L’utilisation des Psaumes dans l’histoire du peuple de Dieu
Nous reprenons série sur les Psaumes !
Après avoir étudié la structure interne du livre des Psaumes (ici), le caractère spécifique des deux premiers psaumes (ici), l’utilité de ce livre pour les chrétiens aujourd’hui, et fourni un tableau récapitulatif de tout cela (ici), nous allons nous pencher dans cet article sur l’utilisation du psautier dans l’histoire du peuple de Dieu.
De quelle manière le livre des Psaumes, suite au retour d’exil, a-t-il été utilisé dans le temple de Jérusalem et dans les synagogues ? Quelle place a eu ce livre au temps des premiers Pères de l’Église ? A-t-il eu une utilisation liturgique importante dans l’Église du Moyen-Âge et de la Réforme ? C’est ce que nous allons voir.
Les Psaumes dans le judaïsme du second temple
À la lecture du Nouveau Testament, on peut se rendre rapidement compte que le livre des Psaumes a une place importante dans la religiosité juive du temps de Jésus (Mc 14.26)[1]. En effet, les Juifs ont parfaitement conscience que lire les Psaumes, c’est lire les écrits « de personnes qui parlent à Dieu de Dieu »[2]. Un midrash du psaume 1 affirme que, « de même que Moïse a donné 5 livres de lois à Israël, de même David a donné 5 livres de psaumes à Israël »[3]. Ainsi, selon ce midrash, « Moïse a institué les éléments liturgiques d’Israël, et David a transformé la liturgie mosaïque en un opéra »[4]. Jacques Buchhold rajoute que les Psaumes sont « la Loi et les prophètes mis en prière »[5].
Il est fort probable que de nombreux psaumes, réunis en collections – comme le livre 1 du psautier, aient été utilisés dans la liturgie du temple de Jérusalem avant la déportation du peuple du royaume de Juda à Babylone en -586. Les Psaumes étaient également utilisés au temple lors des périodes de fêtes, comme le laisse penser la collection des « chants des montées » (Ps 120-134)[6]. Waltke écrit qu’Israël revêtait chaque nouveau roi qui montait sur le trône des psaumes royaux comme d’une robe. Cependant, au fil des générations, les épaules du monarque se sont révélées trop petites et la robe est tombée. Le peuple juif s’est ainsi retrouvé en exil, sans roi, mais avec une armoire pleine de robes[7].
Après l’édition finale du psautier, suite au retour d’exil, on peut également remarquer que le livre des Psaumes passe de cet usage liturgique exclusif du temple à un usage méditatif dans la synagogue postexilique[8]. Ernst Jenni écrit que durant cette période du second temple, « l’amen du peuple ne répond plus aux actions de Dieu mais aux paroles puissantes de Dieu ». Ainsi, quand nous réalisons l’importance des Psaumes dans le judaïsme postexilique, il devient primordial pour nous de connaître un tant soit peu le judaïsme du second temple pour comprendre l’interprétation des Psaumes[9].
Les Psaumes dans le Nouveau Testament
En lisant le Nouveau Testament, il est aussi indéniable que les Psaumes tiennent une place importante dans la vie spirituelle de Jésus et des apôtres. En effet, ils sont repris et cités de nombreuses fois. Bruce Waltke et James Helly Hutchinson estiment que, sur environ 283 citations de l’Ancien Testament dans le Nouveau Testament, 116 proviendraient du psautier, soit 41% de ces citations. Jésus, à lui seul, citerait les Psaumes plus de 50 fois[10]. Il n’y a que le livre d’Ésaïe qui est cité un plus grand nombre de fois[11]. Satan lui-même cite le psaume 91.11-12 (Mt 4.6). Pour lui, ce psaume fait directement référence au messie[12].
Et il n’est pas le seul à comprendre cela. En effet, Jésus affirme également que les Psaumes parlent de lui (Lc 24.44)[13]. Le rapport entre Jésus et les Psaumes se fait essentiellement par le biais des thèmes du roi davidique et du Fils de Dieu[14]. On peut noter que le psaume 69 semble important dans la compréhension que Jésus a de lui-même (il utilise également Ps 22, 110, 118)[15]. Christophe Paya explique que par l’utilisation que Jésus fait des Psaumes, ces derniers deviennent les prières du Christ (He 2.12)[16]. Ainsi, les Psaumes sont les prières de Jésus soit en tant que roi, soit en tant qu’Israël[17]. De plus, Graeme Goldsworthy écrit que les prières du Christ, parce qu’il nous représente tous, deviennent les prières de chaque chrétien individuellement, sa prière étant notre prière dans notre union à lui. Les psaumes sont à la fois prières de Jésus (He 2.12) et prières dites à Jésus[18]. P. Beauchamp écrit : « Avant de répondre au cri de l’humanité, Dieu l’a fait sien ». Le « je » est celui du Christ. « Il n’est donc pas étonnant que cette prière, à la fois, nous traverse et nous dépasse »[19].
