5 facettes de l’amour de Dieu à la loupe
C’est un fait, et nous en avons déjà dit quelques mots (voir ici) : dans les Écritures, l’amour de Dieu peut recouvrir plusieurs sens distincts. Dans son ouvrage, The Difficult Doctrine of the Love of God (Crossway, 2000. Téléchargez le gratuitement ici), Don Carson en liste cinq. Je suis d’ailleurs particulièrement reconnaissant envers la revue Promesses pour la recension en Français qu’elle offre de cet ouvrage (voir ici). À mon sens, celui-ci devrait être traduit en Français
Dans le cadre d’un projet éditorial, j’ai récemment réfléchi avec davantage de profondeur sur ces cinq aspects de l’amour de Dieu proposés par Carson, et j’aimerais faire quelques commentaires à ce sujet.
L’amour intra-trinitaire entre le Père et le Fils
Celui-ci s’exprime dans la relation parfaite qui existe entre les deux personnes de la trinité, relation qui n’est en aucune manière entachée par le péché. Voici ce qu’en dit Jeff Robinson dans l’article mentionné en introduction :
« L’amour intra-trinitaire ne marque pas uniquement la différence entre le monothéisme chrétien et les autres monothéismes, mais il est étonnamment lié à la révélation et la rédemption. L’évangile de Jean est particulièrement riche à ce sujet (cf. Jean 3:35 ; 5:20). Cet amour intra-trinitaire s’exprime dans la relation parfaite qui existe entre le Père et le Fils, relation qui n’est en aucune manière entachée par le péché. Cependant, bien que cet amour intra-trinitaire serve de modèle à celui qui régit la relation entre Jésus et les siens, il n’y existe aucune dimension de rachat du Fils par le Père, ni le moindre pardon exprimé ou reçu. »
Cette lecture de l’amour de Dieu est difficilement contestable. Le lien d’amour qui unit les personnes de la Trinité est le fondement même de son « amour temporel », celui dont ceux qui sont en alliance avec lui bénéficient.
L’amour providentiel de Dieu pour sa création
Parce qu’il aime le monde qu’il a créé, il en prend soin, au point de recouvrir de gloire l’herbe des champs et de nourrir les passereaux (Mt 6.25-34). C’est en vertu de cet amour général, universel, que Dieu fait pleuvoir sur les justes comme sur les injustes (Mt 5.45). Bien qu’il déteste le péché et le pécheur (Ps 5.5-7; 11.15), il fait preuve de bonté et maintient la création en ordre de marche. Cette forme d’amour est le fruit de ce que l’on appelle la grâce commune (une grâce générale que tous les êtres humains expérimentent).
Deux éléments importants sont à noter : d’une part, cet amour est strictement limité à la préservation de la création et, pour certains théologiens, à la contention du péché – en d’autres termes il ne s’agit pas de l’amour salvateur que Dieu n’accorde qu’aux élus. D’autre part, puisque dans la Bible cette forme de providence divine n’est jamais directement associée à l’amour, certains questionnent légitimement le bien-fondé de cette catégorie proposée par Carson.
Je me positionne prudemment dans la deuxième catégorie : j’ai du mal à comprendre comment la grâce commune peut être associée à l’amour divin sans ouvrir une porte à une certaine forme d’universalisme. Je ne dis pas que Carson ou d’autres tombent dans ce piège, bien sûr. Mais si l’amour de Dieu est le fondement de sa grâce préservante & non salvateur, alors il nous faut parler de différents degrés d’amour plutôt que de différentes facettes (ou langages). Si l’on s’en tient au sens strict du concept d’amour, Dieu n’aime pas sa création déchue, à l’exception de ceux qui font d’ores et déjà partie de la nouvelle création.
L’amour salvateur de Dieu offert à un monde perdu
Même si Dieu juge le monde, il se présente également comme celui qui invite au salut et qui ordonne à tous les êtres humains de se repentir. Aux rebelles, le Seigneur souverain crie : « je ne prends pas plaisir à voir le méchant mourir, mais à le voir changer de conduite et vivre. Renoncez, renoncez à votre mauvaise conduite ! Pourquoi devriez-vous mourir, communauté d’Israël ? » (Éz 33.11). Cette offre, qui n’est efficace que si elle est acceptée, manifeste l’amour de Dieu envers des pécheurs qu’il ne peut pourtant pas agréer en l’état.
