Dieu aime-t-il les moustiques ?
Cette article est une traduction adaptée d’un extrait du livre du philosophe Peter Kreeft, Practical Theology: Spiritual Direction from St. Thomas Aquinas (San Francisco, Ignatius Press, 2014). Il s’agit de la méditation n° 20.
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Je déteste les moustiques. Dieu déteste-t-il les moustiques aussi ? Commençons par lire cet extrait du théologien Thomas d’Aquin :
« L’on peut lire dans le livre de la Sagesse (11, 24) : « Tu aimes tout ce qui existe ; tu ne hais rien de ce que tu as fait. »
Dieu aime tout ce qui existe ; car tout ce qui existe, en tant qu’il existe, est bon ; en effet, l’être même de chaque chose est un bien, et toute perfection de cette chose est également un bien. Or, l’on a montré plus haut que la volonté de Dieu est cause de toute chose ; ainsi faut-il que toute chose n’ait d’être et de perfection que dans la mesure où elle est voulue par Dieu. Donc, à tout existant Dieu veut quelque bien. Puisque aimer n’est autre chose que de vouloir pour quelqu’un une chose bonne, il est évident que Dieu aime tout ce qui existe.
Mais il n’en est pas de cet amour comme du nôtre. En effet, comme notre volonté n’est pas la cause de la bonté des choses, mais est mue par elle comme par son objet propre, notre amour, par lequel nous voulons pour quelqu’un ce qui lui est bon, n’est pas cause de sa bonté ; c’est au contraire sa bonté, vraie ou supposée, qui provoque l’amour par lequel nous voulons pour lui que soit conservé le bien qu’il possède, et que s’y ajoute celui qu’il ne possède pas ; et nous agissons pour cela. Mais l’amour de Dieu infuse et crée la bonté dans les choses. » (Summa I, 20, 2)
Ne vous inquiétez pas si ce passage a pu être difficile à comprendre ! Simplifions-le. L’on sait que Dieu aime toute chose parce que tout a été fait par Lui et Il est amour. Toutes choses sont donc faites par Son amour : c’est Son amour même qui les a fait exister. Autrement dit, pour Dieu, le verbe « créer » et « vouloir » équivalent à « aimer ». De la même façon que nos esprits se conforment à la vérité des choses alors que Son esprit les pense et les crée, ainsi notre amour répond à la bonté alors que Son amour la crée.
Toutes choses sont (de par leur nature) bonnes. Dieu l’a dit, après les avoir créées (Gen .1). Ni le mal moral (le péché), ni le mal physique (défaut, maladie, mort) ne sont des choses en soi. L’on doit dès lors aimer les choses (qui sont bonnes) davantage et le mal moins ; aimer les pécheurs davantage et le péché moins ; aimer les âmes davantage et les vices moins ; aimer le corps davantage et ses maladies moins ; aimer la vertu de l’endurance par la foi sous la douleur davantage et le vice de la cruelle infliction de douleur moins. Le « dès lors » au-dessus signifie que l’éthique (la science de ce qui devrait être) prend toujours sa source dans la métaphysique (la science de ce qui est) ; en effet, « ce qui devrait être » prend toujours sa source dans « ce qui est ».
C’est la raison pour laquelle Thomas d’Aquin, en bon métaphysicien, est un bon guide en matière d’éthique.
L’on doit s’efforcer et faire en sorte de distinguer de façon ingénieuse le bien du mal en toutes choses ; et par conséquent, l’on pourrait et devrait trouver des façons d’aimer même les moustiques. Observez-en un sous le microscope et admirez sa conception délicate, lui dont les ailes battent de 300 à 600 fois par seconde. Lorsque vous marchez dans une tempête de neige, arrêtez de fixer des yeux vos chaussures et de vous plaindre : levez la tête et admirez même le vent glacial vous fouettant le visage, arrêtez-vous seulement lorsqu’il vous blesse.
Vous pouvez aimer Dieu en toutes choses parce que vous pouvez trouver Dieu en toutes choses.
Ses attributs (son amour, sa bonté, sa beauté, sa sagesse, sa puissance, etc.) se reflètent en toutes les choses qu’il a créées/aimées. Même si vous étiez jeté en prison dans une cellule solitaire sans nourriture ni lumière, vous pourriez encore trouver Dieu dans les pierres constituant les murs qui vous entourent. Et si tout cela est vrai, vous pouvez très certainement trouver Dieu dans sa création qu’est le moustique.
Si vous êtes amoureux de quelqu’un, vous voulez apprendre à connaître et à aimer tout ce que votre bien-aimé aime. Si vous aimez Dieu, vous voudrez apprendre à connaître et aimer tout ce qu’Il aime. Et Dieu aime les moustiques. Dès lors, si vous aimez Dieu, apprenez à aimer les moustiques !
(Cela ne veut pas nécessairement dire que vous ne remplissez pas votre devoir envers le Créateur lorsque vous les écrasez. Cependant, respectez-les – eux, leur conception divine et leur place/rôle dans la nature – alors que vous les écrasez, tel un éleveur respecte la bête qu’il a tendrement élevée alors qu’il l’abat pour nourrir sa famille. Vous jouez tous votre rôle dans un même drame, une même histoire, une même dance).
La question initiale sur les moustiques peut paraître ridicule. Cela dit, elle jaillit directement d’une question bien plus profonde, une question à propos de la création elle-même : pourquoi Dieu a-t-il créé tant de choses et de façons si différentes ? Les religions orientales sont fascinées par l’unité, par l’uniformité de la réalité ultime, et ils cherchent une expérience mystique de cette uniformité en tant que but ultime. Cependant, le christianisme croit que Dieu a créé un véritable univers composé de tant de choses diverses à partir de rien, et ce pour que cette création soit le miroir de son amour, de sa beauté, de sa sagesse et de sa gloire. Telle est la question sous-tendant la question sur les moustiques.
En fin de compte, l’enfant est le seul d’entre nous à prendre Dieu au sérieux la plupart du temps. En effet, lui seul pose de vraies questions : pourquoi le ciel est-il bleu ? Pourquoi les oiseaux chantent-ils tous de façon si différente ? Pourquoi y a-t-il quatre saisons ? Lorsque nous répondons : « parce que », « je ne sais pas » ou même lorsque nous nous contentons seulement d’une réponse scientifique, nous insultons Dieu, le créateur, et éteignons en l’enfant son admiration pour Dieu.
Un Dieu à la fois artiste (il créée les choses belles et diverses par plaisir, juste « parce que », mais toujours avec pour but de montrer sa beauté, sa sagesse et sa gloire) et scientifique (tel un horloger il crée un univers ordonné où la plupart des choses ont une raison immédiate d’exister et une explication scientifique existe, mais toujours avec pour but de montrer sa sagesse et sa gloire). Au final, notre réponse devrait être à chaque fois : « Dieu a créé toute chose avec tant de diversité, de beauté, de couleurs, d’ordre et de structure pour manifester l’infinité de qu’il est, de son amour, de sa beauté, de sa sagesse et de sa gloire. »