Comment Christ a-t-il pu être tenté, s’il est Dieu ?
Ce semestre, j’ai eu le plaisir d’enseigner un cours de christologie à l’Institut de Théologie pour la Francophonie, et je dois avouer avoir été très agréablement surpris par la qualité des contributions, en particulier dans le cadre des travaux de recherche. J’ai pris la décision de publier d’ici Noël les trois meilleures contributions, avec l’accord de leurs auteurs
Voici la première, réalisée par Florian Rollin, qui se penche sur l’épineux problème de la tentation du Christ incarné.
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Lorsque nous regardons à la vie de Christ, nous ne pouvons être qu’ébloui par sa personne et par la perfection qui le caractérisait. Ce sujet de perfection, d’un être sans défaut qui n’a jamais péché, est un sujet difficile à comprendre pour nous, êtres humains, qui connaissons régulièrement la chute lorsque la tentation vient frapper à notre porte. D’un autre côté, lorsque nous regardons à la divinité de Jésus, nous pouvons nous demander pourquoi a-t-il pu être tenté de pécher s’il est réellement Dieu ? Pour répondre brièvement à cette question, ma thèse a été de dire qu’il était aussi bien homme que Dieu, parfait et sans défaut, et qu’il nous a montré par la tentation qu’il était bien plus fort que celle-ci en nous donnant un message d’espoir. Néanmoins, avant de commencer ce travail, ma position sur ce sujet de la tentation de Christ est qu’il a été ce Dieu-homme qui aurait pu pécher mais qui ne l’a jamais fait.
Notre approche dans ce travail de recherche sur la notion de tentation et de divinité de Christ se fera en trois points. Premièrement, nous allons voir que pour certains la tentation et la divinité de Christ n’était qu’un mythe. Deuxièmement, nous démontrerons que l’idée d’un tel mythe ne peut subsister face à la réalité de l’union hypostatique pour enfin conclure avec un troisième point sur Jésus, ce Dieu-homme, face à la tentation.
1. Le mythe
1.1 Le mythe de la divinité de Christ
Pour commencer, nous étudierons l’approche de C.B Martin dans son ouvrage « Religious belief », présenté et expliqué par Thomas Morris. Dans « Religious belief », Martin va clairement attaquer la divinité attribuée au Christ où il écrira :
« Theologians admit freely enough that if the goodness of Christ is in doubt then his divinity must be in doubt, and, of course, if the goodness of Christ is denied then it must also be denied that he is God. However, they think there is nothing contradictory remaining if the goodness of Christ is asserted without qualification and he is called God, the Perfect Good. I have been at pains to point out that a contradiction of an irresoluble sort remains still. The contradiction is: Christ can be conceived to have been other (that is, not good) than he was, yet as God it would be not false but inconceivable that he should have been not good. »[1]
Morris va ensuite nous donner une explication plus précise de la pensée de Martin au travers de la citation suivante :
(1) Jésus est le Fils de Dieu
Et
(2) Aucun individu ne peut être Dieu à moins qu’il ne soit bon.
Sur la base de la doctrine orthodoxe de la Trinité :
(3) Dieu le Fils est Dieu
Et :
(4) Dieu le Fils est nécessairement bon.
À partir des points 1 à 4, et selon le principe de l’indiscernabilité des identiques, il en résulte que :
(5) Jésus est nécessairement bon
Et cela implique logiquement :
(6) Qu’il soit impossible que Jésus ne pèche.
Cependant, Martin développe en ce sixième point l’argument d’une logique contradictoire de cette vérité pourtant évidente et qu’ainsi :
(7) Il soit possible que Jésus pèche
Morris conclut en disant, étant donné la vérité 7, que les théistes chrétiens sont attachés à un ensemble de points de vue théologiques fondamentaux qui ne sont pas tous vrais. De plus, l’importance du point 2 pour beaucoup de théistes, peut constituer un contre-argument du point 1, et donc contre la prétention de l’incarnation[2].
1.1.2 Proposé par Ernest Renan
Ernest Renan a fait une étude approfondie sur Jésus et a écrit le livre « La Vie de Jésus » dans lequel il renie la divinité du Christ avec beaucoup de véhémence.[3] Dans son livre, il écrit au sujet de Jésus en disant qu’il « n’a pas été impeccable ; il a vaincu les passions que nous combattons ; aucun ange ne l’a conforté, si ce n’est sa bonne conscience, aucun Satan ne l’a tenté, si ce n’est celui que chacun porte en son cœur. »[4]. Il y a une véritable volonté de réduire la divinité de Christ ainsi que son œuvre et sa persévérance face à la tentation.
