Gloire et beauté

Selon vous, quel rapport peut-il y avoir entre la gloire et la beauté ? Le choix du prophète Ésaïe pour répondre à cette question est intéressant car, comme le relève Oswalt dans un article du Dictionnaire de Théologie biblique d’Excelsis, « […] aucun autre livre des deux Testaments n’embrasse l’ensemble de la théologie biblique de manière aussi complète qu’Ésaïe » (p 240).

Étudier ces deux thèmes dans ce livre va donc nous permettre d’avoir une idée plus ou moins générale de ce que dit la Bible entière sur le sujet. Ainsi, je vous propose de regarder tous les termes qui sont en rapport avec ces deux sujets au sein de ce livre prophétique ; cela nous permettra de montrer qu’une définition biblique de la beauté intègre obligatoirement la notion de gloire de Dieu, et que, finalement, une théologie chrétienne de la beauté doit forcément intégrer ces deux paramètres. Je pense que ce sujet est particulièrement pertinent pour nos sociétés occidentales. En effet, nous vivons dans un environnement parfois qualifié de « superficiel ». Il suffit de regarder aux différents phénomènes de mode ou encore aux millions d’euros qui sont en jeu dans un défilé de vêtements d’un grand couturier.

L’homme est toujours à la recherche du beau, souvent au détriment de l’utile. Il me semble donc important de montrer que la recherche aveugle de la beauté – sans que celle-ci ne manifeste la gloire de Dieu – ne mène à rien et ne correspond pas à ce que l’Écriture nous enseigne.

Je rappelle une nouvelle fois l’importance d’avoir une vision biblique du monde et de se rappeler du schéma Création-Chute-Rédemption qui l’accompagne. Nous ne devons pas oublier que, par défaut, nous nous situons aujourd’hui dans la partie Chute de ce schéma, ce qui implique que notre conception de la beauté, si elle ne franchie pas le cap de la partie Rédemption, est une conception fausse et pervertie par le péché, aussi séduisante soit-elle. Et c’est là toute la force du diable de rendre beau aux yeux de l’homme pécheur ce qui est laid aux yeux de Dieu.

Nous devons apprendre à définir ce qu’est la beauté aux yeux de Dieu. La notion de beauté dans l’Ancien Testament se décline en trois points : la beauté physique, la beauté morale, et la beauté de la gloire de Dieu. C’est donc ce dernier point que nous allons essayer de développer à partir du livre du prophète Ésaïe (et je pense d’ailleurs qu’il englobe les deux autres points).

 

Étude du livre d’Ésaïe

Premièrement, nous pouvons voir que le prophète Ésaïe utilise une assez large palette de mots pour parler de la beauté en tant que telle, sans rapport direct avec la gloire de Dieu. On retrouve les mots :

  • yophi (Es 3.24)
  • chemed (Es 32.12)
  • to’ar (Es 53.2)
  • na’ah (Es 52.7)

 

Ces mots parlent de beauté, d’éclat, d’aspect, d’ornement, de parure, de brillance. Ils sont mis en rapport avec la beauté des champs, la beauté des filles de Jérusalem, l’éclat de la parure d’Ephraïm ou encore pour exprimer que le fameux Serviteur Souffrant n’avait aucune beauté particulière. C’est là la seule fois où la beauté est utilisée dans le sens d’absence de beauté. On parle de choses concrètes, mais on voit aussi des images abstraites comme la beauté des pieds de celui qui annonce de bonnes nouvelles.

Pour ce qui est des mots qui parlent de la gloire de Dieu, on peut relever les mots suivants :

  • halal (Es 41.16)
  • rin-nâ(h) (Es 43.14)
  • shem (Es 55.13)
  • tâhillah (Es 42.8 ; 48.9 ; 60.18 ; 61.3, 11 ; 62.7)

 

Ces mots sont généralement traduits par gloire, mais aussi honneur, splendeur, majesté ou encore magnificence. Tous ces mots que nous venons de voir parlent donc de beauté et de gloire mais n’ont pas de rapport entre eux. Voyons maintenant une série de mots qui sont traduits, tantôt par « gloire », tantôt par « beauté » (ou des équivalents) :

  • tipha’arah (Es 4.2 ; 28.1, 4 ; 44.13 ; 46.13 ; 60.7, 19 ; 63.14-15 ; 64.10)
  • tsâbiy (Es 4.2 ; 13.19 ; 23.9 ; 24.16 ; 28.1, 4)
  • ga’own (Es 2.10, 19, 21 ; 4.2)
  • hadar (Es 2.10, 19, 21 ; 5.14 ; 13.19 ; 14.11 ; 24.14 ; 35.2 ; 53.2)
  • pa’ar (Es 44.23 ; 49.3 ; 55.5 ; 60.7, 9, 13, 21 ; 61.3)

 

Il en va de même du mot kabôd que l’on retrouve plus d’une trentaine de fois (Es 6.3 ; 10.16, etc.). Cependant, comme le fait remarquer William Dyrness (Aesthetics in the Old Testament, p. 422), ce mot n’est jamais traduit par le terme « beauté », bien qu’il pourrait permettre d’évaluer comment l’Ancien Testament parle du concept de beauté, en particulier parce qu’il reflète la continuité entre ce qui est bon, puissant et désirable, .

