Pourquoi l’évolutionnisme théiste séduit-il certaines franges du monde évangélique français ?
La question de l’origine de l’homme est une question fascinante et passionnante. Pour le croyant, c’est une question fondamentale, car elle est à la fois à la racine d’une saine et juste compréhension de cette grande méta-narration de l’histoire de la rédemption, mais elle constitue le cadre essentiel d’une droite éthique biblique.
Mais depuis quelques temps, je suis particulièrement stupéfait que certaines personnes puissent encore se dire évangéliques tout en faisant preuve d’un certain syncrétisme intellectuel où la douce voie des sirènes du mouvement libéral du XXe siècle est accueillie avec une certaine naïveté.
En effet, comment certains peuvent-ils dire que Genèse 1-3 est un mythe tout en disant qu’ils sont évangéliques ? Ces derniers feront alors usage de pirouettes linguistiques pour dire que les événements décrits dans la Genèse sont avant tout là pour parler de vérités communes à l’expérience humaine…mais tout ceci ne se révèle toujours n’être qu’un nouvel écho désespéré d’une entreprise de démythologisation commencée le siècle dernier par la branche libérale du protestantisme.
Pourquoi ces idées sont-elles encore reçues avec faveur chez certains groupes de personnes se désignant comme évangéliques ? Quelles sont les brèches qui permettent cet accueil de la part de certains ?
Je vous en propose cinq :
1) Érosion de la doctrine biblique de l’inerrance et de l’inspiration plénière verbale.
2) Ignorance de la structure alliancielle de l’histoire de la rédemption.
3) Absence d’une vraie théologie biblique qui incorpore une droite appropriation de la meta-narration de l’histoire de la rédemption.
4) Apologétique évidentialiste trop extrême qui ne reconnait pas la différence epistémologique et normative qu’il existe entre révélation naturelle et révélation spéciale.
5) Érosion de la définition biblique de ce qu’est l’évangile de Jésus-Christ.
Erosion de la doctrine biblique de l’inerrance et de l’inspiration plénière verbale
Les questions dites épistémologiques que nous devons toujours nous poser sont toujours : Comment je sais ce que je sais ?, Comment puis-je être sûr que ce que je crois est vrai ?
Le Christianisme n’est pas une philosophie désincarnée, mais il est avant tout le fruit d’un acte de Dieu au sein de l’histoire. La foi chrétienne est fondée sur une œuvre de Dieu au sein de l’histoire, une œuvre de Dieu qui nous est rapportée et expliquée par Dieu lui-même au travers de la bouche de Ses apôtres et prophètes. L’histoire de la rédemption est une histoire qui nous est donnée dans une histoire de la révélation.
Les 66 livres de la Bible sont ces écritures (γραφὴ) qui sont expirées (θεόπνευστος) de Dieu. Les textes bibliques ne sont pas le fruit d’une interprétation humaine d’événements historiques (2 Pierre 1 :20-21), mais ils sont ce que Dieu nous dit aujourd’hui à propos de son projet de rédemption accompli et scellé en Jésus-Christ, Son Fils.
Dieu a utilisé des auteurs humains, et la marque « humaine » de cette parole se trouve fondamentalement dans le fait que ce sont des textes à propos d’une œuvre de Dieu au sein de l’histoire de l’homme, des textes dans un langage d’hommes, dans un contexte historique précis. Mais, il serait naïf et inadéquat de croire que l’utilisation divine d’auteurs humains implique nécessairement des écrits qui ne pourraient pas être inerrants, ou qui seraient inaptes à nous transmettre des vérités universelles ou des faits historiques objectifs.
Comme le souligne magistralement John Frame dans son excellent livre sur la doctrine de la Parole de Dieu, nous nous devons de reconnaître que lorsque Dieu communique à ses créatures, il le fait en tant que Seigneur. Il n’abandonne pas sa seigneurie lorsqu’il nous parle, et ainsi sa parole nous est donnée de façon personnelle tout en portant les marques de sa puissance absolue, son autorité et sa présence (J. Frame, Doctrine of the Word of God, P&R Publishings, p.9-11).
Le devoir de chaque chrétien est ainsi d’approcher la Parole de Dieu avec humilité pour l’interpréter d’une manière cohérente avec le témoignage que cette dernière donne d’elle-même. Nous ne pouvons pas avoir une vision atomistique de la Bible, la Bible s’interprète par la Bible (analogie de la foi). Ceci n’interdit en aucun cas l’utilisation précieuse des outils linguistiques que nous possédons de nos jours. Néanmoins, l’usage de ces outils et des connaissances littéraires des textes du Proche Orient Ancien ou des textes contemporains des écrits bibliques doit être dépouillé de tout geste exégétique qui tendrait à confondre les deux sources.
