Et si Dieu aimait les tatoués… ET les tatouages ?

Les tatouages ! Voilà que je me penche sur un sujet particulièrement clivant et difficile. Les tatouages sont devenus tellement communs dans notre culture que les aborder est presque contre-productif. Les chrétiens savent d’ailleurs très bien que les non-croyants eux-mêmes ne sont pas en accord sur ce sujet. Nombre d’entre eux n’aiment pas cette pratique. S’ajoute à cela les différentes justifications peu en accord les unes avec les autres qui sont invoquées pour le tatouage : sensibilité artistique, commémoration, religion, effet de mode, ou encore symbole d’attachement à quelqu’un ou à quelque chose.

Même si nous voulions donner une “teinte chrétienne” à cette discussion, il faut reconnaître que les données bibliques sont bien maigres au regard de l’étendue de nos questionnements. Néanmoins, certains principes bibliques, je le pense, peuvent apporter un éclairage le chrétien et le tatouage.

 

Dans l’histoire

Sans conteste, la pratique du tatouage est ancienne. La culture Chinchorro d’Amérique du Sud en faisait grand cas depuis des temps reculés. [1] Bien entendu, les archéologues doivent se baser sur des résidus de peau afin de pouvoir dater la pratique du tatouage.

Dans un tableau récapitulatif, Deter-Wolf (et avec lui  d’autres spécialistes) compare toutes les découvertes archéologiques en la matière ; il établit qu’Ötzi, le fameux “homme des glaces”, est l’une des plus anciennes, remontant à la période comprise entre 3370 et 3100 av. J.C. Certaines momies tatouées ont été également trouvé dans tombeaux égyptiens. Elles datent probablement de la période 2300-1500 av. J.C. [2] Les raisons de ces marquages n’étaient pas toujours religieuses, y compris durant la période paléolithique. Fait intéressant, dans l’Egypte ancienne, la raison principale pourrait avoir été la poursuite d’une meilleure santé.

Cependant, comme nous le verrons plus tard, les auteurs du Nouveau Testament regardaient le tatouage comme un acte profondément religieux. Aujourd’hui, cependant, les tatouages sont avant tout considérés comme un art de modification du corps. [3]

 

 

Dans la Bible

L’Ancien Testament mentionne une pratique ancienne qui semble similaire à nos tatouages modernes.

La première occurrence se trouve en Lév. 19:28, où le terme utilisé (kĕṯōḇeṯ) est un hapax, c’est à dire un terme qui n’est utilisé qu’une seule fois dans toute la Bible. Cependant, il ne me semble pas que ce texte constitue une prohibition générale. En Egypte, les esclaves étaient marqués du nom de leur dieu ou du Pharaon, et je suppose que certains Israelites devaient eux aussi porter de tels tatouages (contre leur volonté) alors qu’ils vivaient dans ce pays. Nous savons également que les Israelites marquaient le corps de leurs esclaves (cf. Ex. 21:6; Deut. 15:17).

Jacob Milgrom, spécialiste de premier plan du livre du Lévitique, pense que cette loi n’est pas un prohibition générale contre une pratique de deuil sanglante ou contre le tatouage en général, mais qu’elle a pour but ultime l’abolition de l’esclavage en Israel (voir Lév. 25:29-43). Malgré cet avis éclairé, nous croyons que les tatouages étaient bannis en raison de l’appartenance des Israelites à Dieu, et non à des dieux étrangers, comme nous allons le voir maintenant.

