Athanase, héros de la foi (Part. 4)
Une théologie précise et orthodoxe
Mon premier contact avec les écrits d’Athanase eu lieu lors de la lecture du “Discours contre les Ariens”. Et ce fut pour moi un “choc” de voir la clarté et la cohérence d’Athanase dans son utilisation légitime de la Bible pour proclamer la totale divinité de Dieu le Fils, le Verbe de Dieu qui s’est incarné. Sa logique m’a impressionée et m’a permis de mieux saisir l’importance de l’utilisation des termes “logos” ou “radiance”.
Dans cette partie, je voudrais citer et commenter brièvement des passages clés de deux des ouvrages d’Athanase : “Discours contre les Ariens” et “Sur l’incarnation du Verbe”. Mais avant cela, je voudrais citer un passage clé des écrits d’Arius pour que la profondeur et la gravité du débat soit bien saisie. En effet, Arius dit que :
“ Dieu n’a pas toujours été Père : il fut un temps où Dieu était seul et où il n’était pas encore Père. Ensuite il devint Père. Le Fils n’a pas toujours existé : en effet, puisque toutes les réalités ont été tirées du néant et sont des créatures et des œuvres (divines), le Verbe de Dieu, lui-même a été tiré du néant, et il y a eu un temps où il n’existait pas avant de naître, et il a eu, lui aussi, un commencement : la création. Au départ, Dieu était tout seul, et il n’avait ni Verbe ni Sagesse. C’est ensuite, quand il a voulu nous créer, qu’il fit un certain être et le nomma Verbe, Sagesse et Fils, afin de nous créer par lui ” [1]
Une telle pensée ne représentait pas pour Athanase un simple point de vue divergent sur une doctrine secondaire et mystérieuse, mais une attaque directe au fondement même de sa foi, une attaque envers celui qui est l’origine de son salut.
Combattre une telle hérésie était alors nécessaire, pas simplement d’un point de vue doctrinal, mais aussi pastoral, car Athanase, avait conscience dans sa “fibre” pastorale des conséquences désastreuses que pouvaient avoir de telles paroles.
En effet, il était clair pour Athanase (et dans la bible !!) que notre salut est indissociable de celui qui en est l’auteur, or notre Salut ne peut être ni Eternel et ni parfait si l’auteur ne l’est pas aussi…de plus, une telle hérésie ferait de nous des idolâtres, car nous adorerions une créature.
C’est pour cela qu’il dit :
“Les adeptes de cette hérésie sont véritablement fous, car ils transforment le nom du Seigneur de gloire en l’image corruptible d’un mortel, et, comme dernière preuve de leur impiété, ils renient le nom de chrétiens pour celui d’ariens…Or, chez nous, jamais peuple n’a reçu son nom de l’évêque. Nous le prenons de Dieu que nous adorons. Sans doute les apôtres furent nos maîtres et les ministres de l’évangile du Seigneur ; mais nous ne nous appelons pas de leur nom. Nous sommes chrétiens par le Christ, c’est à lui que nous devons notre titre….Voyez tous les païens qui renient leurs faux Dieux et entrent dans l’Eglise, reçoivent-ils le nom de celui qui leur a enseigné la doctrine ? Non, ils prennent celui du Sauveur, ils sont appelés chrétiens.” [2]
“Peut-on appeler chrétien celui qui professe de telles idées puisqu’elles sont la négation même de l’Évangile ? Saint Jean affirme en effet : ‘Au commencement était le Verbe’ et ils osent dire que le Verbe n’existait pas avant d’être créé. Saint jean dit ensuite : ‘Et nous sommes dans son Fils véritable Jésus-Christ, et lui est le vrai Dieu et la vie éternelle’ ; et ils prétendent que le Christ n’est pas Dieu, mais qu’Il n’est appelé ainsi que par communication. L’Apôtre Saint Paul de son côté s’adresse aux païens et leur reproche ‘d’adorer la créature et de la préférer au Créateur’, et ils ont l’audace de dire que le Fils est une créature et ils l’adorent comme tel ! Et que font-ils alors des textes où le Seigneur lui-même dit : ‘Moi et mon Père, nous sommes un’ et ‘Qui me voit, voit mon Père’, ou de cette parole de Saint Paul qui dit : ‘Il est le rayon de la gloire de Dieu et l’image de sa substance’. Qui donc pourtant ne voit que le rayon est inséparable de la lumière, qu’il participe à sa nature et ne peut en être distingué ?” [3]
Au-delà de la claire exposition des évidences bibliques qui confessent la totale divinité de notre Seigneur Jésus-Christ, il est clair qu’Athanase avait aussi cette qualité d’anticiper et de voir les répercussions de telles hérésies au niveau de la vie de foi de chacun des chrétiens, et il avait conscience qu’une telle hérésie était un poison qui pouvait empêcher les hommes d’entendre un évangile biblique : car sans l’incarnation du Logos Eternel, l’évangile était alors vidé de son centre.
