En quoi et pourquoi suis-je créé à l’image de Dieu ?
Si vous fréquentez une église, vous avez probablement déjà entendu à de nombreuses reprises que nous, êtres humains, avons été créés à « l’image de Dieu ». Nous aimons bien le dire et nous en rappeler, et je pense que nous avons raison, car comme nous le verrons par la suite cela est un privilège unique qui nous a été accordé par Dieu au sein de toute sa Création.
Mais parfois, cette expression semble un peu utilisée de façon mystique pour parler de quelque chose de supérieur, qui nous dépasse. Et finalement, on ne sait pas trop ce cache cette notion. Est-ce que c’est lié à mon âme ? A mon corps ? Aux deux ? Et puis au final, à quoi cela sert-il ? Dans ce bref article nous allons tenter de donner quelques pistes et voir qu’encore une fois, cela a bel et bien des implications concrètes dans notre vie et notre marche de chrétien.
Survol biblique
Cette notion se retrouve pour la première fois au tout début de la Bible, dans le livre de la Genèse, au moment de la création de l’homme par Dieu (Gn 1.26-27). C’est le mot hébreu tselem qui est utilisé. On retrouve également ce terme un peu plus loin en rapport avec Adam et son fils Seth, créé à l’image d’Adam (Gn 5.3).
Le reste du temps ce mot est généralement mis en rapport avec l’idolâtrie (2R 11.18). Dans le Nouveau Testament, c’est le mot grec eikôn (qui a donné notre mot icône) qui est utilisé. Il n’est rapporté à l’homme directement en lien avec le motif créationnel qu’une seule fois (1Co 11.7). Une autre fois il est utilisé pour parler de notre transformation en tant que chrétien à l’image du Christ par le Saint-Esprit et la lecture de la Bible qu’il a inspirée (2Co 3.18). Le reste du temps, il est soit mis en rapport avec l’image du Christ en lien avec celle du Père (Col 1.15), soit en relation encore une fois avec l’idolâtrie, essentiellement dans l’Apocalypse avec l’image de la bête (Ap 13.14). On utilise également les mots hébreux et grecs de Demutet Homoiôsisqui traduisent notre mot français « ressemblance » qui est associé à celui « d’image » en (Gn 1.26). Mais il est préférable de voir ici un procédé littéraire (mérisme) qui ne signifie pas autre chose, mais qui est à prendre dans un sens synonymique, ce dont les auteurs bibliques sont habitués (cf. CALVIN, Institution, 137 ; GRUDEM, Théologie systématique, 483-484)
Quelques éclaircissements théologiques
Que peut-on retirer de cela ? Il est important d’approfondir cet aspect anthropologique de « l’image de Dieu » dans l’Homme car il nous concerne directement et parce que ce sujet a beaucoup divisé les théologiens au fil des siècles du fait du flou biblique. Tentons donc de donner une définition (qui bien sûr mériterait d’être approfondie).
Pour Jean Calvin tout d’abord, « l’image de Dieu » est surtout à chercher dans l’aspect spirituel de l’être humain, même s’il concède que le corps terrestre peut avoir un lien avec ce concept[1]. Mais il ne va pas assez loin à mon sens dans son développement (ce qui est rare chez Calvin je l’accorde). Poursuivons donc avec Wayne Grudem, pour qui aussi « l’image de Dieu » se trouve dans l’être intérieur de l’homme[2]. Par exemple dans ce qu’on appelle les attributs communicables de Dieu : la sagesse, la sainteté, la justice, l’amour, l’honneur, etc. On la retrouve aussi dans nos émotions et nos sentiments, comme la tristesse, la joie, la colère, la jalousie, mais également dans notre aspect moral : notre conscience qui nous permet de distinguer (en partie) le bien du mal.
Mais pour lui, il ne faut pas exclure notre aspect physique. Bien qu’il soit clair bibliquement que Dieu soit un être spirituel et que par conséquent il n’ait pas de corps, le langage biblique anthropomorphique laisse penser que notre corps a aussi son importance dans cette notion d’image : Dieu voit toute chose, il entend nos prière, il parle, il agit par sa main puissante, etc. De plus, nous devons tout de suite mettre à mort notre dualisme. L’homme est une unité : corps et esprit (je n’entre pas ici dans le débat esprit / âme dichotomiste ou trichotomiste qui ne change rien au caractère holistique de l’être humain dans notre discussion). Il ne faut pas non plus négliger deux choses que nous ne pouvons développer maintenant mais qui impactent tout le Nouveau Testament : l’incarnation (Jn 1.14) et la résurrection corporelle, que ce soit celle du Christ (Lc 24.36-39) ou la nôtre (1Co 15.42-44).
