Les montagnes sont présentes partout dans l’histoire biblique, non seulement parce que le territoire d’Israël est montagneux, mais aussi parce que c’est l’endroit où Dieu a choisi de se révéler d’une manière particulière. Étant les points les plus hauts de la terre, les montagnes sont le lieu idéal pour que Dieu y rencontre les êtres humains. Par leur taille et leur âge ancestral, les montagnes jouent aussi le rôle de témoin dans les échanges entre Dieu et ses créatures. C’est probablement sur une montagne que le jardin d’Éden est posé. C’est sur une montagne que l’arche de Noé s’échoue. Puis, à partir de Moïse et de la création du peuple d’Israël, les montagnes vont jouer un grand rôle dans la vie du peuple hébreu. Elles seront le lieu des théophanies et de l’alliance. Pensons au Sinaï / Horeb où Dieu va donner la loi au peuple (Ex 19.2 ; Dt 5.2), à Sion où le Temple du Seigneur va être établi (Es 24.23 ; Jl 3.5), au Carmel (Ct 7.6), à l’Hermon (Ps 42.7), et au Thabor (Ps 89.13) où de grands évènements vont se dérouler.

Si les montagnes ont été beaucoup présentes dans la vie du peuple juif, elles l’ont également été dans la vie de Jésus. En effet, à la lecture des évangiles, nous voyons Christ souvent seul en prière sur une montagne (Lc 6.12 ; Jn 6.15) ou utilisant l’image de la montagne dans ses paraboles et ses enseignements (Mt 18.12, 21.21, 24.16). C’est aussi sur des montagnes que Jésus réalise certains de ses miracles (Mt 15.29 ; Lc 8.32 ; Jn 6.3). De plus, nous voyons également que chaque étape importante de la vie de Jésus – étapes qui font avancer le plan de Dieu – se déroule sur des montagnes. En quoi alors les montagnes peuvent-elles nous aider à mieux comprendre le ministère de Jésus ?

Christ sur les montagnes

Nous ne nous intéressons pas ici à la situation géographique et au nom de chacun des sommets qui ont balisé le ministère de Jésus. En effet, nous voulons plutôt proposer une lecture théologique de son ministère en rapport avec la mention des montagnes. Ces dernières peuvent ainsi servir de fil conducteur dans notre compréhension de l’œuvre du Christ. Pour ce faire, nous avons focalisé notre attention sur dix mentions de montagnes en lien avec Jésus dans tout le Nouveau Testament. Après une étude de chacun de ces passages dans leur contexte, il est possible d’établir un chiasme. Cet agencement, parfois controversé, n’est pas né du désir de vouloir mettre ensemble des textes bibliques, sans fondement les uns avec les autres, pour le simple fait de faire preuve d’originalité. Au contraire, suite à un travail exégétique et thématique à partir du texte grec, il est manifeste que des mots, des expressions, et des thèmes se retrouvent dans chacune de ces péricopes disposées sous forme de chiasme. Voici la structure que nous proposons :

A  La tentation (Mt 4.8)

  B  L’appel des apôtres (Mc 3.13)

    C  Le Sermon sur la montagne (Mt 5.1)

      D  La Transfiguration (Mt 17.1 ; 2P 1.18)

        E  Le discours eschatologique (Mt 24.3)

        E’  Gethsémané (Mt 26.30)

      D’  Golgotha (Mt 27.33)

    C’ Le mandat missionnaire (Mt 28.16)

  B’ L’Ascension (Ac 1.12)

A’ La Sion spirituelle (Ap 14.1)

Maintenant, prenons ensemble ces différents évènements pour comprendre de quelle manière ils se répondent.

