Les chrétiens sont si méchants… alors pourquoi croire en leur Dieu?
Voici la suite de l’évaluation critique du Traité d’athéologie de Michel Onfray par Guillaume Bignon. Il s’agit de la douzième (!) et dernière partie.
Rappel #1 : la première est à retrouver ici, la deuxième ici, la troisième ici, la quatrième ici, la cinquième ici, la sixième ici, la septième ici, la huitième ici, la neuvième ici, la dixième ici, et finalement la onzième ici !
Rappel #2 : Guillaume Bignon est actuellement à l’affiche de notre cours #Transmettre de mai 2022, et il le sera à nouveau en juin pour une Introduction à l’apologétique chrétienne. Plus d’infos et inscriptions en cliquant sur ce lien.
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Nous voici arrivés à la dernière partie de ma critique, et il me reste pourtant de larges quantités de notes sur le matériel historique discuté par Michel Onfray concernant les chrétiens dans l’histoire. Tâchons ainsi d’être bref, car j’aimerais conclure ci-dessous sur une note plus personnelle.
Onfray dédie une large portion de son livre à expliquer tout le mal qu’ont fait les croyants dans l’histoire de la planète. L’apôtre Paul est contre l’éducation, bête, et lui même non éduqué (p.183-184), Jean Chrysostome justifie la violence physique (p.196-197), Augustin en prend pour son grade également, accusé de justifier « le pire dans l’église » (p.244), Constantin est superstitieux, infanticide et uxoricide (p.187-192), Adolf Hitler est un « disciple de St Jean » (p.216), le Vatican collabore avec les Nazis (p.237) ; Onfray blâme les chrétiens pour Hiroshima (p.247), l’esclavagisme moderne (p.247), le colonialisme (p.250), et passe en revue : « l’inquisition, la torture, la question ; les Croisades, les massacres, les pillages, les viols, les pendaisons, les exterminations ; la traite des Noirs, l’humiliation, l’exploitation, le servage, le commerce des hommes, des femmes, des enfants ; les génocides … » etc. etc. (p.235)
Vous voyez le genre.
Plutôt que d’écrire une dizaine de pages supplémentaires en traitant chaque accusation individuellement, je souhaite simplement faire quelques remarques générales importantes, pour répondre au cœur de l’argument unique qu’Onfray applique à différents individus au fil des siècles. Il s’agit en fait d’un argument déductif qui dit cela :
1 – Si des chrétiens font du mal, cela reflète négativement sur le christianisme
2 – Ces gens sont chrétiens,
3 – Ces gens ont fait du mal,
4 – Conclusion : cela reflète négativement sur le christianisme
L’argument est logiquement valide : si les prémisses 1, 2 et 3 sont vraies, alors la conclusion 4 s’ensuit. La réponse du chrétien va alors avoir plusieurs composantes disponibles:
Rejeter 2, rejeter 3, ou accepter 4 et le déplorer.
Pour Adolf Hitler, par exemple, il est clair qu’il n’est pas chrétien si le mot est défini un tant soit peu bibliquement. Pour d’autres tels qu’Augustin, il n’est pas net qu’ils soient coupables des maux qu’Onfray leur prête, et étant donné qu’il ne nous donne pas de référence en bas de page, il est difficile de vérifier.
Et enfin, pour d’autres chrétiens qui ont effectivement agi de triste manière, le chrétien moderne se doit d’admettre que l’histoire de l’église n’est pas toute rose, et que même ses héros du passé sont des pécheurs ayant besoin du pardon de Jésus. Rien de cela ne discrédite la Bible, l’existence de Dieu, ou la divinité de Jésus, et je peux me joindre à Michel Onfray dans un bon nombre de ses critiques historiques.
Ceci étant dit, il me faut tout de même ajouter que son analyse est entièrement polarisée et ‘quelque peu’ diabolisante. Si les péchés des chrétiens reflètent négativement sur le christianisme, leurs bonnes œuvres devraient être prises en compte au même titre, mais ce n’est pas Michel Onfray qui vous parlera de la fondation chrétienne des hôpitaux, des universités, et de leur participation massive à l’aide humanitaire.
Le traité d’athéologie vous parle des vilains chrétiens de l’histoire, mais où sont les Martin Luther King, les Dietrich Bonhoeffer et les William Wilberforce ? L’argument fonctionne dans les deux sens.