La même question s’applique ici : peut-on parler de l’invitation à croire comme un acte d’amour de la part de Dieu ? Je n’associerais certes pas cette invitation au concept de grâce commune (je crois qu’en Romains 1, la révélation générale condamne le pécheur et ne lui offre aucun moyen de salut) ; il y a dans cette invitation quelque chose de plus. Néanmoins, pouvons-nous légitimement parler d’amour ? Je ne veux pas aller trop loin dans ce raisonnement – Israël tout entier n’est-il pas au bénéfice de l’amour de Dieu, même dans sa situation en Égypte? cf. Osée 1.11. Et cependant cet amour est à rapprocher de son décret d’élection, voir ci-dessous.
L’invitation d’un réprouvé est-elle un acte d’amour de la part de Dieu, alors qu’il sera manifestement traité plus rigoureusement que s’il n’avait jamais entendu ? (cf. Mt 11.20-23 ; Hb 10.29). À minima, il faut reconnaître que si acceptons que l’invitation générale de l’Évangile procède de l’amour de Dieu, seules deux options sont possibles :
- Il nous faut parler de « degrés » d’amour plutôt que « d’aspects » ou de « facettes ».
- Ou bien il faut parler de deux concepts différents désignés par le même mot – c’est d’ailleurs où je m’en tiens, pour le moment (voir la conclusion).
L’amour spécifique de Dieu qui cible et transforme les élus
Ici, les élus peuvent être la nation d’Israël dans son ensemble (voir plus ci-dessus), l’Église en tant que corps, ou des individus spécifiques. Dans chaque cas, Dieu place son affection sur ses élus d’une manière particulière qui les distingue des autres. Cet élément distinctif n’a strictement rien à voir avec un mérite personnel ou national (Dt 7.7 ; 10.14) : il s’agit bien de l’amour spécifique de Dieu, là encore envers des êtres qui demeurent pécheur et qui devraient à ce titre être l’objet de sa colère.
L’amour de Dieu pour son peuple, soumis à la condition d’obéissance
Ici, Carson a en vue une forme d’amour qui structure la relation des croyants à leur Dieu, celui dont parle Jude lorsqu’il exhorte ses lecteurs à se « [maintenir] dans l’amour de Dieu » (Jude 21). Carson explique ce concept par une analogie :
Un père aime ses enfants indépendamment de ce qu’ils font, mais ces derniers savent très bien qu’ils ont pour responsabilité de demeurer dans cet amour. S’ils rentrent sans raison valable après l’heure prescrite, ils seront l’objet de remontrances et seront punis, et le père agira ainsi par amour pour eux.
Cette forme d’amour, profondément relationnel et connecté au concept d’alliance, est directement associée au salut accompli par Jésus Christ. Le terme amour est donc particulièrement approprié ici et ne souffre d’aucune contestation.
Que conclure ?
Vous l’avez compris, je questionne l’usage du terme « amour » pour désigner l’ensemble des relations de Dieu envers sa création, notamment quand le terme est appliqué à ses interactions avec les réprouvés. Certes, Dieu a « tant aimé le monde » (Jn 3.16) ; cependant seuls ceux qui croient sont sauvés et au bénéfice de cet amour (Jn 3.16 là encore). Dieu aimerait-il des gens… qu’il hait (cf. Ps 5.5-7; 11.15; Pr 6.16-19 ; Os 9.5 ; Es 59.2 ; Ap 2.6; etc.) ?
Il me semble qu’il faut accepter que Dieu « n’aime pas tout le monde de la même manière », non parce que son amour s’exercerait à des degrés différents (les « différents facettes » ne règlent rien, au final), mais parce que dans la Bible, le terme « amour » rend compte de plusieurs concepts différents, quelque soit d’ailleurs le terme original qu’il traduit. Je suggère donc de ne pas employer le terme amour pour qualifier ce qui relève de la grâce commune, et d’en user avec prudence lorsque nous parlons de l’invitation que constitue l’annonce de l’Évangile.