En ce qui concerne la Genèse, il est particulièrement intéressant de noter l’usage que fait l’apôtre Paul de ces textes (avec un écart de 1200 à 1400 ans entre les textes) et de voir qu’il n’y voit pas là des textes mythologiques ou des fables. Pour Paul, l’histoire d’Adam est un récit historique fondamental dans la compréhension de l’histoire du Salut (voir la discussion intéressante dans Frame, op.cit. , p. 197-199).
Notre exégèse se doit d’être respectueuse du caractère normatif que la Bible réclame d’elle-même. Elle doit être faite dans le respect du genre littéraire, du contexte, et cela dans une approche historico-grammaticale : ce qui nous importe est de comprendre ce que l’auteur voulait dire à ses contemporains. Comme le souligne R. Plummer (40 questions about interpreting the Bible (Kregel, 2010), p.130), c’est avant tout l’auteur qui est l’ultime arbitre de la signification du texte….pas les autres auteurs contemporains, ni d’autres textes qui lui seraient contemporains (Voir aussi : P. Wells, Dieu a parlé, La Clairière).
Ignorance de la structure alliancielle de l’histoire de la rédemption
Le terme alliance est de moins en moins compris dans nos églises, et ceci est dramatique. En effet, la notion de l’alliance est ce qui constitue la charpente principale de l’histoire du salut. Le salut est bien plus qu’un événement individuel pendant lequel nous avons accepté Jésus-Christ comme notre Seigneur et Sauveur. Le salut s’inscrit dans une histoire personnelle au cours de laquelle Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit, interagit avec l’homme dans un cadre allianciel.
La notion du péché ne doit pas seulement être comprise uniquement au travers des lunettes de ma propre expérience, mais elle s’ancre aussi dans une Histoire définie par un avant et un après.
Paul, nous fait une exposition magistrale de la chute en Romains 5.12-21 qui nous oblige à comprendre la notion même du péché dans son cadre allianciel : l’alliance de la création (ou alliance créationelle).
En Eden, lorsque Dieu créa Adam et Eve, il les fit à son image, ce qui fonda entre autre leur devoir de vice-régence et de prêtrise au sein de la création (ce que Dieu lui-même articule en Genèse 1.26-31). Cette alliance possédait une condition (ne pas manger l’arbre de la connaissance du bien et du mal) qui témoignait de la volonté divine que l’homme puisse exercer son mandat dans une attitude d’adoration et de dépendance envers son Créateur.
Sa désobéissance fut en fait une déclaration suicidaire, celle d’un désir incohérent de vouloir être sa propre norme vis-à-vis de ce qui est bien ou mal…d’être son propre dieu. Le péché ne fut alors pas quelque chose de privé dans le cercle familiale primordial, mais à cause de cette seule offense tous ont été comptés pécheurs et la mort a touché l’ensemble de la descendance.
Le péché est éthique, mais il ne peut être compris uniquement dans notre sphère individuelle lorsqu’on regarde l’histoire de l’humanité.
Le péché possède une histoire, une histoire malheureuse et remplie de souffrances dont le point d’origine englobe l’ensemble de toute la descendance humaine.
Mais, l’histoire ne s’arrête pas là… car par la faute d’un seul, la péché et la mort sont rentrés dans le monde ; mais par l’obéissance d’un seul la justice et la vie sont offertes à beaucoup. C’est le cadre de promesse faite en Genése 3.15, une descendance qui serait victorieuse, une descendance dont la victoire et la vie sont reçues par la victoire de Jésus-Christ.
Cette victoire accomplie dans sa mort et sa résurrection fut le sceau de la nouvelle alliance, cette alliance au sein de laquelle l’église se trouve aujourd’hui et dans laquelle nous avons reçu la promesse de l’Esprit (Gal 3 & 4).
Lorsque nous prenons alors conscience de ces réalités historiques liées à des individus historiques (Adam et Jésus-Christ) et leur fonction structurelle alliancielle de l’histoire de la rédemption, toute approche individualiste ou évolutionniste pour l’homme devient inacceptable et pure spéculation philosophique.
Absence d’une vraie théologie biblique qui incorpore une droite appropriation de la meta-narration de l’histoire de la rédemption
Nous en avons déjà parlé, mais il est important de comprendre et lire la bible non comme la somme d’histoires disparates, mais comme une grande Histoire. Dans cette grande Histoire, Dieu a voulu créer et mettre à part un peuple pour Sa gloire (Eph 1.14). C’est la notion bien trop individualiste qui marque souvent certaines églises que je veux dénoncer ici.
Nous devons veiller à toujours posséder une vraie théologie biblique, c’est-à-dire une théologie qui incorpore droitement la continuité de l’histoire de la rédemption au sein des écrits de la révélation biblique.