1.1.3 Proposé par les ébionites
Pour les ébionites, Jésus n’était qu’un homme, né sans aucun miracle mais qui fut revêtu du Saint-Esprit et de sa Puissance. C’est uniquement à la suite de son obéissance parfaite à la loi et à la volonté de Dieu qu’il a été élevé par Dieu comme étant le Messie, le Seigneur et le Fils de Dieu.[5] Les ébionites ne rejettent pas le fait que Christ ait péché, puisqu’il a obéi parfaitement à la loi, mais ils renient sa divinité et le fait qu’il était sans défaut puisque divin.
1.2 Le mythe de la tentation de Christ
D’autres ne renient pas la position divine de Christ mais renient l’idée même qu’il ait pu-être tenté. En effet, comment Dieu pourrait-il être tenté à pécher alors qu’il est lui-même parfait ? Certains tel que Schleiermacher, Schweize, Bleek ou encore Reuss, ont pensé que le récit de la tentation dans le désert n’était qu’une parabole. Celle-ci aurait été racontée par Jésus à ses disciples avec comme objectif de leur inculquer quelques principes en vue de leur vies futures.[6] Cela reste difficile à imaginer : se serait-il lui-même mis en scène dans une parabole ? D’autres, tel que Léonard Ustéri, ont cru que les tentations n’étaient qu’un mythe construit sur des idées courantes à l’époque chez les juifs.[7]
1.3 De la nature parfaite de Christ
Edward Irving, prédicateur au début du XVIIIe siècles apporte une nouvelle théorie sur la personne de Christ et sur son aspect parfait en disant que Jésus a revêtu notre chaire pécheresse et déchue. Irving affirmait ainsi que « la nature humaine est complètement déchue ; le seul fait que le Fils l’ait prise ne l’a pas rendue sainte »[8]. De plus, Irving était convaincu que Jésus est resté sans péché mais qu’il a connu la nouvelle naissance dans le début de sa vie, ce qui lui a permis d’arracher progressivement les mauvaises tendances de sa nature humaine, et ce, par la puissance du Saint-Esprit qui était en lui. Sa pensée fut clairement condamnée par l’Eglise Presbytérienne d’Ecosse et par les docteurs évangéliques de son époque car elle séparait la nature et la personne tout en confondant la doctrine de la nature et de la corruption de la nature, une mauvaise compréhension ayant des incidences directes sur la doctrine de la rédemption. Son objectif était sans doute de promouvoir et de rendre accessible le fait de ressembler à Jésus.[9] Autrement dit, de rendre Jésus plus humain qu’il ne l’était déjà pleinement et moins divin.
2. Le mythe face à la théologie de l’union hypostatique
2.1 La nature humaine et divine en la personne de Christ
Ce qui résulte de ces différents domaines de pensées, est que nous avons d’un côté ceux qui renient le fait que Christ était Dieu, ou le minimise, et de l’autre nous avons ceux qui minimisent totalement le fait que Christ était homme en disant que la tentation n’a jamais pu avoir lieu. Il est extrêmement difficile pour ces théologiens de comprendre et d’intégrer les deux natures humaine et divine en la personne de Jésus.
Or, la vie de Jésus ne se divise pas en deux parties distinctes: elle ne se divise pas en une partie de sa vie qui serait, d’une certaine façon, plus ordinaire et l’autre qui, elle, serait extraordinaire. Sa vie de nature terrestre et de nature divine ne font qu’un, tel « un seul tissu, sans couture ». Il est semblable à nous, excepté en termes de péché[10]. Il s’agit ici de l’un des mystères des docteurs de l’Eglise chrétienne, et qui reste un mystère actuel, celui de l’union en Jésus en deux natures[11].
Pour comprendre cette pensée il faut saisir la notion de personne qui joue un rôle essentiel dans la conception du dogme. La personne, autrement appelé hypostase, est ce qui existe ou subsiste en soi. [12] Paul Henry va privilégier l’acte d’exister tout en le distinguant de la « personnalité » qui est un ensemble de portraits ou de traits concrets[13].
