Un autre indice pour l’existence d’une « alliance de la création » entre Dieu et Adam

La doctrine de “l’alliance des oeuvres” ( ou “alliance édénique”, ou encore “alliance de la création”) est l’un des axes fondamentaux de la théologie réformée, mais aussi l’une de ses positions les plus décriés. On lui reproche notamment d’être une construction théologique sans aucun fondement biblique, une manière d’imposer un carcan dogmatique sur le texte de Genèse 1–3.

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Malgré l’absence explicite du mot “alliance” (berith) appliqué à la relation entre Dieu et Adam en Eden (voir cependant Osée 6:4), nous pensons que cette doctrine est scripturaire, et nous avons d’ailleurs traduit il y a quelques années ce petit article de Justin Taylor qui présente les principaux arguments en faveur de l’alliance des oeuvres (consultez le ici).

Dans le cadre de mes recherches sur Esaïe 24:4–6, je suis tombé sur un ouvrage de William J. Dumbrell, Covenant and Creation: A Theology of Old Testament Covenant. Dumbrell y adopte une approche pleinement exégétique -ce qui fait souvent défaut aux théoriciens de l’alliance des oeuvres- et présente un argument intéressant pour l’existence d’une alliance originelle avec Adam.

Le voici résummé ci-dessous.

 

Noé : un patriarche “juste” et qui “marche avec Dieu”

Dumbrell note que dès Gen. 6, c’est à dire pendant la période antédiluvienne, Noé est présenté comme “juste” (saddiq), “sans reproche/intègre” (tamim) et qu’il “marchait avec Dieu”. (Gen. 6:9)
Avec raison, il rappelle que les concepts de justice et d’irréprochabilité n’ont pas en Genèse le même sens que dans les écrits de Paul. Ils désignent plutôt le comportement d’un individu au sein d’une convention relationnelle bien établie. (p. 13)

La justice et l’intégrité de Noé impliquent donc une relation avec Dieu préalablement existante. De même, sa “marche” avec Yahweh doit être comprise comme une forme de loyauté/fidélité semblable celle requise de l’homme dans les alliances bibliques ultérieures. (p. 14)

Cependant, Noé est auréolé de cette description avant même que le concept d’alliance ne soit mentionné dans l’Ancien Testament (cf. Gen. 6:18). Quelle était donc la nature de cette relation prééxistante entre le patriarche et son Dieu ?

 

“Établir” ou “renouveler” l’alliance ?

Dumbrell remarque que, si de nombreuses alliances sont mentionnées en Genèse, plusieurs ne font pas usage de la formulation carath berith (litt. “couper l’alliance”) qui marque généralement son établissement. (p. 19–26)

Gen. 6:18 utilise un expression différente, qwm berith, dans laquelle la racine verbale (qwm) peut recouvrir plusieurs sens comme “établir” ou encore “maintenir”. Dumbrell passe en revue les différents usages de l’expression et conclut :

Ces différents éléments indiquent de manière quasi-certaine que là où qwm berith est utilisé (Gen. 6:18 ; 9:9, 11, 17 ; 17:7, 19, 21 ; Exod. 6:4 ; Lev. 26:9 ; Deut 8:18 : 2 Rois 23:3), ce n’est pas l’initiation d’une alliance qui est en vue, mais sa perpetuation. (p. 26)

Pour Dumbrell, la formulation qwm berith en Gen. 6:18 pointe sans ambiguïté vers l’existence d’un arrangement allianciel préalable, d’initiative divine, et sans aucune réponse humaine attendue (puisque Yahweh parle de “mon alliance”).

Malgré la corruption totale de la création et la violence remplissant la terre (Gen. 6:5–7, 11), Yahweh est déterminé à maintenir son alliance avec Noé. Pour Dumbrell, cette alliance n’est autre que celle qui a été initiée par Dieu au travers de son acte créateur primordial.