Ceci est important pour comprendre quel lien existe entre nous et tous les saints qui nous ont précédés, particulièrement les saints de l’ancienne alliance. Ce lien est avant tout historique et rédemptif : ce n’est pas un lien spéculatif fondé sur la notion d’expérience humaine commune.
Nous sommes littéralement les enfants d’Adam. Nous ne partageons pas simplement avec lui la caractéristique d’être humain, mais nous lui sommes rattachés par filiation (1 Cor 15).
Abraham n’est pas l’ exemple d’un homme qui manifesta la foi, mais il est à la fois le père duquel la descendance sera engendrée physiquement, à savoir Jésus-Christ (Gal 3.16) ; et il est aussi le père (dans le contexte de la foi) de tous ceux qui sont en union et communion au Christ par le moyen de la foi (Rom 4), ceux qui ont été engendrés par l’Esprit (Gal 4).
J’ai bien peur que l’érosion du caractère historique de l’histoire de la rédemption soit un réel danger pour l’église dans son appropriation de l’histoire du salut accompli en Jésus-Christ.
John C. Collins, dans son commentaire sur Genèse1-4 (p.17) dit la chose suivante (à propos de son approche littéraire orientée sur le discours) :
(…) Tout type de lecture historico-rédemptive des narrations [bibliques] impose que ces dernières soient vraiment historique – particulièrement, l’histoire réelle de la relation entre Dieu et son peuple. Ces interactions expriment la fidélité de Dieu, son engagement à avoir un peuple saint, et il fonde aussi la confiance de tous les héritiers de ce peuple dans le fait que Dieu continuera à manifester sa fidélité et son pardon.
Apologétique évidentialiste trop extrême qui ne reconnait pas la différence epistémologique et normative qu’il existe entre révélation naturelle et révélation spéciale
Lorsque nous défendons notre foi (apologétique), nous faisons usage, à juste titre, d’arguments basés sur la création qui révèlent les perfections invisibles de Dieu (révélation naturelle, Rom 1.20). Ceci représente ce que l’on peut appeler une apologétique évidentialiste. Mais, lorsque nous faisons usage d’une telle approche, il est sage de nous poser la question du contenu et de l’autorité de cette révélation vis-à-vis de la révélation spéciale.
J’ai bien peur qu’il règne une vraie confusion. Souvent la création et la Bible sont comparées à deux livres équivalents.
Je pense que ceci est une erreur et source de confusion. La Parole de Dieu nous a été donnée sous une forme inscripturée, elle est articulée par des phrases et des mots. La création, elle, témoigne de façon non verbale des perfections invisibles de Dieu, de sa puissance éternelle et de sa divinité. Les lois naturelles que nous pouvons essayer d’articuler, et donc d’exprimer dans un langage, ne sont que les causes secondes phénoménales de la présence active providentielle de Dieu au sein de sa création.
Nous nous trouvons sur deux niveaux épistémologiques différents. Les démarches interprétatives sont différentes. Dieu parle effectivement dans les deux cas ((1) Dans son action créationnelle primordiale non répétée et son action providentielle continue ; puis (2) dans les 66 livres de la Bible), mais c’est uniquement dans la Bible que sa voix est articulée dans un langage verbal avec un contenu historico-rédemptif normatif . Est-il acceptable d’accepter la révélation naturelle comme normative ? Sans aucune réévaluation de ses déclaration d’ordres anthropologiques, historiques et métaphysiques ? Ceci ne témoignerait-il pas d’une certaine compréhension erronée de la raison humaine comme autonome ou neutre ?
C’est Sa Parole qui est nécessaire pour que nous puissions comprendre droitement qui nous sommes et notre place dans l’histoire et dans l’univers vis à vis de notre Créateur.
C’est Sa Parole qui peut réformer et transformer notre intelligence handicapée par le péché, afin de Le connaitre. Comme le disait Jean Calvin, ce sont les écritures qui sont ces lunettes qui nous aident à lire droitement le témoignage de Dieu au sein de sa Création.
La philologie, la linguistique, les études historico-littéraires sont des outils utiles pour comprendre droitement le langage biblique original (lorsqu’ils sont droitement utilisés, cf. S. Romerowski, Les sciences du langage et l’étude de la Bible, Excelsis (2011)) ; mais une fois ce travail fait nous nous devons de nous préserver des philosophies qui peuvent y être attachées (voir cet excellent article de Wayne Grudem, The Perspicuity of Scripture (2009)).
Ainsi, au delà des problèmes scientifiques que posent la théorie même de l’évolution, l’enseignement anthropologique qui dérive de l’évolutionnisme n’est pas recevable face à l’enseignement scripturaire (imago dei, origine de la mort et du péché, cadre allianciel primitif).
Or une telle anthropologie impose nécessairement une vision théologique particulière qui contredit le verdict de « très bon » donné par Dieu à la fin de la semaine de création , ou qui ne discerne plus les différence anthropologiques entre l’état prélapsaire (avant la chute), postlapsaire (après la chute) et eschatologique (consommation pleine et entière du dessein divin pour l’homme).
