Que faut-il penser du « prophète » Balaam ?

Quel suprenant cycle narratif que celui du prophère Balaam (Nb 22-24). La charmante naïveté de cette succession d’histoires cache en réalité une brillante composition littéraire et une profonde réflexion théologique. Le récit est à la fois très drôle et mortellement sérieux. Le drame, l’ironie et les paradoxes fascinent et laissent perplexe le lecteur.

Balaam était-il un pécheur ou un saint ? Est-ce un mythe ou une histoire vraie? Pourquoi Dieu a-t-il « changé d’avis » sur le fait de laisser partir Balaam ? La longueur même de cette narration (trois chapitres) en plein coeur du livre des Nombres, et les multiples mentions de ce personnage mystérieux par d’autres auteurs inspirés, nous conduisent à considérer ce passage avec un redoublement d’attention

 

 

1- Comment l’auteur de Nombres 22-24 voyait-il Balaam ?

A première vue, Balaam semble être présenté sous un angle très positif. Malgré des incitations financières pressantes pour maudire Israël, il insiste fermement sur l’écoute de Dieu et bénit pleinement le peuple de Dieu, au grand dam de son mécène (22:18 ; 24:10-13). Mais ces oeuvres de Balaam que de nombreux commentateurs interprètent si positivement pourraient avoir un sens plus obscur. Le discours incessant sur les questions d’argent pourrait suggérer que l’apparente indifférence de Balaam consistait en réalité en une demande implicite d’une plus grande rémunération (cf. Genèse 23.11-15). Il est possible que les déclarations répétées de Balaam selon lesquelles il ne déclarera que la parole que Dieu pourraient avoir pour but de souligner l’inspiration de ses oracles plutôt que la sainteté de son cœur. Il faut se rappeler que les auteurs bibliques commentent rarement la personnalité des protagonistes des sections narratives. « Les appréciations émotionnelles et morales du narrateur sont en règle générale transmises indirectement par la tonalité implicite des histoires »[1]. Nous pouvons citer au moins deux indices indirects indirects de ce type concernant Balaam :

– Premièrement, Balaam se voit offrir des « honoraires pour la divination » (22:7) et recourt aux « enchantements » (24:1), pratiques abominables qui n’étaient pas autorisées en Israël (23,23 ; Dt 18,10 ; 1 Samuel 15,23 ; 2 Rois 17,17).

– Deuxièmement, la conduite de l’ânesse préfigure celle de Balaam[2]. De même que Balaam conduit son ânesse jusqu’à ce que l’ange du Seigneur l’arrête, Balak poussera Balaam à maudire Israël jusqu’à ce qu’il soit empêché par sa rencontre avec Dieu. Comme Dieu a ouvert la bouche de l’ânesse, ainsi il mettra Ses paroles dans celles de Balaam pour déclarer Sa volonté. Cet animal, bien connu pour son caractère obtu et son obstination, a plus de perspicacité spirituelle que ce super-prophète de Mésopotamie que Balak est prêt à engager à grands frais pour maudire Israël. Pourtant, ce voyant païen, insensé et avide d’argent, est inspiré par l’Esprit de Dieu. Ce parallélisme entre Balaam et son ânesse suggère que la capacité à déclarer la parole de Dieu n’est pas nécessairement un signe de la sainteté de Balaam, mais seulement que Dieu peut utiliser n’importe qui pour être son porte-parole.

 

 

 

 

2- La capacité à déclarer la parole de Dieu n’est pas nécessairement un signe de sainteté

Tout au long de la Bible, la prophétie et les autres dons spirituels extatiques sont considérés comme des signes d’inspiration, mais pas nécessairement de sainteté ou d’une bonne marche avec Dieu. Les faux prophètes peuvent prédire l’avenir avec justesse (Deutéronome 13:1-5). Bien que condamné à perdre le trône, Saül prophétisait encore (1 Samuel 19:23-24). Caïphe a prophétisé la mort de Christ (Jean 11:51-52). Les exorcistes juifs chassaient des démons au nom de Jésus sans croire en lui (Marc 9:38-39 ; Actes 9:13-6). L’église de Corinthe était riche en expériences spirituelles extatiques mais manquait d’amour, de sainteté et de saine doctrine (1 Corinthiens 1-15). Jésus lui-même a averti qu’au dernier jour, ni la prophétie, ni l’exorcisme, ni les miracles ne garantiraient l’entrée dans le royaume des cieux, mais seulement « celui qui fait la volonté de mon père qui est aux cieux » (Matthieu 7:21-23).