 

Les vertus rédemptrices de l’alliance avec Noé

Dumbrell note finalement la répétition du mandat créationnel “Soyez féconds, multipliez, et remplissez la terre” (Gen 1:28 ; 9:1, 7) fonctionne comme un inclusio encadrant l’unité textuelle qui précède le “renouvellement” (qwm) de l’alliance avec Noé (Gen. 9:8–17), cette dernière semblant d’ailleurs renouveler et étendre la portée l’alliance de Gen. 6:18 :

Comme le cadre constitué des versets 1 et 7 le laisse entendre, Noé nous est présenté comme un second Adam. Gen. 9:1–7 constitue clairement une section dont le but est de nous indiquer que, bien que Noé soit invité à prendre un nouveau départ et est revêtu du même mandat qu’Adam, c’est dans un monde nouveau qu’il est désormais appelé à évoluer. (p. 27)

Dans ce sens, selon Dumbrell, l’alliance Noachique possède une “fonction rédemptrice” en ce qu’elle implique un nouveau départ pour l’humanité représentée par Noé. Ce n’est donc pas un hasard si les eaux du déluge sont mentionnées dans un contexte de rédemption en Es. 54:7–10 et surtout en 1 Pie. 3:19–21 : dans une perspective chrétienne, la délivrance de Noé doit être vue comme un type de la rédemption en Christ. (p. 41)

 

Evaluation

Comme je le disais en début d’article, l’approche défendue par Dumbrell a le mérite d’être pleinement exégétique. Il ne peut néanmoins éviter certaines inférences inhérentes à son raisonnement, par exemple lorsqu’il cherche à défendre le caractère unilatéral et inviolable de l’alliance avec Noé.

 

Quelques bémols quant à son approche :

  1. Dumbrell clos ses réflexions sur l’alliance de la création en comparant ses propres conclusions avec celles de Charles Hodges et de Herman Hoeksema (p. 44–46). Il estime que leurs approches sont principalement dogmatiques et ne prennent pas suffisament en compte les données bibliques (p. 46). Ma sensibilité personnelle, essentiellement exégétique, me pousse à la sympathie envers la démarche de Dumbrell. Je le trouve néanmoins trop sévère dans certains de ses jugements à l’encontre des systématiciens.
  2. En “cumulant” l’alliance de la création et l’alliance Noachique, Dumbrell donne parfois l’impression de promouvoir une sorte de “théologie de la progression des alliances” (progressive convenantalism). Je pense qu’il est possible d’utiliser ses arguments sans pour autant confondre ces deux alliances, d’autant que tout est basé sur une compréhension très restreinte de la racine qwm.
  3. Je trouve néanmoins intéressant que Dumbrell refuse de séparer l’interprétation de Gen. 1–3 de l’ensemble de “l’histoire des origines” (Gen. 1–11). A mon sens, il s’agit bien la clé pour mieux comprendre l’alliance des oeuvres. Toutefois, certains marqueurs structurels clairs devraient davantage être pris en compte, comme par exemple les différents tholedoth (“voici les générations/la postérité”). Lorsque des cycles narratifs sont séparés par de tels éléments de structure, nous devrions veiller à ne pas trop promptement associer certains détails d’une unité textuelle à ceux présents dans une autre. La discipline de l’intertextualité peut nous aider dans cette démarche, en particulier au travers de l’identification de connections textuelles intentionelles entre ces cycles.

 

Dans l’ensemble, j’apprécie la contribution de Dumbrell, et je pense que son traitement de Gen. 6 et 9 offre quelques indices supplémentaires sur l’existence d’une l’alliance des oeuvres entre Dieu et Adam.

 

 

– William J. Dumbrel, Covenant and Creation: A Theology of Old Testament Covenants (Eugene: Wipf and Stock Publishers and Paternoster, 1984), 11–46.

 

 

 

 

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Guillaume Bourin est co-fondateur du blog Le Bon Combat et directeur des formations #Transmettre. Docteur en théologie (Ph.D., University of Aberdeen, 2021), il est l'auteur du livre Je répandrai sur vous une eau pure : perspectives bibliques sur la régénération baptismale (2018, Éditions Impact Academia) et a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Guillaume est marié à Elodie et est l'heureux papa de Jules et de Maël