Les quelques exemples qui vont suivre démontrent qu’en réalité Dieu aime les tatouages. Yahweh a même gravé le nom des siens sur les paumes de ses mains (Es. 49:16). Bien qu’Edward J. Young estime que le verbe hqq, qui signifie “couper au travers” ou “tracer”, ne se réfère pas au tatouage dans ce passage [5], une rapide recherche dans la Bible hébraïque suggère l’inverse. La plupart des 19 occurrences de ce verbe font référence au tracé d’images ou à des inscriptions sur un support comme un mur, le ciel, ou la main (Gen. 49:10; Nom. 21:18; Deut. 33:21; Jug. 5:9; Ps. 60:9; Prov. 8:15). [6] La racine hqq est d’ailleurs relativement fréquente en Esaïe (10:1; 22:16; 30:8; 33:22). Dans ce contexte, le tatouage est un rappel permanent de l’amour fidèle que Dieu a pour nous. L’idée est de graver dans la chair quelque chose, dans le but de le garder constamment à l’esprit. [7]

Bien sur, Dieu n’a pas de main physique, mais cet antropomorphisme nous rappelle que nous appartenons au seul Dieu vivant. Ceux qui prennent offense des tatouages devraient se demander pourquoi Dieu les grave métaphoriquement sur ses mains si agir de la sorte est un péché.

 

J’aimerais maintenant me tourner vers le Nouveau Testament. Le verset le plus populaire utilisé contre la pratique du tatouage se trouve en 1 Cor. 6:18-20. Détachons-nous un instant de l’usage qui, malheureusement, en est souvent fait et replaçons ces versets dans leur contexte immédiat. Celui-ci est clairement celui de l’immoralité sexuelle.

Les corinthiens professaient un certain dénigrement du corps, ce qui les conduisait à penser qu’il pouvait être utilisé pour toutes sortes de pratiques débauchées. Ce que Paul affirme dans ce contexte, c’est que la résurrection de Christ a joint spirituellement nos corps à celui de Christ dans les cieux. D’autre part, puisqu’un acte sexuel fait qu’un homme et une femme deviennent “une seule chair”, cela n’affecte pas seulement le corps mais aussi l’âme, et de manière plus importante encore le Saint Esprit qui habite dans nos corps.

Mais, pourrait-on objecter, ce qui est-valable pour les péchés sexuels ne le serait-il pas pour les autres pratiques dégradant nos corps, comme le tatouage ? Il faut garder en tête que les péchés sexuels, dans ce passage notamment, sont clairement distingués des autres péchés. Trois approches sont souvent invoquées pour expliquer cette distinction :

  • L’approche quantitative (Calvin, Barrett, Conzelman), qui implique que les péchés sexuels sont plus destructeurs que les autres.
  • L’approche qualitative, qui affirme que les péchés sexuels sont “qualitativement” les pires (Fee, Bruce)
  • L’approche qualitative-particulière (Fisk, Garland) suggérant que le péché sexuel affecte davantage le corps et en conséquence fait violence à Christ et à l’Esprit comme à son propre corps.[8]

 

Paul ne parle de péchés qui font injure à nos corps, tels l’alcoolisme, la gloutonnerie, le suicide, l’automutilation… mais plutôt d’un péché qui joint l’acte au corps de Christ.[9] Par conséquent, placer une pratique culturelle ou sociétale -le café, la cigarette, les tatouages, ou encore l’accoutrement- au même niveau que l’immoralité sexuelle ne rend pas justice au contexte de ce passage

 

 

Pouvons-nous pratiquer le tatouage ?

À la lumière de ces données historiques et bibliques, nous pouvons dégager certains principes afin de déterminer si oui ou non nous pouvons être tatoués.

Premièrement, la toute première raison biblique pour rejeter les tatouages n’était pas physqique, mais religieuse. Si les chrétiens portaient des tatouages pour symboliser leur relation avec un faux dieu, Lév. 19:28 pourrait peut-être s’appliquer à eux. Dieu ne souhaite évidemment pas que notre cœur soit partagé. Cependant, de ce que je constate, la plupart des tatouages modernes font écho à un effet de mode. Même si certains voulaient invoquer 1 Cor. 6:20 et user de l’image de notre corps comme le temple du Saint-Esprit, nous avons vu que même certains péchés explicites ne profanent pas nos corps comme l’impureté sexuelle le fait. Pourquoi donc l’appliquerions-nous au tatouage?