Par conséquent, en se focalisant sur la liste de mots précédente, nous pouvons voir que les notions de beauté et de gloire de Dieu sont mélangées quand le prophète parle de plusieurs thèmes récurrents comme :

  • Dieu qui remplira son Temple de sa gloire, qui ornera son sanctuaire
  • Dieu qui sera la gloire de son « reste» racheté
  • Le nom glorieux de Dieu
  • La gloire du juste au jour du Jugement
  • Israël qui attirera les nations par son Dieu qui le glorifie
  • L’éclat de la gloire de Dieu au jour du Salut et de la purification du peuple

 

Mais ces mots peuvent également avoir un caractère beaucoup plus négatif :

  • La beauté des idoles
  • Babylone qui se prend pour l’ornement des royaumes de la terre
  • Ephraïm qui se vante de l’éclat de sa parure

 

On remarque donc que ces termes véhiculant à la fois les notions de gloire et de beauté sont presque toujours utilisés pour parler du Salut ou du Jugement final. Lorsqu’ils sontappliqués à  l’homme qui tente désespérément de montrer toute la beauté de sa gloire, c’est toujours dans le cadre du Jugement universel qui aura lieu à la fin des temps. A l’inverse, lorsqu’ils sont appliqués à Dieu, à son peuple, et à son Temple, ces mots sont utilisés pour décrire la beauté de sa gloire qui se révèle sur toute la terre, par sa venue au milieu de son peuple, et par le Salut qu’il offre à son « reste ».

Jugement et Salut sont donc les deux cadres dans lesquels nous devons comprendre ces notions de beauté et de gloire.

 

Conclusion de l’étude sur le livre d’Ésaïe

Finalement, notre étude de l’utilisation des termes « beauté » et « gloire » par le prophète Ésaïe met deux choses en évidence.

Nous avons premièrement pu remarquer qu’il existe une beauté en rapport avec le monde. On pourrait dire une beauté qui est pervertie par le péché. Ce type de beauté, comme celle de l’Assyrie ou des jeunes filles de Jérusalem, sert à élever la personne ou l’empire. En voulant devenir la plus belle des cités, Babylone ne cherchait rien d’autre que sa propre gloire, tout comme la tribu d’Ephraïm. Ce qui est mis en avant, ce n’est pas la gloire de Dieu, mais une gloire égocentrique, une gloire individuelle et égoïste, une gloire qui est prête à écraser les autres pour briller encore plus – ce qui nous rappelle Satan.

Derrière la beauté de Babylone, ornement des royaumes, se cache en réalité la laideur du péché et de la mort. Ce type de beauté est une beauté pervertie, et elle n’appelle rien d’autre de la part de Dieu que le Jugement. Tous ceux qui auront cherché leur propre gloire par leur propre beauté seront finalement détruits par Dieu. Et bien que les jugements prononcés par le prophète semblent s’inscrire dans le grand Jugement final, nous pouvons cependant constater que la ruine de l’Assyrie ou celle de Babylone ont déjà bien eu lieu.

Mais, en deuxième lieu, nous constatons qu’il existe une beauté en rapport avec le Salut et avec Dieu lui-même. Tout ce qui touche à Dieu, par exemple son Temple ou son nom, est digne de gloire et d’adoration, et par conséquent est beau. De même, le peuple qu’il désire racheter est lui aussi décrit comme beau, et ce malgré ses fautes. Ce n’est pas que le peuple soit beau en lui-même, mais Dieu manifeste sa gloire par cet acte de Rédemption qu’est le retour du « reste » dans le pays promis. Le peuple manifeste donc lui aussi la gloire de Dieu, il devient l’ornement de Dieu, et Dieu devient sa gloire. Le Salut du peuple, tout comme le Salut final, ne se limite donc pas à un simple acte de bonté ; il est également un acte de beauté car il manifeste la gloire de Dieu. À travers le Salut, Dieu manifeste sa majesté, sa magnificence, et sa splendeur.

En dernier lieu, on observe une dimension eschatologique dans le lien beauté/gloire chez le prophète Ésaïe. Ceux qui aujourd’hui se glorifient de leur splendeur passeront en Jugement devant Dieu à la fin des temps, alors que ceux qui glorifient la beauté de Dieu ne sont les justes qui hériteront du Salut, car aucun être pécheur ne peut consciemment glorifier la beauté de Dieu sans avoir reçu le Saint-Esprit. Tout doit donc être fait pour la gloire de Dieu et non pour la nôtre ; c’est ici la beauté biblique.