En ce qui concerne les apôtres, ceux-ci ont appris à avoir une lecture christologique des Psaumes, comme le leur a enseigné Jésus (Lc 24.46-48)[20]. Jacques Buchhold explique que cette lecture particulière des Psaumes par les apôtres se pratique sous deux angles différents. Premièrement, il y a la lecture typologique paradigmatique à la manière du midrash, où l’on actualise le propos pour l’adapter à sa propre situation : en tant qu’homme, Jésus revit les expériences humaines générales et celles du roi[21]. Deuxièmement, il y a la lecture typologique prophétique où des indices d’incomplétude sont donnés dans un psaume[22]. On parle aussi parfois de « décrochage prophétique » quand il y a une rupture encore plus nette avec le contexte historique du psaume qui donne une coloration prophétique très marquée, par exemple dans le Psaume 2 avec la présence des nations[23].
L’auteur de la lettre aux Hébreux va très loin dans cette compréhension christologique des Psaumes, puisque pour lui les psaumes à destination de Dieu sont aussi à destination du Christ (He 1.10-12)[24]. Cependant, cette utilisation christologique du livre des Psaumes n’est pas la seule qu’utilisent les apôtres. Par exemple, Paul se sert aussi du psautier dans un contexte non-christologique (Rm 3.4, 10b-18)[25]. De plus, dans son épître aux Colossiens, il nous laisse quelques indices qui nous révèlent de quelle manière les premiers chrétiens utilisaient les Psaumes (Col 3.16)[26]. Dans tous les cas, comme le note Waltke, l’utilisation du psautier par Jésus et ses apôtres, et l’accomplissement prophétique des Psaumes, laissent à penser que tout le livre des Psaumes se rapporte à Jésus et à son Église[27].
Les Psaumes dans l’Église
Neil Blough note qu’il y a une probable continuité entre la psalmodie juive de la synagogue et le culte chrétien de l’Église[28]. On relève également une utilisation des Psaumes par les premiers auteurs chrétiens.
La première lettre de Clément de Rome cite par exemple les Psaumes 49 fois sur les 172 reprises de l’Ancien Testament qu’elle contient[29]. Origène, quant à lui, réalise le premier commentaire intégral du livre des Psaumes que nous connaissons, et ce dès le deuxième siècle. Ce commentaire a d’ailleurs eu une grande influence sur l’histoire interprétative du psautier dans la patristique. À partir du troisième siècle, nous savons que les Psaumes sont chantés dans l’Église. Ils sont également récités et appris par cœur intégralement dans les monastères[30]. Ils tiennent donc une place importante dans la prière et la liturgie de l’Église primitive. Pour la période allant du neuvième au douzième siècle, nous possédons plus de deux mille commentaires du livre des Psaumes, notamment influencés par Augustin, Cassiodore, Bède, Alcuin, et Pierre Lombard[31]. Les Psaumes sont aussi traduits dès 1229 en langue vulgaire – une traduction que l’on appelle la « Bible des pauvres »[32].
Au niveau de la liturgie ecclésiale, nous voyons que les Psaumes influencent beaucoup le Père de l’Église Ambroise ainsi que le chant grégorien hérité du pape Grégoire le Grand[33]. Au Moyen-Âge, l’importance des Psaumes est considérable dans les monastères et dans la tradition orthodoxe orientale. La docteure de l’Église et mystique Hildegarde de Bingen est une des premières à offrir une glose musicale au psautier. C’est aussi un des seuls livres liturgiques donnés aux laïcs, en lien avec la pratique du rosaire[34]. Les Lollards de John Wycliffe et Christophe Colomb voyaient dans les Psaumes une espérance apocalyptique[35].
Au temps de la Réforme, les Psaumes sont les seuls chants de la réforme calviniste[36]. Le Psautier de Genèvesemble avoir eu un impact plus important que l’Institution de Calvin[37]. Une maxime de l’époque dit : « Lex orandi lex credendi », ce qui signifie : la liturgie devient théologie, le chant devient prédication[38] ! L. Clémenceau nous montre l’importance du livre des Psaumes pour les grands réformateurs quand il écrit que pour Luther, le psautier est « une Bible en miniature », et que pour Calvin, « il contient toute doctrine essentielle »[39]. Le livre des Psaumes servira également à l’alphabétisation des enfants jusqu’au début des années 1800[40].