Il faut comprendre que les deux natures sont « sans confusion, sans changement, sans division et sans séparation. » Le Christ demeure consubstantiel au Père selon sa nature divine et à nous, êtres humains, selon sa nature humaine. La différence qui existe entre ces deux natures n’est pas dissoute à cause de leur union mais au contraire, leur spécificité sont sauvegardées, sont préservées, en une seule personne, en une seule hypostase.[14]
Le fait que Jésus ait pu péché semble alors exclu du fait de sa naissance miraculeuse qui l’a mis à l’abri de la mauvaise condition humaine qui se transmet avec l’hérédité. Lorsque Jésus reprend le jeune homme riche en Luc 18.19, par exemple, en lui demandant « pourquoi m’appelles-tu bon ? » il faut y voir l’idée que Jésus remet en question la vision de ce jeune homme qui considère qu’un homme peut être bon. Celui-ci a une fausse conception de ce qu’est la bonté qui ne peut se trouver qu’en Dieu. Ce passage ne met pas en doute la divinité de Christ, puisqu’en disant que Dieu seul est parfaitement bon, cela amène à réaliser que Jésus est bon donc qu’Il est Dieu.[15]
Comme évoqué précédemment, sa conception virginale lui permet d’être sans péché. « Jésus, c’est Dieu qui se fait homme sans cesser d’être Dieu ». Jésus est Dieu et ne peut donc pécher dans sa nature divine. L’union hypostatique nous oblige à conclure que Jésus n’a pas péché mais également que le péché est impossible en lui.[16]
Pour conclure sur ce point, il est important de comprendre que ce n’est pas seulement Jésus en tant que Dieu qui n’a jamais succombé à la tentation. Cela signifierait que sa nature humaine n’aurait pas eu sa place et aurait été engloutie par sa nature divine.[17] Jésus a vécu la tentation en étant pleinement Dieu mais aussi en étant pleinement homme.
2.2 La tentation réelle de Christ
Lorsque nous connaissons la nature humaine, nous pouvons nous dire que Jésus a forcément péché à un moment de sa vie. Or il n’en n’est rien selon les Evangiles et les Epîtres qui nous affirment qu’il en a toujours été vainqueur.[18] Il n’en reste pas moins la question du comment un être impeccable (nous verrons la définition par la suite) a-t-il pu être tenté ? En effet, cette doctrine de l’impeccabilité de Jésus s’oppose totalement avec la pensée de la tentation. Si une personne ne peut pas pécher, cela présupposerait qu’elle ne peut pas être tentée. Ce dont il faut se rappeler c’est que ce Dieu préexistant s’est incarné dans la chair qu’Il était pleinement humain. C’est la raison pour laquelle la tentation a pu avoir lieu.
L’hypothèse de Georges Fulliquet, est de dire qu’en Jésus, se trouve une influence héréditaire du péché. Cette influence serait, selon ce même auteur, reléguée dans une « postconscience ». Pour le dire autrement, à partir du moment où la conscience va s’apercevoir de l’action qu’elle s’apprête à exercer, elle va s’opposer à toute intervention, de sorte que la conscience ne soit jamais souillée. Cependant, Fulliquet déclare que cette « postconscience » restera toujours capable de surgir de façon soudaine à la conscience ou de réussir à incliner de façon sournoise avant qu’elle ne puisse discerner de façon claire la signification de cette intervention. Cela rend la tentation probable et même possible pour Christ. Alors que nous nous plaisons à succomber à la tentation, à la provoquer et à la subir, la conscience de Jésus est, quant à elle, préparée à une domination complète. Sa « préconscience » s’oppose régulièrement à ce que sa « postconscience » lui présente ou lui propose en ce qui concerne le péché.
