Que penser du Yoga ?
Je suis régulièrement sollicité pour donner mon avis sur les pratiques spirituelles orientales, au premier rang desquelles le Yoga. N’étant pas spécialiste du sujet, j’oriente généralement ceux qui s’adressent à moi vers Florent Varak. Celui-ci a rédigé il y a quelques années un document très complet sur ce sujet pour la commission éthique du réseau FEF (alors Fédération Evangélique de France), en compagnie de Peadar Somers. Vous retrouverez l’intégralité de ce document ci-dessous.
Introduction
A. Qu’est-ce qu’une religion ?
Le Petit Robert définit une religion de la manière suivante : « Ensemble d’actes rituels liés à la conception d’un domaine sacré distinct du profane, et destinés à mettre l’âme humaine en rapport avec Dieu » ; « Attitude particulière dans les relations avec Dieu » ; « Système de croyances et de pratiques, impliquant des relations avec un principe supérieur, et propre à un groupe social. »
Nous trouvons une religion lorsque plusieurs des caractéristiques suivantes sont présentes :
- L’homme est considéré comme une entité spirituelle
- L’homme a accès à une dimension spirituelle
- Il existe une méthode pour parvenir à cette dimension
Ainsi, tant par l’origine d’un mouvement (historique), par sa conception du monde (cosmologie), par sa visée (objectifs) et par ses pratiques (moyens), un observateur peut déterminer si tel ou tel mouvement se rattache ou non à une religion. Car un mouvement révèle sa nature lorsque son historique témoigne d’une recherche spirituelle, lorsque sa cosmologie affirme l’existence d’un monde spirituel, lorsque ses objectifs s’appliquent à faire passer l’homme dans des sphères spirituelles, et lorsqu’il propose à ses adhérents des gestes propres à éveiller une conscience spirituelle.
Il s’entend qu’il existe bon nombre de mouvements religieux aux conceptions opposées ! L’école laïque ne doit ni les défendre, ni les attaquer, mais veiller à ce que les partisans des mouvements les plus divers puissent cohabiter et apprendre sans être gêné dans leur conscience.
B. Qu’est-ce que la laïcité ?
La loi du 28 mars 1882 proclame la « neutralité confessionnelle de l’école publique » (voir particulièrement les articles 1 à 3). L’article 14 du 1er Juillet 1901 interdit d’enseigner aux membres des congrégations religieuses., renforcé par la loi du 7 juillet 1904. L’article 30 de la loi du 9 décembre 1905 stipule que l’enseignement religieux ne peut être donné qu’en dehors des heures de classe. Une longue circulaire du 12 décembre 1989 de l’Education nationale et de la Jeunesse et des sports détaille l’attitude des enseignants à l’égard de la laïcité :
L’École publique ne privilégié aucune doctrine. … L’École publique respecte de façon absolue la liberté de conscience des élèves. …
En conséquence, dans l’exercice de leurs fonctions, les enseignants, du fait de l’exemple qu’ils donnent explicitement ou implicitement à leurs élèves, doivent impérativement éviter toute marque distinctive de nature philosophique, religieuse ou politique qui porte atteinte à la liberté de conscience des enfants ainsi qu’au rôle éducatif reconnu aux familles. L’enseignant qui contreviendrait à cette règle commettrait une faute grave.
C. Objectif du mémoire
Puisqu’un certain nombre d’établissements scolaires ont intégré l’enseignement du yoga, il convient de déterminer si ceci est compatible avec le principe de laïcité. Après avoir tracé un bref historique nous évaluerons la doctrine du Yoga à trois filtres révélateurs de la nature religieuse d’un mouvement. Nous utiliserons les propos des enseignants du yoga, afin qu’il ne nous soit pas fait l’accusation de malhonnêteté !
Historique du Yoga
Le yoga classique indien provient d’un texte attribué à Patanjali dont on connaît peu de choses. Il aurait vécu au Pendjab au IVè siècle avant notre ère. Ce texte formule l’essentiel de la pensée et de la pratique du yoga, les écrits postérieurs n’en sont que des commentaires. Cette collection de maximes écrites en sanscrit porte le nom de yoga-sutras (aphorismes sur le yoga (1)). Ces courtes phrases sont difficilement compréhensibles ; elles sont mémorisées par l’étudiant, puis commentées par des spécialistes dans les ashrams.