Finalement, je suis convaincu que l’église se doit d’incorporer une démarche présuppositionaliste à son apologétique qui approche droitement les questions épistémologiques (cf. C. Van Til, An introduction to systematic theology: prolegomena and the doctrines of revelation, scripture, and God, P&R Publishings (2007), S. Oliphint, Covenantal Apologetics: Principles and Practice in Defense of our Faith, Crossway (2013)).
L’homme ne doit pas et ne peut être compris comme autonome et neutre dans l’acquisition de sa connaissance, la notion de normativité scripturaire est fondamentale si nous ne voulons pas être ballottés à tout vent de doctrines.
Érosion de la définition biblique de ce qu’est l’évangile de Jésus-Christ
Qu’est-ce que l’évangile ? Une question basique et pourtant fondamentale. Vous me direz que c’est l’annonce de la bonne nouvelle du salut.
D’accord, mais nous sommes sauvés de quoi ?
Et c’est ici que les choses se compliquent. Dans certains milieux évolutionnistes théistes, il apparaît que nous sommes sauvés du péché que nous faisons fondamentalement par imitation . Toute la doctrine de la dépravation originelle ou radicale est supprimée. C’est clairement une approche individualiste.
Mais c’est bien plus que cela : le péché devient un ingrédient nécessaire qui découle nécessairement de la faiblesse constitutive de l’humanité (une faiblesse identique avant et après la chute). Or, le témoignage biblique ne peut s’accommoder d’une telle compréhension. Le statut de créature de l’être humain et donc de dépendance vis à vis du créateur n’implique pas nécessairement une faiblesse de type éthique chez la créature.
Adam et Eve avaient à la fois la capacité de pécher et de ne pas pécher. Leur dépendance vis à vis de leur Créateur n’annulait pas leur responsabilité éthique vis à vis de celui-ci. Lorsque l’homme désobéit à Dieu, il perdit cette dernière capacité. Car c’est volontairement qu’il décida de diriger ses passions vers lui-même, de ne plus adorer le Créateur, mais de marcher dans une voie où il se croit être sa propre loi (auto-nome). Cette démarche volontaire devint un esclavage dont la délivrance se trouve uniquement dans une intervention divine. Cet esclavage décrit aujourd’hui l’état de chaque fils et fille d’Adam,de chaque être humain (Rom 5:12-21).
Le salut n’est pas un remède pour palier à une incapacité propre à notre nature humaine. Le salut offert en Jésus-Christ est une œuvre de rédemption et de transformation accomplie dans l’union et la communion à une personne, Jésus-Christ, par le moyen de la foi. C’est une oeuvre qui nous transforme et non pas une oeuvre qui nous répare. C’est une oeuvre qui nous délivre et non qui éduque notre vieil homme.
C’est une œuvre de Dieu au sein de l’histoire dont Jésus-Christ, Dieu le fils qui s’incarna, en est le centre. C’est une œuvre historique qui répond à un problème historique. C’est l’œuvre d’un homme qui répond à un problème occasionné par un autre homme. C’est l’œuvre d’un homme, le second Adam, pour son peuple (fruit d’une régénération spirituelle) qui répond au problème du premier Adam et de sa descendance naturelle. C’est pour cela que nous pouvons crier avec l’apôtre Paul : Christ est ma vie !
En conclusion, cette liste est malheureusement non exhaustive, et je reviendrais sur d’autres problématiques non abordées ici, mais pour conclure je citerai A. Probst (Article dans la Revue Réformée n°192) :
On peut soutenir, à juste titre, qu’un certain protestantisme historique est mort le jour où nos théologiens n’ont plus disposé de la grande doctrine du péché originel qui fut celle de Luther, Calvin, des péres de Dordrecht,… d’Edwards, Whitefield et des fréres Wesley.
“C’est pourquoi nous rendons continuellement grâces à Dieu de ce qu’en recevant la parole de Dieu que nous vous avons fait entendre, vous l’avez accueillie, non comme la parole des hommes, mais comme ce qu’elle est vraiment : la parole de Dieu qui agit en vous qui croyez” (1 Thess 2:13)
DS
Ps : Pour les anglophones, une excellente série de Podcast de théologie biblique est disponible en ce moment. En fait, c’est une lecture commentée de l’excellent livre de G. Vos, Biblical Theology, Old and new Testament. C’est le Dr Lane Tipton qui le fait (Professeur de Théologie Systématique à Westminster).
L’épisode de ce mois-ci est particulièrement intéressant par rapport à notre sujet, car il parle entre autre de la mortalité et immortalité de l’homme, et ainsi de la position erronée du courant évolutionniste vis à vis de cette question.