En quoi la doctrine des deux natures de Christ est essentielle?
La doctrine des deux natures du Christ est centrale à la foi chrétienne car elle touche directement à la doctrine du salut telle qu’elle a été révélée dans la Parole de Dieu. En effet, l’œuvre de rédemption, réconciliant l’humanité entière à son Créateur, dépend en intégralité de l’identité même du rédempteur.
Qui était, ou plus précisément qui est, ce Jésus de Nazareth dont les évangiles parlent ? Est-il homme, Dieu, ou ni l’un ni l’autre ?
Les plus grands esprits de l’histoire se sont appliqués à essayer de comprendre et de formuler une doctrine de la personne et de l’œuvre de Jésus-Christ. Certes, il faut reconnaître le caractère mystérieux et sublime de la personne et de son œuvre, et en même temps ne pas renoncer à s’atteler à la tâche de comprendre et d’établir une doctrine cohérente.
Anselme de Cantorbéry (1033-1109) est un modèle qui nous est précieux dans cette entreprise. L’approche adoptée par Anselme est bien représentée par sa fameuse devise, “fides quaerens intellectum” (la foi recherchant la compréhension).
Dans son œuvre, “Cur Deus Homo” (“Pourquoi le Dieu-homme ?”), Anselme traite justement de la question de l’incarnation et de l’œuvre du salut sous la forme d’un dialogue imaginaire entre un disciple, nommé Boson, et son maître. Les lignes qui suivent sont un extrait de leurs échanges
Question : Comment se fait-il que, bien que les actes de condescendance de Christ dont nous parlons (le fait de renoncer à ses droits, à sa supériorité, à son autorité, à ses prétentions envers quelqu’un) n’appartiennent pas à sa divinité, il semble impropre aux infidèles que ces choses soient dites de Lui, même en tant qu’homme ?
Anselme : Quand Dieu entreprend une chose, même si nous ne comprenons pas pourquoi, Sa volonté devrait être une raison suffisante pour nous. Car la volonté de Dieu n’est jamais irrationnelle.
Boson : Cela est très vrai, si l’on accepte que Dieu veuille la chose en question. Mais beaucoup ne permettront jamais que Dieu veuille une chose qui soit incompatible avec la raison.
Anselme : Que trouvez-vous d’incompatible avec la raison dans ce que nous confessons, à savoir que Dieu désire toutes ces choses, celles qui font partie de notre croyance sur l’incarnation ?
Boson : Pour être bref, ceci : que le Très-Haut ait dû s’abaisser à des choses si humbles, et que le Tout-Puissant ait dû entreprendre une chose avec pareil labeur.
Anselme : Ceux qui parlent ainsi ne comprennent pas notre conviction. Car sans aucun doute, nous affirmons que la nature divine est impassible, et que Dieu ne peut pas du tout être abaissé de son exaltation, ni éprouver de la difficulté en quoi que ce soit. Mais nous disons que le Seigneur Jésus-Christ est véritablement Dieu et véritablement homme, une personne en deux natures, et deux natures en une seule personne. Par conséquent, lorsque nous parlons de Dieu subissant humiliation ou infirmité, nous ne nous référons pas à la majesté de sa nature qui ne peut souffrir, mais à la faiblesse de la constitution humaine qu’il a endossée. Ainsi donc, il ne reste rien à objecter à l’encontre de notre foi, car, lorsque nous nous exprimons de la sorte, nous n’entendons pas la dégradation de la nature divine, mais nous enseignons que la même personne est à la fois divine et humaine. Dans l’incarnation il n’y a pas diminution de la divinité, mais c’est la nature de l’homme que nous croyons être exaltée.
Question : Comment se fait-il qu’aucun être, sauf le Dieu-homme, ne puisse effectuer l’expiation par laquelle l’homme est sauvé ?
Anselme : Mais l’expiation ne peut être effectuée sans que le prix payé à Dieu pour le péché de l’humanité soit plus grand que tout ce qui existe, Dieu excepté.
Boson : Ainsi semble-t-il.
Anselme : Bien plus, il est nécessaire que celui qui donne à Dieu quelque chose de lui-même donne une chose qui soit plus précieuse que toutes les autres choses que Dieu possède, autrement supérieure à tout le reste, Dieu lui-même excepté.
Boson : Je ne peux pas le nier.
Anselme : Par conséquent, il n’y a que Dieu qui puisse satisfaire de telles exigences.
Boson : Ainsi semble-t-il.
Anselme : Pourtant personne d’autre qu’un homme ne devait accomplir ceci, sinon l’homme n’aurait pas accompli la satisfaction.
Boson : Rien ne semble plus juste.
Anselme : Par conséquent, si, comme il le semble, le royaume céleste doive être composé d’humains, et que cela ne peut être effectué que si ladite satisfaction est effective et réalisée, alors qu’il n’y a que Dieu qui puisse la faire et qu’il n’y a que l’homme qui doive la faire. Donc il était nécessaire que ce soit le Dieu-homme qui s’en charge.
Boson : Que Dieu soit béni ! nous avons fait une grande découverte à l’égard de notre question. Poursuivez donc, comme vous avez commencé, car j’ai l’espoir que Dieu vous aidera.
Anselme : Maintenant il nous faut nous enquérir de quelle manière Dieu a pu se faire homme.
Question : Pourquoi est-il nécessaire que le même être soit parfaitement Dieu et parfaitement homme ?
Anselme : Les natures divine et humaine ne peuvent pas s’alterner : ce qui est divin ne peut pas devenir humain, et ce qui est humain ne peut pas devenir divin. Elles ne peuvent pas non plus être mélangées de manière à ce qu’une tierce nature, qui ne soit ni tout à fait divine ni tout à fait humaine, soit produite à partir des deux.
Car, si l’on accorde qu’il soit possible pour les deux natures d’être changées l’une en l’autre, ce ne serait, dans ce cas, que Dieu et non un homme, ou qu’un homme et non Dieu. Ou alors, si elles étaient mélangées de façon à ce qu’une troisième nature soit issue d’une combinaison des deux … elle ne serait ni Dieu ni homme.
Par conséquent, le Dieu-homme, dont nous avons besoin qu’il soit à la fois de nature humaine et divine, ne peut être produit par un changement d’une nature vers une autre, ni par un amalgame imparfait de deux natures pour former une troisième puisque ces choses ne peuvent pas être ou, si elles le pouvaient, ne sauraient prévaloir en rien à notre but. En outre, si ces deux natures complètes sont dites jointes l’une à l’autre de telle manière que l’une soit divine tandis que l’autre humaine, et que pourtant ce qui est Dieu n’est pas le même que ce qui est homme, il sera impossible pour les deux à la fois d’accomplir l’œuvre qui doit être accomplie.
Car Dieu ne la fera pas, parce qu’il n’a pas de dette à payer; et l’homme ne la fera pas, parce qu’il ne peut pas l’accomplir. Par conséquent, pour que le Dieu-homme puisse accomplir cette œuvre, il est nécessaire que le même être soit parfaitement Dieu et parfaitement homme afin que l’expiation soit accomplie. Car il ne peut pas et ne doit pas la faire à moins qu’il ne soit véritablement Dieu et véritablement homme.
Puisqu’ainsi, il est nécessaire que le Dieu-homme préserve l’intégralité de chaque nature, il n’en est pas moins nécessaire que ces deux natures soient unies entièrement en une seule personne, de la même manière qu’un corps et une âme raisonnable coexistent en chaque être humain; sinon il serait impossible que le même être soit véritablement Dieu et véritablement homme
MR