L’eschatologie des épîtres générales : analyse systématique

Après avoir introduit notre sujet en ce qui concerne l’eschatologie des épîtres générales, nous allons donc maintenant nous plonger dans la Bible en elle-même afin de relever ce que ces quatre auteurs peuvent nous apprendre en ce qui concerne les temps de la fin, le Retour du Christ, et le Jour du Jugement final. Notons avant de commencer que les deux écrits de Pierre et les deux premières lettres de Jean (la troisième ne contenant pas d’éléments eschatologiques) seront regroupées par auteur afin de pouvoir donner une pensée globale de ces derniers (même si bien sûr nous essayerons de faire ressortir l’originalité de chaque lettre). La proximité temporelle de rédaction entre chacune de ces épîtres motive également ce choix, puisqu’il est admis qu’un changement profond de pensée est peu probable dans un laps de temps qui s’écoulerait de quelques mois à environ trois ans.

 

 

Étude systématique des textes bibliques

 

L’eschatologie de Jacques

Que peut donc nous apprendre Jacques, frère du Seigneur Jésus-Christ, premier évêque de Jérusalem, et président du premier concile de l’histoire, en ce qui concerne l’eschatologie ?

Il est déjà important de relever pour commencer que cette épître, malgré ce qu’elle pourrait laisser penser suite à une lecture de surface, est remplie de notions eschatologiques du début à la fin. Cette dernière forme un cadre, comme une inclusion, qui nous donne en réalité une clé de lecture interprétative de l’épître. Nous pouvons aussi relever le fait que Jacques avait conscience de vivre « dans les derniers jours » (Jc 5.3). Pour Ladd, cette eschatologie pressante et imminente est un témoignage de l’ancienneté de l’épître[1]. Nous sommes donc selon Jacques « déjà » dans les derniers jours. Cette période sous-entend le temps qui sépare le départ du Christ suite à sa résurrection et le Retour du Seigneur (Jc 5.7-8), qui est ici identifié à Jésus (Jc 1.1, 2.1). Il va donc développer plusieurs thèmes qui reviendront de manière récurrente et croisée tout au long de la lettre en lien avec l’eschatologie.

Le premier de ces thèmes importants est celui de la persévérance au milieu de l’épreuve. Cette dernière entraîne pour les lecteurs de Jacques une souffrance réelle qui ne peut pas être niée. Et la façon dont il utilise et développe ce thème ressemble pour beaucoup à ce qui se faisait dans la littérature intertestamentaire et la période trouble et difficile des Hasmonéens[2]. Cette souffrance est la résultante de l’évangélisation, de l’éthique des destinataires, et d’une persécution. Persécution aussi bien extérieure (épreuve), qu’intérieure (tentation). Rappelons d’ailleurs que dans la langue originale de la lettre, c’est-à-dire le grec, les mots épreuves et tentations sont la traduction du même mot (peirasmos). Jacques va appeler ses lecteurs à la persévérance et à la patience (upoménô). On retrouvera donc ce couple persévérance / épreuve plusieurs fois (Jc 1.3-4, 12, 5.10).

Pour Jacques, l’épreuve devrait être un sujet de joie pour ses destinataires (Jc 1.3-4). Cette joie est le résultat de la persévérance produite par la foi. De plus, cette persévérance possède une dimension eschatologique car elle n’est pas produite en vain, mais dans un but précis (téléos) qui est le parfait accomplissement. Et ces notions de joie, de persévérance, et de but se retrouvent à la fin de l’épître en lien avec le personnage de Job (Jc 5.11). Cela forme une sorte d’inclusion qui définit la dimension eschatologique de l’épître et l’importance de ce thème. Il y a donc un fort caractère pastoral à l’enseignement eschatologique de Jacques. Il veut ici encourager ses lecteurs en leur rappelant que leurs souffrances du moment ne sont pas vaines, mais produisent en leur faveur un fruit éternel. Et ils ne sont pas seuls pour surmonter ces épreuves, car celui qui produit la persévérance en eux les aidera à tenir ferme dans la foi jusqu’au bout.

