Quand Michel Onfray manie le « sophisme épouvantail »

 

Voici la suite de l’évaluation critique du Traité d’athéologie de Michel Onfray. Il s’agit de la cinquième partie. Rappel : la première est à retrouver ici, la deuxième ici, la troisième ici, la quatrième ici, et la cinquième .

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Jusqu’ici, cette critique s’est focalisée sur les arguments concernant l’existence de Dieu en général, sans inclure de thèse particulièrement controversée sur la nature de ce Dieu. Cela permit d’établir qu’aucun argument de Michel Onfray ne supportait l’athéisme avec succès, et que plusieurs d’entre eux offraient même les prémisses d’arguments convaincants en faveur de l’existence de Dieu.

Nous en arrivons maintenant à la critique plus spécifique offerte par Michel Onfray, à l’encontre des trois monothéismes :  le judaïsme, l’islam et le christianisme.

epouvantailEn tant que chrétien moi même, je n’ai aucun intérêt à défendre le judaïsme et l’islam dans les domaines où ils contredisent ce que je crois être la vérité chrétienne, mais même pour ce qui est du christianisme, il est maintenant important de prendre un moment pour préciser de quoi il s’agit, car les critiques de Michel Onfray concernant le christianisme ne peuvent avoir de succès que si elles ont bel et bien le christianisme pour cible. Et en l’occurrence, Onfray critique un bon nombre de choses qui n’ont rien à voir avec le christianisme biblique. Cette manœuvre logique, intentionnelle ou pas, s’appelle « le sophisme épouvantail », et consiste à présenter la position d’un adversaire de manière erronée et facilement réfutable, pour ensuite clamer la victoire lorsque cette distorsion est reconnue comme étant une position absurde. Un exemple de sophisme épouvantail des plus flagrants a même été sélectionné pour la quatrième de couverture. Appréciez l’amalgame de l’extrait en question, et sa liste de croyances complètement absurdes attribuées aux « trois monothéismes » (rien que cela), alors qu’aucun chrétien digne du nom ne maintiendrait ces absurdités :

Les trois monothéismes, animés par une même pulsion de mort généalogique, partagent une série de mépris identiques : haine de la raison et de l’intelligence ; haine de la liberté ; haine de tous les livres au nom d’un seul ; haine de la vie ; haine de la sexualité, des femmes et du plaisir ; haine du féminin ; haine des corps, des désirs, des pulsions.

 

N’importe quoi. Si Onfray pense que le christianisme affirme ces choses, alors je suis ravi de le rejoindre dans la rejection de ces absurdités, et de lui apprendre avec joie que rien de cela n’est requis pour un chrétien fidèle à la bible.

Même dans ses moments les plus attentifs, Onfray ne réfute souvent qu’un épouvantail en lieu et place du christianisme, mais je souhaite lui donner le bénéfice du doute, car je soupçonne fortement que la manœuvre n’est pas volontaire, et est plutôt basée sur une présupposition erronée (bien que compréhensible pour un Français). C’est la fausse idée, explicitement présupposée par Onfray, que « christianisme » veut dire « catholicisme ». Il fait alors face au problème suivant : en réfutant les croyances et pratiques spécifiquement catholiques, il laisse le protestantisme virtuellement intouché, et faillit donc directement dans sa réfutation du « christianisme » en général.

popeEn pages 227 il décrit le pape comme « le premier des chrétiens », et utilise en page 246 les prises de positions du pape Jean-Paul II pour décrire « le christianisme officiel ». C’est incorrect. Pour un protestant, Jésus et le texte biblique font autorité en tant que parole de Dieu, mais l’évêque de Rome n’est pas infaillible. Si Michel Onfray trouve que le pape est ignoble, qu’il garde à l’esprit que Martin Luther le décrivait de son temps comme étant l’antéchrist. La rhétorique incendiaire du « traité d’athéologie » devient timide par comparaison !

