pas quelque chose de passif. C’est activement que l’apôtre nous encourage à travailler à notre appel et à notre élection afin d’entrer pleinement dans le Royaume éternel promis (2P 1.10-11). Pour terminer, il est intéressant de relever qu’à la fin de sa première épître, il fait référence « à ceux qui ont été choisis comme vous », laissant sous-entendre que tous les véritables chrétiens sont élus par Dieu (1P 5.13).

Vient ensuite le thème du Retour du Christ suite à son dévoilement. Pierre utilise uniquement le mot « dévoilé » dans sa première épître, alors qu’il utilise systématiquement celui de Parousie (présence / venue) dans la seconde[4]. Cela nous montre que ces deux aspects du Retour du Christ forment un seul et unique évènement. De plus, nous pouvons relever que si Christ doit être dévoilé, cela signifie qu’aujourd’hui il n’est pas absent, mais voilé[5]. Ce que nous attendons aujourd’hui au milieu des souffrances, c’est le dévoilement de sa gloire qui fera toute notre joie (1P 4.13). Ces jours de souffrances ne sont rien comparés à ce Jour. Pierre lui-même en tant que témoin et ancien de l’Eglise a l’assurance d’être participant de cette gloire qui va être dévoilée (1P 5.1). Et il nous assure que lorsque notre souverain berger se manifestera (phaneroô), alors nous recevrons la couronne de gloire qui ne se corrompt pas. Nous voyons ici un lien fort entre élection et gloire de Dieu (Ep 1.14).

Cet appel est notamment dirigé envers ceux qui sont responsables de l’Eglise. Et il nous annonce cet état d’éternité où il n’y aura plus de péché. En attendant, nous sommes appelés à nous humilier volontairement afin d’être élevés au moment fixé (kairos), décrété par Dieu (1P 5.6), à l’image de Christ (ce qui nous ramène une nouvelle fois à l’eschatologie dans la protologie). Il nous donne une exhortation éthique à être sobre et mettre notre intelligence en éveil, car notre espérance, c’est qu’au jour du dévoilement de Christ nous recevrons pleinement sa grâce (1P 1.13). Mais pour Pierre, cette fin de toute chose est proche (1P 4.7). Nous retrouvons ici la notion de but (télos) liée au décret. Et tout comme Jacques, ce jour est « proche », ce qui laisse entendre une sorte d’imminence dans l’enseignement de Pierre. C’est également un appel pressant à la vigilance. Mais nous pouvons lire dans sa deuxième lettre que certains faux enseignants remettaient en cause le Retour du Christ.

Pour eux, Dieu ne tenait pas sa promesse. Pierre nous rappelle donc que la manifestions de ces moqueurs est le témoin que nous sommes dans « les derniers jours ». Pour eux, le fait que rien n’avait changé depuis la Création signifiait que Dieu était un menteur. Ils avaient confondu imminence et précipitation (2P 3.3-5) ! L’apôtre nous explique qu’en réalité Dieu ne tarde pas mais fait preuve de patience envers ses élus. Le temps n’est pas pareil pour lui que pour nous. S’il est entré dans le temps dans son immanence, il en est pourtant distinct dans sa transcendance (2P 3.7-9). Et cette patience de Dieu envers nous n’est pas pour l’augmentation de nos souffrances, mais bel et bien pour notre Salut (2P 3.15). Encore une fois, eschatologie et sotériologie sont liées. Si Dieu garde tout dans cet état durant cette « période intermédiaire », c’est en vue du Jugement. C’est ce que nous allons voir.

 

En effet, tout comme Jacques, le thème du Jugement est omniprésent chez Pierre, notamment dans sa deuxième épître. Relevons déjà que ce Jugement concernera tout le monde (1P 4.5). Les vivants semblent être ici les chrétiens et les morts les non-chrétiens (1P 4.6). Il s’agirait donc de vie et de mort spirituelle. D’où l’importance de l’éthique que nous verrons en dernier point. Il y aura un seul Jugement, et ce dernier est déjà prêt. Il est lié à notre réponse à l’Evangile durant notre vie. Une fois la mort physique effective, il sera trop tard ! Nous avons déjà relevé que nos souffrances actuelles étaient une anticipation du Jugement (1P 4.17). Mais notre réponse à l’Evangile ne sera pas le seul critère de notre Jugement, nos actes aussi (1P 1.17). Dieu est celui qui juge justement, nous sommes donc appelés à nous en remettre à lui avec confiance tout comme le faisait le Christ (1P 2.23).