Conclusion
Finalement, nous constatons que le livre des Psaumes a eu une influence considérable dans la liturgie, la prière, et la vie de piété non seulement des premiers chrétiens, mais aussi des Juifs. Les Psaumes sont chez eux au milieu du peuple de Dieu, que ce soit dans le temple, dans la synagogue, ou bien encore dans l’Église et les maisons chrétiennes.
Il n’est pas anodin d’avoir relevé que les Psaumes ont été le premier livre à être traduit en langue vulgaire et qu’ils ont servi dans l’éducation des enfants. Cela démontre avec certitude l’importance de ce livre aux yeux des croyants qui nous ont précédés. Cependant, nous voyons aujourd’hui comme un recul de l’utilisation du psautier, que ce soit dans nos cultes personnels ou dans nos rencontres publiques.
Cela devrait nous alerter. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition d’utilisation du livre des Psaumes. Nous devons revenir à ce livre afin d’enrichir nos prières, notre théologie, notre liturgie, et notre adoration. Même si nous pouvons chanter des compositions plus modernes lors de nos cultes du dimanche, nous devrions tout de même veiller à réintégrer le chant des Psaumes dans nos assemblées afin de fortifier nos cœurs et notre foi, et de faire monter vers Dieu les paroles qu’il nous a lui-même données et qu’il désire entendre.
Notes et références :
[1] M. Sanders, Introduction à l’Herméneutique, Édifac, Vaux-sur-Seine, 2015, p. 163.
[2] T. Longman et R.B. Dillard, Introduction à l’Ancien Testament, Excelsis, Charols, 2008, p. 239.
[3] B. Waltke, Théologie de l’Ancien Testament, Excelsis, Charols, 2012, p. 953.
[4] Ibid.
[5] J. Buchhold, « Jésus et les apôtres, lecteurs des Psaumes (II) », Redécouvrir les Psaumes : Actes du Colloque 2012 à Vaux-sur-Seine, collection Interprétation, Excelsis, Édifac, Charols, Vaux-sur-Seine, 2015, p. 207.
[6] N. Blough, « Les Psaumes chantés dans l’histoire : avons-nous compris la Réforme ? », Redécouvrir les Psaumes, p. 93-94.
[7] B. Waltke, op. cit., p. 959.
[8] Ibid., p. 954.
[9] M. Petrossian, « Les Psaumes dans le judaïsme du Second Temple », Redécouvrir les Psaumes, p. 31.
[10] B. Waltke, op. cit., p. 962 ; J.H. Hutchinson, « Le messianisme dans le livre des Psaumes : résolution et réalisation », Redécouvrir les Psaumes, p. 151. Hutchinson parle lui de un quart des citations et allusions de l’A.T dans le N.T.
[11] T. Longman et R.B. Dillard, op. cit., p. 244.
[12] Waltke, op. cit., p. 960.
[13] T. Longman et R.B. Dillard, op. cit., p. 244.
[14] Ibid., p. 245.
[15] J. Buchhold, op. cit., p. 155-158.
[16] C. Paya, « Chanter, prier, prêcher les Psaumes », Redécouvrir les Psaumes, p. 263.
[17] Ibid., p. 264.
[18] T. Longman et R.B. Dillard, op. cit., p. 246.
[19] C. Paya, op. cit., p. 275.
[20] J. Buchold, op. cit., p. 160.
[21] Ibid., p. 161.
[22] Ibid., p. 184.
[23] Ibid., p. 198.
[24] T. Longman et R.B. Dillard, op. cit., p. 245.
[25] Ibid., p. 244.
[26] M. Petrossian, op. cit., p. 49-50.
[27] Waltke, op. cit., p. 962.
[28] N. Blough, op. cit., p. 93-94.
[29] L. Clémenceau, « Les Psaumes dans le christianisme avant l’époque de la Réforme », Redécouvrir les Psaumes, p. 72.
[30] L. Schweitzer, « Les Psaumes, guide de spiritualité », Redécouvrir les Psaumes, p. 215-216.
[31] L. Clémenceau, op. cit., p. 80.
[32] L. Schweitzer, op. cit., p. 215-216.
[33] L. Clémenceau, op. cit., p. 81.
[34] Ibid., p. 84.
[35] Ibid., p. 72.
[36] L. Schweitzer, op. cit., p. 215-216.
[37] L. Clémenceau, op. cit., p. 95.
[38] Ibid., p. 100.
[39] Ibid., p. 105.
[40] Ibid., p. 90.