Ainsi, dans le “Discours contre les Ariens”, Voici les arguments qui ont retenu mon attention et qui sont importantes pour une saine apologétique christologique :
“ …encore tout comme l’apôtre, écrivant aux hébreux, dit, ‘qui, étant la radiance de sa Gloire et l’expression de son être’ (Heb 1 :3), et David, aussi, … ‘Par ta Lumière nous voyons la lumière’, qui a si peu d’intelligence pour douter de l’éternité du Fils ? En effet, quand un homme a-t-il vu la lumière sans sa radiance ou sa luminosité, qu’il puisse dire du fils ‘il fut un temps où Dieu était seul et où il n’était pas encore Père’ ou ‘il y a eu un temps où il n’existait pas avant de naître’. Et les mots adressés au Fils dans le psaume 145 ‘Ton règne est un règne de tous les siècles, Et ta domination subsiste dans tous les âges’, qu’il ne soit permis qu’aucun imagine un intervalle de temps pendant lequel la parole n’existait pas. Car si chaque intervalle du temps est mesurée, et si depuis tout temps la Parole est Roi et Créateur, alors aucune intervalle de temps existe pendant laquelle la parole n’existait pas.”[4]
“ ..Si Dieu est Artisan et Créateur, et il crée ses œuvres par le Fils, et nous ne pouvons voir les choses qui viennent à l’existence comme étant, sans qu’elle ne soient venues par la Parole, sinon cela serait un blasphème, de même nous ne pourrions dire que Dieu est créateur et qu’il y eut un temps ou sa Parole créatrice et sa Sagesse n’existait pas sans dire un blasphème. Ceci équivaut à dire que Dieu n’est pas le créateur s’il n’avait pas sa propre Parole créatrice qui est de Lui…”[5]
“Si Dieu est, et qu’il est appelé, la Fontaine de Sagesse et de vie, comme le dit Jérémie ‘Car mon peuple a commis un double péché: Ils m’ont abandonné, moi qui suis une source d’eau vive, Pour se creuser des citernes, des citernes crevassées, Qui ne retiennent pas l’eau.’[6] ….
Cela implique que la Vie et la Sagesse ne sont pas étrangères à l’essence de la fontaine, mais sont propres à celle-ci, ni qu’il y eut un temps sans existence, mais elles furent depuis toujours. Maintenant, le Fils est tout cela, car il dit ‘ Je suis la vie’ [7] et ‘ Moi, la sagesse, j’ai pour demeure le discernement, Et je possède la science de la réflexion.’[8].
N’est-il pas alors irréligieux de dire ‘Il fut un temps où le Fils n’était pas’ ? …car ceci équivaut à dire ‘Il fut un temps où la fontaine était sèche, privée de Vie et de Sagesse’. Mais une fontaine cesserait alors d’être car ce qui n’a pas été engendré de son sein n’est pas une fontaine….
Et encore ceux-ci, alors que Dieu est appelé la fontaine de Sagesse, ose l’insulter comme stérile et vidée de sa propre Sagesse. Mais leur doctrine est fausse, la vérité témoigne que Dieu est la Fontaine éternelle de sa propre sagesse, et, si la fontaine est éternelle, la Sagesse doit être aussi éternelle , car en elle, toutes choses ont été faites, comme le dit David ‘Que tes œuvres sont en grand nombre, ô Eternel! Tu les as toutes faites avec sagesse. La terre est remplie de tes biens.’ [9]…
Et cette Sagesse est la Parole, et par elle, comme le dit Jean, ‘toutes choses ont été faites’ et ‘rien n’a été fait sans elle [10]. Et cette Parole est le Christ ; parce qu’ ‘il n’y a qu’un seul Dieu, le Père, de qui viennent toutes choses et pour qui nous sommes, et un seul Seigneur, Jésus-Christ, par qui sont toutes choses et par qui nous sommes.’ [11] Et si toutes choses sont par Lui, Lui-même ne doit pas être compté dans le ‘toutes choses’. Car celui qui osera parler ainsi de ‘Lui’, ‘Lui’ (le Logos) par qui sont toutes choses, aura sûrement des spéculations semblables concernant Dieu [spéculations qui seront ainsi blasphématoires car Dieu est le créateur de toutes choses (Gen1 :1, Actes 14 :15, Heb 11 :3 ..)].” [12]
“S’il s’agissait d’un homme, il faudrait parler humainement de son verbe et de son fils ; s’il s’agit de Dieu qui a créé les hommes, il ne faut plus penser humainement, mais se lever au-dessus de cette nature. Tel est celui qui engendre, tel forcément est l’engendré ; tel donc est le Père du Verbe, tel est son Verbe. L’homme, engendré dans le temps, engendre à son tour dans le temps ; comme il vient du néant, son verbe a une fin et ne persiste point. Dieu n’est pas comme l’homme, l’Écriture le dit, il est l’être (cf. Ex 3, 14) et il existe toujours ; son Verbe est donc l’Être et est éternellement avec le Père, comme la splendeur avec la lumière.” [13]
On pourrait continuer les citations, mais il est primordial de voir et d’apprécier la cohérence du discours d’Athanase pour montrer la divinité du Fils, la Parole, le Logos.