Nous voyons donc la dimension présente et future du Jugement. Mais les mots de Pierre sont durs envers ceux qui rejettent Dieu. Les prétendus enseignants attirent sur eux une ruine soudaine, leur condamnation ne tardera pas. Nous retrouvons ici comme chez Jacques cette imminence du Jugement, tout comme l’imminence du Retour du Christ, ce qui semble lier ces deux évènements et en faire deux facettes du même évènement unique (2P 2.1-3).  Mais le Jugement ne concerne pas seulement les hommes. Il concerne également les anges qui se sont révoltés contre Dieu (2P 2.4).

Pierre nous rappelle aussi que le Jour du Seigneur viendra comme un voleur. Il sera brutal et soudain, ce qui devrait nous pousser à la vigilance. Mais ce Jour, en plus du Jugement et de la seconde venue du Christ, sera également celui de l’instauration de la Nouvelle Création après sa purification au travers du feu qui sert d’agent du Jugement (2P 3.10)[6]. Le langage apocalyptique est ici très marqué, rappelant celui des prophètes de l’Ancien Testament qui annonçaient une continuité et une discontinuité entre les deux Créations. Mais Pierre accentue au plus haut point (sans nier la continuité) cette discontinuité[7]. Ce bouleversement ne sera donc pas qu’individuel, mais il sera aussi cosmique. Nous avons ici un lien entre eschatologie personnelle et eschatologie universelle. Nous attendons donc avec impatience cette promesse de la Nouvelle Terre (2P 3.13). Et l’apôtre nous encourage à travailler à notre sanctification en vue de ce Jour.

C’est donc notre dernier thème qui est annoncé, celui de l’éthique eschatologique, basé sur l’espérance de cet ordre nouveau[8]. Les épreuves et la souffrance nous sont données pour notre purification et notre sanctification (1P 1.7, 13). Elles devraient être pour nous un sujet de joie et de grâce, car Christ nous prépare à sa ressemblance afin que nous recevions la gloire à ses côtés maintenant que nous avons été déclarés non-coupables dans cette vie présente par notre réponse positive à l’Evangile, par la foi. Nous devons donc nous conduire de manière respectueuse dans ces temps qui sont les derniers (1P 1.17). Et nous pouvons le faire car nous sommes des résidents temporaires et des étrangers sur cette terre (1P 2.11). Pierre prend comme exemple les femmes de l’Ancien Testament. Leur parure n’était pas composée de bijoux, mais de leur espérance en Dieu (1P 3.5). C’est aussi pour cela que l’apôtre encourage les maris dans leur relation avec leur femme (1P 3.7).

Ce n’est donc pas qu’une éthique personnelle, mais aussi une éthique basée sur les relations sociales. Envers notre femme, nos frères et sœurs, mais également nos ennemis (1P 3.9). Celui dont la vie sera caractérisée de manière permanente sera Jugé sévèrement à la fin, car elle témoignera contre lui qu’il n’avait pas reçu le Saint-Esprit (1P 4.5). Au contraire, le disciple est appelé à une vie de piété et prière (1P 4.7 ; 2P 3.11). Dieu le garde en vue du Jugement final (immanence et Providence)[9]. Il n’est pas appelé à attendre passivement le Retour du Christ parce qu’il a déjà été jugé, mais parce qu’il est actuellement déclaré juste, il doit également s’investir d’une manière juste et entière dans sa vie de disciple afin de hâter le Jour du Seigneur (2P 3.12). Le Salut présent et le Salut futur ne font qu’un[10]. Et nous retrouvons ici cette tension entre notre engagement actuel et responsable, et la venue du Seigneur qui a décrété de toute éternité les bonnes œuvres que nous devrons accomplir et le Jour de son Retour futur. Cette tension eschatologique est aussi bien chronologique que sotériologique[11].

Maintenant que nous venons de voir l’enseignement pétrinien qui est très riche, nous nous pencherons dans le prochain article sur l’enseignement johannique afin de voir ce qu’il peut nous apporter de plus.

 

 

 

Notes et références :

[1] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 387

[2] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 387

[3] LADD George E., Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2010, p 613

[4] Ibid., p 625

[5] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 385

[6] LADD George E., Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2010, p 626

[7] Ibid.

[8] Ibid.

[9] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 384

[10] Ibid.

[11] LADD George E., Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2010, p 613

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.