Le culte personnel selon Martin Luther

Mon cher ami Matthieu Giralt, animateur du blog Tout Pour Sa Gloire, a récemment pointé dans l’une des ses « Foire aux Liens » vers un article profondément édifiant de La Revue Réformée. Vous trouverez ci-dessous l’intégralité de ce papier, écrit par Walter Trobisch.

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Un jour, Peter Beskendorf, barbier de Martin Luther, a pris la liberté de poser la question suivante à son éminent client: “Docteur Luther, comment priez-vous?”

Martin Luther n’a pas trouvé indigne de lui de répondre par écrit, à son coiffeur, une longue lettre de quarante pages, qui a été publiée au printemps 1535 sous le titre: A un bon amiune manière simple de prier. Cette lettre est très précieuse, car elle offre un aperçu sur la piété de Luther et elle constitue un exemple classique de cure d’âme menée avec compétence. Voici le texte du premier paragraphe de cette lettre :

“Cher maître Pierre, voici ce que j’ai de meilleur: comment je prie. Que notre Seigneur Dieu vous accorde ainsi qu’à quiconque de faire mieux.”

Luther grandit son interlocuteur et s’abaisse lui-même. Il se place dans son univers et cela lui permet de le faire cheminer vers lui.

“Un barbier habile, lorsqu’il est en train de faire la barbe à un client, doit fixer toute son attention sur le rasoir et la barbe. S’il ne fait que parler, regarder ailleurs ou penser à autre chose, il risque fort d’entailler la bouche ou la gorge de son client. Ainsi, pour faire quelque chose de bien, il faut y impliquer tout son être. Comme on dit: Celui qui pense à trop de choses ne pense à rien et n’accomplit rien de bon ! A plus forte raison, la prière, pour être une bonne prière, doit-elle être seule à occuper totalement le cœur !”

Luther se met à la place de son interlocuteur et il nous donne un bon exemple de ce que l’on peut faire par lettre. Son premier paragraphe est également très réconfortant pour nous, car il nous apprend que son rédacteur a eu le même problème que nous à résoudre dans sa vie de prière: le manque de concentration. Voici la première aide qu’il nous apporte:

« Il est bon que la prière soit notre première et notre dernière occupation de la journée. Il faut écarter la pensée fausse et trompeuse suivante: ‘Attends un peu; dans une heure ou plus, tu prieras. Termine d’abord ceci ou cela.’ Si nous accueillons cette pensée, la journée se passera à l’accomplissement de tâches diverses sans que nous priions. »

Luther écrit aussi:

« Veillons à ne pas nous laisser détourner de la prière sous prétexte que telle ou telle tâche est plus urgente – ce qu’elle n’est pas en réalité – et, ainsi, à devenir négligent, paresseux, insensible et soucieux. Le diable, lui, qui rôde autour de nous, n’est ni négligent, ni paresseux. »

Tout comme Maître Pierre a dû l’être, nous nous sentons compris. Qui d’entre nous ne connaît pas des moments plus ou moins longs où le culte personnel devient un devoir sans signification, pénible, voire détesté et, à tout le moins, bien ennuyeux. Or, l’ennui est l’ennemi mortel du Saint-Esprit.

Quelle aide Luther offre-t-il pour échapper à la froideur satanique et retrouver la chaleur et la lumière que suscite le Saint-Esprit?

Luther préconise une période préalable “d’échauffement”. Les expressions “échauffer le cœur” jusqu’à ce “qu’il soit bien disposé”, “qu’il ait envie” se trouvent à plusieurs reprises dans cette lettre. La lettre tout entière n’est, en fait, qu’une instruction pratique et détaillée à cet égard; l’étude de la Bible ne doit être entreprise qu’ensuite. Elle se termine par l’affirmation que “celui qui fait ainsi peut utiliser un chapitre de l’Ecriture à la manière d’un briquet pour embraser son cœur”.

