Frère André et l’évangélisation des musulmans
Frère André, auteur du livre Le Contrebandier de Dieu, et ancien missionnaire en Union Soviétique, se concentre maintenant sur le monde musulman par le biais de Portes Ouvertes. Stan Guthrie, éditeur en chef associé de Christianity Today, a interviewé André à propos de son livre Les Forces de la Lumière. Le livre décrit en détail le combat des églises persécutées du Moyen-Orient et les efforts d’André à aborder les groupes de militants islamistes.
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– Votre ministère en Union Soviétique s’est arrêté en 1967. Est-ce que la publicité faite sur votre livre Le Contrebandier de Dieu, en est la cause directe ?
-F.A Oui, une fois le livre paru, pour la sécurité de mes amis, je ne pouvais plus y retourner.
– Est-ce que cela a été une surprise pour vous ?
– F.A Pas vraiment. Je pense que c’est la même chose pour Les Forces de la Lumière. Est-ce que je peux retourner dans le monde musulman ? De toute façon, sans prise de risque, il n’y a pas de gain. Mais, je n’ai pas regretté de ne pouvoir retourner dans le bloc soviétique, parce qu’à cette époque, nous avions des gens en place et un ministère fonctionnel. Des gens qui travaillent encore dans ces mêmes régions aujourd’hui.
– Mais vous pouvez y retourner aujourd’hui…
– F.A Oui, mais cela n’est pas utile. Je suis entièrement dans le monde musulman maintenant.
J’avais prévu que la prochaine confrontation et par conséquent la prochaine persécution aurait lieu avec l’Islam. – Frère André
– Pourquoi ?
– F.A Parce que j’avais prévu, sans pouvoir l’annoncer ou le communiquer, que la prochaine confrontation et par conséquent la prochaine persécution aurait lieu, non pas avec le communisme, mais avec l’Islam. Le communisme était déjà dans ses derniers jours, tandis que l’Islam, surtout dans les années 70, et avec les crises pétrolières, s’est renforcé intensément. Le monde occidental s’est retrouvé à genoux devant la mosquée.
– Quels sont vos cibles dans votre approche de l’Islam ?
– F.A Ma cible personnelle c’est le Moyen-Orient. C’est l’objet du livre, et notre travail s’étend un peu plus à l’est dans plusieurs pays musulmans.
– Comment est-ce que vous aidez les Chrétiens persécutés ?
-F.A. Le principe que nous suivons c’est « Chercher nos frères ». Y a-t-il une église ? Comment est-elle ? de quoi ont-ils besoin ? ils n’ont pas besoin de nous, les gens de l’Ouest, mais ils ont besoin de nos ressources, de nos encouragements, de nos prières. Et même par pur égoïsme, nous devrions nous concentrer sur ce qui se passe là-bas, parce qu’on y trouve la réponse à bien des questions qui vont nous concerner dans un futur proche: comment réagir à l’Islam ? Comment réagir au fondamentalisme ? Comment faire devant le terrorisme ? Si nous avions su, nous aurions pu éviter bien des atrocités, mais nous ne connaissons pas l’Islam. Moi, je veux apprendre. Même par pur égoïsme, nous devrions nous y pencher, pour apprendre. En comparaison, le communisme c’est facile, vraiment facile. Nous faisons référence au bon vieux temps du communisme. Et pourtant, nous ne saurons jamais combien de Chrétiens ont été tués, sans parler des autres, sous le régime de Staline. Mais, qu’en est-il de l’Islam ? Combien sont tués ? Qu’est-ce que cette structure rigide que nous ne pouvons pas percer ? Pourquoi l’église y est-elle si faible ? Pourquoi y a-t-il si peu de missionnaires ? Pourquoi les églises évangéliques de l’Ouest ne soutiennent-elles pas ceux qui s’investissent dans le monde musulman ? Toutes ces choses nous échappent, et moi, je veux savoir. Voilà pourquoi nous allons là-bas. Nous avons une approche double: nous y allons pour renforcer l’église, et puis, nous apprenons à connaître l’Islam. Nous utilisons ce que nous apprenons pour renforcer l’église dans ces pays, et pour mieux préparer les églises de nos pays. C’est aussi la vision que nous avions du communisme, nous apprenons beaucoup d’eux et nous l’appliquons chez nous. La bénédiction est d’abord pour nous, et c’est ce qui se passe aussi maintenant.
– Pourquoi avez-vous écrit Les Forces de la Lumière ?
