Voici pourquoi vous devriez arrêter de vous servir du « lexique » Strong

Nombre de mes contacts sur les réseaux sociaux et des lecteurs assidus de ce blog font appel à la concordance Strong apparement traduite en Français par Yves Petrakian (puisqu’il en possède encore le copyright, à ma connaissance). Depuis quelques années, j’encourage pourtant à abandonner cette ressource, non pas parce qu’elle est mauvaise en soi mais parce que son usage produit une interprétation des textes souvent erronée, voire dangereuse.

Explications.

 

 

Quatre problèmes que pose votre usage de Strong

1- Une concordance, pas un lexique

Tout d’abord, Strong n’est pas un lexique, mais une concordance qui liste chaque terme original du canon biblique. Elle est d’ailleurs fort ancienne (1890) et n’analyse que les termes présents dans la reconstruction du texte original servant de base à la King James Version (une variante du Textus Receptus, si cela vous intéresse). Elle offre certes une explication assez limitée de chaque terme original, et elle renvoie parfois à certains lexiques plus élaborés (voir ci-dessous). Cependant, Strong se base essentiellement sur les hypothèses de traduction de la King James qui, malheureusement, ne sont pas toujours les meilleures.

 

2- Le contexte littéraire est rarement pris en compte

Outre le fait qu’ils ne soient basés que sur une seule « famille » de textes, les annotations de Strong ne privilégient que quelques-uns des multiples sens qu’un terme peut recouvrir. Elles ne tiennent pas compte du contexte dans lequel chaque terme se trouve, alors que celui-ci est souvent le principal agent pour la définition du sens d’un mot. Si je parle par exemple d’un port où se trouvent des bateaux, je n’utilise pas le mot port de la même manière que dans l’expression « frais de port ». C’est bien le contexte qui doit prioritairement déterminer l’usage du mot « port », comme c’est en réalité le cas pour n’importe quel terme.

Les adeptes de Strong qui ne maîtrisent pas les principes fondamentaux de l’herméneutique risquent de tomber dans la « lexicomania » (« un même mot a le même sens partout ») ou dans l’erreur mot-concept (« un même mot désigne toujours le même concept »). La signification d’un terme est celle voulue par l’auteur du texte qui le contient. Affirmer le sens d’un mot spécifique dans un contexte donné sur la base de la concordance Strong est source d’erreur.

 

3- L’emploi de lexiques désuets

Même quand les sites web utilisant Strong renvoient vers un lexique (le plus souvent vers Thayer’s Greek-English lexicon, les sites proposant une version française de Strong le font très rarement), elles font appel à des ressources libre de droit datant d’avant 1895. Pourquoi cette date est-elle importante ? Parce que la plupart des spécialistes antérieurs à la publication du Bibelstudien de Deissmann croyaient que le grec du NT était le « Grec du Saint Esprit », en raison du faible nombre de parallèles des termes employés dans la littérature séculière. Deissmann et de nombreux spécialistes après lui ont largement démontré le caractère fallacieux de de ce présupposé (sur lequel se basent d’ailleurs les annotations de Strong) et ont, de fait, rendu obsolètes presque tous les lexiques publiés avant cette date.

Le Thayer’s Greek-English lexicon, publié en 1886, était désuet peu de temps après sa sortie de presse, et pourtant il est encore utilisé aujourd’hui par de nombreux étudiants du Nouveau Testament… Je n’ai pas analysé les différents lexiques Grecs-Français disponibles, je ne me hasarderai donc pas à vous proposer des ressources de substitution. En anglais, BDAG a ma préférence.

 

4- Sophismes étymologiques

Même l’étymologie d’un terme peut vous tromper. Je conçois que le radical d’un terme original peut sembler évoquer un terme proche en français, mais cette approche est risquée. Par exemple, si le mot « pharmacie » a une connotation positive en français (sauf pour ceux qui ne se soignent pas ou pour les antivax), en grec pharmakeia désigne la magie et la sorcellerie ! (cf. par ex. Ga 5.20).

Une fois encore, le contexte est clé et Strong ne peut vous faire prendre le raccourci interprétatif que vous recherchez.

 

 

Alors que faire ?

La concordance Strong peut être efficacement utilisée en tant qu’index des occurrences d’un terme original dans les textes bibliques (mais cela sera limité aux manuscrits utilisés par la King James, et vos Bibles modernes se limitent rarement à ceux-ci). Il s’agit d’un excellent outil pour identifier d’autres occurrences d’un même terme en utilisant son numéro (car cela ne nécessite pas que vous soyez capables de lire la langue originale). C’est donc une concordance des termes originaux accessibles à ceux qui ne peuvent pas lire ces langues.

Les annotations offertes par la concordance Strong sont très limitées et doivent être considérées avec beaucoup de précautions. Elles peuvent cependant être utiles pour offrir une compréhension générale d’un terme original donné. En revanche, elles ne peuvent en aucun cas être utilisées comme source unique pour justifier la signification ou la définition du mot dans un contexte textuel spécifique.

Préférez une bonne formation herméneutique qui vous offrira les bases nécessaires à l’interprétation d’un texte. Regardez par exemple cette formation gratuite de Florent Varak.

 

 

 

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Guillaume Bourin est co-fondateur du blog Le Bon Combat et directeur des formations #Transmettre. Docteur en théologie (Ph.D., University of Aberdeen, 2021), il est l'auteur du livre Je répandrai sur vous une eau pure : perspectives bibliques sur la régénération baptismale (2018, Éditions Impact Academia) et a contribué à plusieurs ouvrages collectifs. Guillaume est marié à Elodie et est l'heureux papa de Jules et de Maël