Pour Luther, la position du corps a de l’importance. La position assise ne convient pas.

“Agenouillez-vous ou restez debout, les mains jointes et les yeux tournés vers le ciel.”

Et il avertit :

“Veillez à ne pas être trop exigeant afin que votre esprit ne se fatigue pas. Une bonne prière n’a pas besoin d’être longue ou prolongée. Il est préférable qu’elle soit fréquente et ardente.”

Son contenu ? Nos besoins et nos préoccupations personnelles ? Non ! Luther répond:

“Commencez par les Dix Commandements .”

Luther les prie; il ne les récite pas à toute vitesse. Comme ancien prêtre catholique romain, il a beaucoup à dire contre l’amoncellement “des vaines paroles” (Mt 6:7), le bavardage, le babillage et le papotage qu’il compare à des bulles de savon. Pour éviter cela, Luther considère un seul commandement à la fois, “afin que mon esprit soit aussi désencombré que possible avant de prier”.

Voici comment Luther partage avec son barbier sa façon personnelle de formuler une prière libre:

Je fais de chaque commandement une guirlande de quatre brins tressés ensemble. En d’autres termes, chaque commandement est d’abord un enseignement – ce qu’il est effectivement – et je réfléchis à ce que le Seigneur me demande si sérieusement. Chaque commandement est, en second lieu, un sujet de louange; en troisième lieu, une confession et, enfin, une requête.

Ensuite, Luther prend la peine et le temps de considérer l’un après l’autre chacun des Dix Commandements et de proposer, à titre d’exemple pour son barbier, autant de guirlandes à quatre brins.

Au sujet du commandement “Tu ne commettras pas de vol”, Luther écrit:

Premièrement, j’apprends, ici, que je ne dois ni prendre, ni posséder, publiquement ou en secret, quelque chose qui appartient à mon prochain; que je ne dois être ni déloyal ou malhonnête dans mes négociations, mon service ou mon travail, afin que mon gain ne soit pas celui d’un voleur. Je dois plutôt gagner mon pain à la sueur de mon front et manger mon pain avec les honnêtes gens. En même temps, j’aiderai mon voisin à ne pas être victime de voleurs.

En second lieu, je remercie Dieu de m’avoir donné ainsi qu’à tous les hommes, dans sa fidélité et sa bonté, un si bon enseignement, nous assurant de la sorte protection et sécurité. Car, sans sa protection, il ne restera dans notre maison ni le moindre argent, ni un morceau de pain.

Troisièmement, je dois confesser mon péché et mon ingratitude pour avoir fait tort à quelqu’un ou l’avoir trompé et, aussi, pour toutes les fois où j’ai manqué à ma parole.

Quatrièmement, je demande à Dieu de nous faire la grâce, à moi-même comme au monde entier, d’avoir une conduite améliorée. Je le prie qu’il y ait moins de vols, de détournements, d’exploitations, d’escroqueries et d’injustices. Je le supplie aussi que tous ces maux disparaissent bientôt, au jour du jugement. Tel est l’objectif auquel tendent les prières de tous les chrétiens et auquel aspire la création tout entière (Rm 8:22).

Telle est la prière selon Martin Luther. Elle ne consiste pas seulement à supplier, réciter et parler, mais aussi à apprendre, méditer, analyser avec minutie et acquérir ainsi la perspective de l’éternité.

Et après? Luther indique de procéder avec le Notre Père comme avec les Dix Commandements . Prendre une des requêtes à la fois – une seule est probablement suffisante par jour – et tresser ensemble les quatre brins pour faire une guirlande. Et, de nouveau, Luther explique à Maître Pierre comment faire pour chaque requête.

Luther estime que le Notre Père est “le texte le plus maltraité sur terre, tordu, trahi par chacun”. Cependant, en le priant selon la méthode de la guirlande, le Réformateur dit:

“Je l’absorbe comme un nourrisson, je le mange et le bois comme un vieillard et n’en suis jamais rassasié.”