Ces arguments sont toujours ontologiques, et démontrent avec clarté et brillance que si nous attribuons un caractère “fini” à l’essence même du Logos, alors nous blasphémons, car cet attribut rejaillira directement sur l’essence même de Dieu le Père (car le Père et le Fils sont Un).
Pour résumer les points qui m’ont le plus touché, il y a six arguments qui me paraissent d’une grande valeur :
1) Dieu le Père a éternellement engendré le Fils de la même nature que lui-même.
2) Le Fils est la radiance du Père, l’expression de son être : il ne peut exister un temps au cours duquel Dieu fut privé de sa radiance ou de son expression, car Dieu sans sa Gloire ou son expression ne serait plus Dieu.
3) Dieu le Père est La Source de la Vie, La fontaine de la Sagesse qui ne peut être privé de Celui qui est lui-même Vie et Sagesse (le Logos).
4) Dieu ne peut avoir existé sans son Logos : ce Dieu ne serait plus Dieu, il ne serait plus le Dieu créateur. En effet, Paul parle de Dieu en disant que c’est “de lui, par Lui, et pour Lui que sont toutes choses” (Rom 11 :36)…or comment aurait-il put être privé, même pour un temps, du Logos qui est celui qui soutient “…toutes choses par sa parole puissante” (Heb 1 :3) et par qui “sont toutes choses” (Col 1 :16). Les manières dont sont définies Dieu et le Logos imposent alors une nécessité d’égalité ontologique éternelle.
5) Il ne peut exister un temps où Dieu fut privé de sa Sagesse, car il ne serait plus Dieu pendant ce temps, or ceci est impossible car Dieu ne change pas (Ps 90 :2, Jc 1 :17) et le Logos ne change pas (Heb 13 :8).
6) Dieu étant invariant, il ne peut exister un temps où son expression serait différente. (Heb 1 :3)
Ensuite, dans “De l’incarnation du Verbe”, Athanase va plus s’attarder sur l’incarnation du Logos et sur la raison de celle-ci.
Voici des paroles d’Athanase qui ont retenu mon attention :
“Puisque j’ai à parler de la venue du Sauveur, il me faut parler aussi des débuts de l’humanité : tu verras que nous avons été cause de sa venue, que notre transgression a excité la bénignité du Verbe si bien que le Seigneur est descendu vers nous et est apparu parmi les hommes. Nous avons été l’objet de son Incarnation et pour nous sauver il a été bon jusqu’à exister et se montrer dans un corps mortel… Car Dieu ne nous a pas seulement faits du néant mais nous a accordé de vivre selon Dieu par la grâce de son Verbe. Les hommes se sont détournés des choses éternelles et par la transgression du diable, s’étant inclinés vers la corruption, ils ont été la cause de leur propre déchéance dans la mort. Ils étaient corruptibles par nature, il est vrai, mais par la grâce de la participation du Verbe, ils auraient échappé à leur sort naturel s’ils étaient restés bons.” [13]
“Que devrait faire Dieu ? Que faire sinon renouveler la similitude de l’image pour que par elle les hommes puissent de nouveau le connaître ? Comment y arriver si l’Image même de Dieu n’était venue à nous, notre Sauveur Jésus Christ ? L’intervention des hommes était impuissante puisqu’eux aussi sont seulement conformes à l’image ; les anges n’y pouvaient rien non plus puisqu’ils ne sont pas images. Le Verbe de Dieu vient en personne, pour qu’en sa qualité d’Image de Dieu il pût recréer l’homme selon l’image. Cela ne pouvait se faire si la mort et la corruption ne disparaissaient pas ; il a donc convenablement pris un corps mortel pour y faire disparaître à jamais la mort et renouveler les hommes selon l’Image. On n’avait besoin pour cela que de l’Image du Père… le Verbe s’est partout déployé : en haut, en bas, dans la profondeur et la largeur ; en haut pour la création, en bas pour l’incarnation, dans la profondeur pour l’enfer, dans la largeur pour le monde ; tout est plein de la connaissance de Dieu.” [14]
Comme nous le voyons, il était important pour Athanase de souligner que l’incarnation avait une visée sotériologique, pour que nous puissions retrouver cette “imago Dei” entaché lors de la chute.