Il convient par conséquent de lire les Yoga-sutras avec les explications fournies par Vyasa (IIè s. avant notre ère ?), Vacaspati Mishra (IXè s. ?), Bhoja (XIè s.), Vijnana Bhikshu (XVIè s.) et d’autres. (2)
Différents courants se manifestent ayant la même visée spirituelle, et plus ou moins la même technique d’approche.
On préfère aujourd’hui admettre que le yoga hindou n’est qu’un aspect particulier de tout un ensemble de pratiques et de doctrines diffusées dans le monde au début de l’âge des métaux ; visant au salut individuel (et non plus collectif) par l’apprentissage d’une vérité intime (et non plus extérieure) acquise grâce à des prouesses corporelles et mentales, elles ont en commun la mise en avant de la volonté comme facteur essentiel (mais non pas unique) de progrès spirituel […].
A une date plus récente [du 4è s. av. J.-C. au VIè s. après] […] sont décrites des pratiques héroïques ou spectaculaires (postures acrobatiques, manifestation de pouvoirs surnaturels, pénitences extraordinaires, suicides publics) ordonnées cependant à la poursuite d’un but spirituel qui seul les distingue des tours accomplis par les magiciens de foire.
Plus tard encore, lorsque l’islam et le christianisme s’implantent en Inde, le yoga, tout en gardant sa spécificité (et notamment son caractère spectaculaire), tend à se spiritualiser : la recherche des pouvoirs magiques, pourtant cautionnée par Patanjali (le chapitre III des Yoga Sûtras leur est consacré), passe au second plan ; […] L’accent est mis alors sur l’enseignement métaphysique (ou religieux, selon certaines écoles), comme on le voit par exemple dans l’œuvre de maîtres contemporains tels que Vivékânanda ou Aurobindo. (3)
Hatha-Yoga-Pradipika :- « Ouvrage de référence du XVIè siècle sur le Hatha-Yoga. En quatre chapitres de 395 versets, Svâtmârâma, l’auteur, rapproche les exercices du Hatha-Yoga de ceux du Râja (ou Royal)-Yoga et montre comment ils se complètent. Après un exposé très détaillé, il en arrive à la conclusion que le Râja-Yoga commence là où finit le Hatha-Yoga. » (4)
« Cette science glorieuse resplendit comme une échelle pour qui désire atteindre les cimes du Râja-Yoga » (chapitre 1 v.1). « A ceux qui ne peuvent connaître le Râja-Yoga, …. Svâtmârâma dans sa compassion offre cette « lampe du hatha-yoga » » (chapitre 1 v.3). [Hatha-Yoga-Pradipika, Traduction française, Fayard, Paris, 1975.]
Cosmologie du Yoga
Littéralement: « joug », recherche de « l’attelage », de l’union avec Dieu. (5)
Le yoga part de l’idée que tout est souffrance dont il faut être délivrée. Cette douleur est causée par la « séparation d’avec l’essence (l’Absolu, le brahman) : l’âme individuelle (en sanskrit atman) qui n’est pas différente de cet Absolu, mais qui, réduite par le poids des actes accomplis dans les existences antérieures (karman) à s’incarner dans un corps vivant, souffre de cette condition déchue et aspire à retourner se fondre dans le principe universel dont elle est issue » (6).