Ainsi, Jésus a été amené soit à subir l’influence de la « postconscience » et donc de tomber dans le péché, soit à subir l’influence de la « préconscience » du devoir afin de résister au péché ou l’influence de la « préconscience » de l’amour de Dieu rendant l’impossibilité de péché.[19]
Pour Frédéric Godet, Jésus, bien qu’étant Saint, pouvait être tenté puisqu’il possédait toute les aspirations légitimes de la nature humaine. Ces tentations pouvaient être en conflit avec la mission qu’il avait reçue. Il avait le choix entre satisfaire ses tentations et sacrifier sa mission ou rester ferme. En supposant l’idée d’une chute cela revient à dire que le salut de l’humanité était dans la prise de décision libre d’un seul homme. [20]
Jésus a été pleinement tenté dans tout son être. Il aurait en effet pu pécher en tant qu’homme mais pas en tant que Dieu-homme. Dans son humanité, le combat était réel, c’était une vraie épreuve de faire face à la tentation.[21] Il est essentiel de comprendre ce point qui est la raison de notre développement. Il existe plusieurs façons de raisonner à ce sujet, mais pour ces théologiens, Jésus a bel et bien été tenté en toute chose, sans jamais pécher. Il a été éprouvé au-delà de ce qu’un simple homme n’a jamais vécu ou connu. Nous devons comprendre la réalité de ces tentations et le fait que celles-ci proviennent de nous-mêmes et de l’attirance produite par nos désirs pécheurs. Or Jésus n’a jamais été attiré par de mauvais désirs, au contraire, il a vaincu avec force toutes attirances, toutes tentations et toutes pensées.[22]
En dépit de tout cela, la conception de la tentation d’un être aussi pur que Jésus est difficilement compréhensible car nous ne le sommes pas. En effet, la tentation trouve en nous un écho, elle amorce une convoitise qui, elle, est déjà péché et cette convoitise créée en nous une réaction en chaîne dans notre servitude au péché. Mais cela n’était pas le cas de Jésus et c’est bien cela qui est difficile pour nous à saisir et à réaliser. Tout ce que nous pouvons saisir est l’intensité et la tension que cela a dû provoquer chez lui sans jamais qu’il ne faillisse.[23]
3. Jésus, le Dieu-homme, face à la tentation
Après avoir démontré la parfaite union de la nature divine et humaine de Jésus en la personne du Dieu-homme et la réalité de la tentation de Jésus en étudiant les courants de pensées remettant en cause ces points, nous tâcherons de répondre à notre question en cherchant à comprendre si Christ était peccable ou impeccable. Ces deux théories de la peccabilité ou de l’impeccabilité de Christ se sont révélées être indissociables à ce thème de la tentation de Christ. En effet, parmi les chrétiens évangéliques la question n’est pas de savoir si Jésus a péché ou non, s’il fut tenté ou non, mais plutôt de savoir s’il pouvait pécher ou non et c’est là la question à laquelle nous tenterons de répondre ici.
3.1 La théorie de sa peccabilité
La peccabilité de Christ signifie que Christ ait pu pécher dans sa vie bien qu’il ne l’ait pas fait.[24] Ce courant revendique une tentation réelle et forte, qui n’est pas de l’ordre du mythe. Christ est réellement passé par le feu de la tentation. Charles Hodge déclarait que si Jésus était incapable de pécher, sa tentation aurait été irréelle et sans effet. Selon lui, Jésus ne pourrait même pas être compatissant à l’égard de son peuple qui vit cette même tentation.[25]
Ceux qui prônent cette théorie de la peccabilité pensent que l’impeccabilité reviendrait à dire que Jésus a été tenté sans qu’il n’ait réellement besoin de faire d’efforts ou de lutter, et qu’ainsi Christ n’aurait pas remporté de réelles victoires. Cela représenterait donc pour nous un exemple impossible à imiter et une incapacité à nous transformer. [26]
Pour Philippe Schaff, si Jésus avait été doté de l’impossibilité absolue de pécher dès le début, il n’aurait pas pu être considéré comme un véritable homme et se présenter comme notre modèle. Sa sainteté n’aurait pas pu être acquise par lui et n’aurait pas pu être inhérente à sa personne, mais au contraire, elle aurait été un don accidentel, extérieur, rendant sa tentation illusoire. En tant qu’homme, il devait donc avoir la possibilité d’agir librement et d’être moralement responsable. Selon lui, la liberté suppose de pouvoir choisir entre le bien et le mal ainsi posséder la faculté d’obéir ou de désobéir aux commandements de Dieu.[27]