La tentation et la Sion spirituelle

La première mention d’une montagne dans la vie de Jésus se trouve lors de la troisième tentation dans le désert. Jésus vient juste d’être baptisé par Jean-Baptiste dans le Jourdain, et le Saint-Esprit le pousse au désert afin que Jésus y soit tenté durant quarante jours par le Diable. Alors que Satan vient d’échouer par deux fois à faire chuter le Christ, il décide de tenter un dernier coup en transportant Jésus sur une montagne très élevée (Mt 4.8). De là, ils peuvent voir tous les royaumes du monde et leur gloire. Le Diable propose alors à Jésus de se prosterner devant lui et de l’adorer afin qu’il obtienne en retour toute cette gloire qui se découvre devant leurs yeux. Cependant, Jésus refuse et répond au Diable qu’il est écrit que le seul qui doit être adoré et servi, c’est le Seigneur Dieu. Satan quitte ainsi Jésus qui se retrouve entouré d’anges venant le servir.

La dernière mention explicite de Jésus sur une montagne se situe dans l’Apocalypse (Ap 14.1). L’apôtre Jean décrit ici une vision qu’il a reçue et qui se passe sur terre. Cette vision peut être lue comme une réponse à la tentation du Christ. En effet, Jésus est ici décrit comme l’Agneau debout sur le mont Sion. Il est entouré de ceux que l’on appelle les 144 000. Ces derniers possèdent le nom de Dieu et celui de l’Agneau écrits sur leur front. Cela représente un sceau : ils appartiennent à l’Agneau et à son Père. De plus, ce sceau est une garantie que les 144 000 persévéreront dans leur foi. Ces personnes sont donc des chrétiens vivants sur la terre (Ap 14.3)[1]. Nous lisons qu’ils vivent dans le monde au milieu de la tentation et des épreuves mais qu’ils persévèrent dans leur marche chrétienne. La présence de l’Agneau est ici spirituelle. Cette compréhension est renforcée par le fait que dans la suite de la vision, Jean décrit ce qui se passe au ciel (Ap 14.2). Une grande foule et des anges (les vingt-quatre anciens et les quatre êtres vivants[2]) sont présents et entonnent un cantique à l’Agneau que seuls les 144 000 sur terre peuvent comprendre.

Dans le désert, le Diable propose la gloire des royaumes au Christ en échange de l’adoration. Et parce que Jésus a refusé ce chantage, son Père l’a placé au sommet de Sion. À cause de son sacrifice en tant qu’Agneau, Christ est devenu celui qui règne sur toutes les nations. C’est aujourd’hui à lui qu’elles doivent rendre gloire. Si les royaumes possédaient une fausse gloire accordée par le Diable, le véritable peuple de Dieu, lui, persévère au milieu de ces nations pécheresses pour partager la gloire du Christ. Les anges étaient présents au désert comme une anticipation. Ils sont encore présents dans les derniers temps pour servir le véritable roi. C’est devant lui que le Diable doit maintenant se prosterner, devant l’Agneau ressuscité qui a préféré adorer son Père et qui règne ainsi en gloire au milieu de son peuple saint.

Les apôtres et l’Ascension

Dans l’évangile de Marc, nous lisons au chapitre trois que Jésus exerce son ministère en Galilée, près du lac de Tibériade. Là, il enseigne les foules, guérit les malades, et chasse des démons. C’est alors qu’il décide de monter sur la montagne (Mc 3.13). Il appelle ensuite douze de ses disciples pour qu’ils soient auprès de lui et afin de les établir comme apôtres. Marc nous rapporte le nom de ces disciples sous forme de liste. Puis il nous donne l’objectif que Jésus avait en tête en nommant des apôtres : il souhaite les envoyer annoncer la venue du royaume de Dieu (Mt 10.7), avec en plus le pouvoir de guérir eux aussi les malades et de chasser les démons. Ce qu’ils feront d’une certaine manière, et avec plus ou moins de réussite, tant que leur maître restera présent avec eux.