Hatha-Yoga : « A l’origine, ce yoga n’était qu’une technique du Râja-yoga ou Yoga-royal enseigné par Patanjali [fondateur de la philosophie du Yoga qui vivait vers le 11è siècle avant Jésus Christ. (Il n’attache aucune importance à la métaphysique théorique; il cherche à montrer la voie pratique qui mène au salut et à la délivrance par l’activité disciplinée. C’est dans ce but qu’il rédigea son Yoga-Sutra.) Cette technique (Hatha-Yoga) permettait de stimuler l’activité des centres d’énergie psychique (Chakra) afin de faire progresser la Kundalini vers des degrés de conscience plus élevés. Les principaux exercices de cette méthodes sont les asana et le pranayama, le contrôle des flux de prana. Le but de l’exercice est de réunir Ha (le souffle solaire, connu sous le nom prana) et Tha (le souffle lunaire ou Apana), ce qui confère des pouvoirs spirituels au Hatha-Yogi (i.e. le pratiquant) et permet à la Kundalini de commencer à gravir les six chakras. Le Hatha-Yoga enseigne différentes postures physiques et différents exercices de purification. De nos jours, son principal objectif est devenu la santé physique. Quand on parle de Yoga en Occident, c’est presque toujours au Hatha-Yoga que l’on fait référence. Une multitude de professeurs et d’écoles l’enseignent. » (7)
Selon l’hindouisme la vie humaine est transcendantale et cyclique, d’où vient la doctrine de la réincarnation. Elle est pleine de douleurs et chagrins qui sont à la base de la condition de l’homme. Le but du yogi est de se retirer de ce cycle douloureux de la mort et d’atteindre l’immortalité. Cette libération (salut) est entraînée par la mort de sa propre humanité en devenant un avec l’absolu. Ainsi il devient un « jîvanmukta » c’est-à-dire « délivré de son vivant ». A travers le yoga un homme profane peut devenir sacré ou divin. (8)
Il y a une polyvalence des pratiques yogiques comme le Karma-Yoga ou le Bhakti-Yoga ou le Râja-Yoga (yoga-royal), mais quand on parle de yoga en Occident on évoque en général le Hatha-Yoga qui est une forme de yoga basée sur l’association d’exercices physiques (âsana) et d’exercices respiratoires (Prânâyâma). En Inde ce yoga est considéré comme une phase de préparation aux formes spirituelles du yoga. Pour les peuples de l’Orient les pratiques yogiques sont des voies sotériologiques : « presque tout est ou devient une voie pour l’obtention du salut. » (9)
Ainsi nous découvrons que le yoga comporte une vision du monde qui implique la croyance en :
- un Absolu,
- une âme qui doit rejoindre cet Absolu,
- la réincarnation.
Cette conception du monde est éminemment religieuse !
Objectif du Yoga
L’objectif des Yoga-sutras est de donner un cours complet de yoga, c’est-à-dire d’indiquer comment on parvient au samadhi libérateur (ou délivrance) au terme d’un voyage intérieur difficile comportant huit étapes … Le yoga n’est pas autre chose que la méthode (c’est l’un des sens du mot yoga) permettant de réaliser ce retour à l’Être, au cours de l’expérience du samadhi. (10)
[Le samadhi,] que Mircea Eliade a proposé de traduire par « entase » (car il est le contraire de l’extase : non pas ravissement, sortie de soi, mais réintégration, intériorisation parfaite), désigne à la fois le moment où la délivrance s’opère et l’état permanent qui, désormais, sera celui de l’homme libéré. (11)
« Le Hatha-Yoga se donne pour but, .. la réintégration de l’individu dans une totalité plus vaste, de nature divine, constituée de deux grands pôles universels, que la mythologie figure sous les aspects de Shiva et de Shakti. Le Hatha-Yoga tantrique appartient à la mouvance du Shivaïsme; en tant que pratique, il s’intègre dans une métaphysique qui atteint parfois des sommets d’une finesse rare, afin de préserver la transcendance du dieu Shiva. Le Grand Suprême est inaccessible, mais il porte en lui son énergie cosmique, sa faculté d’extériorisation, son émanation créatrice, symbolisée par la grande Déesse mère-amante. Quand l’homme, par le samâdhi, s’approche de l’extrême puissance de ces archétypes divins, il en éprouve un amour et une terreur simultanés autant qu’illimités: » (12)
La tradition indienne, tant hindoue que bouddhique, désigne sous le nom de yoga (action d’atteler, de maîtriser, de dompter ) une technique de salut originale qui se propose de libérer l’âme de sa condition charnelle par l’exercice de disciplines psychiques et corporelles. Le point de départ en est la croyance en l’existence, à l’intime de chaque individu, d’un principe éternel (atman, âme ) identique à l’Esprit universel (purusa, ou brahman) ; cette essence est en quelque sorte exilée dans le monde de l’existence où elle est condamnée à se réincarner indéfiniment, passant de corps en corps à la manière d’un oiseau migrateur (hamsa, oie sauvage)…