Ce qui est beau est ce qui rend gloire à Dieu.

 

 

Portée apologétique

Mais en quoi tout cela peut-il être utile dans notre contexte culturel actuel ? Ce thème ne peut pas être négligé car il revient – comme nous venons de le voir – pas moins d’une cinquantaine de fois chez Ésaïe. Si nous revenons à notre schéma Création-Chute-Rédemption, nous voyons que puisque Dieu est beau en lui-même, la Création reflète une certaine beauté, tout comme l’être humain créé « à l’image de Dieu ». C’est ce que nous appelons l’analogie créateur/créature.

Le problème est que, depuis la Chute, tout ceci a été atteint par le péché.

Quand j’étais jeune, il existait une série télévisée qui s’appelait « Amour, gloire et beauté ». Cette série a eu un grand succès à son époque, mais même si elle n’est plus diffusée, elle représente bien les aspirations et les présupposés de beaucoup de personnes. Rechercher la gloire par ses propres moyens, sa réussite personnelle, quitte à écraser les autres, et cultiver une certaine esthétique dans son style vestimentaire, sa façon de se coiffer, de se maquiller, pour que tout cela nous rende heureux.

Et pourtant, tout cela est faux. Il nous suffit de considérer toutes ces stars hollywoodiennes qui finissent par se suicider. Pour beaucoup, la beauté se résume à un certain aspect visuel façonné par notre culture. Ce qu’on recherche dans la beauté, c’est quelque chose qui frappe l’œil et qui fait naître des émotions. Et en toile de fond, c’est sa propre gloire que l’on recherche derrière les compliments. La gloire de Dieu a été évacuée. Mais comme le dit Ésaïe, ce type de beauté et de gloire ne conduira ceux qui poursuivent ce chemin qu’au Jugement. Le péché est total, tout ce que fait l’homme ne peut qu’être que perverti. Cela ne veut pas dire qu’un non-chrétien ne peut pas produire quelque chose de beau. Dieu limite en effet les effets du péché par sa grâce commune, et un peintre non-chrétien qui peindrait un tableau représentant la Création de Dieu pourrait inconsciemment rendre gloire à Dieu par son œuvre. C’est ce que nous appelons le capital emprunté. Mais nous devons aller plus loin.

Sans le savoir, cette série télé « Amour, gloire et beauté » nous donne la clé, car l’amour est aussi lié à la gloire et la beauté. En effet, par amour, Dieu a racheté la Création et les hommes par la mort de son Fils Jésus-Christ sur la croix. Dans son fameux chant du Serviteur Souffrant (Es 52.13 à 53.12) qui nous parle de Jésus (1P 2.24), Ésaïe nous dit que ce Serviteur avait un aspect méprisable et qu’on détournait les regards de lui car il n’avait ni beauté ni éclat. Ésaïe nous parle encore de lui d’une manière tout à fait différente dans un autre passage – qui est peut-être le plus important pour notre sujet : Es 4.2. Dans ce texte, Ésaïe annonce la venue du « germe », comme le feront plus tard les prophètes Jérémie et Zacharie (Jr 23.5 ; 33.15 ; Za 3.8 ; 6.12). Ce germe aura de la magnificence et de l’éclat. De plus, on retrouve cette dimension eschatologique au début du verset avec les mots « à ce moment-là » comme le démontrent Carson et Beale dans leur livre Commentary on the New Testament use of the Old Testament.

Trois des termes que nous avons vu dans notre liste sont repris dans ce simple verset. Comme le montre Frédéric Godet dans son commentaire, ce germe deviendra l’ornement et la gloire du peuple, tout comme Dieu (Es 28.5 ; Lc 2.32). Si nous cherchons la beauté et la gloire, elles se trouvent réunies en Jésus qui nous fait entrer dans l’œuvre de Rédemption. On ne peut donc pas être beau ou produire quelque chose de réellement beau bibliquement, c’est-à-dire qui rende gloire à Dieu, si nous ne recevons pas l’Esprit du Christ en nous qui nous renouvelle et qui renouvelle notre intelligence.

Rien ne peut être beau en soit si cela ne découle pas du Christ lui-même. Il y a donc nécessité de recevoir le Christ pour savoir ce qui est beau et ce qui rend gloire à Dieu. C’est cette œuvre du Salut qu’Ésaïe annonçait.

La beauté et la gloire se trouvent donc à la croix.

 

 

 

 

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Renaud Genevois est pasteur à l’Église Perspectives de Colmar. Avant cela, il a été enseignant dans des écoles chrétiennes durant plusieurs années. Il a étudié à l’Institut Biblique de Genève et à l’Institut Supérieur Protestant à Guebwiller. Il prépare actuellement un master de théologie à la Faculté Jean Calvin d’Aix-en-Provence. Renaud est allé plusieurs fois en Afrique enseigner dans un institut biblique et former des enseignants chrétiens. Il écrit régulièrement pour le Bon Combat.