« L’intégration biblique » dans les écoles chrétiennes
Je m’appelle Renaud, et je suis enseignant dans une école chrétienne privée et évangélique où j’ai la charge d’une classe multiniveau de CE2-CM1-CM2. J’ai également obtenu une licence en théologie de l’éducation à l’Institut Supérieur Protestant Mathurin Cordier en Alsace. L’une question que la plupart des personnes (chrétiennes ou non-chrétiennes) me posent concerne l’enseignement de la Bible et la place de Dieu dans mon enseignement et dans ma salle de classe. C’est une question primordiale pour moi, car je considère véritablement mon travail comme un ministère à part entière. Mais en même temps une question assez complexe sur laquelle je suis régulièrement obligé de revenir pour tenter de la formuler, de la comprendre, de l’approfondir. Durant mes études, le terme technique qui était utilisé pour parler de cela était celui « d’intégration biblique ».
Ce terme n’est bien entendu pas consacré et il mériterait peut-être d’être reformulé. Certains de mes enseignants proposaient donc des alternatives comme : « objectif éducatif », « objectif biblique », ou encore « objectif spirituel ». Ce problème d’intitulé peut sembler sans importance, mais en réalité ce n’est pas le cas, car un problème de définition peut entraîner parfois un problème de vision dans l’objectif à atteindre et dans les moyens à mettre en place pour y arriver.
Ce que l’intégration biblique n’est pas
Pour tordre le cou à certaines idées reçues par rapport à l’école chrétienne, nous allons donc commencer par voir ce que l’intégration biblique n’est pas. Le problème commence tout d’abord avec le mot « intégration ». En tant qu’enseignant chrétien, je n’intègre pas Dieu dans mes cours comme un post-it par-dessus ma leçon de français ou comme j’intègre des œufs à de la farine pour faire un gâteau. C’est plutôt lui qui m’a intégré à son plan divin en me plaçant là où je suis aujourd’hui. Ce n’est pas moi qui l’invite dans ma salle de classe : il y est déjà quand j’y entre le matin. Et même plus : il m’y précède !
L’intégration biblique, ce n’est donc pas rajouter Dieu par-dessus quelque chose. L’exemple typique et maladroit est le classique raccourcit du « mot-clé ». Par exemple, lors d’un cours sur la multiplication, basculer brutalement sur Jésus qui multiplie des pains. Ce n’est pas parce que le mot « multiplier » se trouve dans les deux situations que j’ai le droit de faire un tel raccourci. Je suis persuadé que, prise dans son contexte, la multiplication des pains (Mt 14) est bien plus profonde qu’un cours de mathématiques.
De même, je ne pense pas qu’apprendre par cœur des versets sortis de leurs contextes soit d’une grande utilité pour des enfants. Attention, cependant : je ne suis pas en train de dire qu’ils ne devraient pas apprendre de versets pour se familiariser avec la Parole de Dieu. Mais je pense qu’il y a quelque chose de plus profond que cela et qui les marquera bien plus. J’y reviendrai par la suite. Une autre erreur typique est de penser que l’on enseigne les enfants sur Dieu en leur faisant faire de la grammaire avec des exercices comme : « Jésus est mort sur la croix pour tes péchés – maintenant cherche le verbe et le COD dans cette phrase ».
Mais cela n’est rien à côté de deux autres erreurs qui me semblent bien plus graves. La première est celle du moralisme. C’est reprendre les enfants quand ils ont fait une bêtise, en leur disant systématiquement que cela déplaît à Dieu, que ce dernier ne les acceptera jamais, et en leur donnant une punition telle que : « Recopie dix fois : il est marqué dans la Bible que je ne dois pas mentir ». Les enfants font des bêtises ; ce sont des enfants, et il ne faut pas espérer voir de changement en eux tant que Dieu n’aura pas atteint leur cœur. C’est leur cœur qui doit être touché avant leur cerveau. Un de mes enseignants disait : « Le cœur de l’éducation, c’est l’éducation du cœur ».