Cependant, la lumière qui émane d’elle (l’âtman est comme un feu qui brûle dans le cœur de chaque être) parvient, dans certains cas, à illuminer la pensée (manas), qui joue le rôle du cocher dans la symbolique du char. Ayant pris conscience de la condition malheureuse de son âme, l’individu ainsi éclairé s’efforce de maîtriser les chevaux de l’attelage jusqu’à parvenir à l’arrêt complet du véhicule — circonstance unique (car normalement la course n’a pas de fin, même si le char est différent à chaque vie nouvelle) dont l’âtman profitera pour quitter à jamais sa condition de passager involontaire. C’est là tout le programme du yoga ; et l’on voit immédiatement quelle place privilégiée il accorde à l’esprit humain (manas) : les exercices corporels n’ont de valeur, dans cette perspective, que dans la mesure où ils contribuent à donner à la pensée la plénitude de sa puissance. (13)
[…] un ensemble d’exercices psychiques et corporels orientés vers l’obtention d’un bien spirituel […] le yoga est aussi une alchimie, puisqu’il se propose de transmuer l’individu afin de lui permettre de sortir du monde phénoménal, de quitter la multiplicité existentielle pour atteindre l’Unité essentielle et se fondre avec elle. (14)
Le but du Yoga, … est de supprimer la conscience normale au profit d’une conscience qualitativement autre, qui puisse comprendre exhaustivement la vérité métaphysique. Or, la suppression de la conscience normale n’est pas, pour le Yoga, si facile à obtenir. Outre la gnose, le darçana, elle implique encore une « pratique » (abhyasa), une ascèse (tapas), bref: une technique physiologique, par rapport à laquelle la technique strictement psychologique est subsidiaire. (15)
« Sa fin ultime, son vrai but est de préparer l’homme à acquérir cette quiétude de l’esprit nécessaire à la réalisation du « Suprême », ou « conscience du Divin ». » (16)
Cet objectif est éminemment religieux !
Pratiques du Yoga
A. En Inde
Au départ, l’assistant doit commencer par dépouiller le vieil homme et, notamment, par renoncer au monde de la façon la plus concrète : abandonner ses biens et sa vie familiale, s’abstenir de tous les plaisirs, s’engager à rester toujours équanime, recueilli, studieux, attentif, fidèle à son maître, etc. Après un temps de noviciat, lorsque le guru (maître spirituel) juge que le désir de s’exercer au yoga est sincère, un premier enseignement porte sur les postures (asanas) et le contrôle du souffle (pranayama). Le yoga, en effet, cherche à détruire la vaine agitation, caractéristique de la vie profane, pour discipliner l’énergie vitale. Une autre étape importante est l’apprentissage de cette concentration : le disciple s’entraîne à se couper du monde extérieur par la pratique du retrait des sens et de l’attention fixée sur un seul point. Quand il arrive à ne penser qu’à une seule chose tout en demeurant parfaitement immobile, en respirant lentement et en étant effectivement insensible à tout phénomène extérieur, il peut aborder l’étape décisive de la méditation profonde. […] En fait, lorsque le disciple est parvenu à ce stade, il a touché au but : le samadhi se produit de lui-même, de façon mystérieuse ; c’est une porte qui brusquement cède, contre laquelle on avait pesé durant de longs moments… Effectivement libéré, assuré de ne plus jamais renaître, l’individu peut vivre encore pour un temps indéterminé, mais, en réalité, il n’appartient plus à ce monde puisque ce qui constitue son être véritable (l’atman) a fait retour à l’Être en soi (le brahman). (17)
B. En France
« Le cours se déroule selon une structure précise, qui a fait l’objet de recherches approfondies et durables. Actuellement, en Europe, de nombreuses formes ou écoles coexistent; chacune pose des accents spécifiques et fait de certains exercices des éléments clés de sa pédagogie… Mais, quel que soit le style adopté, il y a toujours un schème directeur, une cohérence, une visée: la leçon ne peut en aucun cas se réduire à une séquence de postures ou de rythmes respiratoires sans ordre implicite ou sans progression, ou alors il s’agira de créations fantaisistes n’ayant de Yoga que le nom. Le plus souvent, une séance très complète présente six phases successives.
Au début, un temps plus ou moins long est consacré à la détente: la relaxation en position couchée permet de passer des activités précédentes à un état de calme intérieur, favorisant l’apaisement du rythme cardiaque et de la respiration; c’est une entrée en soi, une approche de l’immobilité et du silence, parfois difficile, mais combien nécessaire dans le mode de vie actuel.