Mais comme nous l’avons déjà relevé, l’épreuve n’est pas que la persécution physique, elle est aussi tentation (Jc 1.12). Celui qui résiste à la tentation est appelé « heureux », ce qui signifie aussi béni (1P 3.14). En effet, une promesse est donnée à celui qui sera persévérant : Il recevra la couronne de la vie que le Seigneur a promise à ceux qui l’aiment. Nous pouvons ici bien relever la dimension future de la « promesse » pour Jacques. Cela donne au thème de la promesse – qui traverse toute la Bible – une dimension eschatologique. Cela fait également ressortir la dimension future de l’eschatologie dans la théologie de Jacques. La persévérance présente en vue de l’accomplissement futur de la promesse éclaire cette tension de l’eschatologie semi-réalisée que l’on nomme traditionnellement le « déjà et le pas encore ».

Mais avant de passer au thème suivant il est intéressant de relever que « la promesse de Dieu est promise à ceux qui l’aiment ».  En effet, nous retrouvons cette tournure de phrase presque mot à mot au chapitre suivant (Jc 2.5). Dans ce passage, nous pouvons lire que cette promesse consiste à faire de ceux qui aiment Dieu les héritiers de son Royaume. Les thèmes du « Royaume de Dieu » et de « l’adoption » sont ainsi mis en lien avec l’eschatologie. Car si ceux qui aiment Dieu deviennent héritiers en vertu de la promesse, c’est parce que Dieu fait d’eux ses enfants, par la foi en son Fils Jésus-Christ. Et même si le mot n’est pas ici mentionné, ces notions de Royaume, d’adoption, et de promesse laissent également sous-entendre la dimension alliancielle de ce discours, et par conséquent le caractère eschatologique de l’Alliance. Notons aussi que la foi devient ici un instrument eschatologique, parce que c’est par cette dernière que le croyant devient héritier du Royaume.

Mais il y a également un lien fort avec la doctrine de l’élection, car c’est Dieu qui choisit, qui élit, ceux qui deviendront capables par la foi de devenir héritiers du Royaume, faisant ainsi de la foi même un don de Dieu. La dimension eschatologique de l’élection montre aussi le caractère eschatologie des décrets de Dieu qui ne fait rien au hasard, mais qui a décidé toute chose de toute éternité en vue d’un but précis qu’il réalise par l’intermédiaire de la Providence (qui adopte par conséquent elle aussi une dimension eschatologique). Lier ainsi décrets et eschatologie nous montre une forme « d’eschatologie dans la protologie », ou comme le dit autrement Paul Wells, nous parle de la Création comme d’une « Parousie primale »[3], unifiant ainsi les thèmes de la Création et de la Nouvelle Création qui sera instaurée au moment de la consommation du Royaume de Dieu. Pour terminer avec ce passage et pour introduire le thème suivant, relevons le lien qu’il y a entre eschatologie et éthique. En effet, Dieu choisit ceux qui sont pauvres aux yeux du monde pour les rendre riches dans la foi. Toute cette section de Jacques nous exhorte à ne pas mépriser le pauvre dans l’Eglise, car Dieu lui-même ne le fait pas. Ce n’est pas au chrétien de juger (un autre thème qui suivra) qui est héritier de Dieu ou non. Nous sommes plutôt appelés à aimer tout comme Dieu nous aime. C’est là la loi royale (Jc 2.8) qui nous rend libre (Jc 1.25, 2.12).

 

Le deuxième thème que nous allons aborder est celui de l’éthique. Suite à l’enseignement qui concerne les pauvres dans l’Eglise, Jacques va aborder le sujet des enseignants. Il va expliquer que malgré leur rôle important dans la communauté, cette dernière ne devrait pas chercher à se donner trop d’enseignants (Jc 3.1). En effet, celui qui a plus de connaissances que ses frères et sœurs, et qui utilise sa langue pour leur apporter des choses a également une grande responsabilité devant Dieu. Cette responsabilité entraînera pour celui qui a reçu plus de lumière un jugement  plus sévère à la fin des temps. Les enseignants sont donc encouragés à regarder à leur enseignement. Mais Jacques va continuer de développer ce thème de la « langue » pour l’élargir à tous les chrétiens (Jc 3.6). Il affirme qu’au milieu de nos autres membres, la langue est enflammée par l’enfer (gééna).