La deuxième erreur est de transformer le temps biblique que nous avons le matin en une « école du dimanche ». Personnellement j’ai effectué deux années d’études à l’Institut Biblique de Genève et je suis toujours étudiant à distance avec la Faculté de Théologie Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Je suis convaincu que les enseignants chrétiens devraient avoir une formation théologique, car le temps biblique est une matière à part entière dans l’école. Je dirais même – en lien avec la partie développée précédemment – la part la plus importante. Le socle sur lequel nous allons bâtir notre journée. Il n’est donc pas question de parler aux enfants de Jésus qui calme la tempête (Mc 4) en leur disant que Jésus est l’ami qui vient calmer les tempêtes dans leurs vies.
Cela peut être utilisé de cette façon pour redonner courage à un frère ou une sœur en souffrance – pas de problème – mais là encore je suis convaincu que l’enseignement de ce texte dans son contexte n’est pas celui-là. De même, parler de Noé ou de David sans jamais pousser jusqu’à Christ n’est pas un enseignement chrétien. Au mieux, l’enseignement sera celui d’un rabbin, au pire, il sera moralisateur.
Une tentative d’intégration biblique
Prenons donc le contre-pied de tout ce qui vient d’être dit, afin de tenter de voir à quoi pourrait correspondre l’intégration biblique. Nous devons en réalité effectuer un changement de paradigme. Je n’intègre pas Dieu dans les matières scolaires, mais je suis persuadé qu’absolument tout vient de lui, même les matières scolaires.
Autrement dit, le français, les mathématiques et la géographie viennent de Dieu. Regardons cette citation qui affirme que l’intégration biblique est un « tissage quotidien de vérité sur vérité et de concept sur concept dans la tapisserie vivante du méta-récit de l’Écriture ». Je me sers en réalité du français et de l’histoire pour apprendre aux enfants des principes et des vérités sur Dieu.
Les matières académiques viennent en renforcement du temps biblique pour qu’ils apprennent à véritablement connaître qui il est. Il faut donc toujours partir de Dieu et rechercher les principes bibliques qui se trouvent derrière chaque matière scolaire. Pourquoi étudions-nous l’histoire ? Parce que Dieu est le Dieu qui agit par le biais de sa Providence au milieu de l’histoire des hommes. Il est le Dieu trinitaire qui s’est incarné et qui, à un moment bien précis, est carrément entré dans notre histoire. Pourquoi faire de l’art plastique ? Parce que Dieu est celui en qui se trouve la beauté absolue. Cette beauté qui se reflète dans la diversité de sa Création et dans les instructions qu’il a données à Salomon pour la construction du Temple, etc.
Du coup, est-ce qu’un enseignement comme la théorie du genre trouve sa place dans une école chrétienne ? Je ne pense pas que l’on puisse trouver de principes bibliques qui la soutiennent. Elle ne sera donc pas enseignée dans notre école, même si nous pouvons en parler pour prévenir et préparer les enfants.
Le principe est donc premièrement d’enseigner des vérités bibliques.
Les statistiques (notamment aux États-Unis et aux Pays-Bas où l’école chrétienne n’est pas une exception) ont montré que plus de la moitié des étudiants qui avaient fait leur scolarité au sein d’écoles chrétiennes depuis la maternelle jusqu’à la Fac abandonnaient la foi et l’Église après leurs études. Pourquoi ? Parce que ces jeunes n’apprenaient que des versets par cœur, mais ne connaissaient pas Dieu ni leur Bible, même après toutes ces années. Ils n’avaient pas reçu ce tissage de vérités et de principes bibliques qui leur auraient permis de tenir ferme lors de leur retour dans le monde. Ils n’étaient pas équipés pour l’envoi. Cela ne veut pas dire qu’ils ne reviendront jamais à Dieu si ce dernier les a choisis, mais une meilleure intégration biblique leur aurait probablement évitée beaucoup de dérives.
Pour ne donner qu’un exemple, j’ai pu l’an dernier donner un cours sur la vigne et le vin dans le cadre des sciences et techniques. Comme ce thème est très riche dans la Bible, j’ai commencé par parler aux enfants du Dieu Créateur de la vigne, puis du péché de Noé (Gn 9) qui lui est attaché et de la prophétie de jugement d’Ésaïe (Es 5). Ensuite, je leur ai présenté Jésus qui change l’eau en vin (Jn 2), qui parle des outres neuves (Mt 9) et du vin nouveau qu’il boira (Mt 26). Et finalement du vin de la colère de Dieu (Ap 19). Cela m’a permis de leur donner une vision biblique du monde (Création-Chute-Rédemption) et de parcourir toute la Bible de manière rapide et simple, au travers d’un thème étudié en classe. En cours de géométrie, nous pouvons par exemple aller dehors chercher les formes géométriques dans la Création et ensuite parler de Dieu aux enfants tout en faisant des maths, etc.