Ces considérations permettent au moins d’envisager que l’auteur des Nombres 22-24 n’ait pas eu l’intention de présenter Balaam comme un saint. Il considérait Balaam comme un homme inspiré par l’Esprit pour déclarer la volonté de Dieu, mais cela ne signifie pas nécessairement qu’il pensait que Balaam était un homme moralement bon ou même un vrai croyant Yahviste.

 

 

3- Les autres mentions de Balaam dans la Bible 

D’autres passages des Écritures, aussi bien dans l’Ancien que dans le Nouveau Testament, brossent un bien mauvais portrait de Balaam. Il est dépeint comme un opposant d’Israël qui aurait maudit Israël si Dieu n’était pas intervenu (Deutéronome 23:4-5), qui fut une occasion de chute pour Israël (Nombres 31: 8-16, Apocalypse 2:14), et un homme qui préférait l’argent au service de Dieu (2 Pierre 2:15-16 ; Jude 11).

Notons d’ailleurs que ces multiples mentions de Balaam prêtent à croire  sans aucun doute que pour l’auteur du Pentateuque, pour Pierre, Jude et Jean, Balaam était considéré comme un vrai personnage historique, qui a réellement interagi avec le peuple de Dieu.

 

 

4- Pourquoi Dieu a-t-il apparemment changé d’avis en laissant partir Balaam ?

Les envoyés de Balak, roi de Moab, viennent demander à Balaam d’aller maudire Israël. Balaam consulte une première fois l’Eternel qui lui dit de ne suivre ces envoyés, car Israël est béni. Il savait que Dieu ne changerait pas d’avis (23:19), mais lorsque Balak envoie des messagers plus nombreux et plus honorables (et promet une rémunération conséquente) Balaam consulte malgré tout à nouveau l’Eternel. Cette fois-ci, Dieu permet à Balaam de partir avec ces messagers. L’épisode de l’ange et de l’ânesse confirme bien que la volonté initiale de Dieu était que Balaam n’aille pas maudire Israël, mais Dieu utilise la perniciosité du devin (22:32) pour le bien de son peuple : non seulement Balaam ne va pas maudire Israël, mais il va le bénir, au plus grand désarroi de Balak (23:11, 25).

Et c’est ici l’importance théologique de cette narration. Qu’est-ce que l’Esprit annonce au travers de Balaam ? En macro, il annonce qu’Israël est béni, qu’ils bénéficient de la protection de Dieu et de la prospérité qui en découle. Mais en réalité ces oracles sont bien plus spécifiques : ils réaffirment les promesses faites aux patriarches. En Genèse 12:1-3, Dieu promet trois choses à Abraham : une terre, des descendants, et une alliance. Le premier oracle de Balaam mentionne la relation privilégiée d’Israël avec Dieu et sa population importante (23:8-10). Le second oracle se concentre sur la relation d’alliance qui lie Dieu à Israël (23 :19-23). La troisième vision décrit comment Israël jouira temporairement de la paix et la prospérité dans la terre promise (24:5-9).

Ce rappel éloquent des anciennes promesses est particulièrement approprié à cette étape charnière de l’histoire d’Israël. Le peuple campait près du Jourdain, à la frontière est de Canaan, et Dieu réaffirme que la terre promise s’étend au-delà du territoire de Sihon et Og qu’ils venaient de conquérir (21:21-35). Une nouvelle démonstration de la fidélité de Dieu envers ce peuple incrédule et rebelle qui nous est dépeint tout au long de ce livre !

 

 

Notes et références :

Article inspiré par le commentaire de Gordon J. Wenham sur le livre des Nombres (TOTC)

[1]J. Licht, Storytelling in the Bible, p.32.

[2]D. Daube, Ancient Hebrew Fables(OUP, 1973), p.15

 

 

 

 

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