Quand Charles Spurgeon critique John Bunyan (!)
Mon ami Alex et moi lisons actuellement ensemble l’ouvrage Le Christ et ses bienfaits, de Sinclair Ferguson (Publications Chrétiennes, 2021. Vous pouvez vous le procurez ici). Quelle surprise d’y découvrir, au détour d’un paragraphe sur les erreurs du « préparationnisme », l’idée que la conviction de péché ou le renoncement au péché constituent le fondement de l’offre de l’évangile, une critique de John Bunyan de la part de C.H. Spurgeon ! (cf. p.68-70).
Je crois qu’il ‘y a pas plus grand admirateur de Bunyan que Spurgeon. Je me souviens avoir lu dans l’un des sermons de ce dernier un éloge qui sonnait à peu près comme ceci : « Piquez Bunyan où vous voulez : son sang est ‘biblisé’ ; tout ce qu’il dit a la belle teinte de la Parole de Dieu ». Alors quand Spurgeon se fend d’une critique à l’encontre l’une de ses plus grandes influences, elle mérite d’être relevée.
Spurgeon fait référence à un extrait du Voyage du Pèlerin, un autre ouvrage que je vous recommande de lire (voir ici), dans lequel Bunyan décrit de manière allégorique les pérégrinations d’un homme appelé Chrétien. Alors qu’il rencontre un personnage nommé Évangéliste, celui-ci lui indique la porte étroite (Mt 7.13-14) et le presse de courir vers elle.
Voici l’anecdote que Spurgeon rapporte à ce sujet dans un de ses propres sermons (extrait du Metropolitan Tabernacle Pulpit, vol. 44, p. 211-212) : .
Laissez-moi en passant évoquer une petite histoire à propos du Voyage du pèlerin de John Bunyan. J’aime énormément Bunyan, mais je ne le tiens pas pour infaillible. Je suis tombé récemment sur un petit récit tout à fait instructif. On raconte qu’un jeune homme d’Édimbourg s’était un jour mis en tête de devenir missionnaire. Plutôt sage et raisonné, il s’était dit que point n’était besoin de voyager bien loin, et qu’il suffisait d’être missionnaire à Édimbourg.
C’est ainsi qu’il décida de se mettre en chemin et de s’adresser à la première personne qu’il rencontrerait. Et il tomba sur une poissonnière avec son panier sur le dos. Ceux qui les ont déjà vues ne peuvent plus les oublier tant ce sont des personnages extraordinaires.
Alors, s’approchant d’elle, le jeune homme l’interpelle : « Je vous vois avancer avec votre fardeau sur le dos; mais portez-vous un fardeau d’une autre sorte ? Un fardeau spirituel ? »
« Quoi? lui répond-elle, vous voulez parler du fardeau du pèlerin de John Bunyan? Parce que si vous parlez de ce fardeau-là, il y a longtemps que je m’en suis débarrassé, probablement même avant que vous naissiez. Mais je m’en suis porté bien mieux que notre Pèlerin. Cet Évangéliste dont parle Bunyan est loin de prêcher l’Évangile : vous souvenez-vous qu’il lui dit “Prends garde et cours jusqu’à cette porte étroite?” Malheur! reprend-elle, ce n’est pas par là qu’il fallait courir ! Il aurait dû dire : “Vous voyez la Croix, là-bas? Courez-y de suite!” Mais au lieu de cela, il envoie d’abord le pauvre pèlerin à la porte étroite, où il a failli trépasser en tombant dans le bourbier fangeux. »
Le jeune, abasourdi, lui demande si elle-même n’est pas passée par le bourbier du désespoir.
«Bien sûr, lui répondit-elle, mais j’ai trouvé qu’il était bien plus facile de le traverser en m’étant d’abord débarrassé de mon fardeau!» La vieille femme, poursuivit Spurgeon, avait parfaitement raison. Bunyan a placé le moment où se débarrasser de son fardeau bien trop tard dans le pèlerinage. S’il voulait décrire ce qui se passe souvent, il avait probablement raison. Mais s’il voulait parler de la manière dont les choses devraient se passer, il avait tort. La Croix devrait se trouver devant la porte étroite, et nous devrions dire au pécheur : « Jette-toi au pied de la croix et tu seras sauf, mais tu ne le seras que lorsque tu auras pu te débarrasser de ton fardeau au pied de la Croix et que tu auras ainsi trouvé la paix en Jésus. »
Aussi surprenant que cela puisse paraître, Bunyan fait bien passer la porte étroite avant la croix. Sinclair Ferguson fournit d’ailleurs d’autres exemples qui suggèrent que Bunyan avait lentement glissé vers une forme de préparationnisme (voir p.70-72).
Bien que je sois en désaccord avec Bunyan sur ce point, il reste l’un des auteurs puritains que je préfère. Voici quelques extraits de son oeuvre qui pourraient vous intéresser.
- Les dernières pensées de John Bunyan : « sur l’amour du monde »
- John Bunyan sur l’affliction et les souffrances
- Les dernières pensées de John Bunyan : « Sur la prière »
- Les dernières pensées de Bunyan : « Sur le péché »
- Un message de John Bunyan à ceux qui nient la résurrection