Deux coïncidences fortuites qui démontrent la fiabilité des Évangiles
Si vous ne connaissez pas mon ami Peter J. Williams, laissez-moi vous encourager à « googler » son nom sans tarder. Peter dirige Tyndale House, un centre de recherche situé à Cambridge (UK), il est spécialiste des « versions » (traductions antiques) de la Bible. Il est également spécialiste de l’Ancien Testament tout en ayant été… professeur de Nouveau Testament – cette double compétence est extrêmement rare. Son dernier ouvrage, Les Évangiles sont-ils fiables (Éditions Clé, 2020), vient d’être publié en Français (vous pouvez vous le procurer ici).
Dans cet extrait, Peter Williams démontre comment deux coincidences fortuites des Évangiles démontrent leur fiabilité.
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Les Évangiles recèlent des signes particuliers d’authenticité qui ont été qualifiés de coïncidences fortuites. Le professeur de théologie de Cambridge, John James Blunt (1794-1855), a proposé une certaine version de cette approche, qui a été développée récemment par Lydia McGrew. Étant donné qu’il n’est pas question ici de reprendre toutes ces idées qui peuvent être consultées ailleurs, je me contenterai d’en donner quelques exemples.
Dans le cas d’une « coïncidence fortuite », les écrivains conviennent entre eux de détails si particuliers qu’il est difficile d’imaginer qu’un auteur ait pu falsifier son récit dans le seul but de lui donner un air d’authenticité. Souvent, l’arrangement est si subtil et si indirect qu’il passe inaperçu, sauf pour le lecteur le plus attentif. Supposer que les auteurs aient mis en place de tels arrangements pour donner une touche de légitimité à leurs écrits revient à considérer que les évan- gélistes étaient les plus brillants auteurs du monde antique. Penser que plusieurs auteurs des Évangiles aient pu agir ainsi d’une façon indépendante est encore moins plausible.
Deux soeurs
Considérons l’histoire des deux sœurs, Marthe et Marie, rapportée dans Luc et Jean (Luc 10.38-42 ; Jn 11.1-46)). Les deux récits sont très différents. Dans Jean, la plus grande partie du chapitre est consacrée au récit de Jésus res- suscitant d’entre les morts Lazare, le frère de Marthe et Marie. Dans Luc, nous trouvons le récit suivant, sans lien apparent avec l’histoire racontée dans Jean :
Comme Jésus était en chemin avec ses disciples, il entra dans un village, et une femme du nom de Marthe l’accueillit dans sa maison. Elle avait une sœur appelée Marie, qui s’assit aux pieds de Jésus et écoutait ce qu’il disait. Marthe était affairée aux nombreuses tâches du service. Elle survint et dit : « Seigneur, cela ne te fait-il rien que ma sœur me laisse seule pour servir ? Dis-lui donc de venir m’aider. » Jésus lui répondit : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et tu t’agites pour beaucoup de choses, mais une seule est nécessaire. Marie a choisi la bonne part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Luc 10.38-42
De toute évidence, si Jean et Luc connaissaient le livre de l’autre, ils auraient pu copier les noms des personnages, mais ils n’ont certainement pas copié leurs récits puisqu’ils sont complètement différents.
Luc nous montre un médaillon comportant deux personnages opposés : Marthe, préoccupée par les questions pratiques, et Marie, assise, buvant l’enseignement de Jésus et très loin de l’agitation de sa sœur qui travaille dur. Il est facile d’imaginer ces deux femmes comme des personnalités opposées : l’une énergique et l’autre plus contemplative.
Dans Jean, nous voyons ces deux femmes après le décès de leur frère. Jésus s’approche du village. Dès que Marthe apprend la nou- velle, elle se rend auprès de Jésus tandis que Marie « reste assise » à la maison (Jn 11.20). Nous voyons tout de suite, une correspondance entre les descriptions des Évangiles, non pas dans les évènements eux-mêmes, mais dans le type de réaction. Que ce soit dans Luc ou dans Jean, Marie reste assise tandis que Marthe agit. Dans les deux récits, c’est Marthe qui s’occupe de l’accueil. Après avoir vu Jésus, Marthe l’énergique envoie secrètement dire à sa sœur que Jésus veut la voir. Marie se lève en hâte de sorte que ses compagnons pensent qu’elle va pleurer sur la tombe de Lazare (Jn 11.31). Arrivée auprès de Jésus, contrairement à sa sœur, elle « tombe à ses pieds » (Jn 11.32, ce qui est un rappel que dans Luc, elle se tenait également au pied de Jésus). Jésus la voit pleurer (Jn 11.33), alors qu’aucun autre récit ne mentionne le fait que Marthe ait été vue en train de pleurer. Après être arrivé au tombeau et avoir lui-même pleuré, Jésus ordonne que la pierre soit déplacée. C’est alors que Marthe s’exclame : « Seigneur, il sent déjà, car il y a quatre jours qu’il est là. » (Jn 11.39). Cette remarque, éminemment pratique, passe complètement à côté du fait que Jésus s’apprête à ressusciter Lazare.