Mais pour Gregory Beale nous pouvons encore aller plus loin. En effet, « l’image de Dieu » n’est pas seulement liée à notre être, mais aussi à notre faire. Il faut remarquer que la création de l’homme à « l’image de Dieu » est tout de suite suivie par la bénédiction que l’on appelle le mandat culturel / créationnel (Gn 1.28). « L’image de Dieu » passe donc aussi par le fait de soumettre, dominer, et remplirla terre : 3 activités parallèles à l’activité de Dieu lors de la Création qui soumet le chaos, domine en faisant toute chose, et remplit la terre avec tout ce qui s’y trouve[3]. Notre « image de Dieu » passe donc par le fait de soumettre en gardant et cultivant la terre, dominer en étant co-régent avec Dieu, et en remplissant le monde de la gloire de Dieu par des « nouvelles naissances » (régénération) et en nous reproduisant (pro-Création).
Bibliquement, nous sommes les seuls à avoir été créés à « l’image de Dieu ». Nous sommes les seuls en lesquels Dieu ait mis la vie en insufflant dans nos narines son souffle, son Ruah, littéralement son Esprit (Gn 2.7). Ce qui nous ramène à notre dimension spirituelle dont parlais Calvin. Il est vrai cependant que les animaux peuvent avoir une certaine ressemblance avec nous par le fait qu’ils aient un corps physique et puissent visiblement avoir des émotions. Il est aussi vrai que toute la Création révèle la gloire de Dieu (Rm 1.18-20), mais nous sommes les seuls à être spirituels.
De plus, nous pouvons remarquer que Dieu dit « faisons l’homme à notre image, à notre ressemblance » (je pense sans entrer dans le détail ici qu’il n’y a pas à voir deux choses distinctes entre les mots images et ressemblances, mais que c’est plutôt ici une figure de style que les auteurs hébreux utilisaient beaucoup en répétant les choses avec des termes différents, ce qu’on appelle un mérisme et qu’on retrouve partout dans la Bible. On peut donc remarquer que les termes sont interchangeables ailleurs, cf. Gn 5.3). Certains, comme Bruce Waltke, ont vu dans ce pluriel un discours entre Dieu et les anges[4], mais nulle part ailleurs il est dit que les hommes soient à l’image des anges ou que ces derniers soient à « l’image de Dieu ». Ce n’est pas parce qu’ils sont célestes qu’ils ont obligatoirement l’Esprit de Dieu. Bien plus, nous les jugerons aussi à la fin (1Co 6.3). Il est préférable de voir ici comme Augustin[5] une mention de la Trinité qui s’accorde beaucoup mieux avec le reste de l’Ecriture et le caractère de Dieu.
« L’image de Dieu » en nous revêt donc un aspect trinitaire. Notre métaphysique (notre réalité) est différente de celle de la Création entière, visible et invisible, et nous lie encore plus fortement dans notre dimension relationnelle à Dieu : nous sommes liés au Père par l’intermédiaire du Fils au moyen du Saint-Esprit. Cette image fait donc toute la dignité de l’homme selon Alain Nisus (dimension éthique)[6]. Et il nous fait remarquer qu’elle est égale chez l’homme et chez la femme. En effet, la Genèse lie bien les deux au moment de cette annonce, même si Paul semble laisser entendre le contraire (1Co 11.7).
En réalité, ce passage ne pose pas de problème, puisque si l’homme a été créé à « l’image de Dieu » et que la femme a été tirée de l’homme, cela veut dire qu’elle est aussi « image de Dieu ». Et l’ordre chronologique ne change rien à l’égalité ontologique (de nature). Il en va donc de même pour les enfants, non seulement dans ce passage mais aussi depuis Adam. En effet, il est dit que Seth est l’image de son père (Gn 5.3), ce qui veut dire qu’il est aussi « image de Dieu ». Mais ce qui veut aussi dire qu’il a hérité de cette image touchée par le péché comme nous le verrons un peu plus bas. Il y a donc un lien fort entre « image de Dieu » et filiation. C’est cette image qui fait que nous sommes ses enfants, mais que nous sommes également depuis la faute d’Adam des enfants de colère (Ep 2.3).
Mais qu’en est-il plus clairement de cette image en nous aujourd’hui, après la Chute et la victoire du Christ, et en attendant son Retour ? Selon Augustin, « l’image de Dieu » en nous a été noircie, tordue, pervertie (Ec 7.29), mais elle est toujours présente (Gn 9.6 ; Jc 3.9).
Ce qui est en accord avec ce que nous venons de voir et qui fait que nous sommes pécheurs dès avant notre naissance (Ps 51.7), le fameux péché originel. Notre point de vue va donc à l’encontre des deux points de vues extrêmes que sont ceux de Thomas d’Aquin qui affirmait que cette image (et donc notre raison) n’avait presque pas été affectée par le péché (ce qui donnera naissance à la théologie naturelle)[7], et au point de vue de Karl Barth qui affirmait que cette image avait été totalement perdue[8]. Le point de vue évangélique est donc totalement différent de celui des catholiques ou des protestants « libéraux ».