On distingue ensuite, selon les styles de pédagogie, divers exercices destinés à préparer corps et mental pour les postures (e.g. « la salutation au soleil »)…..
La troisième phase, habituellement la plus longue, concerne les postures: on les exécute dans un certain ordre, qui provoque un recentrement et une harmonisation, en même temps physique et psychologique; entre chacune, on prend soin de laisser un moment de décontraction et d’intégration, avant d’entrer dans la suivante. Dès le début du cours, la respiration constitue le repère essentiel et permanent: elle accompagne la détente initiale, s’amplifie grâce aux mouvements préparatoires, se modèle sur chaque posture, induisant une dynamique subtile, invisible, mais fondamentale, car sans elle, l’exercice perdrait son intériorité. …. Cependant, on consacre, après la succession des postures, un moment plus ou moins prolongé au travail exclusif sur le souffle: les élèves sont assis, dans une position confortable — le corps se faisant un peu « oublier » ici — et ils pratiquent le prânâyama, selon des données reçues par les traités traditionnels depuis les Yoga-sûtras de Patanjali. Cette quatrième phase offre une certaine variété et le souffle y devient une sorte de matériau impalpable que l’on « sculpte », ou encore un chemin invisible vers la profondeur de soi-même. Extrême attention et total abandon sont requis: on se souvient que ces deux qualités, déjà, faisaient partie des conditions préalables à toute pratique dans les Yoga-sûtras. Le prânâyama, en dehors de contextes très particuliers, ne peut être proposé aux Européens que sous un aspect a-religieux; il n’empêche que son approfondissement débouche sur une sacralisation du souffle comme symbole de l’élan vital, de la conscience lumineuse, et, éventuellement, d’un don divin: à l’enseignant de savoir susciter cette dimension en conservant à chaque élève son espace de liberté. Le prânâyama se prolonge dans des états de concentration, et même de méditation, abordés progressivement, avec prudence, lorsqu’une connaissance de soi fondée sur l’harmonisation du corps et de l’esprit a établi une base structurée, ferme, assurance d’équilibre. … Cette cinquième phase nécessite un environnement calme, une écoute favorable et un certain entraînement à la vie intérieure; elle durera cinq minutes ou une heure… plus parfois!
Enfin, au moins dans notre mode de vie quotidien, il est nécessaire de réserver une transition entre cet état qui couronne la séance de Yoga et le retour aux activités habituelles. …On prend donc le temps de « refaire surface », accordant au passage une grande importance, car il est sage d’éviter toute cassure entre l’intériorité si délicate et si subtile obtenue par une séance bien conduite, et les préoccupations multiples de l’existence.
….Cette formulation contemporaine est-elle infidèle au darshana indien originel ? Bien que l’aspect change considérablement, l’esprit paraît respecté. Ainsi, …les six étapes que l’on a – un peu artificiellement peut-être – distinguées, se conforment, dans une relative mesure, aux angas, aux « membres » du Yoga de Patanjali. » (18)
C. Portée spirituelle de ces pratiques
Ces différentes étapes ne se comprennent que par référence à la doctrine du corps subtil qui, chez chacun d’entre nous, double le corps grossier seul accessible au sens. Ainsi, la tenue du souffle, ou pranayama, sert-elle à permettre au prana (souffle inspiré) d’atteindre un Centre (cakra, roue) situé à la base du corps subtil. Là gît une Puissance qui, chez l’homme ordinaire, n’est que virtuelle (on la compare à un serpent femelle endormi). Réalisée par le yoga (éveillée par le souffle), cette Puissance (on l’appellera Kundalini, l’Enroulée ) s’activera et, guidée par la pensée durant les exercices de méditation, montera progressivement, de chakra en chakra, jusqu’au sommet du corps subtil où elle s’unira à l’âme (atman est un mot masculin) : les noces de l’atman et de la Kundalini, comparées à celles de Shiva (Siva) et de sa parèdre Pârvatî, provoquent une véritable transmutation alchimique de l’individu, que l’on qualifie dès lors de jivan-mukta (délivré-vivant). (19)