Par ailleurs, la prémisse 3 de l’argument ci-dessus présuppose que des chrétiens ont fait du mal. Du vrai mal. Or, un peu plus tôt dans cette critique, lorsque nous discutions de l’argument moral pour l’existence de Dieu, nous remarquions que si Dieu n’existe pas, alors il n’existe pas de valeurs morales objectives.
Il s’ensuit donc que si des chrétiens on fait du mal, objectivement, alors il existe au moins certaines valeurs morales objectives par lesquelles Onfray juge les chrétiens, et donc Dieu existe. L’argument n’est donc pas disponible pour un athée cohérent.
Enfin, il reste une accusation proférée par Onfray avec laquelle le vrai chrétien ne peut qu’être d’accord : il dénonce la pratique de forcer la conversion : « obligation pour les païens de se faire instruire dans la religion chrétienne, puis d’obtenir le baptême sous peine d’exile ou de confiscation de leurs biens ; interdiction de revenir au paganisme pour les convertis à la religion d’amour ; » (p.198-199)
Ma réponse est sans équivoque : « Oui ! », toutes ces choses sont mauvaises et, j’ajoute, entièrement incompatibles avec le christianisme biblique. On ne peut pas faire un chrétien par coercition. Un chrétien est un pécheur qui se repent sincèrement de son péché, et place sa foi sincère en Jésus, pour recevoir son pardon gratuitement, par la foi et non pas par les bonnes œuvres.
Il s’ensuit que par définition, le choix de devenir chrétien doit être complètement libre, sinon ce n’est pas une foi qui sauve. Le chrétien partage avec joie les raisons pour lesquelles il est chrétien, il explique en termes clairs l’enjeu de la question (la vie éternelle !), et il encourage le non-croyant à recevoir ce pardon gratuit (quelle bonne nouvelle !), mais en aucun cas ne doit il forcer qui que ce soit.
J’espère que cette critique du traité d’athéologie aura été comprise dans cet esprit : une offre d’arguments rationnels pour encourager le lecteur, et une invitation au lecteur à réfléchir librement à ces choses : si le christianisme est vrai, l’enjeu est énorme.
A bon entendeur.
Enfin, permettez-moi de conclure sur une note positive. Après 12 parties d’une critique passées à dire du mal des arguments invalides de Michel Onfray, j’aimerais finir par dire du bien de l’homme, que j’apprécie en fait beaucoup.
Il est souvent bien sympathique, il s’exprime de manière captivante, il aime la langue française et l’emploie joliment, et l’histoire de sa vie est tout simplement fascinante. En bref, je dois confesser être un fan (est-ce si terrible d’apprécier grandement quelqu’un avec qui l’on est fondamentalement en désaccord ?)
Je me permets d’ajouter que la plupart de ses adversaires qui le critiquent, même sur le sujet de l’athéisme, offrent des arguments que je trouve affligeants, et Onfray les démolit habituellement dans ses interviews avec brio, en offrant souvent les réponses exactes que j’aurais offertes moi même si j’étais un athée. Le monsieur a de la répartie ! J’espère donc que les arguments que j’ai offerts dans cette critique aient été d’un autre calibre, et sans avoir la prétention de penser que Michel Onfray les lira, je me prête à croire qu’ils auraient un meilleur effet.
Mais est-ce naïf de penser qu’un athée célèbre, publié sur le sujet, puisse changer d’avis sur la question ? À cela, je répond que ce ne serait pas la première fois. Le plus célèbre philosophe athée du siècle dernier, Antony Flew, sous le poids des arguments (particulièrement l’accord fin des constantes de l’univers, mentionné dans cette critique), a fini par changer d’avis, et annoncer sa croyance en un créateur de l’univers.
Un de mes bons amis philosophes chrétiens, David Wood, est un ancien athée psychopathe, condamné pour tentative de meurtre barbare, qui a découvert le Jésus de l’évangile en prison, et s’engage maintenant en débats académiques sur la vérité du christianisme. Et enfin, je suis moi-même ancien athée, devenu chrétien et philosophe académique par un concours de circonstances improbables, et une réflexion sur les documents du Nouveau Testament. Alors si Dieu peut rattraper l’apôtre Paul, ou Antony Flew, ou David Wood, ou moi même, pourquoi pas Michel Onfray ?
…Et pourquoi pas vous, cher lecteur ?
– Guillaume Bignon