Voici ce que l’on peut en conclure. Il n’existe aucune raison sérieuse de penser qu’un des auteurs ait copié l’autre, bien que les deux récits concordent dans leur description des personnages, qu’il s’agisse de la position physique de Marie « assise » aux pieds de Jésus ; mais aussi des préoccupations pratiques de Marthe dans les deux récits. Dans les deux cas, c’est elle la plus active. Le plus simple est de considérer que Luc et Jean décrivent des personnages réels. Cette interprétation explique beaucoup de choses de manière simple. Il existe d’autres scénarios, mais aucun n’offre d’explication aussi évidente.
Deux frères
Considérons maintenant une petite coïncidence dans l’histoire de deux frères, rapportée dans Marc et dans Luc. Marc nomme les douze disciples et remarque que Jésus donne à Jacques et à Jean, qui étaient frères, le surnom de « fils du tonnerre » (Mc 3.17). Marc ne donne aucune indication sur les motifs de Jésus. De même, ni Matthieu ni Jean n’apportent d’éclaircissement. En revanche, Luc rapporte cet incident :
Lorsque approchèrent les jours où il devait être enlevé du monde, Jésus prit la décision de se rendre à Jérusalem. Il envoya devant lui des messagers qui se mirent en route et entrèrent dans un village samaritain pour lui préparer un logement. Mais on refusa de l’accueillir parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Voyant cela, ses disciples Jacques et Jean dirent : « Seigneur, veux-tu que nous ordonnions au feu de descendre du ciel et de les consumer […] ? » Jésus se tourna vers eux et leur adressa des reproches. »
Luc 9.51-55
On voit donc que les frères, appelés « fils du tonnerre » dans Marc, sont décrits dans Luc comme étant prêts à faire « parler la foudre ». Les deux récits concordent, car l’un semble rapporter un nom basé sur un caractère et l’autre semble décrire un caractère qui correspond bien à un nom.
Comme nous venons de le voir, le passage sur les deux frères se trouve dans Luc 9, et celui sur les deux sœurs dans Luc 10. Luc 9 est relié à Marc et Luc 10 à Jean. Les deux récits de Luc sont relatifs à des traits de caractère et ils présentent les personnages d’une manière qui semble corroborée par d’autres textes.
Bien sûr, on pourrait tenter de chercher des explications. On pourrait par exemple imaginer que Luc a lu le récit de Marc sur les « fils du tonnerre » et qu’il en a tiré une histoire. Mais cela n’expli- querait pas le fait que, dans les passages entourant ces épisodes, Luc connaissait si bien les itinéraires de voyage ou avait conscience des difficultés rencontrées par les Juifs voyageant en Samarie. De plus, même si Luc avait inventé son récit du chapitre 9 en se basant sur des détails révélés par Marc, cela n’expliquerait pas le lien entre Luc 10 et l’Évangile selon Jean.
Dans la liste des coïncidences fortuites dressée par McGrew, à neuf reprises, les Évangiles synoptiques apportent un éclaircissement sur l’Évangile selon Jean, à six reprises, Jean éclaire les synoptiques, et à quatre reprises, les synoptiques s’expliquent mutuellement102. Il existe par ailleurs d’autres coïncidences fortuites103. Il est possible d’expliquer chacune d’entre elles, mais chaque explication ajoute à la complexité.
La simple conclusion que nous avons affaire à des documents fiables explique le texte d’une façon simple.
Il me semble que l’argument de la coïncidence fortuite est moins convaincant aux yeux de ceux qui ne sont pas très familiers avec le texte ou qui ne considèrent qu’un nombre restreint d’exemples. Il s’agit d’un argument supplémentaire qui renforce la validité de la simplicité de notre approche. La complexité des explications alternatives devient évidente alors que l’on considère d’avantage d’exemples.
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