Attention donc à ces mots qui sont forts et qui sont comme un avertissement, car notre langue peut rendre témoignage à notre place de ce qu’il y a réellement au fond de notre cœur. Montrant même la présence de l’Esprit ou pas ! Notre langue peut donc être un avant-goût de l’enfer et notre condamnation. Nous sommes également appelés à nous humilier et non à nous placer nous-mêmes au-dessus des autres (Jc 4.10). Cette attitude d’humilité est proche de celle du Serviteur-Souffrant du prophète Esaïe (Es 53), mais également de celle de Jésus (Ph 2.5-11). Cet enseignement rappelle celui du Christ (Mt 23.12 ; Lc 18.14), mais aussi celui de l’apôtre Pierre (1P 5.6). Ce n’est pas à nous de nous élever, mais si nous nous abaissons volontairement par amour, alors Dieu nous élèvera à la fin de toute chose. C’est ce que nous appelons la glorification. Il y a donc bien ici une dimension eschatologique à l’éthique chrétienne. Et le gros passage éthico-pratique se trouve dans le dernier chapitre de l’épître (Jc 5.9-20). Dans ce passage (qui ressemble beaucoup au Sermon sur la Montagne), les destinataires de la lettre sont appelés à ne pas juger les autres afin de ne pas être jugés eux-mêmes. Le fait même que le Juge se tienne à la porte montre l’imminence de l’eschatologie de Jacques. Ils sont également appelés à vivre l’amour fraternel, à ne pas jurer, à prier, à chanter des cantiques, et à prendre « exemple » sur les prophètes de l’Ancien Testament, tout comme sur Job – que nous avons déjà mentionné – afin qu’ils comprennent la fin (télos) que Dieu lui a accordée. Ils sont également encouragés à confesser leurs péchés les uns aux autres.

Un passage pose cependant problème dans les derniers versets (Jc 5.14-20). La plupart des commentateurs y voient un enseignement pour savoir comment s’occuper de ceux qui sont malades dans l’Eglise. Mais il est également possible de comprendre tout ce passage d’une manière beaucoup plus eschatologique. Cette interprétation semble légitime quand nous nous rappelons que toute l’épître est gorgée d’éléments eschatologiques et que cette doctrine semble former une inclusion entre le premier et le dernier chapitre. Dans cette petite péricope, le mot malade est utilisé deux fois avec deux mots différents en grec, asthénéô et kamnô. Or, ce dernier mot pourrait désigner quelque chose de plus qu’une simple maladie physique. En effet, le seul autre endroit de la Bible où il est utilisé se trouve dans l’épître aux Hébreux pour parler du découragement dans la foi à cause de l’épreuve (He 12.3).

Ce qui rappel fortement ce que nous disions dans le premier point. Dans l’épître de Jacques, le mot malade pourrait ainsi désigner celui qui est malade ou faible dans sa foi. L’interprétation de ce passage pourrait alors être la suivante : Si quelqu’un n’a pas la foi mais désire être sauvé (le mot grec sôzô est le même que pour « être guéri »), alors il peut appeler les anciens de l’Eglise qui prieront pour lui au nom du Seigneur et qui pourront l’oindre d’huile (comme une marque d’un désir de consécration ou une espérance que cette personne reçoive le Saint-Esprit). Puis quand cette personne aura reçu le don de la foi et priera Dieu pour le remercier d’avoir oublié ses péchés et de l’avoir pardonné, alors elle sera sauvée et le Seigneur la ressuscitera (ou relèvera : égeirô) au Dernier Jour. Non en vertu de sa prière, mais de sa foi qui a motivé cette prière. Et la suite de ce passage peut conforter cette compréhension. En effet, Jacques parle ensuite de la confession mutuelle des péchés afin d’être guéri et de la prière du juste. Mais encore une fois, le mot iaomai utilisé pour « guéri » est aussi utilisé en Hébreux dans le même chapitre que précédemment et traduit par « raffermi » (He 12.13). De plus, nous pouvons relever un lien entre les thèmes de Jacques et d’Hébreux qui parlent tous deux de justice dans un contexte de sanctification. Et l’exemple d’Elie qui fait pleuvoir sur la terre qui produit du fruit rappelle l’image donnée juste avant en lien avec le Retour du Christ et la persévérance de la foi (Jc 5.7). Pour terminer, nous pouvons lire que Jacques parle de celui qui s’est égaré loin de la vérité, ce qui va dans le même sens, puis il termine en parlant de celui qui sauvera (encore le mot sôzô) une âme de la mort. Tout ce passage semble donc bien avoir une forte connotation eschatologique et parler finalement plus du Salut et du pardon des péchés plutôt que de donner une liste de choses à faire en cas de maladie physique.