Mais même sans pousser la rhétorique au niveau de Luther, lorsqu’Onfray critique les structures d’autorité parfois trouvées dans l’histoire de l’église Romaine, les protestants se trouvent être d’accord. Il écrit : « les prêtres des trois religions refusent qu’on pense et réfléchisse par soi-même. Ils préfèrent donner l’autorisation – l’imprimatur… » (p.118) ou encore, « pendant des siècles le clergé interdit la lecture directe des textes. Il juge leur questionnement historique, humain, trop humain » (p.204). Voila précisément la cause initiale de la réforme protestante : la démocratisation de la bible. « ad fontes ! » s’exclamèrent les réformateurs : « aux sources !». L’enfreint des interdits de lire et traduire la bible est la raison pour laquelle les protestants se sont mis à … « protester ». Protester les enseignements et pratiques catholiques qu’ils trouvèrent contredire la bible. Luther en Allemagne, Tyndale en Angleterre, la bible est traduite dans la langue commune, pour ne pas laisser le message de l’évangile dans les mains exclusives du clergé, et pour proclamer la bonne nouvelle à ceux qui en ont besoin, à savoir : tout le monde. Voilà un effet merveilleux de la réforme.

Cela dit, même dans le camp catholique, l’ère des interdits de lire la bible est finie depuis longtemps, de telle sorte que quand Michel Onfray affirme « nous vivons toujours peu ou prou sous ce règne », il distord même le catholicisme. La Bible est aujourd’hui scrutée de manière critique et attentive sous tous les angles par les académiques catholiques et protestants.

Mais continuant l’amalgame entre christianisme et catholicisme, Michel Onfray dit que « l’Eglise » croit à la transsubstantiation, et que c’est un problème à la lumière du matérialisme (p.126). Je reviendrai plus tard sur sa discussion du matérialisme, mais pour le moment, il me faut encore répondre que non, « l’église » n’enseigne pas la transsubstantiation. Onfray annonce même que « L’église des premières heures croit à ce miracle ». Non. C’est un développement tardif, romain, et non biblique. Il conclut que « le destin du christianisme se joue dans cette pitoyable comédie de bonneteau ontologique. » Mais ce n’est donc pas le christianisme qu’il vise, et bel et bien une partie du catholicisme.

En bref, pour permettre un débat fructueux, je me dois maintenant de clarifier ce qui est essentiel pour le chrétien plus biblique mais moins catholique que le pape. Quel est le cœur de l’évangile ?

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Évangile (euangelion) en Grec, veut dire « bonne nouvelle ». Quelle est cette bonne nouvelle ? Pour le chrétien, la bonne nouvelle commence par une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle est que tous les hommes ont péché. Nous avons tous enfreint la loi morale de Dieu, et savons que nous sommes coupables, même par nos propres standards personnels : nous avons menti, volé, trompé, tué, convoité, du plus grand au plus petit, nous sommes tous coupables. « il n’en est aucun qui fasse le bien, pas même un seul » (Rom. 3:12). Dès lors, nous sommes tous sujets à la juste colère divine, et sans excuse (Rom. 1:18-21). Jésus enseigne qu’après la mort, les hommes doivent rendre compte de leur vie à leur créateur, et il y aura « pleurs et grincements de dents ». La question se pose alors tout naturellement : comment l’homme pécheur peut il être réconcilié avec un Dieu parfaitement juste ? La réponse biblique? « Dieu a tant aimé le monde qu’il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu’il ait la vie éternelle.» (Jean 3:16). Par amour pour nous, Dieu est entré dans sa création en la personne de Jésus de Nazareth, a vécu la vie parfaite que nous aurions du vivre, et malgré son innocence parfaite, est mort sur la croix, et est ressuscité le troisième jour. Il est mort à notre place, pour payer le prix de notre péché, et échanger sa droiture contre notre culpabilité « Celui qui n’a point connu le péché, il l’a fait devenir péché pour nous, afin que nous devenions en lui justice de Dieu ». (2 Cor. 5:21) Ainsi, il nous rachète par sa grâce, nous qui ne pouvions pas nous sauver nous même. Et comment reçoit-on ce cadeau gratuit ? Par la foi seule en Jésus et non pas par des bonnes œuvres, ou des rituels religieux. « C’est par la grâce que vous êtes sauvés, par le moyen de la foi. Et cela ne vient pas de vous, c’est le don de Dieu. Ce n’est point par les œuvres, afin que personne ne se glorifie. » (Eph. 2 :8-9). Et voilà le cœur de la « bonne nouvelle » : la vie éternelle et le pardon des péchés sont gratuits, et obtenus par celui qui se repend de ses péchés, et place sa foi en Jésus seul. « Celui qui croit au fils a la vie éternelle ; celui qui ne croit pas au fils ne verra point la vie, mais la colère de Dieu demeure sur lui. » (Jean 3:36).