« D’autre part, l’asana et l’ekagrata [concentration ferme et continue sur un seul point ou un seul objet afin que toutes les énergies psychiques se trouvent ramassées autour d’un même objet.] imitent un archétype divin; la position yogique a une valeur religieuse en elle-même. il est vrai que le yogin n’imite pas les « gestes » et les « passions » de la divinité, — et pour juste cause! Car le Dieu des yoga-sutra, Içvara, est un pur esprit qui non seulement n’a pas créé le monde, mais qui n’intervient même pas dans l’histoire, ni directement ni indirectement. Ce qu’imite le yogin, c’est donc — à défaut de ses gestes — du moins le mode d’être qui est propre à ce pur esprit. Le transcendement de la condition humaine, la « délivrance », la parfaite autonomie du purusha (le Soi, l’Absolu, la conscience pure) — tout cela a son modèle archétypal dans Içvara. Le renoncement à la condition humaine, c’est-à-dire la pratique Yoga, a une valeur religieuse en ce sens que le yogin imite mode d’être d’Içvara: l’immobilité, la concentration sur soi-même. Dans d’autres variétés de Yoga, l’asana et l’ekagrata peuvent évidemment acquérir des valences religieuses par le simple fait que le yogin devient grâce à elles une statue vivante, imitant ainsi le modèle iconographique. » (20)
« Les visées du Yoga hindou sont d’ordre spirituel. C’est presque une trahison de l’oublier, pour ne retenir de cette antique discipline que l’aspect proprement physique, n’y voir qu’un facteur de santé – ou de beauté – corporelle. En fait ces visées se situent bien au-delà de l’équilibre physico-mental, de l’union, de la cohésion des énergies vitales, qui réalisent, dans le Yogi, la pratique des exercices. Ou plutôt, cet équilibre, cette cohésion, elles les intègrent, en faisant d’elles comme la base et la condition première de la réalisation par l’homme de son vrai « moi », et dans son vrai « moi », de Dieu. » (21)
Le Hatha-Yoga redécouvre la valeur concrète du corps et de la vie humaine, et s’efforce d’obtenir le « salut » à sa manière, à partir de ce corps même dont il transforme la physiologie en une physiologie mystique. » (22)
le Yoga n’a jamais été conçu seulement comme une discipline de mieux-être dans la vie actuelle, mais comme un mode de transformation si radical que ses effets se répercutent sur l’après-vie. (23)
Si les pratiques, prises individuellement et dépouillées de leur signification spirituelle, correspondent à des exercices physiques, leur association à des doctrine spirituelle marque ces pratiques comme religion. Le fait de prendre du pain et du vin n’a rien de religieux, mais associé à une signification spirituelle, il devient rite religieux, donc proscrit dans un contexte laïc. Le parallèle est identique avec le yoga.
Ces pratiques sont éminemment religieuses !
Dangers potentiels du Yoga
A. Dangers potentiels physiques
A notre avis, le traité pratique se heurte à des difficultés considérables, et présente, à maints égards, de sérieux dangers pour le lecteur. En effet, les éléments essentiels des pratiques yogiques sont loin d’être toujours communicables par voie d’écriture, non plus, du reste, que par simple enseignement oral. Leur transmission ne se conçoit guère sans une démonstration — disons — gymnique ou physiologique, concrète et directe. Il entre dans ces pratiques nombre de gestes — des attitudes corporelles par exemple — que l’on ne saurait apprendre que d’après des modèles; et aussi nombre « d’expériences physiologiques » (entre autres, l’augmentation volontaire de la chaleur du corps) qui réclament l’assistance et la direction d’un maître. Aussi, voué d’avance à être incomplet, un tel traité serait, par-dessus le marché, périlleux. Même dûment avertis, il se rencontrerait encore des lecteurs pour s’abstenir à exécuter sans contrôle tels ou tels exercices, quitte à risquer de graves accidents. La pratique non surveillée de la rythmique respiratoire (pranayama) s’est fréquemment soldée par des affections pulmonaires caractérisées. Faut-il mentionner aussi les troubles nerveux auxquels exposent l’amateur imprudent certaines techniques, nous pensons surtout à celles de « l’érotique mystique ? » (24)
« Il faut savoir que le Yoga – les postures mais surtout les exercices de respiration contrôlée – développe mécaniquement une grande énergie. En ce sens il est dangereux. Si cette énergie ne trouve pas d’exutoire, n’est pas dépensée au profit d’un certain épanouissement des facultés les plus hautes du psychisme et du spirituel, elle risque d’être une entrave, un facteur de déséquilibre. Couper le Yoga de sa vie spirituelle, c’est retourner contre soi les énergies qu’il doit libérer. » (25)