Un troisième thème est celui du Jugement Dernier. Nous le retrouvons pour la première fois distinctement dans le deuxième chapitre (Jc 2.12-13). Ici, Jacques encourage ses lecteurs à parler et agir, donnant une dimension une nouvelle fois éthique, mais aussi apologétique au Jour du Jugement. Nous pouvons lire que les chrétiens seront jugés également selon leurs œuvres. Le Jugement semble en même temps futur et présent. En effet, c’est selon cette loi de liberté dont nous avons déjà parlé que les chrétiens seront jugés, mais la notion de compassion semble présente. De plus, cette compassion, cette pitié triomphe du Jugement. Nous pouvons retrouver dans cette phrase comme un écho du « Notre Père » qui nous exhorte à pardonner aussi à ceux qui nous ont offensés (Mt 6.12). Nous avons parlé dans le point précédant du jugement de ceux qui sont enseignants dans l’Eglise. Nous sommes également encouragés à ne pas juger les autres (Jc 4.11-12). Juger les autres, c’est se prendre pour Dieu tout comme Adam. Un seul est Juge, c’est Dieu. Nous ne sommes pas au-dessus de la loi. Dieu est le seul qui peut sauver (thème que nous avons abordé juste avant) et perdre.

Pour Jacques, nous avons mentionné que le Jugement était imminent. Il va donc mettre en garde les riches, tout comme le faisait Jésus. Et nous rejoignons encore une fois le thème de l’éthique. Tous ces thèmes eschatologiques sont donc bel et bien liés. Mais cette fois Jacques va mettre l’accent sur l’idolâtrie que représente la richesse. Elle sera en effet un témoignage contre nous au Jour du Jugement (Jc 5.3). Et la rétribution de l’amassage de trésors « dans les derniers jours », c’est-à-dire dans le temps présent, représente notre rétribution qui sera l’enfer. Les mots de Jacques sont durs : La rouille de notre or dévorera notre chair comme un feu. Relevons deux points ici. Premièrement, l’utilisation du mot « chair » peut laisser sous-entendre que Jacques pense à une résurrection corporelle des morts, aussi bien des méchants que probablement des chrétiens. Deuxièmement, l’utilisation de l’expression « les derniers jours » montre que pour Jacques nous y sommes déjà, et que cette période s’étend du départ de Christ jusqu’à son Retour au Jour du Jugement.

Cela introduit donc notre dernier et quatrième thème qui est celui du Retour du Christ. Jacques parle en effet de la Parousie (venue, présence) du Seigneur qui est ici Jésus-Christ (Jc 5.7-8). Pour lui, cela semble se faire en une fois et semble être un évènement confondu avec le Jour du Jugement. En vue du Retour de Jésus, il encourage donc ses lecteurs une nouvelle fois à la patience dans l’épreuve. Le mot patience est différent ici et se retrouve chez Pierre (makrothuméô) (2P 3.9). Jacques utilise l’image de la culture pour nous rappeler combien le fruit de la patience dans la foi en vue du Retour de Jésus est précieux. Il exhorte donc ses lecteurs par deux impératifs en leur écrivant : « Soyez patients ». Tout comme le Jugement, le Retour du Christ est proche, ce qui conforte cette idée d’un évènement unique. Il est intéressant également de relever le parallélisme synonymique entre ces deux versets qui rappelle la littérature sapientiale. Le Retour du Christ est donc utilisé ici comme un encouragement pastoral : Le fait de savoir que le Retour est proche et certain devrait nous encourager à persévérer dans la foi au milieu de l’épreuve.

Comme nous venons de le voir, la petite épître de Jacques est très riche en enseignement eschatologique, mais qu’ont à nous apprendre les deux épîtres de Pierre à ce sujet ? C’est ce que nous verrons dans le prochain article.

 

 

Notes et références

[1] LADD George E., Théologie du Nouveau Testament, Excelsis, Charols, 2010, p 607-608

[2] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 379

[3] ALEXANDER Desmond T. & ROSNER Brian S., Dictionnaire de théologie biblique, Exelcis, Charols, 2006, p 564

 

 

 

Abonnez-vous au Bon Combat

Recevez tous nos nouveaux articles directement sur votre boîte mail ! Garanti sans spam.

Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.