Quatre stratégies pour aborder les variantes textuelles dans vos prédications
Article de Justin Dillehay publié sur Equip, le blog de la faculté Southern, à Louisville. Traduction : Dahlia Faltas.
**
Si vous prêchez régulièrement, vous serez confrontés à la question des variantes textuelles. Voici ce que vous devriez savoir lorsque vous aurez à les traiter.
Tout pasteur désire que son assemblée connaisse bien sa Bible. Mais parfois, les chrétiens ne sont pas familiers avec certaines traductions et cela peut constituer un défi pour celui qui enseigne. Considérons l’un des passages les plus mémorisé de toutes les Écritures, la prière du Notre Père (Matthieu 6.9-13). Lorsque nous jouions au basket, au lycée, nous avions pour habitude avec de réciter le Notre Père avant chaque match dans la très irréprochable version King James ( KJV, l’équivalent de la Ostervald ou de la Martin, une traduction très populaire dans le monde anglo-saxon). Mais, de nous jours, lorsque les pasteurs lisent ou prêchent le Notre Père, ils le font dans une autre version, comme la ESV (English Standard Version, une traduction récente basée sur d’autres manuscrits que la KJV). Et cela provoque parfois quelques hausses de sourcils et autres troubles cardiaques.
Certains se disent : « Attendez une minute, où est la fin du passage ? Qu’est-il arrivé au « Car c’est à toi qu’appartiennent, dans tous les siècles, le règne, la puissance et la gloire. Amen ! » ? La version ESV et la plupart des autres traductions modernes mentionnent cette partie uniquement en bas de page en l’introduisant par « Certains manuscrits ajoutent […] ». Il s’agit là d’un exemple typique de ce que les spécialistes appellent une variante textuelle –un passage contenu dans les manuscrits grecs ou hébreux et pour lequel il existe plusieurs lectures différentes. Nous trouvons en effet dans ce type de cas des manuscrits qui possèdent certains termes ou clauses que d’autres manuscrits ne possèdent pas, laissant ainsi aux spécialistes le soin de déterminer laquelle de ces lectures correspond à la version originale.
Ce processus peut être dérangeant pour beaucoup de chrétiens. Ils n’ont pas été habitués à se familiariser avec le processus de traduction de l’original grec et hébreux à nos versions en langues modernes. Toutefois, ils croient avec raison que la Bible est la Parole de Dieu et connaissent les avertissements quant au fait de ne rien y ajouter ou retrancher (Apocalypse 22.18-19). Cela ne devrait donc pas nous surprendre qu’ils puissent s’interroger sur les versions divergentes à celle dont ils ont l’habitude. D’autres peuvent alors se demander si la Bible complète existe réellement, s’il en est ainsi. Nous, pasteurs, en tant que personnes chargées de guider leurs âmes, nous leur devons une explication à ce sujet, et nous ne devons pas esquiver ou mépriser ces questions.
Le fait que nous rencontrions ce problème dans des passages aussi familiers que celui du Notre Père, est la preuve que nous ne pouvons pas passer à côté de cette question. Si nous prêchons régulièrement, nous rencontrerons d’autres variantes comme celle-ci. J’ai pour ma part prêché et enseigné auprès d’une même assemblée pendant plus de dix ans et j’ai eu à faire face à ce problème plus d’une fois, depuis la fin de l’Evangile de Marc jusqu’à la fin de la prière du Notre Père. Et comme je n’ai pas encore été viré de mon assemblée (!), je ne pense pas être dans l’erreur dans l’erreur quand je suggère d’être au clair sur cette question
Voici là quatre moyens de guider votre église dans l’étude des variantes textuelles.
1- Apprenez à connaître les personnes de votre Église
Notre approche en la matière variera en fonction de la taille et de l’historique de notre église. Mais autant que possible, apprenons à nous intéresser aux différentes catégories de personnes qui fréquentent notre assemblée. Quel est leur arrière-plan ? Quelle traduction de la Bible utilisent-ils ?
Dans mon cas, je sais que certains de mes auditeurs les plus âgés utilisent la fameuse version King James. D’autres sont issus d’un arrière-plan plus fondamentaliste et ne tolèrent que la version King James. Et même si j’ai conscience qu’ils ne fréquenteraient certainement pas notre église s’ils étaient toujours des auditeurs exclusifs de la King James, je sais aussi que certaines craintes antérieures et certains schémas de pensée bien enracinés peuvent persister longtemps (les mêmes craintes existent dans les Eglises francophones par les habitués de la vieille version Segond 1910 ou de la Darby, NDT)
Certaines personnes ont également été enseignées que, dans des cas comme celui de « l’omission » de l’expression « par son sang » dans certaines versions de Colossiens 1.14, il s’agit en fait d’une conspiration satanique pour corrompre la Bible. Il serait aisé de se moquer de telles assertions avec nos camarades de la faculté de théologie. Mais s’il y a bien une chose que j’ai apprise des réseaux sociaux c’est qu’il est facile d’être quand nous supposons que tous ceux qui nous entourent partagent nos points de vue. Il est facile de parler avec mépris de ces « idiots » qui croient à ces choses « stupides ». Rappelons-nous que certaines de ces personnes si « bêtes » font probablement partie de votre auditoire.
Or, ce ne sont pas des imbéciles, et c’est notre rôle de les instruire –certainement pas de les rabaisser.