De plus, les temps bibliques doivent être christocentriques. Il faut montrer aux enfants comment Ruth nous amène à Christ en devenant son ancêtre et en montrant que Dieu n’a pas oublié les promesses qu’il avait faites. Leur montrer que Christ est notre proche parent qui utilise son droit de rachat. Mais tout ce travail n’est pas que théologique, il est aussi pastoral.
Le pasteur Oberlin disait qu’il fallait « prendre la balle au rebond ». Dans la journée, nous avons de nombreuses occasions d’enseigner les enfants sur Dieu – après une dispute ou une réconciliation dans la cour de récréation par exemple. Ils posent d’ailleurs eux-mêmes de nombreuses questions sur la foi quand nous savons les intéresser. Tout doit nous servir à faire le lien avec Dieu, la Bible, et l’histoire de l’Église. Il faut également bien réaliser que de nombreux enfants souffrent déjà dans leur corps et/ou dans leur âme, malgré leur jeune âge. Et l’école ne se limite pas aux enfants. Il y a bien entendu les parents qui ont, eux aussi, leurs problèmes qu’ils viennent partager. Il faut donc trouver le temps de les écouter, de les consoler. Mais il y a aussi les membres de l’équipe pédagogique qu’il faut parfois fortifier et édifier.
Conclusion
Finalement, nous devons nous rendre compte de la contextualisation et de la pertinence de l’intégration biblique dans une école chrétienne. Il y a, en effet, une grande différence entre adapter et expliquer le vocabulaire biblique, et le vider de son principe !
Une école chrétienne qui pratique une véritable intégration biblique se veut être une école « Bible au centre » comme le disait Martin Luther et une école chrisitifiée. Comme le disait Abraham Kuyper, « il n’y a pas une seule chose de la Création qui n’appartienne pas à Dieu ». Dans une école donc, Christ est la justice en droit, il est la sagesse en philosophie, il est le Verbe en français, la vie en biologie, etc. Mais l’intégration biblique n’est pas tant quelque chose à faire que quelque chose à être.
W.J Toms disait : « Ce que vous êtes crie plus fort que ce vous dites ». C’est donc bien de notre attitude en tant que chrétien que les enfants vont le plus apprendre. Nous devons être des exemples à suivre pour eux, tout comme Paul l’était pour Timothée. Cela nous amène directement à notre rôle de témoin du Christ. Témoin dans ce que je dis et dans ce que je suis. Quand j’arrive à l’école, je ne suis pas quelqu’un d’autre. Je suis toujours chrétien, et je ne découpe pas qui je suis, ce qui serait du dualisme.
Dans ma salle de classe, je suis un théologien qui enseigne la Parole de Dieu aux enfants qu’il m’a lui-même confiés, je suis un pasteur qui prend soin d’eux et qui attend les parents à la sortie de l’école pour parler avec eux et prendre de leurs nouvelles, je suis un missionnaire en mission là où Dieu m’a placé car tous les enfants ne sont pas chrétiens ou de famille chrétienne. Et ces principes valent également pour l’évangélisation, la mission, l’apologétique, et la vie chrétienne en général – et pas seulement pour l’école. Il ne vous viendrait pas à l’idée de préparer votre discours pour les frères et sœurs que vous allez rencontrer le dimanche matin après le culte. Vous n’avez pas besoin de vous forcer pour leur parler de Dieu, cela vient naturellement. Alors pourquoi en serait-il autrement dans une salle de classe ? Tuons le dualisme !
Le but final de cette intégration biblique est que les enfants puissent naître de nouveau, entrer dans leur vocation, prendre des responsabilités dans l’Église, devenir des disciples du Christ. Chaque matin, je me dis qu’en face de moi j’ai peut-être de futurs pasteurs, de futurs missionnaires, de futurs théologiens, de futurs coiffeuses ou garagistes qui amèneront des dizaines de personnes à Christ. Et tout cela pour la gloire de Dieu.