Ceci n’est possible que dans l’union au Logos incarné, en étant alors sans cesse renouvelés de gloire en gloire, par l’Esprit, en l’image même du Logos incarné (2 Cor 3 :18, Rom 8 :28-31) jusqu’à son retour où nous revêtirons alors un corps glorifié, et que nous serons alors totalement libéré du péché, de la chair et de la mort.
De plus, il est important de voir qu’Athanase préserve l’intégrité de la doctrine de l’incarnation, en évitant les pièges docétistes et l’erreur de l’Apollinarisme.
Cette visée eschatologique est aussi reprise dans son “Discours contre les Ariens” :
“L’ouvrage de Dieu, l’homme créé parfait, devint misérable par sa désobéissance et mort par son péché. Il ne convenait pas que l’ouvrage de Dieu demeurât imparfait….C’est pour cela que le Verbe parfait de Dieu se revêt de ce corps imparfait [14] ; il veut payer notre dette à notre place et parfaire en sa personne ce qui manquait à l’homme. Or, ce qui manquait à l’homme, c’était l’immortalité et la route du Paradis.” [15]
“En effet , si les œuvres de la divinité du Verbe n’avaient pas été accomplies dans un corps, l’homme n’aurait pas participé à la divinité [16] ; de même si l’on refusait d’admettre pour le Verbe ce qui est de la chair, le Verbe n’aurait pas assumé l’homme en Lui….Mais maintenant de même que, tous issus de la terre, nous mourrons en Adam, ainsi rénovés d’en haut par l’eau et par l’Esprit, nous sommes tous vivifiés dans le Christ, notre chair n’étant plus liée à la terre, mais transfigurée par le Verbe de Dieu, fait chair parmi nous.”[17]
Ainsi, dans sa théologie, Athanase a su préserver deux vérités christologiques fondamentales :
1) Dieu le Fils est pleinement Dieu, il est le Fils éternellement engendré par le père … Ainsi Jésus est Dieu, de toute éternité.
2) Dans son incarnation, le Logos a revêtu un corps humain et il s’est abaissé …devenant ainsi complétement homme (Phil 2 :5-11).
Il a su défendre ces deux vérités et montrer qu’elles étaient essentielles pour notre foi et pour notre Salut. Ce sera le concile de Chalcedoine (451) qui rappellera ces vérités des deux natures du Christ, et qui trouvera une formule théologique (union hypostatique) qui permette de préserver l’intégrité des deux natures dans la personne du Christ.
Il ne va pas sans dire que, sûrement comme pour Athanase, la nature de Dieu et le mystère de l’incarnation comportent beaucoup de choses incompréhensibles, mais, comme le fit Athanase, nous nous devons de toujours affirmer et proclamer toute la Parole de Dieu : la divinité du Fils et son Incarnation en font parties et font parties des non-négociables de la sainte doctrine apostolique qui nous a été “délivrée une fois pour toutes” (Jude 1 :3).
Nous nous devons de ne jamais bâtir sur aucun autre fondement que celui-ci (1 Cor 3 :11-15).
DS
Notes et références :
[1] ARIUS, la Thalie, extraits qui portent la dénomination de blasphèmes d’Arius, trad. Y. N. LELOUVIER, L’affaire Arius : Jésus est-il Dieu ? », dans Notre histoire, 171-172, 1999, p. 26. [2] Discours contre les ariens, Athanase, I,4. [3] Lettres aux Evêques d’Egypte, Athanase, 14. [4] « The Nicene and Post-Nicene Fathers », Second Serie, Athanasius Vol 4,I-12, p 313 (Ed. Eerdmans). [5] « The Nicene and Post-Nicene Fathers », Second Serie, Athanasius Vol 4,I-17, p 316 (Ed. Eerdmans). [6] Jérémie 2 :13. [7] Jean 14 :6. [8] Proverbes 8 :12. [9] Psaumes 104:24. [10] Jean 1:3. [11] 1 corinthiens 8:6. [12] « The Nicene and Post-Nicene Fathers », Second Serie, Athanasius Vol 4,I-19, p 317 (Ed. Eerdmans). [13] ATHANASE D'ALEXANDRIE, CA II, 35, trad. F. Cavallera, o. c., p. 114. [14] ATHANASE D'ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, 4-5. [15] ATHANASE D'ALEXANDRIE, Sur l'incarnation du Verbe, 13-16. [16] Langage mêlant l’incarnation et la substitution, car Jésus n’avait pas revêtu un corps pécheur (heb 4 :15 ; heb 11, 1 Jn 3 :5 …), mais bien un corps humain (Phil 2 :5-11) pour que le péché lui soit imputé (2 Cor 5 :21). [17] « Discours contre les Ariens » II, cité dans le chapitre « pourquoi l’incarnation ? » in “Athanase d’Alexandrie”, J-M Leroux, p61.