L’église primitive était-elle dirigée par un évêque unique ?
C’est l’été ! Nous republions quelques unes de nos ressources les plus emblématiques. Cet article a été publié sur Canon Fodder, le blog de Michael J. Kruger, président de Reformed Theological Seminary, Charlotte (USA).
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Un débat interminable (en apparence) existe parmi les théologiens et les pasteurs sur la question de la gouvernance des Églises. Depuis des générations, les chrétiens sont en désaccord sur la structure directionnelle que les Églises doivent adopter. De l’Église anglicane, dirigée par des évêques, jusqu’à l’organisation informelle des Églises de frères, il faut reconnaître qu’il existe une grande diversité.
Or, l’un des points fondamentaux de ce débat concerne la pratique de l’Eglise primitive. Quelle était donc la forme de gouvernement que celle-ci adoptait ?
Bien entendu, cette question est vaste et complexe, et elle comporte de nombreuses problématiques. Dans cet article, nous nous concentrerons sur une seule : l’Église primitive était-elle dirigée par un collège d’anciens ou par un évêque unique ?
En premier lieu, il est important de noter que vers la fin du IIèmesiècle, la plupart des Églises étaient dirigées par un seul évêque. Cette pratique était devenue majoritaire en raison de différents facteurs. Beaucoup attribuent cela à l’influence d’Ignace d’Antioche.
Mais quelle était la situation avant ? Une telle structure existait-elle au Iersiècle ou au début du IIème ?
Le Nouveau Testament lui-même semble appuyer la pluralité d’anciens comme modèle standard. Le livre des Actes démontre que lorsque les apôtres implantaient des Églises, ils nommaient des anciens (du grec πρεσβυτέρος) pour veiller sur elle (Actes 11:30, 14:23, 15:2, 20:17). De même, Tite est chargé “d’établir des anciens dans chaque ville” (Tite 1 :5).
Un mot similaire, ἐπισκoπος (évêque), est utilisé dans d’autres contextes pour décrire ce qui semble être le même office (Phil 1:1, 1 Tim 3:1-7). Le lien entre ces deux termes est évident en Actes 20:28, quand Paul s’adresse aux “anciens” (πρεσβυτέρους) déclarant que “le Saint-Esprit vous a fait évêques” (ἐπισκόπους).
Le Nouveau Testament indique donc que l’office d’ancien/évêque est en réalité une seule et même chose.
Mais, qu’en est-il de l’Église après le Nouveau Testament ? Ont-ils maintenu le modèle du collège d’anciens ? Trois courts exemples nous montre qu’ils l’ont maintenu au moins pour quelques années :
1-Dans un de ses chapitres,la Didachèparle de ce sujet de façon directe :
Elisez-vous donc desévêques et desdiacres dignes du Seigneur, hommes doux et désintéressés, véridiques et éprouvés, car pour vous ils remplissent, eux aussi, l’office de prophètes et de docteurs..
(Didachè 15:1).
Remarquons que l’auteur fait référence à plusieursévêques, et non un seul, et qu’il mentionne leur office côte à côte avec celui de diacre, comme Paul lui-même le fait (Phi 1 :1, 1 Tim 3 :1-13). Cela confirme donc que l’office d’évêque équivaut à celui d’ancien comme nous l’avons remarqué plus haut.
2- La lettre connue sous le nom de 1 Clément(autour de 96 ap. J.C) a également beaucoup à dire sur le gouvernement des premières Églises. Cette lettre est attribuée à un certain Clément dont l’identité reste incertaine et qui, de l’Église de Rome, écrit à celle de Corinthe au sujet d’un changement récent de responsables.
Le but de cette lettre est de convaincre (et non de commander) les Corinthiens de rétablir leurs évêques (anciens) déchus à tort de leur fonction. La lettre réaffirme le témoignage du livre des Actes en rappelant que les apôtres avaient initialement établi “des évêques (ἐπισκόπους) et des diacres” dans les différentes Églises qu’ils ont visités (42:4).
Après l’ère apostolique, les évêques furent établis “par d’autres hommes de bonne réputation et approuvés par l’ensemble de l’Église” (44 :3). Ceci fait bel et bien écho à la Didachè, qui indique que les évêques étaient élus par l’Église.
3-Le Pasteur d’Hermas (autour de 150 ap. J.C.) apporte un nouvel indice. Après qu’Hermas ait vu l’ange lui apparaître, il lui est dit :
Tu liras [cette proclamation] dans cette ville, en présence desanciens qui dirigent l’Église.
(Vis. 8:3)
Ici, il est évident dit que la structure de l’Église se base sur une pluralité d’anciens (πρεσβυτέρων). L’auteur utilise aussi le terme “évêque”, mais toujours au pluriel et souvent côte à côte avec l’office de diacre (Vis. 13:1, Sim. 104 :2).
En résumé, les textes néotestamentaires et ceux du début du IIèmesiècle indiquent que la structure standard des premières Églises était la pluralité d’anciens. Comme nous l’avons vu précédemment, l’idée d’un évêque unique a commencé à avoir préséance vers la fin du IIème siècle.
Qu’est ce qui a conduit à cette transition ? Beaucoup affirment que les batailles contre les hérésies au IIème siècle ont amené les fidèles à se tourner vers des responsables reconnus, capables de défendre et de représenter l’Église.
Cette transition est admirablement décrite par Jérôme lui-même :
L’ancien est le même que l’évêque, et avant que des divisions religieuses s’élèvent, provoquées par Satan, les Églises étaient gouvernées par un conseil d’anciens. Mais comme certains ont voulu s’approprier ceux qu’ils avaient baptisé, au lieu de les amener à Christ, il a été décidé que l’un des anciens, élu par ses collègues, serait élevé au-dessus des autres, et aurait la supervision sur le bien-être de la communauté en général… Bien-sûr, c’est le devoir des anciens de se souvenir que, par la discipline de l’Eglise, ils sont subordonnés à celui qui est à la tête de l’Église, mais les évêques doivent aussi, de leur côté, ne pas oublier que s’ils sont au-dessus des anciens, c’est uniquement dû à la tradition, et non à une institution du Seigneur.
(Commentaire sur Tite 1 :7)
Ce commentaire de Jérôme nous apporte un excellent résumé de ce débat.
Il est vrai que le modèle “un seul évêque” s’est développé pour des raisons pratiques. Toutefois, le modèle “collège d’anciens” semble provenir des origines même de l’Église.
– Michael J. Kruger