2- Enseignez les bases de la critique textuelle
La critique textuelle peut avoir une mauvaise image. Qui voudrait que son pasteur critique les textes de l’Ecriture ? Mais il ne s’agit pas de cela ici. La critique textuelle désigne le processus d’évaluation des différents manuscrits dans le but de déterminer autant que faire se peut ce que les auteurs ont écrit à l’origine. Je sais que vous n’êtes pas expert de la critique textuelle, et ce n’est pas ce à quoi cet article vous appelle. Mais nous pouvons apprendre des spécialistes. En effet, dans l’histoire, les pasteurs ont rarement eu autant de ressources qu’il en existe aujourd’hui. Par exemple, Daniel Wallace met à disposition des cours complets en ligne. Un nouveau livre intitulé Myths and Mistakes in New Testament Textual Criticism, édité par Elijah Hixson et Peter Gurry, devrait paraître prochainement cette année et vise à aider les pasteurs et les non-initiés à comprendre ces questions (À quand une telle initiative en Français ? NDT). […]
Dans mon église, j’ai déjà consacré deux ou trois cours d’école du dimanche pour adultes à l’expliquer les principes de base de la critique textuelle. Il n’est pas nécessaire que les explications soient exhaustives. Il suffit simplement d’expliquer certains principes comme : « La lecture qui explique le mieux l’existence des autres lectures est probablement originale » (c’est pour cela que l’Evangile de Marc se terminerait probablement à Marc 16.8), ou encore « la lecture non-harmonisée est probablement originale », c’est pourquoi l’expression « à la repentance » est probablement originale dans Luc 5.32 contrairement à Marc 2.17 ou Matthieu 9.13.
Une telle leçon ne doit pas à être ennuyeuse. Les chrétiens veulent comprendre pourquoi leurs Bibles diffèrent les unes des autres. Vous pouvez leur apprendre les bases.
3- Rappelez que ces problèmes de ne sont pas nouveaux
Les chrétiens qui s’inquiètent des « omissions » dans les nouvelles traductions sont généralement ceux qui ont du respect pour ce qui est ancien et, parfois, des réserves à l’égard de ce qui est nouveau. Il peut donc être utile de les rassurer quant au fait que, même si ces questions sont nouvelles pour eux, elles ne le sont pas pour l’Église.
Par exemple, en étudiant récemment la fin « manquante » du Notre Père, j’ai découvert que William Tyndale ne l’avait pas incluse dans sa première traduction anglaise de la Bible en 1526. Ce Tyndale est une figure historique que ma communauté admire. C’est en effet un personnage pieux, un martyr, et un bon traducteur. Je me suis empressé de partager cette information avec eux. J’ai également trouvé utile de souligner le fait que la version originale de la King James comportait des variantes textuelles à la marge, et que les traducteurs de cette version ont défendu cette pratique contre des objections à celles que certains élèvent contre la critique textuelle aujourd’hui :
« Certains estiment que l’on ne devrait pas mettre ces différentes lectures dans la marge, de peur que l’autorité des Écritures pour décider des controverses ne soit ébranlée par cette démonstration d’incertitude. Mais nous sommes d’avis que leur jugement n’est pas très avisé sur ce point. »
Si cette pratique était assez bonne pour les traducteurs de la King James, elle le sera sans doute pour eux également.
4- Soyez un exemple de fidélité à la Parole de Dieu
Votre assemblée n’a pas seulement besoin de faire confiance à la Parole de Dieu ; elle a besoin de pouvoir vous faire confiance. Vous pouvez dire autant de choses vraies que vous voulez, mais cela n’aura aucune espèce d’importance si ceux qui la composent ne sont pas convaincus que vous faites vous-même confiance à la Bible et que vous n’oseriez jamais la falsifier. Espérons qu’ils vous accorderont leur confiance dès le début, mais avec le temps, il vous faudra sans doute la mériter.
Je connais le pouvoir persuasif de l’exemple tiré de l’expérience. J’ai grandi dans un milieu qui n’autorisait que la KJV. Les questions de critiques textuelles étaient « résolues » en partant du principe que « la KJV est la Bible, donc c’est cette version qui l’interprète » (certains ont bel et bien la même attitude avec les traductions basées sur le « texte reçu », en francophonie… NDT). Les prédicateurs qui utilisaient des traductions modernes étaient présentés comme des apostats qui ne croyaient pas à la Parole de Dieu.
Ce ne sont pas des arguments techniques qui m’ont conduit à quitter cet état d’esprit, mais le fait d’écouter des prédicateurs fidèles : des hommes comme John Piper qui prêchaient de façon exposée à partir de traductions modernes et qui tremblaient incontestablement devant la Parole de Dieu. Cela a brisé mes présupposés et rendu les arguments techniques plausibles à mes yeux.
Nous devons modeler à la fois l’intégrité théologique et la vertu intellectuelle. Je ne peux pas garantir que tout le monde vous appréciera ni que vous convaincrez tout le monde. Mais avec le temps, votre exemple exercera une influence, et les gens verront que l’existence de variantes textuelles dans la Bible n’implique pas nécessairement d’ébranler la foi de quiconque.
Et qui sait, quand les jeunes de votre église iront à l’université et liront Bart Ehrman, ils se diront peut-être : « Rien de nouveau ; j’avais déjà entendu parler de cela à l’école du dimanche ».
Ces ressources pourraient vous intéresser :
- 7 arguments contre la critique textuelle
- La critique textuelle est-elle une menace à la défense de l’inerrance de la Bible ?
- L’inerrance biblique en question