Article de Jean-René Moret, pasteur de l’Eglise évangélique de Cologny et docteur en théologie de l’Université de Fribourg.

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En 1 Corinthiens 11, Paul affirme avoir « reçu du Seigneur » ce qu’il transmet au sujet du déroulement de la Cène. De même, en 1 Corinthiens 15, il affirme transmettre ce qu’il a lui-même reçu au sujet de la résurrection de Jésus. Il y a même un passage (1 Corinthiens 7) où il distingue nettement entre un sujet où il ne parle pas de lui-même mais de la part du Seigneur (sur le fait de ne pas divorcer), et un autre où c’est lui qui parle et non le Seigneur (sur le fait de ne pas se séparer d’un conjoint non chrétien qui consent à vivre avec le conjoint croyant). On peut être tenté de lire ces passages sur le registre de l’inspiration ou de la prophétie : Paul écrirait aux croyants en fonction de paroles reçues directement de Dieu, ou du Seigneur Jésus-Christ. On verrait alors Paul distinguer entre une consigne qui viendrait de Dieu, et un conseil basé sur sa propre sagesse humaine.

Cependant, cette tentation repose sur une mauvaise compréhension. Lorsque Paul parle de transmettre ce qu’il a reçu, il n’utilise en fait pas le langage de la révélation mais celui de la tradition. C’est en effet la même famille de mot (paradidomi, paradwsis et paralambano, pour les héllénisants) qui sont entre autres utilisés pour parler des traditions juives (Marc 7.1-15 par exemple). Par tradition, je ne veux pas dire « ensemble de pratiques formelles et dépourvues de sens », comme on le comprend parfois aujourd’hui, mais « éléments qui sont reçus d’une source et sont appelés à être transmis au-delà ». Ainsi donc, quand Paul parle d’avoir « reçu du Seigneur » le déroulement du dernier repas, il faut en fait comprendre « je suis le dépositaire d’une tradition qui remonte au Seigneur » : Paul sait ce que Jésus a fait et dit en instituant la Cène, parce que ceux qui en ont été témoins l’ont transmis à d’autres et que Paul l’a entendu de cette manière. De même, en 1 Corinthiens 15, Paul souligne qu’il poursuit la transmission en enseignant aux Corinthiens ce que lui-même a reçu au sujet de la mort et de la résurrection de Jésus. Et donc dans 1 Corinthiens 7, Paul ne distingue pas entre une parole reçue par révélation et une simple réflexion personnelle. Il distingue entre ce qui remonte à des paroles de Jésus (qu’on retrouve dans Matthieu 19 au sujet du divorce), et un sujet où il n’a pas connaissance que Jésus ait dit quelque chose de spécifique.

Tout ceci est important pour deux raisons, et même trois :

• On peut avoir l’impression que Paul est déconnecté de vie de Jésus telle que racontée dans les évangiles, mais ce rapport à la tradition montre que Paul était aussi au courant de l’enseignement et de la vie de Jésus.
• Cela évite aussi de penser que Paul distinguerait entre des passages inspirés ou moins inspirés de ses lettres. Paul distingue entre une référence aux paroles de Jésus et son propre propos, mais il parle en tant qu’apôtre et auteur inspiré d’un texte biblique dans les deux cas. On ne peut donc pas utiliser ces propos de Paul pour chercher à distinguer dans la Bible des paroles plus ou moins inspirées que d’autres.
• Finalement, cela évite d’accréditer une vision caricaturale de l’inspiration ou de la prophétie, où les auteurs bibliques seraient inspirés uniquement lorsqu’ils entendent une parole spécifique de Dieu.

Ainsi, une bonne compréhension de la place de la tradition pour Paul permet de clarifier quelques malentendus possibles. Cela évite ensuite un affaiblissement indu de notre perception de l’Écriture. Nous pouvons aussi nous dire que dans nous lisons la Bible, nous nous mettons à la suite de cette chaîne de transmission. Nous pouvons dire « j’ai reçu du Seigneur » en citant les Évangiles !

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