Quand il en a “le temps et le loisir”, après le Notre Père , Luther procède de la même manière avec le Symbole des Apôtres .

A un moment donné, cependant, Luther interrompt son explication pour partager avec le destinataire de sa lettre l’expérience suivante:

Il arrive souvent que je me perde dans des pensées si riches (littéralement, que “mes pensées partent en promenade”) à propos d’une des demandes du Notre Père que j’abandonne les six autres. Quand il en est ainsi, il faut laisser de côté les autres prières et accueillir ces pensées, les écouter en silence et ne les réprimer en rien. C’est le Saint-Esprit lui-même qui prêche et un seul mot de son sermon vaut mieux que les milliers prononcés dans nos prières. J’ai ainsi plus appris dans une seule prière que par beaucoup de lectures et de réflexions.

Nous voyons, ici, que, pour Luther, prier ne signifie pas seulement parler, mais aussi rester silencieux et écouter. Pour lui, la prière n’est pas à sens unique, mais à double sens. Il parle à Dieu et, ce qui est encore plus important, Dieu lui parle.

C’est exactement ce que nous espérons en étudiant la Bible: que Dieu nous parle. L’étude de la Bible est une prière. Aussi l’enseignement de Luther sur la prière peut-il s’appliquer à notre étude de l’Ecriture et nous apporte-t-il une aide considérable pour mettre en évidence tout le sens d’un passage biblique en vue de son application dans notre vie. Il s’agit, verset après verset, de tresser une guirlande faite de quatre brins.

Pour varier un peu et en mettant, en dernier, ce que Dieu demande, beaucoup de chrétiens ont enrichi leur culte personnel en rédigeant les quatre questions suivantes:

1. De quoi dois-je être reconnaissant? (action de grâces)

2. Qu’est-ce que je regrette? (confession)

3. Que devrais-je demander? (intercession)

4. Que ferai-je? (action)

Faisons de nouveau attention à une mise en garde de Luther:

« N’exigez pas trop de vous-même de peur de lasser votre esprit… il suffit de comprendre une fraction d’un verset biblique, ou même moitié moins, pourvu qu’elle suscite une étincelle dans votre cœur… car (c’est là une pensée très profonde que Luther partage avec son barbier) l’âme, si elle se concentre sur une seule chose, bonne ou mauvaise, de façon vraiment sérieuse, peut faire plus en un moment que la langue dans un discours de dix heures et qu’une plume grattant du papier pendant dix jours. Ainsi, l’âme, ou l’esprit, est un instrument précis, délicat et puissant.

Ce qui est déterminant n’est pas le nombre de versets bibliques lus. Il est parfois plus fructueux de se limiter à quelques versets seulement et à se comporter avec eux comme avec les branches d’un arbre pour en faire tomber les fruits. Ce faisant, l’étude de la Bible se transforme d’un devoir ennuyeux en une aventure passionnante.

Il convient, d’abord, de poser strictement chaque question. Qu’est-ce qui, dans ce texte, me rend reconnaissant? Qu’est-ce qui, dans ce texte, me reprend, m’invite au changement et à la repentance? Quels sujets d’intercession – non pas mes propres souhaits – le texteme suggère-t-il? Qu’est-ce qui, dans ce texte, me pousse à l’action?

Une réponse ne sera pas trouvée, chaque fois, à toutes ces questions. Parfois les réponses seront imbriquées les unes dans les autres. Ce qui m’incitera à la repentance peut devenir mon sujet d’intercession du jour, et même me pousser à réparer ou à demander pardon.

