Corneille a-t-il été accepté par Dieu à cause de ses œuvres ? (Actes 10)
Ce week-end, j’étais en déplacement à Épinal pour une intervention lors d’un rassemblement WET. Lors de la table ronde, une question intéressante nous a été adressée :
« Comment comprendre que les prières et les aumônes de Corneille semblent avoir suscité un intérêt particulier de la part de Dieu ? Faut-il lire une forme de salut au mérite ? »
La référence en question se trouve dans Actes 10.1-4 :
Il y avait à Césarée un homme nommé Corneille, centenier dans la cohorte dite italienne. Cet homme était pieux et craignait Dieu, avec toute sa maison; il faisait beaucoup d’aumônes au peuple, et priait Dieu continuellement. Vers la neuvième heure du jour, il vit clairement dans une vision un ange de Dieu qui entra chez lui, et qui lui dit: Corneille! Les regards fixés sur lui, et saisi d’effroi, il répondit: Qu’est-ce, Seigneur? Et l’ange lui dit: Tes prières et tes aumônes sont montées devant Dieu, et il s’en est souvenu.
J’ai répondu de la manière suivante :
Corneille était un officier militaire de l’armée romaine (un « centenier », dirigeant généralement entre 80 et 160 hommes). A ce titre il était citoyen romain, comme l’indiquent également son son nom et le nom de la cohorte. Il était stationné à Césarée, Caesarea Maritima, la capitale administrative romaine de la Judée où le préfet romain était normalement basé.
Le texte souligne la piété de Corneille et des gens de sa maison et indique qu’ils « craignaient le Seigneur » (hoi phoboumenoi ton Kyrion), une expression tirée de la LXX et généralement associée aux juifs ou aux prosélytes au temps de la rédaction du livre des Actes. Il semble tout indiqué que la famille de Corneille faisait partie de la deuxième catégorie : ses membres adhéraient de cœur au monothéisme juif et assistaient peut-être même aux réunions de la synagogue. Ici, la piété de Corneille est soulignée par ses œuvres, en l’occurrence sa générosité financière envers le peuple juif ainsi que sa vie de prière.
La formule problématique se trouve au verset 4, lorsque l’ange envoyé vers le centenier lui dit : « Tes prières et tes aumônes sont montées devant Dieu, et il s’en est souvenu« . Il est possible que cette expression soit une allusion aux « sacrifices de bonne odeur » de l’Ancien Testament (Fitzmyer, 1997). Si tel est le cas, aucune mention d’un quelconque mérite n’est en jeu dans ce passage ; c’est plutôt les thèmes de la reconnaissance et de l’adoration qui sont exprimés. Le contexte aide également à clarifier le sens : le Seigneur (ton Kyrion), le Dieu des juifs, s’apprête à rencontrer Corneille et sa famille, eux qui le cherchent avec tant de persévérance. Ces païens souhaitent s’approcher du Dieu d’Israël en honorant son peuple et son alliance ; le Seigneur les rencontre en allant au-delà même de leur espérance.
Ni la piété, ni les aumônes de Corneille ne lui ont acquis la faveur de Dieu. Elles sont la matérialisation de sa quête spirituelle, elle qui ne trouve son dénouement que dans la rencontre avec Pierre, quelques versets plus loin. Ceux qui sont « agréables à Dieu…en toute nation » (Ac 10.36) ne sont pas « mécaniquement » bénéficiaires de la grâce : la Parole de l’Évangile doit leur être annoncée comme elle a été aux enfants d’Israël (Ac 10.37) afin que tous, juifs et païens, puissent avoir accès à la même grâce en Jésus-Christ.