Le point fort de cette pensée est l’identification des tentations de Christ aux tentations de l’homme; soit l’identification de la façon dont Christ a perçu la tentation et aurait pu y succomber aux perceptions des tentations vécues par les hommes qui y succombent. Cependant, le point faible de cette théorie est qu’elle ne considère pas suffisamment la personne de Christ comme étant aussi bien homme que Dieu. De plus, le mot « peirazo » traduit par tentation, se trouve être utilisé dans le Nouveau Testament au sujet de Dieu le Père (Aces 15.10 ; 1 Corinthiens 10.9 ; Hébreux 3.9) et du Saint-Esprit (Actes 5.9). Sur la base de ces éléments, il est impossible d’affirmer que Dieu le Père et Dieu le Saint-Esprit aient pu pécher. Pourquoi donc dire que Jésus ait pu pécher ? [28]
Paul Enns termine la présentation de sa théorie de la peccabilité en la remettant en cause. C’est aussi ce que fait Wilbern Best en déclarant qu’une personne peccable est une personne finie et blessée par le péché qui n’aurait pas pu satisfaire un Dieu infini.[29] Avant d’évoquer la théorie de l’impeccabilité, concluons cette partie en citant Paul Enns qui écrit : « La conclusion est que la tentation n’exige pas la capacité de pécher. »[30]
3.2 La théorie de son impeccabilité
Dans la vie de Jésus règne une mystérieuse incapacité à pécher qui émane de son amour et de sa grâce.[31] Ceux qui croient en la théorie de son impeccabilité, croient au fait que Jésus n’a pas pu pécher, malgré les tentations réelles et inlassables de Satan. La peccabilité de Christ pourrait concerner sa nature humaine mais sa nature divine était impeccable. Et, comme nous l’avons vu précédemment, parce que sa nature humaine et sa nature divine sont indissociables, il est possible d’affirmer que Christ ne pouvait pas pécher. En effet, peu importe où Jésus se trouvait, sa nature divine était présente et puisque la nature divine ne peut pécher nous arrivons à la conclusion de l’impeccabilité de Jésus.[32]
Il est en effet important de réaliser que dès lors que Dieu prend une nature humaine et qu’il fait de cette nature humaine sienne, il porte en elle l’exclusion du péché.[33] Autrement dit, dans son humanité, Jésus était capable de pécher mais dans sa divinité il en était incapable.[34]
A la différence du premier Adam, Jésus n’a pas succombé à la tentation. Il est resté innocent en vivant parmi les pécheurs et malgré les tentations qu’il a traversées. C’est ainsi que l’impeccabilité relative de Jésus est devenu de plus en plus absolue par son propre fait moral mais aussi par son usage de sa liberté, au moyen de sa parfaite obéissance, aussi bien active que passive, envers Dieu. Schaff résume cela ainsi : « la possibilité primitive de ne pas pécher, qui renferme aussi celle du péché, mais qui exclut sa réalité, devient en lui cette impossibilité de pécher, qui ne le peut pas parce qu’elle ne le veut pas. »[35]
C’est aussi ce que va démontrer Mark Jones. Pour lui, il est clair que Jésus n’a jamais péché mais que, somme toute, il n’aurait jamais pu pécher. Pour lui, la nature humaine de Jésus n’a jamais connu d’existence séparée à la communion avec Dieu le Père. De ce fait, parce que sa nature humaine était constamment en communion avec ce dernier, cette absence de solitude répond immédiatement à la problématique de la possibilité éventuelle d’une chute pour Jésus. De ce fait, suggérer que Christ aurait pu pécher possède une notion relativement blasphématoire, en le sens que le Dieu Trinitaire était impliqué dans tout ce que Jésus faisait, dès lors que « s’il était possible que Jésus pèche, Dieu ne serait pas Dieu. »[36] Dans ce sens, William Shedd affirme que si Jésus-Christ avait péché, le Dieu incarné aurait péché aussi.[37]
L’impeccabilité de Jésus concerne aussi la notion des deux volontés de Jésus, autrement dit la volonté divine et la volonté humaine présentes en la personne de Jésus. Ceux qui croient en l’impeccabilité de Jésus voient en la théorie de la peccabilité un problème en ce qui concerne la relation entre ces deux volontés.[38] Le sixième concile œcuménique déclare « que ces deux volontés ne sont point contraires, que la volonté humaine suit la volonté divine, et qu’elle lui est parfaitement soumise. »[39].