– F.A La réaction de l’Ouest au 11 septembre a été une réaction de panique et une réaction exagérée. Il y a eu un exode des Arabes et des musulmans des Etats-Unis. Nous voulons dissiper la crainte. Nous avons affaire à des gens. Personnellement je m’oppose au terme terrorisme parce que je veux leur donner un visage. Hamas n’est pas terroriste, Hamas ce sont des gens qui ont perdus toute espérance dans la vie et dans l’avenir. Quand ils décident de se faire sauter et de mourir, ce n’est pas parce qu’ils ont une motivation politique, et veulent attaquer l’Ouest. C’est parce qu’ils n’ont pas trouvé une raison pour vivre. Nous, en tant que Chrétiens, sommes les seuls au monde qui peuvent, sur la base de la Bible, donner aux gens du monde une raison de vivre. S’ils n’ont pas une raison de vivre, ne leur reprochez pas de trouver une raison de mourir, parce que c’est la seule alternative : vivre ou mourir. Nous voulons plonger en plein au centre du conflit, c’est pourquoi nous nous adressons à ces groupes. La deuxième étape, c’est de présenter l’église de là-bas, une église faible, diminuée. Ils peuvent atteindre les musulmans, mais ils n’ont jamais appris à le faire. Donc notre ministère est envers l’église, pour qu’elle apprenne à aborder les musulmans.
– Qu’est-ce que l’église de l’Ouest a besoin de savoir sur l’église du monde musulman, ou l’église du Moyen-Orient ?
– F.A D’abord, ils doivent savoir qu’il y a une église. Notre conseil, quand il y a une catastrophe naturelle, ou révolutionnaire comme c’est plus souvent le cas, une attaque ou une bombe à Beslan, ou une guerre soudaine, en Afghanistan ou en Irak, c’est de se poser la question “Y a-t-il une église ? » Alors, nous pouvons nous organiser, et aider cette église à être l’église dans cette région. Dans le monde musulman, il y a un certain nombre de pays où il n’y a jamais eu d’église. Nous avons besoin de pionniers qui ont une vision et de la foi et des sponsors, pour aller commencer le travail là-bas. Mais si nous allons où il y a déjà une église, nous les recherchons, les équipons, les encourageons, les guidons si nécessaire pour qu’ils soient capables de travailler.
– Quelles sont les forces de l’église dans ces régions ?
– F.A Nous, les évangéliques, nous croyons que nous savons tout. Nous pensons que nous avons été là pendant des années, mais ce n’est pas vrai. Cela fait seulement moins d’une centaine d’années. Avant cela, il y avait une église, au Moyen-Orient, qui ne s’intéressait pas tellement à l’Islam. Mais leur force, c’est de vivre dans la région où la Bible s’est déroulée. Ils attendent peu de la vie, et ils ne sont pas matérialistes comme nous. C’est là leur force. Leur faiblesse, c’est qu’ils ne se sentent pas connectés avec les Chrétiens évangélistes du reste du monde. Ils se sentent rejetés et trahis. Ils disent littéralement : « nous nous sentons trahis. »
– Pourquoi ?
– F.A Parce que personne ne s’occupe d’eux. Juste au bord du Mont du Temple, il y a une église de l’Alliance Chrétienne Missionnaire. Peu de touristes trouvent cet endroit. Pourquoi n’y vont-ils pas ? C’est l’endroit biblique idéal, mais seulement des Arabes y vivent. Pourquoi n’y sommes-nous pas ? Nous leur disons : « Vous n’êtes pas membres du corps (de Christ). Vous serez chassés d’Israël très bientôt de toute façon. » Et probablement, ils devront partir. Alors, les pèlerins s’en vont, ils ont passé un excellent moment dans la Terre Sainte. Je l’appelle « la Terre Sainte profane ». C’est un état séculaire et socialiste, et c’est dur d’y trouver la vraie Chrétienté. Ça serait facile, si on pouvait contacter les Chrétiens Palestiniens. Alors, vous direz, « Oh, il y a une église. » Et quand vous trouvez un Chrétien Palestinien, vous trouverez aussi des croyants messianiques. Ils se connaissent.
– Comment abordez-vous les musulmans ?