B. Dangers potentiels psychologiques
Toutes les postures et les rythmes respiratoires tantriques (et utilisés dans le hatha-yoga] ont été calculés afin de provoquer rapidement ce processus chez les yogis, qui deviennent des êtres « au-delà des contraires », mais souvent après avoir connu des expériences extrêmement intenses; si les pôles, au lieu de s’attirer, s’opposent, la dualité s’installe et engendre de graves dissociations, conduisant parfois à la folie. D’où la présence indispensable d’un très bon guru, ayant déjà maîtrisé ces expériences et vivant dans un esprit de parfaite compassion. » (26)
« Dans la concentration et surtout dans la méditation, le pratiquant est donc très vulnérable, car sa présence à lui-même est toute d’acceptation: il n’a pas perdu son jugement qu’il retrouvera d’ailleurs clarifié et affermi, mais il l’a levé, suspendu, pour entrer plus profondément en lui-même et, si telle est sa forme de spiritualité, en contact avec une puissance divine. On imagine bien à quels excès des instructeurs à tendance paranoïaque, se sentant investis d’une mission urgente pour le monde, peuvent se livrer. …..le lâcher-prise obtenu par des exercices classiques et irréprochables se trouve exploité, parfois, dans le sens d’un véritable « viol » psychique, …où les préceptes inoculés dans ces moments de totale réceptivité atteignent l’inconscient et y laissent des traces indélébiles. » (27)
Le Yoga est « l’annihilation de toutes les fonctions du mental, l’art de vider son mental et d’en faire un feuillet blanc. » (28)
Conclusion
Si nous pouvons nous réjouir que le yoga exige le respect de principes remarquables (« Parmi les conditions requises, figure une longue liste de valeurs à respecter, telles que la chasteté, l’équanimité, la véracité » (29)), ce mouvement est clairement à rattacher à un mouvement religieux.
Le Yoga n’est pas une religion externelle mais internelle. Il s’avère être « une réaction contre le formalisme, contre la « lettre morte » des rituels. » (30)
« la rapidité du succès est fonction de la mollesse, de la demi-mesure, ou de l’ardeur de la pratique, et de l’abandon total au Seigneur suprême. » (31)
Ainsi, le yoga ne peut être pratiqué ou enseigné sous ce terme ou sous celui de relaxation dans les écoles publiques, sans violer le principe de la laïcité.
Peadar Somers & Florent Varak
(Pour la commission d’éthique de la Fédération Évangélique de France)
Notes et références
(1) J. Varenne, « Patanjali », Vol. 12, p. 603.
(2) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
(3) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1030-31.
(4) Dictionnaire de la Sagesse Orientale, P.204.
(5) Dictionnaire de la Sagesse Orientale. Éditions Robert Lafond, S.A., Paris, 1989.
(6) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
(7) Dictionnaire de la sagesse orientale, p. 208.
(8) M. Eliade, T. du Y., p. 278.
(9) M. Eliade, Techniques du Yoga Éditions Gallimard, 1975, p. 262.
(10) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
(11) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
(12) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, pp. 67-69.
(13) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1029.
(14) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1030.
(15) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 65,66.
(16) S. Bikram-Shah, in J.M. Déchannet, La Voie du Silence, p.41.
(17) J. Varenne, « Patanjali », Op. Cit.
(18) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, pp. 81-85.
(19) J. Varenne, « Yoga » Op. Cit., p. 1029.
(20) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 101,102.
(21) J.M. Déchanet, La Voie du Silence, p. 56.
(22) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 234-235.
(23) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, p. 55.
(24) M. Eliade, Techniques du Yoga, pp. 12,13.
(25) J.M. Déchanet, Yoga Chrétien en Dix Leçons, [Cité dans Non au Yoga de M. Ray, p.88]
(26) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, p. 70.
(27) Ysé Tardan-Masquelier, Le Yoga: du Mythe à la Réalité, Paris : Droguet et Ardant, pp. 111,112.
(28) Saravasti, La pratique de la Méditation, Paris : Albin Michel, 1950, p. 118.
(29) J. Varenne, « Yoga », Op. Cit., p. 1029.
(30) M. Eliade, Op. Cit., p. 278.
(31) Yoga-sutra, chapitre 1, v.22,23.