Ainsi, Jésus a été impeccable car il a non seulement été capable de résister à la tentation mais il y résistait immanquablement.[40] Plus encore, il a été tenté en toutes choses mais il n’y a eu aucune lutte intérieure de la part des deux natures puisqu’elles sont toutes les deux saintes.[41]
Lorsque nous regardons à la Bible, et plus précisément à Jacques 1.13 où il est écrit : « Car Dieu ne peut être mis à l’épreuve par le mal, et lui–même ne met personne à l’épreuve. »[42] nous pouvons tenter de traduire l’expression « ne peut être mis à l’épreuve » par l’adjectif « apeirastos » qui n’est utilisé que dans ce cas dans l’ensemble du Nouveau Testament et qui semble évoquer l’impossibilité ou l’incapacité à être tenté. MacArthur décrit cette notion en disant qu’elle représente l’idée d’être invincibles aux attaques du mal. La nature du mal est totalement étrangère à la nature de Dieu pour ainsi dire.[43]
3.3 Le résultat de la tentation
Il nous faut maintenant comprendre le but et le résultat d’une telle tentation car lorsque nous découvrons l’union de la nature humaine et de la nature divine en la personne de Jésus, que nous comprenons la sainteté de Christ du fait de sa divinité, nous devons comprendre et réaliser qu’il y a un but à la tentation de Christ, malgré son impeccabilité. La tentation doit avoir un sens pour nous encore aujourd’hui.
Tout théologien, en effet, doit se poser la question de savoir comment la tentation est possible dans un être saint. La seule réserve qui peut-être émise sur la psychologie de Christ concerne la tentation causée par le déséquilibre intérieur de la nature, la tentation provoquée. Mais une tentation extérieure à un être juste n’est pas forcément utile, car elle rendra encore plus évidente la sainteté de la personne concernée par la manière dont elle se tiendra fermement face à celle-ci.[44]
C’est ce qui conduit la pensée de Paul Enns pour qui le but de cette tentation était claire: celle-ci n’avait pas pour but de savoir si Christ était capable de pécher ou non mais de montrer qu’il ne pouvait pas tomber en tentation.[45] Ainsi, la tentation de Christ serait une épreuve pour démontrer non seulement la pureté de Jésus mais aussi le fait qu’il était sans péché (Hébreux 4.15 : « Car nous n’avons pas un grand prêtre insensible à nos faiblesses ; il a été soumis, sans péché, à des épreuves en tous points semblables. »[46]). Selon Enns, Jésus a été tenté sans la possibilité d’être séduit par le mal (Jacques 1.13).[47] Dans cette optique, nous pouvons conclure que si Jésus est allé dans le désert pour être tenté, obéissant au Saint-Esprit, son but était de révéler sa gloire messianique au travers de la souffrance.[48]
Malgré la réponse claire de Enns, il est raisonnable de se demander pourquoi Jésus a-t-il été tenté ? Hébreux 2.18 nous donne un autre élément de réponse. En effet, il est écrit : « Car du fait qu’il a souffert lui–même quand il a été mis à l’épreuve, il peut secourir ceux qui sont mis à l’épreuve. »[49]. La tentation révèle non seulement la sainteté de Christ mais aussi son humanité. C’est parce qu’il est pleinement humain qu’il a connu la tentation et qu’il peut venir à notre secours lorsque nous sommes nous-mêmes tentés. Calvin disait d’ailleurs à ce sujet « Toutes les fois que Satan nous fait quelque assaut, qu’il nous souvienne qu’il est impossible de soutenir et repousser ses efforts sinon en mettant ce bouclier au-devant : comme aussi de fait le Fils de Dieu a souffert d’être tenté, afin que toujours nous le trouvions au-devant de nous, quand Satan nous fait quelque alarme de tentation. »[50].
Enfin, la tentation de Jésus nous a été rapportée afin de nous révéler ce que nous avons dans notre cœur et nous montrer encore plus sa divinité[51]. Mais ce n’est pas tout. Par sa tentation, Jésus a voulu nous révéler que la tentation ne souille pas ceux qui lui résistent[52].
Conclusion
La tentation de Christ est un élément qui ne peut pas être remis en cause lorsque nous croyons en l’existence de Jésus. De plus, cette étude nous a permis de mettre en avant l’idée que Jésus a été cette personne ayant deux natures présentes en lui, cette nature divine et humaine et en déduire que Jésus est bel et bien Dieu le Fils incarné. Il est venu sur terre afin de venir nous sauver en mourant pour nous, prenant notre place à la croix pour nos péchés lui qui n’en avait commis aucun et qui était parfait.
Jésus était parfaitement innocent, bien que parfaitement homme il n’en restait pas moins parfaitement Dieu. La tentation ne l’a jamais emmené vers sa chute, qui aurait non seulement causé le péché dans sa vie mais qui nous aurait condamnés car son sacrifice n’aurait pas été parfait.