– F.A Je vois les musulmans comme des hommes qui cherchent Dieu. Je ressens un peu ce que ressentait Paul à Athènes. Il vous faut le courage d’aller vers eux et de dire “ce que vous cherchez, je l’ai. » C’est notre attitude politique et même théologique qui nous tient à l’écart. Si nous les considérons simplement comme des membres d’une mauvaise religion, avec Allah comme démon, ils ne nous écouterons jamais, c’est sûr. Notre attitude nous bloque la route. Vous devez être sûr que Jésus vit en vous, alors vous pouvez aller n’importe où, et aborder n’importe quel musulman, parce qu’ils veulent connaître Dieu. C’est notre attitude qui nous éloigne d’eux.
– Est-ce que vous vous disputez sur les doctrines ?
– F.A Je suis allé voir les Hamas à Gaza récemment, et un de leurs chefs m’a demandé : « Alors, frère André, vas-tu leur dire qu’ils doivent croire en la Trinité ? » J’ai répondu: « La seule chose que je puisse vous dire, c’est que nous ne pouvons jamais évangéliser les musulmans en leur faisant avaler une de nos doctrines. C’est l’amour et la compassion de Jésus que nous voulons leur montrer, en embrassant des gens qui sont perdus, totalement perdus, vivant dans les ténèbres. Nous apportons un peu de lumière, et encourageons l’église qui est toujours là, pour qu’elle soit une lumière, qu’elle soit et fonctionne comme une église. » Nous devons avoir le courage d’aller vers eux et de leur dire : « Ce que vous cherchez, » je ne dis pas ce qui vous manque, mais je le pense, « ce que vous cherchez, nous l’avons. »
– Parlez-nous de vos contacts avec le Hamas, le Jihad Islamique, et le Hezbollah.
F.A Pour le Hamas, nous les avons rencontrés quand ils étaient déportés en décembre 92 dans les montagnes du Liban. Nous avons pris contact et sommes devenus amis, et j’ai continué à rendre visite à leurs familles, sur leur demande. Nous leur avons apporté des Bibles et avons prié pour eux. Nous avons témoigné et pris des photos ensemble. Nous sommes retourné dans les montagnes et avons apporté les photos aux pères et aux fils, et à la fin de notre temps avec eux, je les ai invités à un repas. Quand ils sont revenus, ils n’étaient toujours pas libres. Ils étaient en état d’arrestation, et sans emploi. Ils ne pouvaient aller nulle part, mais ils sont venus et je les ai invités à un repas. C’est pourquoi, j’ai fait la connaissance de centaines. Et de ces contacts est venue l’invitation à donner une lecture sur « la vraie Chrétienté » dans une université locale. Et cela continue comme çà. C’est une histoire sans fin. J’appelle cela « amitié », parce que c’est une forme d’évangélisation amicale. Comment peuvent-ils aimer mon Sauveur, s’ils n’en viennent pas d’abord à m’aimer ? Nous devons nous rapprocher d’eux. Et le meilleur moyen de s’approcher d’une personne dans le besoin, c’est de l’aider. C’est ce que je fais.
– Et quels sont les résultats aujourd’hui de cette démarche ?
-F.A Je ne sais pas, Dieu seul garde le Livre des résultats. Nous ne parlons pas de conversion. La seule question que je pose, que j’ai aussi posé après le communisme, c’est “qu’est-ce que çà serait si nous n’y étions pas allés ? » Je sais que nous, à l’Ouest, et aux Etats-Unis en particulier, nous sommes facilement émus par les chiffres et les statistiques. Un jour, j’ai rendu visite à l’Equipe Chrétienne pour la Paix, à Hébron. C’est un groupe qui a commencé en Amérique avec des églises de la paix, des gens très très bien, un très bon groupe. Un jour, ils m’ont demandé « André combien de Hamas as-tu amenés à Christ ? » J’ai répondu « Aucun. » Alors ils ont dit « Alléluia, parce que toutes les lettres que nous recevons des Etats-Unis nous demandent ‘combien de musulmans avez-vous amenés au Christ ?’ Maintenant nous pouvons leur répondre ‘Même le frère André n’y est pas arrivé.' » Ca a été un grand réconfort pour eux. Nous ne sommes pas dans un jeu de chiffres. Nous sommes dans un jeu d’influence. Et la force d’une église, où qu’elle soit, ne peut jamais se mesurer en terme de chiffres ou de statistiques, mais seulement en fonction de l’influence qu’elle a sur la société.
– Est-ce que les gens ne pensent pas que ces groupes musulmans vous invitent avec la pensée de vous utiliser à leurs fins ?