D’un autre côté, tout en nourrissant nos pensées, le texte ne doit ni les réduire, ni les limiter. En réfléchissant, de nouveau, à partir de ces quatre questions, nous les appliquerons aux détails concrets de notre vie quotidienne; pensons aussi aux petites choses dont nous sommes reconnaissants: une journée ensoleillée, un salut amical, une jolie fleur, l’arrivée d’une bonne lettre. Nous nous souviendrons aussi d’une parole non dite ou du nom de personnes pour lesquelles nous voudrions prier, de façon particulière, ce jour-là. En répondant à la quatrième question, nous planifierons la journée qui s’ouvre devant nous, découvrant ainsi une solution pratique au problème avec lequel se débattent de nombreux chrétiens: comment connaître la volonté de Dieu? »

Selon le témoignage de Luther dans sa lettre, il est évident qu’il croyait fermement que Dieu parlerait à son esprit en prière, lorsque “le cœur est échauffé” et qu’il se trouve “dans l’atmosphère créée par les Dix Commandements , le Notre Père et le Symbole des Apôtres ”.

“Le Saint-Esprit peut et doit le faire et il continuera à vous instruire si votre cœur se soumet à la Parole de Dieu et s’il est libre de préoccupations et de pensées étrangères.”

Luther donne, cependant, à son ami, quelques conseils pratiques que nous ne devrions pas oublier. Il lui recommande de faire son culte personnel avec un crayon et du papier, afin de noter ce que Dieu lui dit :

Je répète ce que j’ai déjà dit à propos du Notre Père . Si le Saint-Esprit vient alors que vous êtes dans ces dispositions d’esprit, et prêche à votre cœur vous donnant des pensées riches et lumineuses, honorez-le en écartant vos idées préconçues, en restant tranquille et en écoutant celui qui parle mieux que vous; notez ce qu’il dit, écrivez-le et vous expérimenterez ce dont parle David : “Ouvre mes yeux pour que je contemple les merveilles de ta loi !” (Ps 119:18).

Ceux qui ont l’habitude de faire leur culte personnel en prenant des notes ne l’abandonnent pratiquement jamais. Ce qui rend notre recueillement si peu attrayant et ennuyeux tient au fait que, chaque jour, chacun de nous a le même type de pensées générales et pieuses. D’où la monotonie. Nos pensées sont lointaines et abstraites et n’ont pas de lien avec notre vie quotidienne. Ecrire, comme le suggère Luther, est une manière d’incarner la Parole de Dieu. Elle devient tangible, visible et concrète, et cela nous oblige à être exact, précis et méticuleux. La monotonie fait place à la variété et à l’étonnement. Prendre des notes rend également capable de vérifier si ce qui a été décidé le matin a été accompli. Selon un proverbe chinois : “L’encre la plus pâle est plus forte que la plus forte mémoire.”

Mettre par écrit ce que Dieu nous dit permet aussi d’en faire part à un compagnon de prière. Ma femme et moi choisissons ensemble le texte de notre culte quotidien. Cela est particulièrement utile lorsque nous sommes séparés. Lorsque nous nous retrouvons, nous pouvons nous dire ce que nous avons écrit et nous faisons ainsi l’expérience de “choses merveilleuses”.

Cela exige un peu de pratique. De la même manière que pour se préparer à une épreuve sportive et obtenir le meilleur résultat possible, un échauffement est nécessaire, de la même manière notre vie spirituelle a besoin que notre cœur soit “échauffé”. Martin Luther utilise exactement ces termes. Il faut une formation et de la pratique pour distinguer ses propres pensées et celles de Dieu. Lorsqu’on ouvre un robinet dans un nouveau bâtiment, il en sort parfois, au début, un liquide brunâtre; mais peu à peu, la patience aidant, l’eau devient claire.

Nous pouvons faire la même expérience dans notre culte personnel. Si notre prière, de parole devient silence, et si ce silence se transforme en écoute, la voix du Bon Berger se fera clairement entendre. “L’Esprit veut et doit nous accorder cela si notre vœu est soumis à sa Parole”, a écrit Luther.

 

Walter Trobisch (1923-1979)
Auteur de plusieurs livres consacrés à des sujets d’éthique. Ce texte est traduit du Covenant Companion (15 octobre 1975). 

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