Concernant notre sujet, nous pouvons comprendre les raisons de la tentation de Jésus. Il voulait nous démontrer parfaitement qui il était, sa nature, quel Dieu-homme parfait et bon il était. Ses tentations nous ont révélé pleinement son cœur, son amour et son obéissance à Dieu. Mais cela aussi nous révèle à quel point nous sommes mauvais car nous sommes incapables de résister à la tentation comme lui la vécue et connue. Nous avons en lui un espoir, l’espoir merveilleux qu’il nous comprend lorsque nous sommes tentés, l’espoir merveilleux qu’il ne nous condamne pas lorsque nous venons à lui pour demander pardon pour nos fautes mais aussi cet espoir merveilleux qu’il a vaincu notre ennemi et que nous pouvons marcher avec une assurance de victoire.
Enfin, concernant la peccabilité et l’impeccabilité de Christ. Il appartient à chaque chrétien de croire ce qu’il souhaite car l’importance est surtout de déclarer que Christ n’a jamais péché et n’a jamais connu le péché du fait de sa naissance virginale. Cependant, je dois avouer que lors de mon travail de recherche, j’ai remis en question mes positions à ce sujet. En effet, moi qui croyais fermement en la peccabilité de Christ et ayant les mêmes arguments que ceux présentés plus haut, je me suis retrouvé à réaliser que Christ était impeccable. Il était certes peccable dans son humanité mais il était impeccable dans sa divinité. De ce fait, suggérer même que Dieu ait pu pécher est un non-sens. Pécher signifie « manquer la cible », c’est rater la direction que Dieu souhaitait pour nous. Ainsi, dire que Jésus aurait pu « manquer la cible » cela revient à dire que Dieu aurait pu se tromper dans le plan de Dieu, ce qui est véritablement un non-sens.
Par ce travail de recherche, ma théologie et ma foi ont été renforcées et bien plus, ma conception de Christ a réellement évolué. J’ai réalisé au travers de multiples ouvrages à quel point Christ a été incroyable durant toute sa vie pour se garder pur. La tension devait être réellement forte, quand je regarde à ma personne et lorsque je veille à ne pas pécher de toute mes forces. J’arrive à tenir 5 minutes là où Christ a tenu 33 ans. Christ a tenu fermement dans la droiture et la sainteté, et bien qu’il fût Dieu, bien qu’il fût ce Dieu-homme, le combat a dû être extrême. L’envie de pécher, l’envie de reculer à chaque fois qu’il a pensé à la croix jusqu’à la fin devait être tellement forte. Mais parce qu’il était Dieu, il a réussi à tenir parfaitement et divinement. Je suis percuté par ce principe qui dit que nous ne connaissons pas réellement la force de la tentation tant que nous ne la refusons pas.
Je terminerais cette recherche par une citation de Paul Enns, déjà citée précédemment, mais qui m’a vraiment percuté et qui m’a permis de changer ma position sur le sujet de la peccabilité / impeccabilité de Christ : « La conclusion est que la tentation n’exige pas la capacité de pécher. »[53]
Notes et références
[1] Charles B., Martin, Religious Belief, Ithaca, Cornell University Press, 1974, p.40.
[2] Thomas, Morris, The Logic of God incarnate, Oregon, Wipf and Stock Publishers, 2001, p. 140.
[3] Barnabé, Chauvelot, La divinité du Christ d’après Napoléons 1er et les plus grands génies du monde, Paris, Humbert, 1863, p. 2.
[4] Francis, Ferrier, L’incarnation, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1960, p. 79.
[5] Henri, Blocher, Christologie, premier fascicule, Vaux-sur-Seine, IMEAF, 1986, p.90.
[6] Frédéric, Godet, Commentaire sur l’évangile de Luc, Tome 1, Cap-de-la-Madeleine, Editions Impact, 1888, p. 303.
[7] Ibid., p. 304.
[8] Henri, Blocher, Christologie, deuxième fascicule, Vaux-sur-Seine, IMEAF, 1986, p.189.
[9] Henri, Blocher, Christologie, … , p.189.
[10] William H., Guiton, La divinité de Jésus-Christ, Saint-Etienne, Société Evangélique des traités religieux, 1935, p. 40.
[11] Georges, Fulliquet, La doctrine du Second Adam, Etude anthropologique et christologique, Genève, Libraire Kündig, 1915, p. 182.
[12] Henri, Blocher, Christologie, … , p.195.
[13] Henri, Blocher, Christologie, … , p.196.
[14] André, Birmelé, Introduction à la théologie systémique, Genève, Labor et Fides, 2008, p. 253.
[15] Ibid., p. 44.