Deuxièmement, il paraît difficile de se positionner contre les tatouages lorsqu’ils représentent notre relation avec Dieu, surtout quand Dieu indique s’être marqué (métaphoriquement) pour ses bien aimés. Si les tatouages vous heurtent et vous choquent, n’appliquez-vous pas à une double règle de jugement en acceptant que votre nom soit “écrit sur la paume de Ses mains” ?

Troisièmement, et de manière bien plus importante, il est sans doute préférable d’éviter ou du moins d’user de modération dans l’usage des tatouages, et ce dans le but de ne pas porter offense au “faible” dans la foi, (Rom. 14:15 ; 1 Cor. 8:13). Car qu’est-il plus important ? Vous et votre style, ou l’âme des enfants de Dieu qu’il a racheté par son précieux sang ? En conséquence, vous qui envisagez de vous faire tatouer, agissez-vous dans l’amour envers ceux que les tatouages offensent ? Songez qu’en agissant de cette manière, nos tatouages peuvent devenir des péchés contre Dieu (1 Cor. 8:12). Dieu peut transformer le cœur de ceux qui ne peuvent supporter les tatouages, mais il est patient envers eux. Êtes-vous plus dieu que Dieu, puisque Dieu lui-même les a acceptés (Rom. 14:3)

Enfin, ceux qui envisagent les tatouages comme des péchés et qui en sont scandalisés doivent impérativement grandir. Paul ne vous donne pas réellement d’excuse pour votre faiblesse en Rom. 14 ou en 1 Cor. 8:7-13, mais il reprend plutôt le “fort” comme le “faible”. [10] L’amour pour Dieu du chrétien tatoué est bien plus important que la marque qu’il porte sur son corps. Mais en jugeant le prochain par ses tatouages, vous envoyez un signal erroné, à savoir que l’apparence extérieure est plus importante que la disposition intérieure, que la foi en Christ.

Regardez donc : la main de votre Père céleste, votre nom tatoué au creux de sa paume, est tendue vers vous !

 

 

Notes et références

[1] Aaron Deter-Wolf, “The Material Culture and Middle Stone Age Origins of Ancient Tattooing” Zurich Studies in Archaeology, no9 (2013):16. Deter-Wolf estime que la pratique du tatouage pourrait être apparue environ 8000 ans avant notre ère, bien que cela soit sujet à débat. Une chose est sure, la chose est fort ancienne.

[2] Deter-Wolf, Robitaille, et al., “The World’s Oldest Tattoo,” Journal of Archeological Science, no5 (2016): 3.

[3] Michael Atkinson, Tattooed: The Sociogenesis of a Body Art, (Toronto: University of Toronto Press, 2003), 3-4.

[4] Jacob Milgrom, Leviticus 17-22, The Anchor Bible Commentary (New York: Doubleday, 2000), 1694-5.

[5] Edward J. Young, The Book of Isaiah, vol. 3 (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 1972), 285-6.

[6] Le verbe חָקַק possède un large champ sémantique : il peut également désigner un symbole d’autorité ou d’appartenance. Par exemple, l’euphémisme de Gen. 49:10 suggère que son usage en tant que participe (“bâton/sceptre”) désigne les organes génitaux. Lisez la discussion dans Gordon J. Wenham, Genesis 16-50, Word Biblical Commentary vol. 2, (Waco, TX: Word Books, 1994), 446-7.

[7] John D. Watts, Isaiah 34-66, Word Biblical Commentary vol. 25, (Waco, TX: Word Books, 1987), 189.

[8] Bruce N. Fisk, “Porneyein as Body Violation: The Unique Nature of Sexual Sin in 1 Corinthians 6:18,” New Testament Studies no42 (1996): 540-58.

[9] David E. Garland, 1 Corinthians, Baker Exegetical Commentary on the New Testament, (Grand Rapids: MI, Baker Academic, 2003), 238.

[10] Douglas J. Moo, The Epistles to the Romans, The New International Commentary on the New Testament, (Grand Rapids, MI: Eerdmans, 1996), 838.

 

 

 

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