Luc, quant à lui, dans le livre des Actes, nous raconte ce qu’il s’est passé durant les quarante jours qui ont suivi la résurrection du Christ. Durant ce temps particulier, Jésus est resté avec ses apôtres et il a continué à les former. En effet, ils ne semblent pas encore avoir mesuré l’importance de la venue du royaume. Ils ne voient pas les choses en grand et se focalisent sur le royaume d’Israël. Mais le royaume de Dieu, même s’il comprend Israël, est bien plus grand que cela. Et pour annoncer un plus grand message, à un plus grand nombre de personnes qu’aux seules brebis de la maison d’Israël, ils vont avoir besoin d’une puissance supérieure, plus grande que le pouvoir que Jésus leur avait accordé dans l’évangile de Marc. Cette puissance, c’est celle du Saint-Esprit. Quand ils l’auront reçue, ils ne seront plus seulement envoyés en Judée et en Galilée, mais ils le seront jusqu’aux extrémités de la terre (Ac 1.8). C’est après leur avoir fait cette promesse que Jésus est élevé dans les airs, enveloppé d’une nuée, juste devant leurs yeux. Christ ayant disparu à leurs regards, les apôtres voient apparaître deux anges qui leur disent que Jésus reviendra de la même manière dont il est parti. Tout cela se passe sur le mont des Oliviers (Ac 1.12).

Jésus avait établi douze apôtres afin d’être au milieu d’eux, mais maintenant, c’est son absence qui se fait sentir. De plus, les apôtres ne sont plus douze, mais onze (Ac 1.13). Le Saint-Esprit signifie, pour les apôtres restants, une présence du Christ différente de celle d’avant. De plus, leur champ de mission s’est considérablement élargi, tout comme leur compréhension du royaume. Leur véritable envoi se trouve ici, à l’Ascension.

Le sermon et le mandat

Le premier grand enseignement de l’évangile de Matthieu est généralement appelé le Sermon sur la montagne. En effet, c’est assis sur une montagne que Jésus livre son plus long discours à ses disciples (Mt 5.1). C’est ici que l’on retrouve les « béatitudes » qui sont diverses bénédictions promises à ceux qui suivent ce code de vie du disciple. Être sel et lumière, prier le « Notre Père », tendre l’autre joue, passer par la porte étroite, tout cela provient de ce sermon riche en contenu.

Dans le même évangile, nous lisons aussi qu’après sa résurrection, les onze sont allés rejoindre Jésus sur une montagne de Galilée qu’il leur avait désignée (Mt 28.16). C’est ici que Christ donne à ses disciples un mandat missionnaire (Mt 28.19). Alors que ce sont les disciples qui se s’étaient approchés de Jésus pour entendre son sermon sur la montagne (Mt 5.1), c’est maintenant lui qui s’approche d’eux (Mt 28.18). Il leur avait enseigné comment recevoir le royaume des cieux et hériter de la terre (Mt 5.3, 5). Après sa résurrection, il leur explique que c’est lui qui a reçu autorité dans le ciel et sur la terre (Mt 28.18). Christ lui-même dispose du royaume et de l’héritage. Jésus leur avait dit que ceux qui procurent la paix seraient appelés « fils de Dieu » (Mt 5.9), et il se présente comme « le Fils » par excellence (Mt 28.19). Puis Jésus donne à ses apôtres le mandat de faire de toutes les nations des disciples, de les baptiser au nom du Dieu trinitaire, et de les enseigner à mettre en pratique tout ce qu’il leur a prescrit.

La question que nous pourrions alors nous poser est de savoir ce que les disciples doivent enseigner aux nations. Et la réponse se trouve en premier lieu dans le Sermon sur la montagne. Ce discours représente un condensé de l’enseignement de Jésus. Et bien que la dernière phrase écrite par Matthieu ne commence pas par le mot « heureux », nous pourrions la considérer comme la plus grande béatitude, car Christ promet qu’il sera présent jusqu’à la fin du monde avec ceux qui enseigneront le Sermon sur la montagne aux nouveaux disciples baptisés (Mt 28.20).

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Notes et références

[1] S. Romerowski, Commentaire sur l’Apocalypse de Jean : La Victoire de l’Agneau et de ses Rachetés, Charols, Excelsis, 2020, p. 388-389.

[2] Ibid., p. 179.