[16] Benoit G., Bardy, Le Christ, Encyclopédie populaire des connaissances christologiques, Paris, Libraire Bloud et Gay, 1947, p. 490.
[17] Sergueï N., Boulgakov, Du verbe incarné : l’Agneau de Dieu, Vol.1, Lausanne, L’âge d’homme, 1982, p. 225.
[18] William H., Guiton, La divinité de Jésus-Christ, … , p. 43.
[19] Georges, Fulliquet, La doctrine du Second Adam, … , p. 193.
[20] Frédéric, Godet, Commentaire sur l’évangile de Luc, … , p. 301.
[21]Florent, Varak. « Si Dieu ne tente personne, pourquoi tenter Jésus ? » [https://florentvarak.toutpoursagloire.com/si-dieu-ne-tente-personne-pourquoi-tenter-jesus-episode-190/] (consulté le 07 Octobre 2019).
[22] Mark, Jones, Connaître Christ, Trois-Rivières, Edition Impact, 2018, p. 157.
[23] Henri, Blocher, Christologie, … , p.188.
[24] Paul, Enns, Introduction à la théologie, Trois-Rivières, Editions Impact, 2009, p. 246.
[25] Charles, Hodge, Systematic Theology, Vol.3, Londres, Clarke, 1960, p. 457.
[26] Georges, Fulliquet, La doctrine du Second Adam, … , p. 192.
[27] Philippe, Schaff, La personne de Jésus-Christ, miracle de l’histoire, Toulouse, Société des livres religieux, 1866, p. 36.
[28] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 247.
[29] Wilbern E., Best, The impeccable Christ, Houston, Sovereign Grace Publishers, 2003, p. 11.
[30] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 247.
[31] Gerrit C., Berkouwer, Studies in Dogmatic : The person of Christ, Grand Rapids, WB Eerdmans Pub.Co, 1954, p. 260.
[32] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 247.
[33] Benoit G., Bardy, Le Christ, Encyclopédie populaire des connaissances christologiques, … , p. 491.
[34]Florent, Varak. « Si Dieu ne tente personne, pourquoi tenter Jésus ? » [https://florentvarak.toutpoursagloire.com/si-dieu-ne-tente-personne-pourquoi-tenter-jesus-episode-190/] (consulté le 07 Octobre 2019).
[35] Philippe, Schaff, La personne de Jésus-Christ, miracle de l’histoire, … , p. 37.
[36] Mark, Jones, Connaître Christ, … , p. 153.
[37] William G.T., Shedd, Dogmatic Theology, 3e éditions, Phillipsburg, Alan W.Gomes, 2003, p. 661.
[38] Mark, Jones, Connaître Christ, … , p. 153.
[39] « Concile de Constantinople III – 680 – Sixième concile œcuménique (Tome I, colonnes 734 à 748) » [http://www.catho.org/9.php?d=bqy#t] (Consulté le 13 Nombre 2019).
[40] Mark, Jones, Connaître Christ, … , p. 153.
[41] Wilbern E., Best, The impeccable Christ, … , p. 54.
[42] Texte biblique provenant de la NBS : la Nouvelle Bible Segond : édition d’étude. Paris, Alliance biblique universelle , 2002.
[43] John, MacArthur, Les Epîtres en générales et l’Apocalypse¸ Trois-Rivières, Editions Impact, 2010, p. 331.
[44] Francis, Ferrier, L’incarnation, … , p. 79.
[45] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 247.
[46] Texte biblique provenant de la NBS : la Nouvelle Bible Segond, …, 2002.
[47] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 246.
[48] Mark, Jones, Connaître Christ, … , p. 153.
[49] Texte biblique provenant de la NBS : la Nouvelle Bible Segond, …, 2002.
[50] Jean-Samuel, Navet, L’Evangile de la Grâce, commentaire de l’évangile de Luc, Genève, Labor et Fides, 1957, p. 66.
[51] Florent, Varak. « Si Dieu ne tente personne, pourquoi tenter Jésus ? » [https://florentvarak.toutpoursagloire.com/si-dieu-ne-tente-personne-pourquoi-tenter-jesus-episode-190/] (consulté le 07 Octobre 2019).
[52] Nicolas, Lancicius, Méditations sur la vie et les mystères de notre Seigneur Jésus-Christ, vol.2, Tournay, J.Casterman, 1839, p. 16.
[53] Paul, Enns, Introduction à la théologie, …, p. 247.