Voilà en bref le cœur du christianisme. Si Michel Onfray souhaite, tel qu’il l’annonce, réfuter « le christianisme », telle est la cible appropriée, tout du moins bibliquement, même si l’église catholique se trouvait enseigner le contraire.

Sur un plan plus personnel, je me permets d’ajouter un mot de défense de Michel Onfray, car ce message incroyable, que la vie éternelle est un cadeau gratuit qui s’obtient instantanément par la foi seule en Jésus et pas par les bonnes œuvres ou les gri-gris religieux, je ne l’avais moi même jamais entendu malgré des années à fréquenter l’église catholique depuis mon plus jeune âge. Ce n’est que plus tard, en tant qu’athée, que par un concours de circonstances improbable, je finis par me repencher sur la question de Dieu, et découvris que c’était le cœur du nouveau testament : Jésus est mort pour sauver des pécheurs, justifiés par la foi en lui, et non pas par leurs bonnes œuvres.

Alors évidemment, si une personne se repent sincèrement de son péché et place ainsi sa foi en Jésus seul, il s’ensuit que son cœur changé va l’emmener à produire de bonnes œuvres, et qu’au contraire, une personne qui ne fait que « dire » qu’il a la foi en Jésus, et ne montre aucun signe de vie changée est bien probablement une personne qui n’a pas réellement reçu l’évangile (Jac. 2:14-18). En ce sens, Onfray a raison de critiquer l’hypocrisie des personnes religieuses : « Mais on se marie encore beaucoup à l’église – pour faire plaisir aux familles et belles-familles, prétendent les hypocrites. » (p.79). Il est donc entièrement incohérent de se dire « croyant, mais non pratiquant ». Mais il en reste que ces bonnes œuvres ne sont pas la base de notre acceptation par Dieu ; elles sont le témoin de notre gratitude pour la grâce de Dieu que nous ne méritions pas, mais avons reçu gratuitement, lorsque nous avons placé notre foi en Jésus.

« Car le salaire du péché, c’est la mort ; mais le don gratuit de Dieu, c’est la vie éternelle en Jésus Christ notre Seigneur. » (Romains 6:23).

 

 

 

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Ayant étudié les maths et la physique en classe préparatoire et grande école d'ingénieur, Guillaume Bignon travaille dans l'informatique financière sur Wall Street. Après une conversion improbable et providentielle à l'âge adulte, il s'est pris de passion pour l'apologétique chrétienne et a obtenu une Maîtrise en littérature biblique avec emphase sur le Nouveau Testament, d'Alliance Theological Seminary à New York. Il est titulaire d'un Doctorat en théologie philosophique sous la direction de Paul Helm à London School of Theology. Guillaume est membre de l’Evangelical Theological Society, l’Evangelical Philosophical Society, la Society of Christian Philosophers, et l’association axiome. Il s'intéresse à la métaphysique du libre arbitre, sa relation avec la providence divine et la logique modale, ainsi que la théologie naturelle et l'épistémologie.