– F.A Ils ne m’invitent pas ! J’enfonce constamment les portes pour les rencontrer ! L’évangélisation doit être agressive par nature. Nous nous sommes écartés du concept d’Actes 1:8, nous avons inversé les rôles et nous disons « Oh, ils ne nous ont pas invités. » Jésus dit « Bénis soient ceux qui procurent la paix. », où sont ceux qui procurent la paix ? Là où il y a la guerre. C’est ça l’agressivité. C’est prendre des risques. C’est rencontrer l’ennemi, et le regarder dans les yeux.
– Ma question n’était pas tellement de savoir s’ils vous ont invité, mais plutôt si les gens pensent que ces groupes vous utilisent à leurs fins ?
-F.A Oh, oui. Absolument. Mais, il y a aussi des gens qui poussent la question un peu plus loin, qui disent « André, tu as tord, tu te fais l’ami des ennemis d’Israël. » Et je leur réponds « C’est le meilleur service que je puisse rendre à Israël, c’est de convertir leurs ennemis. » C’est vraiment ce que nous essayons de faire. Parce qu’une fois qu’ils sont frères, ils ne peuvent plus être ennemis. Et j’ai parlé avec tant d’entre eux. Mais je veux rester neutre, je ne suis pas pour un camp ou pour l’autre. Je ne veux pas toucher à la politique, parce qu’alors il y des gens qui disent, « Je suis dans mon droit. », et d’autres « Non, c’est moi qui suis dans mon droit », je veux leur dire « Jésus a un droit sur chacun de vous. Donc, parlons de Jésus. » Les musulmans veulent parler de Jésus, c’est sûr. Un homme est venu me voir avec une pile de papiers, un cours par correspondance de Trans World Radio qu’il avait fait, sur la vie de Jésus. La nuit, ils écoutent la radio et écrivent les leçons, puis les envoient. Ils étudient la vie de Jésus parce que l’Islam ne peut jamais apporter satisfaction. Il ne peut apporter satisfaction à aucun musulman. Il n’y a ni de pardon, ni d’amour, ni la vie éternelle. Et ils veulent aller au paradis. Tout le monde veut aller au paradis. Mais nous vivons à une époque où l’Islam s’est radicalisé. Ils pensent connaître le chemin du paradis, c’est de mourir dans la jihad. C’est pour cela que j’ai prévu que l’Amérique va connaître une autre dose de terrorisme et de violence, parce que les musulmans veulent aller au paradis. Et nous ne leur montrons pas le chemin du paradis. Pourquoi ne le faisons-nous pas ? C’est le seul chemin. Ils n’ont pas de raison de vivre, et ils ont trouvé une raison de mourir. Ils veulent un messie, ils attendent un messie. Mais le messie a des trous dans chaque main, et il est venu sur un ânon, non pas dans un F-16. Et ils veulent voir ce messie. Et quand nous sommes assez vulnérables pour aller jusqu’à eux, la Parole de Dieu étant la seule arme efficace, ils nous acceptent et voient notre message comme la seule alternative, qu’ils craignent du fond de leur cœur. Est-ce que la mère ne pleure pas quand son fils se fait sauter ? bien sûr, elle pleure. Ils ont les mêmes émotions que nous. C’est pourquoi, je m’oppose au terme terrorisme. Ils ne voient aucune issue. Et nous, avec notre attitude occidentale, nous les acculons de plus en plus dans un coin. Nous devons les en faire sortir. Ouvrir le dialogue, leur rendre visite, échanger des livres. Nous avons besoin d’une nouvelle race de missionnaires, qui non seulement comprennent le problème, mais qui sont assez humbles pour suivre Jésus, et aller sans souliers, sans bourse, s’identifier à eux dans leur sinistre besogne, et leur dire “Je suis Jésus pour toi, je t’aime. Je veux être ton ami. » Alors, vous allez les trouver accueillants et hospitaliers. Nous avons donc besoin d’une nouvelle approche pour un même message.
Peu importe le succès ou l’échec, peut-être que ça ne devrait compter pour personne. – Frère André
– En regardant le ministère d’une vie, que considérez-vous comme vos plus grands succès et vos plus grands échecs ?
-F.A J’ai eu beaucoup plus d’échecs que de succès. Tout ce que nous voulons être c’est un outil dans la main du Maître. Peu importe le succès ou l’échec, peut-être que ça ne devrait compter pour personne. Nous suivons notre Maître. Et je crois le message sérieux que l’église comme son Maître finira sur une croix.
Les Forces de la Lumière, Frère André et Al Janssen, 336 pages, Portes Ouvertes France.
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