Comme je l’ai dit plus haut, Christ est venu racheter et restaurer cette image en nous, et il nous a envoyé son Esprit et donné sa Parole afin que notre image devienne chaque jour de plus en plus semblable à la sienne (Col 3.10), lui qui est l’image du Père (He 1.3). Cela donne une dimension eschatologique à cette notion « d’image de Dieu » en nous qui attend son plein accomplissement au moment de notre glorification. Et comme nous avons déjà vue que le point de vue de Barth était faux avec les passages qui nous montrent que cette image est encore présente en nous, ce passage montre que Thomas d’Aquin avait lui aussi tort, en affirmant que notre connaissance devait elle aussi être restaurée en même temps que notre image, par Christ.
Conclusion
Pour terminer, cette notion « d’image de Dieu », aussi importante soit-elle, ne fait pas de nous des dieux. Nous ne sommes qu’une image : c’est ce qu’on appelle l’analogie Créateur / créature. Et cette analogie est importante car elle nous permet de mieux comprendre qui est Dieu et par conséquent nous permet de mieux comprendre qui nous sommes (ce que Calvin appelait la double connaissance de Dieu et de soi)[9].
Mais cette analogie nous aide également à mieux comprendre ce qu’est cette image trinitaire en nous. En effet, dans la doctrine de la Trinité nous distinguons la Trinité ontologique(qui Dieu est dans ses relations entre le Père, le Fils, et le Saint-Esprit), de la Trinité économique(ce que Dieu fait, comme par exemple le rôle de chacune des personnes au moment de la Création ou de la Rédemption). Il y a donc en nous une double image : ontologique (ce que nous sommes) et économique (ce que nous faisons).
Cette image économique implique donc que nous avons quelque chose à faire et a des perspectives apologétiques énormes. Nous avons vu précédemment que cette notion d’image était liée à la bénédiction qu’on appelle généralement le mandat créationnel, ce qui veut dire soumettre, remplir, et dominer. Mais Gregory Beale dit aussi que « le mandat missionnaire (Mt 28.19) est le mandat créationnel appliqué à la Rédemption », ce qui lie et unifie parfaitement les deux.
En reprenant donc la voie des multiperspectives de John Frame et de Vern Poythress[10], nous pouvons appliquer cela par exemple aux offices christiques de roi, de prêtre, et de prophète. S’investir dans notre culture en s’engageant dans des clubs, des associations, en politique, dans le syndicat de notre entreprise, dans le conseil de parents d’élèves de l’école de mes enfants ou comme délégué de classe, en faisant entendre notre voix en tant que communauté chrétienne. Influencer notre société, ça c’est dominercomme un roi. Annoncer partout l’Evangile, ce message de restauration et de réconciliation pour faire de nouveaux disciples (le boulanger, le coiffeur, le médecin, etc.), remplirle monde de nouvelles naissances. Ça c’est être prophète. Soumettretoutes nos pensées à Christ afin de lui rendre des sacrifices de prières et de louanges. Ça c’est être prêtre.
De plus, nous savons maintenant que tous les hommes ont été créés à « l’image de Dieu ». Les chrétiens comme les non-chrétiens. Mais nous savons aussi que cette image a été pervertie à cause du péché. Nous sommes tous totalement pécheurs, et nous avons tous besoin que le Christ vienne racheter cette image. C’est donc parce que mon voisin non-chrétien est lui aussi « image de Dieu », bien que noircie, que je peux entrer en contact avec lui.
Entendre le message de l’Evangile est pour lui une nécessité. Car en tant qu’ « image de Dieu », cet homme ou cette femme est aussi un être éternel. « Nous sommes tous éternels, il n’y a pas d’êtres ordinaires » disait C.S Lewis. La seule différence entre moi et la personne qui n’aura pas acceptée Christ ne sera pas notre éternité, mais l’endroit où nous allons la passer. Et la Bible est claire, ceux qui ne seront pas à l’image du Christ au jour du Jugement iront en enfer pour toujours (Ap 14.11). Nous voyons donc combien est précieuse cette image et combien nous avons besoin de faire prendre conscience à nos contemporains de qui ils sont vraiment en Christ.
En faisant cela, nous accomplirons également les 2 grands commandements qui sont d’aimer Dieu et son prochain. Cette « image de Dieu » nous permet d’avoir une vie chrétienne unifiée dans notre être et notre faire comme nous venons de le voir, ne soyons pas réductionnistes et soyons pleinement qui nous sommes.
Notes et références
[1]Jean CALVIN, Institution de la religion chrétienne
[2]Wayne GRUDEM, Théologie systématique
[3]Gregory BEALE, A New Testament biblical theology
[4]Bruce Waltke, Théologie de l’Ancien Testament
[5]Augustin, De la Trinité
[6]Alain NISUS, Vivre en chrétien aujourd’hui, sous dir.
[7]Thomas d’Aquin, Somme théologique
[8]Karl BARTH, Dogmatique
[9]Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne
[10]Vern POYTHRESS, Redeeming philosophy